Jusqu'au plus haut sommet

Tabris acquiesça respectueusement au choix de Séléné, elle devait assurer la sécurité et les intérêts de son royaume avant tout. Concernant celui des Titans, le prêtre n'aurait pu mieux faire que de le soustraire à une nouvelle implication non-désirée, il connaissait l'avis de Cronos sur le sujet. La décision justifiée d'Athéna l'avait convaincu par ailleurs, le Roi des Titans n'a pas besoin d'alliés si il ne le désire pas lui-même. Quant à Asgard, outre l'épais manteau blanc recouvrant sa végétation et ses monuments, il fallait reconnaître que le peuple des Ases possédait une culture tout à fait fascinante pour lui. Rien que les appartements privés de la grande prêtresse témoignaient d'un esthétisme presque pittoresque des beautés de la mythologie nordique. L'Hiérophante se doutait bien que la dame du pays des glaces entretient un lien puissant avec le légendaire arbre cosmique Yggdrasil. Séléné dont les traits purs et nobles inspirent le respect s'excusa de devoir se désister mais Tabris lui fit comprendre d'un sourire discret que c'est tout à fait acceptable, nul besoin de dépasser la marge diplomatique quand cela touche aux affaires extérieures. Voilà ce qu'on peut qualifier de "discussion civilisée entre personnes sages" !

Tout à coup, un cri aussi horrible que résonnant brisa la quiétude de ces murs... Les deux représentants des dieux se tournèrent alertés vers la porte qui laissait filtrer le bruit de pas frénétiques des gardes. Que s'est-il donc produit ? Quelle est l'origine de cet hurlement de mauvais augure ? Tabris observa Séléné se lever promptement et la suivit aussitôt, troublé et inquiet. Dès qu'elle ouvrit la porte, la morsure du froid porteuse d'ondes néfastes le prit à la gorge et gela jusqu'au sang coulant dans ses veines. Se réfréner ne fut jamais autant un calvaire qu'aujourd'hui, l'obscurité nocturne ne faisait qu'accentuer cette impression de terreur et d'insécurité affolant les habitants du palais. Séléné s'enquit vite de découvrir de quoi il retourne, un garde l'informa de la mort de cause présumée non-humaine d'un des leurs... S'écartant de leur passage, il les laissa voir de leurs propres yeux la scène du crime. La réaction de l'Hiérophante fut instantanée puisqu'il détourna les yeux, un homme gisait déchiqueté et baignant dans son sang, son homologue d'Asgard quant à elle soutint ce drame avec fermeté et aplomb.

Elle s'empressa de transmettre des directives aux gardes, que nul ne reste seul car l'auteur de cet acte devait encore rôder dans les lieux. Le palais d'Odin se trouvait bien trop en hauteur pour s'y infiltrer et s'en échapper aussi facilement. Le prêtre des Titans garda la bouche couverte par sa main, ses traits durcis sous l'effort du refoulement nauséeux restèrent fort heureusement dissimulés par la pénombre des couloirs. Les faibles lumières des lampes s'allumèrent les unes après les autres alors que chaque garde rejoignait une équipe de patrouille, le froid eut au moins l'effet positif de calmer ses nausées mais il attendit que le corps soit emporté pour rouvrir les yeux. Séléné retourna dans la pièce de leur entretien maintenant bel et bien clos pour rapporter deux manteaux de fourrure, avait-elle l'intention de l'aider à repartir via une escorte ? Lui tendant cette couverture supplémentaire qu'il revêtit aussitôt, elle lui demanda si il désirait repartir au plus vite mais le prévint que le danger ne sera que plus mortel une fois dehors. Elle avait raison, la sagesse et la solidarité devaient primer en ce genre de moments !

Je n'aurais pas la moindre chance de survie si je quitte le palais maintenant escorté ou non, et qu'importe les circonstances, l'idée de m'enfuir et vous abandonner à un sort incertain ne m'aurait pas effleuré l'esprit. Je reste avec vous, tant que tout danger ne sera pas écarté pour nous tous !

D'un sourire aux tons doux et chaleureux, Tabris approuva les dires de Séléné selon le bien fondé de leur entente. Lumière et chaleur devenaient presque inexistantes alors que le danger se faisait plus présent que jamais, la prêtresse ressentit elle aussi cette alarme instinctive qui les fit se tourner en direction de la fenêtre. Il faisait beaucoup trop sombre et froid pour distinguer quoi que ce soit correctement, mais ils avaient tous deux bien entendu un mince bruit grinçant de griffes contre la pierre. Ses sourcils se fronçèrent d'appréhension, la buée révélant son souffle se fit plus dense et rythmée alors que la crainte le gagnait. La dame d'Asgard lui suggéra de poursuivre dans un endroit plus sécurisé, ce à quoi il ne pouvait qu'acquiescer. Silencieusement, ils se hâtèrent de quitter cette aile du palais sans céder à l'effroi au moindre bruit suspect, l'inquiétude des gardes en patrouille l'obliga à compatir et faire taire la sienne car c'est eux qui s'exposaient le plus au danger d'une attaque fatale. Séléné finit par briser le silence de la marche pressée, les yeux éoséens de l'Hiérophante se concentrèrent avec attention sur la silhouette de son homologue lorsque celle-ci lui confia un pan d'informations capitales lors d'un évènement similairement apocalyptique.

En effet, j'ai entendu parler de cette pandémie surnaturelle que l'on nomme le "Fléau" depuis. Les archives de notre domaine retracent toute sa trame, c'est d'ailleurs par cette source que j'ai pu apprendre que votre participation fut décisive bien qu'aucun nom n'y figurait. Je suis peiné de constater que nos ouvrages sont aussi peu exhaustifs, j'ignorais jusqu'à là qu'un domaine gouverné par les prêtres existait. Dois-je comprendre qu'il est laissé à l'abandon ?

Selon elle, cet endroit serait le lieu idéal capable de leur fournir des pistes sur ces terribles évènements, pour le coup, elle venait d'attiser la fascination de Tabris. Quoi qu'il en soit, ils ne doivent pas relâcher leur vigilance et lambiner car le danger peut surgir de n'importe où. D'un pas rapide et fluide, ils finirent par atteindre un couloir vide où une porte imposante donnait sur la grande bibliothèque... quel ne fut pas son émerveillement lorsque Séléné l'y introduisit. Il avait beau geler jusqu'aux os, c'est dire si sa soif de science mettait son esprit en ébullition... Par précaution, le prêtre sonda les lieux de son sixième sens avant de refermer soigneusement l'entrée. Méfiance constante tant que leur sûreté n'est pas assurée, Séléné semblait rechercher un document précis au milieu de casiers à parchemins un peu plus loin. Il ne lui fallut pas longtemps pour mettre la main dessus, s'empressant alors d'en décrire le contenu aussitôt. À l'agréable surprise du prêtre de visite, il s'agit d'une reproduction cartographique indiquant les lieux importants soumis aux dieux de part le monde. La position géographique du Temple des Prêtres y est également indiquée !

Toutefois, une restriction de taille les entravait comme elle le pointa... la distance qui allait les séparer une fois leur entretien terminé sera bien rude à combler. Ils ne pouvaient vraiment pas réclamer chaque fois l'entremise d'un émissaire pour assurer le contact et l'échange d'informations, car effectivement, le projet de Séléné semble bien consister à retourner en ce sanctuaire pour obtenir des réponses. Sans au moins un homologue avec elle, Tabris comprenait parfaitement la vacuité de cette entreprise de grande envergure car si la bibliothèque d'Asgard pourrait faire fantasmer des puits de science alors l'Hiérophante voyait déjà en ce domaine scellé un accès terrestre aux annales akashiques. Tandis que Séléné lui confiait le précieux parchemin, elle le délaissa quelques instants pour noter quelque chose sur du papier. Tabris, quant à lui ne bougea pas tout de suite, songeur et interpellé par tant de révélations qu'il balayait de ses pensées l'urgence de la situation. C'est là l'occasion d'accéder à ce qui est la quintessence du but de leur sacerdoce, son homologue d'Asgard devait s'en tenir aux acquis puisqu'elle en connaissait plus que lui. Rangeant vite sa carte dans sa sacoche, il rejoignit la scribe à peine eut-elle parlée d'une alternative permettant d'accroître les dons extrasensoriels sans toutefois détourner ses pensées de leur voie.

J'adhère à votre souhait, Séléné ! Nous avons certainement plus à partager que de piètres enjeux politiques centrés autour des guerres saintes. Si nous parvenons à établir une liaison durable le temps que ces phénomènes nous laissent une marge d'action, il est tout à fait possible pour nous de réunifier notre ordre. Il me tarde de découvrir où ce projet ambitieux nous mènera !

Le prêtre reçut le papier qu'elle lui tendit et en parcourut rapidement les lignes, cela est réalisable dans l'immédiat constata-t-il avec étonnement. La plupart des ingrédients et herbes communs à Asgard pouvaient sans doute être retrouvés au palais dans une réserve ou même des cuisines... tandis qu'il disposait d'une bourse encore pleine de cristaux venant de l'Adamas Psammos. Si ils préparent un philtre intégrant des éléments de leurs deux domaines contenant assez d'essence cosmique, un lien métaphysique fera s'harmoniser leurs fréquences vibratoires tout en boostant leur potentiel télépathique. De nouveaux cris d'horreurs résonnèrent dans les couloirs et les ramenèrent à l'ordre, ils avaient perdu du temps à achever cette transmission nécessaire et la vestale l'entraîna sans tarder dehors. Ils prirent un chemin opposé de celui d'où provenaient les râles agonisants, si cela continuait ainsi les monstres auront bientôt investi tout le palais. Par ailleurs, un doute alarmant s'immisça en lui lorsque des grognements inquiétants provenant du fond opposé de l'allée les forcèrent à accélérer leur course.

Séléné, menez-moi aux cuisines du palais ou à une de vos réserves contenant les éléments de votre recette. Si ma théorie se confirme, je peux aisément procéder à l'établissement d'un canal extrasensoriel entre nos deux cosmos de manière quasi-permanente. Ne ralentissez surtout pas, nous sommes traqués... une fois là-bas, je dresserai un kekkai pour vous permettre d'agir.

Les deux prêtres parcoururent plusieurs couloirs sans ralentir, leurs regards fixes et fermes sur leur objectif qui est d'atteindre les cuisines. Le palais avait maintenant perdu toute son atmosphère mystique pour laisser place aux ténèbres et au froid les plus oppressants de mémoire d'homme. Tabris ne pouvait plus se départir de ce malaise face aux expressions inquiètes des gardes, tous ses cris en fond n'annonçent que les débuts de bien sombres temps... comme l'a prédit Séléné. Sa guide savait parfaitement où aller, leur traversée passa enfin dans une grande salle de réception plongée dans une obscurité quasi-totale. L'Hiérophante se raidit sans s'arrêter lorsque l'air glacial lui envahit les poumons, il ignorait si il était hypersensible ou définitivement paranoïaque mais il mettrait sa tête à décapiter que ces râles et bruits de pas n'étaient pas de son imagination. Peu importe, la dame d'Asgard le mena enfin vers la porte des cuisines qu'elle ouvrit aussitôt, quant à lui, la mine suspicieuse obstinément tournée vers l'arrière ne pivota qu'au dernier moment pour faire la rencontre d'un fer de lance qui le fit loucher de surprise. Les cris des femmes entassées au fond lui firent comprendre la situation, dont il remercia silencieusement Séléné de calmer les deux gardes interloqués.

La faible lueur du foyer de la cheminée le soulagea quelque peu, assez pour reprendre ses esprits et mettre fin à sa catatonie intérieure. Nul besoin d'interagir avec les personnes présentes ici pour l'heure, leur prêtresse prit les choses en mains et demanda aux servantes de rapporter tous les ingrédients nécessaires à la préparation du philtre. Tabris eut du mal à sonder une dernière fois les lieux avec toute cette cacophonie d'émotions troubles dans son dos, il dut se résigner finalement à dresser un kekkai absolu jusqu'à la moindre parcelle de mur des cuisines. Refermant les portes sans se soucier des affaires en cours, il posa ses mains frigorifiées sur la surface métallique des portes et d'une pression douloureuse fit appel à son cosmos. Sa concentration s'aiguisa assez pour qu'au bout de deux minutes d'immenses octogones de lumière s'étendent de ses paumes et ondulent tout le long des murs, du sol et du plafond de la pièce close. Pour les réfugiés, un sentiment de bien-être et de sécurité imprégna les lieux jusqu'au feu de la cheminée qui se ralluma plus vivace que jamais quand au contraire au-dehors c'est une disparition pure et simple de leurs existences qui eut lieu. Rien ne pourrait les atteindre facilement maintenant, car bien que le kekkai soit puissant c'est une charge de sentiments inspirant la terreur sur d'éventuels assaillants qui en fait son principal atout.

KEKKAI MIS EN PLACE À 60 CS

Si les dieux nous renient, alors nous les renierons aussi ! C'est exactement ce que pensent les guerriers de cette époque. Il y a bien assez de troubles dans le microcosme pour que nous puissions nous concentrer sur les hautes sphères de l'univers... Je suivrai votre conseil, mais rien ne dit que nos prédictions obtiendront une audience dame Séléné !

Un constat bien pessimiste mais justifié quant au malheur qui s'abat sur le monde, Tabris tourna un sourire forcé oscillant entre l'espérance et le chagrin vers les autres. L'inconvénient lorsque l'on transmet l'espoir est que l'on doive s'en priver soi-même, la bonté est un sacrifice altruiste à ne pas prendre à la légère. Un peu gauche dans ses mouvements, le prêtre rejoignit sa consoeur en évitant autant que possible de vaciller malgré son tournis. Les servantes avaient disposé tous les éléments végétaux trouvables sur les terres d'Asgard, cela attira son intérêt en découvrant toutes ces variétés de leur flore. Séléné prit en mains une plante désséchée et la revigora de son cosmos sous l'oeil intrigué de l'Hiérophante, cette transsubstantiation hautement symbolique trouve tout son sens aux regards éoséens et azurés. Un creuset bouillonnait allègrement au coin de la cheminée, la potion n'avait en soi rien de bien extraordianire à part une transmission métaphysique entre les essences d'Asgard et du prêtre des Titans. Déposant la plante régénérée délicatement, Séléné s'écarta et l'invita à en faire de même afin de complémenter le tout de sa propre énergie.

Ayant déjà brûlé plus ou moins un tiers de son cosmos, il fera en sorte de se ménager dorénavant car une fois sorti du palais il s'exposerait à l'épuisement irrémédiable. De son sac, il sortit sa précieuse bourse qu'il vida sur le plan de travail entre les plantes en une seule fois. Une vingtaine de diamants taillés roulèrent en attirant l'attention des gardes et servantes, leur éclat bleu scintillant vers l'or devrait aussi éveiller la curiosité de Séléné. Comme si de rien n'était, Tabris retroussa ses manches et attrapa le premier couteau disponible pour commencer à émincer les herbes et plantes sans se soucier du regard des autres. Il s'en amusait d'ailleurs si on note son rictus espiègle, avec dextérité et finesse il termina sa besogne et reposa l'ustensile, puis pointa l'ensemble du plan de travail de sa paume d'où irradia un brasier blanc cosmique pulvérisant le tout. Nul doute que toute la salle a dû en sursauter, des ingrédients et diamants ne restait plus qu'un parterre de poudre scintillante et nimbée du cosmos des deux prêtres. Une jeune fille s'approcha à sa demande et recueillit toute la précieuse matière, les directives étaient claires, rien d'autre ne doit entrer en contact avec la potion lorsqu'elle saupoudrera.

C'est parfait ainsi, je vous avoue que je me sens beaucoup mieux et vos gens aussi semble t-il. Si je peux vous confier à mon tour un conseil, ce serait de ne pas perdre vos couleurs peu importe combien le temps s'évertue à vous changer. Comme ce feu, si le monde perd sa chaleur alors laissons nos âmes le réchauffer, n'est-ce-pas le sens même du cosmos d'harmoniser ?

Il put dire que Séléné avait gagné son estime, à ses réponses un sourire éthéré naquit sur le visage du prêtre. Certes, les êtres comme eux portent un bien plus lourd fardeau que toute la piétaille et les élites guerrières organisées. Dispenser le message de leur dieu revient à laisser de côté leur propre identité pour s'imprégner de l'essence divine garante de leur autorité. Il acquiesça de la tête calmement, sa consoeur parlait avec justesse et discernement sans qu'il n'ait besoin d'en ajouter, leur conversation attirait aussi quelque peu l'attention des servantes affairées autour du feu. Les orbes éoséens scrutèrent avec perplexité le kekkai en même temps que Séléné, il perdrait progressivement en puissance c'est un fait mais au moins ils resteront isolés de toute menace extérieure. Les lieux s'étaient par ailleurs réchauffés dans tous les sens du terme, il faisait bon maintenant et les crépitements du feu renforçaient la détermination des gardes et autres personnes présentes. La prêtresse d'Asgard en sécurité et l'effet du kekkai suffirent à redonner un peu d'espoir dans cette pièce close, Tabris n'en cachait pas son apaisement mitigé. Sauver ces quelques survivants et laisser le reste du palais aux prises avec la mort ? Son sourire couvrait à peine l'éclat de tristesse rougeoyant à travers ses iris. Toutes ces vies humaines perdues... Son homologue, heureusement plus terre à terre le tira de son contact avec sa conscience. Le philtre était prêt mais quelle fut leur surprise en voyant le résultat, l'Hiérophante fit la moue en remerciant un peu gauchement la demoiselle trop interloqué par la couleur violacée aux nuances irisées et vaseuses.

Soit, si le destin nous y conduit ! Je vous suivrai sans aucune réserve, tâchons de survivre tous ensemble.

Une poignée de main enflammée de cosmos scella le rituel, tandis que tous deux burent le breuvage de renforcement sensoriel. Comme deux univers s'unissant via un trou de ver, Tabris et Séléné ressentirent le cosmos de l'un devenir comme une extension aux frontières de l'autre. La potion s'insinuait à travers leurs corps mais aussi leurs esprits, stimulant leur sixième sens et ouvrant en grand leurs chakras. À la fin, lorsque leurs mains se séparèrent au contraire leurs cosmos demeurèrent liés sur le plan astral et plus revitalisés que jamais. Un duet envoûtant de sensations traversaient désormais le seuil de leurs consciences, c'est là un succès majeur qui finalisait leur cause commune jusqu'à la concrétisation prochaine de leur grand projet. Levant une expression de congratulations à l'attention de sa congénère, les mots moururent toutefois dans sa gorge lorsque l'impensable se produisit... ses traits se muant d'une joie indicible au choc le plus troublé, il fut comme les autres le témoin incrédule de l'agonie perçante d'une des femmes. Une blessure dans le dos ? Serait-il possible que... il n'eut pas le temps d'avertir les malheureux gardes que le drame fut fait.

D'horribles spasmes suivis de rugissements terrifiants accompagnèrent la transformation de la jeune femme en une monstruosité sans nom. Cette dernière laissa s'exprimer toute sa sauvagerie sous les cris horrifiés de l'assistance et se jeta sur les deux gardes pris de court, impuissants les prêtres assistèrent pétrifiés à la mort atroce des deux hommes. Des cris, du sang, une abomination... le regard de la bête trouva le sien, pupilles écarquillées non pas de terreur mais dans un état second. L'inquiétude de Séléné n'eut vite plus lieu d'être, d'un geste de la main Tabris rappela à lui toute la puissance concentrée dans son kekkai et la redirigera à vitesse lumière sur un seul et même point. La créature n'aura même pas eu le temps de réaliser qu'un mur absolu la sépara aussitôt du groupe des derniers survivants, dont l'un avançait vers elle avec détermination, l'obligeant à reculer face au mur de lumière qu'il lui opposait. Il ne fut pas intimidé par les grognements du monstre, ce dernier ressentait aussi bien que la seconde prêtresse la nature ineffable de cette barrière de vie. D'un mouvement sec de la tête, Tabris lui intima dans un langage évident de déserter les lieux...

Ce royaume compte sur vous, Dame Séléné ! Votre vie est des plus précieuses à cette heure, maintenant que je ressens votre fluide cosmique accompagner le mien. Je vous en prie, envoyez un message télépathique à l'ensemble des survivants pour qu'ils viennent se réfugier ici avec vos servantes. Eux seuls pourront traverser la barrière si tout se passe bien.

PUISSANCE RESTANTE DU KEKKAI: 55 CS.

La réaction du monstre ne fut pas celle escomptée, occupé à « savourer son repas » sans lâcher le kekkai des yeux et quel regard, celui de Tabris s'assombrit en soutenant le contact visuel. Ces créatures sont dangereuses, elles ne tuent pas uniquement pour se nourrir ou par une sauvagerie animale quelconque... elles le font par plaisir. Brisant subitement le face à face, la bête poussa un hurlement strident qui fit reculer Tabris de stupeur. La tension glaçante de l'incertitude laissa vite place à une nouvelle menace à craindre, c'était là un appel pour ses congénères. Le prêtre se mordit la lèvre inférieure alors que ses traits trahissaient le dépit, s'ils ne faisaient pas quelque chose et très vite alors il y a un risque qu'ils se retrouvent acculés pour de bon. L'intervention de Séléné y coupa court, elle les entraîna aussitôt hors de la pièce lui et les servantes par un autre côté inatteignable pour la créature derrière l'écran lumineux. Inutile de lui accorder un regard de plus... Alors qu'ils reprirent la traversée des couloirs sanglants déserts de vie, la réponse de son homologue asgardienne le prit assez au dépourvu et lui fit baisser les yeux de honte vis-à-vis des dames terrifiées à leurs côtés ainsi qu'aux malheureux gardes et servants morts au sein de ce palais.

Bien sûr que la vie de la prêtresse était importante voire indispensable pour Asgard, mais il avait omis de nuancer ses propos et ainsi affirmé que le reste des vies ici présentes n'avait pas la même valeur. De ce fait, cela sonnait comme si toutes ces morts ne pèsent pas dans la balance... Tabris murmura une formule d'excuse à l'égard des dames, son sourire contrit est la seule chose qu'il puisse offrir pour atténuer leur crainte. Certes, ils pouvaient maintenant mourir à tout moment si on suppute qu'ils soient les seuls survivants de ce massacre à voir ce bain de sang. Le froid eut vite fait aussi de le saisir jusqu'aux os, il enviait ses hôtes pour leur résistance même si eux également peinent à ne pas frissonner. Séléné les conduisit ensuite vers une partie épargnée du palais, les sens en alerte de l'hiérophante ne ressentirent que brièvement un éclair de danger en longeant les murs des couloirs annexes. Une aura mystique semble baigner l'horizon des couloirs et les torches demeurent vivaces, malgré le froid gangrénant cela doit sans doute pouvoir dissuader la cohorte de monstres de les y poursuivre. Si on y ajoute le kekkai qu'il a placé, ils auront du temps pour préparer leurs positions avant une prochaine attaque.

Le coeur ? Signifiez-vous précisément le pivot du foyer ? Une sorte de saint des saints ? C'est... trop d'honneur.

Effectivement, notons qu'il avait pu pénétrer la grande bibliothèque et y recueillir de précieuses informations au sujet des prêtres. Mais si sa collègue lui autorise un tel accès, c'est que la situation est réellement désespérée pour exiger leur replis aussi profondément dans le palais. L'oeil éoséen intrigué et frénétique inspecta leur point d'arrêt, Séléné en appela à ses suivantes pour l'aider à ouvrir une porte -merveilleusement et lourdement sculptée- puis ils purent passer... Dire que l'endroit le laissa bouche bée serait en soi un euphémisme, Tabris s'avança avec une réserve extrême alors que son coeur battait la chamade. Un complexe architectural d'une indicible beauté s'étala à ses yeux, s'ajouta la lueur sacralisante de braseros bleutés frappant de plein fouet les cristaux d'améthystes ornant les murs dans une harmonie sublimée. Au centre de la pièce un muret formant un demi-cercle scellé se surperposant sur l'exacte distance focale des rayons reflétés par l'ensemble des cristaux.

Un pas après l'autre, il s'approcha du centre pour admirer les fresques dépictant la richesse de la mythologie d'Asgard. Fenrir affrontant Tyr et Jormungand le serpent encerclant de ses anneaux le Midgard; Odin et ses frères façonnant le monde avec le corps d'Ymir; Balder tué par une branche de gui et Loki châtié en conséquence à expier son crime malveillant en recevant sur le visage le venin corrosif d'un serpent jusqu'au Crépuscule des dieux. Freyr et Freyja issus des Vanes ainsi que les Valkyries et guerriers du Valhalla, des générations divines entières ponctuant les niveaux de la fresque d'un Yggdrasil cosmique. Tabris s'empressa de fermer les yeux et d'inspirer profondément, l'instant était beaucoup trop préoccupant pour s'extasier mais toute cette énergie aurique dans l'air ambiant transcendait ses sens. Mais... c'est cela, ses sens... comment n'y avait-il pas songé ? Son visage illuminé se tourna vers la prêtresse-gardienne des lieux, celle avec qui il venait de synchroniser la fréquence vibratoire de son cosmos dussent-ils être séparés par des milliers d'années-lumière.

Je crois comprendre maintenant... ici, vous pourrez libérer le palais et expulser ces horreurs. Il suffirait juste que nous procédions à un second rituel, nos cosmos pourront alors générer un kekkai absolu et d'une espérance de vie durable.

Pris par une impulsion révélatrice, Tabris pivota vers la gauche et s'approcha d'un gros morceau d'améthyste incrusté dans le mur. Sous les yeux indécis des dames, sa gestuelle circonspecte ne devrait pas échapper à l'entendement de Séléné. D'une main, il se saisit d'un brasero qu'il tint sous le bloc de pierre aux éclats de prisme et posa la seconde main dessus. Un halo blanc nuancé de contours irisés naquit de son cosmos et pulvérisa instantanément la pierre, dont il reccueillit la poussière volumineuse dans le brasero rendu inextinguible par l'aura de l'initié. Souriant et d'un soupir rassuré, Tabris s'en retourna vers l'épicentre de l'opération en cours et commença sans hésiter à laisser tomber les cendres enflammées pour tracer un pentagramme. Méthodiquement, il partit proportionnellement de l'intérieur du cercle pour finalement conclure en fermant le périmètre; terminant cette étape plus que laborieuse. Les cendres eurent refroidi entre-temps, leur but était presque atteint et ne restait plus désormais qu'un dernier acte au nom des dieux. Tabris se plaça au centre du cercle et tendit un bras accueillant vers Séléné, c'est l'heure de vérité !


PUISSANCE RESTANTE DU KEKKAI: 50 CS.

Séléné entra dans le cercle avec une infinie précaution, les pans de sa robe remontés, jusqu'à atteindre l'hiérophante au centre. Leurs mains unies en signe de solidarité totale, une doux halo de volutes lumineuses les entoura aussitôt que la prêtresse fit brûler son cosmos. Acquiesçant de son éternel sourire, Tabris se laissa submerger par l'harmonie de leurs cosmos réagissant comme dans une complémentarité absolue. Leur précédent rituel avait sans conteste porté ses fruits, puisqu'à l'apparition des racines de l'Arbre Monde à l'invocation de l'Asgardienne se synchronisa la perception accrue de Tabris. Ébahi par un tel prodige et bouche bée, il n'osa point l'interrompre tandis qu'elle psalmodiait quelques versets de sa propre langue et d'un dialecte beaucoup plus ancien. Puis, une quantité conséquente d'énergie irradia de son être et se répandit sur toute la surface scellée.

L'hiérophante ne sut que dire, cocooné par l'aura dense et majestueuse de Séléné comme jamais ses propres kekkais ne purent le faire. Voyant les volutes onduler comme une brume avant que le tout ne se concentre en douze orbes cosmiques, chacun placé dans une géométrie aussi symbolique que le pentagramme. La tension donna l'impression de retomber mais suivit alors un phénomène encore plus surprenant; des racines jusqu'au tronc puis les branches aux feuilles éthérées. L'Arbre Monde, légendaire source de toute vie et support universel de la mythologie d'Asgard, répondit à l'appel de sa servante et s'éleva en un avatar lumineux pour épouser la structure du palais d'Odin. Chaque orbe avait servi à accueillir une racine et lui permettre de s'alimenter, de la sculpture sur la porte ne restait plus rien de décelable que des traces fumantes de cosmos.

Tabris s'écarta et recula un instant pour admirer cette merveille qu'il n'aura sans doute plus l'occasion de revoir avant longtemps. Avec un air de badaud extasié des lèvres jusqu'aux sourcils, sa jubilation évidente se recouvrit de quelques feuilles tombant gracieusement sur sa frimousse. Séléné était réellement une personne extraordinaire et puissante, plus qu'il ne le sera jamais...

Puisse Asgard ne jamais connaître le malheur de vous perdre, Séléné... Yggdrasil s'est levé par votre Verbe, les mots me manquent pour exprimer comment je perçois ce prodige !

Sereinement, la prêtresse l'invita à la rejoindre pour poursuivre l'opération comme prévu. Selon elle, l'avatar de l'arbre allait avoir besoin de plus de puissance pour insuffler au palais un kekkai absolu. Évidemment, lui-même qui ne cache pas son émerveillement n'est rien en comparaison des servantes qui muèrent leurs prières de terreur en louanges exaltées. Son sourire attendri rencontra alors celui de son homologue, puis son aura illumina la pièce à son tour pour conclure avec elle cette sanglante aventure. La conclure... si seulement... des bruits inquiétants furent ressentis derrière la solide porte fermée, puis des hurlements à vous glacer le sang. Tournant lentement la tête, son cosmos s'éteignit tandis que l'espoir laissa place à l'angoisse !

ATTENTION, RECULEZ TOUTES !!!!

Les coups se transformèrent en véritable charge furieuse, jusqu'à ce que le bois cède et ne laisse l'abomination profaner ce lieu sacré. Cloué de terreur sans pouvoir croire que son kekkai ait été contourné aussi aisément, Tabris fit volte-face et invoqua sa défense absolue bien trop tard... au moment où ces horreurs en traversèrent la substance cosmique liquéfiée et l'eurent à leur merci, l'une d'elle le prit sauvagement à la gorge entre ses mâchoires et broya tout cri de souffrance. Les yeux écarquillés et la bouche grande ouverte, l'hiérophante sentit ses larmes lui brûler les joues jusqu'aux dernières couches de son épiderme.

Il fut secoué sauvagement dans tous les sens puis mis à terre, l'attaque fut impitoyable et sanguinaire au point que son corps en resta paralysé. Ses yeux larmoyants et incendiés d'une sourde douleur, il put voir les monstres s'approcher des dames encore en retrait; ressentir leur envie meurtrière gronder; entendre les claquements de gueule de la bête désaltérée de son sang. D'autres suivirent et tournèrent autour de lui, prêtes à l'achever et le dépecer sur place... Il ne put ni voir ni entendre les pleurs des servantes se repliant dans la panique, encore moins les réactions de Séléné.

La mort... la mort... encore une fois... sa blessure baigna rapidement son visage dans le sang... la sensation de brûler vif sur un bûcher... Il allait mourir aussi atrocement et... ces malheureuses connaîtront elles aussi ce funeste sort. Jamais... Il en est hors de question... si il doit mourir, ce sera en assurant la survie des autres... oui, c'est ce qu'elle a fait... elle qui le regarde de loin, bienveillante et protectrice... son visage ne ressemble pas à celui d'Athéna mais son regard a la même pureté que le sien... comment pourrait-il l'oublier... elle qui lui donna la vie ?

Sa disparition précéda l'explosion de son cosmos, auquel suivit le catapultage de la meute l'entourant tantôt. Les créatures se tortillèrent et glapirent dans tous les sens, les autres abandonnèrent les dames maintenant focalisées sur cette proie récalcitrante. Leurs grognements férocement éructèrent des sons toutefois satisfaits en constatant la contamination avancée de leur victime. Tabris tenait sa gorge mutilée, son regard porté vers le sol et encore embué de larmes se leva une dernière fois vers celle qui pourra témoigner de son sacrifice. Son corps avait certes été contaminé et la métamorphose progressait... mais en cela, il venait d'assimiler leur essence et pouvait la retourner contre eux.

Je vais y mettre un terme... Dame Séléné, ce n'est qu'un au revoir... Sauvez votre royaume et votre peuple... pour assurer nos retrouvailles dans un avenir proche... j'aimerais que vous enterriez mon corps sous l'arbre... ainsi tout sera accompli !

C'est à travers sa voix rauque et brisée qu'il fit ses adieux, la peur de mourir ne supplantera pas le désir de sauver et ainsi toutes ces morts n'auront pas été vaines. Son cosmos embrasé s'étendit et encercla les créatures avant qu'elles ne puissent fuir ou lui sauter dessus de nouveau, il leva sa main pour les soulever toutes par psychokinésie tandis que son bracelet en forme de se reforma par ondulations solénoïdales en sa précieuse et puissante lance.

Pardonnez-moi... Seigneur Cronos ! Flamme de vie intarissable, puissance qui sommeille dans nos âmes, viens depuis l’infini et rends ton jugement.

Un dernier sourire d'espoir, un ultime rayonnement et le prêtre s'empala le coeur... tout se passa extrêmement vite, son corps rayonnant comme une naine blanche emporta dans sa déflagration toute la horde de monstres neutralisés. L'explosion souffla violemment les lieux sans pour autant agir sur la matière protégée par l'avatar d'Yggdrasil, les seules choses qui périrent dans le brasier cosmique inondant le palais furent les bêtes; toutes sans exception irradiées à mort. Dans tous les environs d'Asgard, le palais d'Odin est désormais consacré d'un salut inespéré; nimbé d'un gigantesque crucifix de cosmos.

La vague blanche aussi chaude que mille soleils finit par se tarir depuis sa source, le corps de Tabris à terre témoignait encore d'un halo d'énergie l'entourant. C'est là ce qu'il offrait à Asgard, jusqu'à ce qu'il puisse revenir !

Enfers