[FB 1745 - Kalen/Aedan] Les enfants de la lune

Le bruissement du vent accompagne ma marche silencieuse. Mes prunelles mordorées contemplent les arbres dont les feuilles s’agitent à mon approche. Elles chuchotent aux oreilles aguerries, à celles habituées à leur mélodie. J’écoute, attentif, ce que la forêt souhaite me murmurer. Plus loin. Plus profondément. Ma marche reprend, plus vive cependant, curieuse et attentive. La forêt m’accueille sans hostilité aucune, se fait amie à ma présence. Familière. Je suis l’un de ces rares gardiens. Elle ne l’ignore pas, est assez ancienne pour se souvenir de l’époque où les miens se réunissaient en son sein. Aussi accepte t-elle sans mal que je m’enfonce entre ses bois, m’invite même à le faire. Car il y a en ces lieux, un être qu’elle protège. Un être qu’elle considère comme l’un des siens.

Le merle babille à mes oreilles.

Son cri ramène à mes lèvres un sourire de connivence. Il sera toujours une part de moi. Le Guide. A la lumière déclinante de l’astre solaire, sa mélodie vibre d’autant plus dans mon âme. Le crépuscule est notre heure. Peut être l’entendra t-il aussi, ce petit protégé de la forêt. Ou peut-être puis je l’attirer d’une autre manière.

Doucement, ma voix commence à s’élever. Un chant ancien et oublié s’échappe de mes lèvres. Les paroles s’envolent au rythme du bruissement des feuilles, de la mélodie du vent, se font invitantes, rassurantes. Ce chant qui touche l’âme. La forêt m’accompagne, se fait écho à ma voix alors que je m’avance toujours en son sein auréolé d’une aura aussi lunaire que ma peau, que mes cheveux qui cascadent sans contraintes jusqu’à mes pieds. Tout de blanc vêtu, je ressemble à cet astre qui bientôt, prendra la place de son pendant. Mes prunelles s’éteignent un instant alors que ma voix finit par mourir au creux de mes lèvres.

La magie de l’instant s’étiole. Tendrement.

Cela fait longtemps que je n’avais pas chanté ce chant. Elle semble heureuse et cela ravive mon sourire qui s’était éteint à la fin de ma chanson. Il est bon de revenir en ces lieux. Je profite un instant de plus de la douceur de cet instant avant de laisser ma voix s’élever de nouveau. Douce. « Tu n’as pas à avoir peur de moi cosán beag*. Je ne te veux aucun mal. »

*Petit protégé

Mes paroles restent plusieurs minutes sans réponse. Je ne m’en vexe pas, attendant patiemment que le protégé des lieux ne soit assez en confiance pour sortir de son abri. Après tout, je ne sais encore rien de lui, et je demeure un inconnu à ses yeux. Un bruissement de feuille finit par répondre à mes mots, laissant apparaitre face à un moi un être bien trop jeune pour demeurer seul en ces bois. Mes prunelles mordorées viennent détailler l’enfant qui ne doit pas avoir atteint ses dix printemps. Non, il est plus jeune que cela… et je dois avouer être surpris par ce si jeune âge. Sa voix s’élève, méfiante, laissant transparaitre dans ses propos une bien sinistre histoire. Le punir… En voilà une idée bien incongrue. Un sourire vient glisser sur mes lippes. Un sourire rassurant.

« Je n’ai aucunement l’intention de te punir, sois sans crainte cosán beag.» Le rassurai-je d’une voix calme, avant de venir m'asseoir à même le sol. Ma posture lui apparaîtra probablement moins menaçante ainsi. Mon regard vient un instant contempler les arbres présents autours de nous avant que mes prunelles mordorées ne détaillent davantage l’enfant. Pâle, de sa carnation à l’éclat de sa chevelure. L’éclat de la lune est semblable en lui, qu’il ne l’est en moi. Même si le sien semble être de naissance, contrairement au mien.

« Je connais cette forêt depuis bien longtemps, alors j’ai voulu la revoir. C’est la raison première de ma présence ici. » Une courte pause. « Elle t’a accepté en son sein, elle semble t’apprécier cosán beag… mais elle n’est pas à toi pour autant. Tu n’es pas le seul à vivre ici après tout. » Je ne peux m’empêcher de lui glisser cette leçon, un peu malgré moi. C’est ainsi que j’ai moi même été élevé. Mon sourire demeure sur mes lèvres, ma voix reste agréable, loin d’être aussi sévère que certain professeur. Juste une leçon de respect.

« Je m’appelle Aedan, et on peut dire que je suis un voyageur. Je pense que c’est ce qui me définit le mieux aujourd’hui. Je voyage à travers le monde pour apprendre et partager. » Guider aussi. Et tant d’autre chose qu’il est inutile d’énumérer à cet enfant pour l’instant. L’une de mes mains vient récupérer ma sacoche en cuir que j’ouvre, dévoilant quelques victuailles. Pommes, viandes séchées, pain, tomme de fromage… De quoi apaiser quelques estomacs vides. « Souhaites tu partager un repas frugale avec moi ? En échange, peut être pourrais tu me parler un peu de toi, notamment me dire qui tu es et ce que tu fais ici ? »

Donnant-donnant.

Vilain. Sa répartie m’amuse un rien. Il n’est qu’un enfant après tout aussi, je ne m’en vexe pas, ne le reprend pas à ce propos. Il n’est qu’un enfant... Un enfant qui, semble t-il, a subi bien des affres. Bien trop d’affres pour son si jeune âge. Le sourire qui s’était invité sur mes lippes à ses premiers mots disparait à la fin de sa phrase. Différent. Il me tourne le dos, sa chevelure pâle accrochant les derniers rayons d’un soleil couchant. L’est il vraiment tant que cela ? C’est un enfant. Juste un enfant, et l’adulte que je suis, l’homme que je suis, ne comprends pas un tel rejet. Car comment douter de sa parole alors qu’il se retrouve seul en ces lieux ? Je lui réponds alors, feignant une certaine incompréhension. « Pourtant tu ressembles à un enfant tout à fait normal à mes yeux. » Des mots on ne peut plus sincères.

Il n’est qu’un enfant.  

Ma proposition de repas a l'effet escompté. Ce dernier se retourne, un rien boudeur mais se jette sur la nourriture comme un animal affamé. Ce qu’il n’est probablement pas loin d’être la réalité. Sa réaction m’amuse, néanmoins, cela ne cache pas le mal que je ressens en l’observant. « Mange tranquillement, tu as tout ton temps. Ton estomac risque de te faire mal si tu manges trop rapidement. » Mon sourire est doux à mes mots, et je dois avouer éprouver un certain plaisir à le voir manger avec appétit.

Aucun enfant ne devrait avoir à vivre ainsi.

Je viens pour ma part, seulement récupérer l’une des pommes de mon paquetage, lui laissant bien volontier le reste de mes vivres. Contrairement à lui, c’est très lentement que je croque dans mon fruit, l’écoutant mâchonner et parler tout en même temps. C’est qu’il ne perd pas le nord en tout cas, néanmoins comme tous ses propos, ces derniers se teintent d’amertume. De cendre… Cela ramène à ma mémoire de bien sombre souvenir. Des souvenirs d’une période qui semble se répéter hélas… je délaisse ces sombres pensées pour répondre à l’enfant.

« Oh je pense que cette forêt regorge de denrées qui seraient suffisantes à nous nourrir tous les deux... ainsi que toutes les créatures qui y vivent ! » Il semble en tout cas, plutôt… possessif envers cette forêt qui l’a accueilli d’une certaine façon. A moins qu’il craigne simplement le manque. Ce que je peux comprendre aisément au vu de l’histoire qu’il me dépeint et de la situation dans laquelle il se trouve. « Ton village n’a pas l’air très accueillant en tout cas. » Cependant, je devrais peut être y faire un crochet. Pour leur enseigner quelques leçons qu’ils feraient bien de ne pas oublier.

Abandonnant un moment mon fruit entamé, je viens récupérer la tomme de fromage avant que le petit glouton ne s’en empare. Prestement, j’en découpe une bonne part avec mon vieux couteau de chêne et de fer. Je lui tends le morceau en question avant d’en couper d’autres que je lui laisse à disposition, reprenant le fil de la conversation. « Cela fait longtemps que tu vis ici ? »  

Un enfant du démon. Alors c’était ainsi qu’ils l’appelaient, cet enfant. Cette raison pour laquelle ils le rejettent, il semblerait. A cause de cette chevelure pâle qu’il arbore. Ils sont si prompt à juger autrui pour de bien stupide raison. Il y a longtemps, lorsque les chuchoteurs siégeaient encore aux côtés des rois, un enfant tel que lui aurait été béni. Leanbh sidh. Comme l’est mon père. Comme je suis devenu… Je secoue lentement ma tête de droite à gauche pour répondre à sa question. « Tu n’es pas un enfant du démon. Tu es un leanbh sidh. » L’expression est ancienne. Oubliés du commun. Comme tant d’autres… Les hommes ont tant oubliés du passé et auraient tant à renouer avec lui. Je réfléchis un instant aux mots que je pourrais employer pour lui expliquer ce que cela signifie. Plus simplement. Autant le lui traduire. « Un enfant du Sidh. C’est comme cela qu’on appelait les êtres comme nous, il y a très longtemps. Certains nous appelaient aussi les leanaí gealach, les enfants de la lune.»

Même si dans mon cas, je suis plutôt un enfant du crépuscule. Mais inutile de l’embrouiller avec ma particularité. « Ce n’est pas mauvais, au contraire, c’est un don rare que tu possèdes. » Un don rare et hélas oublié. Craint même puisque différent du commun. Cela me désole de voir ces anciens héritages bafoués… Le poids des années.

Le rythme de l’enfant se fait plus mesuré alors qu’il mange et m’écoute, échange avec moi. Ses mots sont enfantins, sa conscience l’est autant cependant ses paroles dépeignent un monde bien cruel que je ne suis pas sans connaître. « Pêcher ce n’est pas qu’attraper du poisson, cosán beag. Cela peut aussi signifier fauter, ne pas respecter les préceptes de leur foi, pour ceux croyant au dieu unique. » Ce qui n’est pas mon cas, je ne m’en cache pas, en parle avec une distance qui me sied bien. « C’est pour cette raison qu’il la condamnée. Parce qu’elle a utilisé du savoir Ancien qu’il craint, qu’il juge mauvais, néfaste. » Je ne dissimule pas tous le mépris qu’une telle décision fait naître en moi. Pourtant, je devrais être habitué à présent… Ce n’est hélas, pas les premiers récits de bûcher que j’entends et je crains que ce ne soit pas les derniers.

Lui aussi. Lui aussi aurait pu être ainsi condamné. Ce si jeune enfant… Lui qui ne sait rien de ce qu’il est, uniquement par crainte irraisonné... Cela fait naître en moi une sourde colère que je dissimule derrière un masque affable. Je comprends mieux sa présence en ces lieux.

22 lunes. Tant de nuit seul à survivre en ces lieux, sans personne sur qui compter. Mon coeur se serre. Silencieux. Son histoire m’attriste pourtant lui, demeure fier de sa prouesse et assume ainsi sa vie. Il peut l’être. « Si tu connais la nature et que tu sais vivre d’elle, c’est un très bon métier voyageur. » Cela m’amuse un peu de reprendre ses termes enfantins, permet à ma conscience d’apaiser son indignation. Patience. Je saurai leur apprendre. « Tu découvre de nouveaux paysages, de nouvelles cultures, tu apprends de nouvelles langues, et de nouvelles connaissances. Le monde est si vaste que tu n’auras pas le temps de t’ennuyer en le parcourant ! » Je lui souris, un rien espiègle. « Peut être pourrai je te montrer si cela t'intéresse. »

Le Sidh. Il fallait bien commencer par là en effet. Néanmoins, je le laisse continuer de sa voix enfantine, enchainer sur ses propres pensées. McMillan. Ce nom réveille en moi une certaine familiarité. Si elle partage les légendes anciennes, nul doute qu’elle peut risque pareil châtiment. Cependant, je ferai en sorte que cela n’arrive pas. Il faut préserver les anciennes paroles. « Pas si elle est protégée de ces méfaits. » Je ne peux plus rien faire pour les morts mais j’aurai peut être encore la possibilité de protéger ceux qui peuvent l’être. Je reprends sur sa question première. « Le Sidh… est un domaine perdu dans les brumes. Un lieu sacré et hors du temps appartenant aux Anciens. » A ceux qui ont été oublié des hommes.

Mon regard mordoré se pose sur lui dans son entièreté, s’attardant un instant sur ses cheveux couleurs de lune, avant de reprendre. « Dans ton corps coule ce sang, ce sang Ancien. Un sang fort et précieux qui te permettra de voyager entre les Mondes, et de toujours trouver ton chemin dans la brume. » Mon sourire se fait un rien contrit. Mes paroles peuvent paraître bien obscures pour ce pauvre enfant, je m’en rends compte. Finalement, je parle comme mon père aujourd’hui. Cela m’amuse un rien. Je lui ressemble de plus en plus avec les années. Mon doigt se pose doucement sur son front, une lueur lunaire vient y naitre, réchauffant son corps, éveillant lentement cet héritage dormant. Cela prendra ainsi moins de temps. Ma main s’écarte, mon essence revenant à moi. « Ne le dénigre pas, accepte le, cet héritage. Il est toi. Il t’aidera à survivre, comme il l’a déjà fait. Il t’a déjà guidé ici, tu sais. » N’a t-il pas été guidé dans ses bois ? N’a t-il pas trouvé de quoi survivre en ces lieux pendant tant de lune ?

Je ne peux qu’acquiescer à ses mots. Des mots culpabilisants, des mots cruels et sans fondements également. Qu’importe la manière, si c’est pour venir en aide, pourquoi donc ainsi blamer ? Qu’importe le savoir utilisé… Plus encore quand il s’agit d’un enfant innocent. Ses anecdotes toutes enfantines me font sourires, hélas, la colère demeure au fond de mon coeur. Une colère qui semble l’affecter. Je le sens à l’inquiétude qu’il éprouve en me contemplant. A cette peur primaire. Qu’a t-il vécu cet enfant pour ainsi réagir ? Il enchaine alors sur mes propos, peut être un peu affolé.

Ne pas rester. Pourrai je vraiment le laisser seul en ces lieux ?

Apaisant ma colère, je me redresse légèrement, contemple cet enfant. Le pourrai je seulement ? « Je peux t’apprendre ce que je sais sur elle. Mais cela pourra prendre un certain temps. Accepteras tu ma présence dans la forêt qui t’a accueilli pour que je te les enseignes ? » Ma main se tend vers lui de nouveau, cette fois, dans l’attente d’un retour de sa part, d’une action connue, commune. Une main tendue pour apaiser la solitude.

Mon sourire se fait amusé à ses mots alors que l’enfant paraît emballé à l’idée de pouvoir rencontrer une sorcière. Une sorcière au cheveux roux. La précision me fait doucement rire. « C’est tout à fait possible. Mais tu n’auras pas besoin de te rendre dans le Sidh pour en rencontrer. Tes pas t’y mèneront si tu y es destiné. » Mes doigts viennent écarter une mèche de cheveux pâle, me rappelant un instant leur couleur d’antan. Flamboyant. Après tout, j’ai hérité mon  nom de leur teinte. Mon regard se fait un rien nostalgique, se perd un instant dans mes souvenirs et ma voix se fait lointaine. « Je suis d’accord avec toi à ce propos. » J’aimais le roux de mes cheveux. Mais c’était il y a longtemps à présent.

Des mots peut être trop complexe encore. « Ton héritage si tu préfères. Les pouvoirs que l’on t’a transmis à la naissance. » Mon sourire est un rien énigmatique concernant mon action, mais je le rassure d’une négation lorsqu’il parle de malédiction. « Au contraire, cela t’aidera à l’avenir. C’est ma bénédiction. » Je ne peux rectifier les erreurs du passé, je peux cependant l’aider à traverser la vie avec plus d’aisance. C’est en tout cas la volonté qui m’anime lorsque je lui demande la possibilité de rester en ces lieux à ces côtés. Je le sens longuement hésiter, pesant probablement le pour et le contre avant d’accepter, mais sous condition.

Jusqu’à la prochaine pleine lune.

Parviendrai-je à lui enseigner suffisamment ? Peut-être parviendrai-je dans ce laps de temps à le convaincre d’abandonner cette forêt pour voyager à mes côtés… Il me coûterait réellement de laisser derrière moi cet enfant faire face à la cruauté des hommes.

Je lui souris cependant en réponse, ne laissant pas transparaître sur mes traits, les conflits de mon âme. Qu’ils demeurent silencieux pour l’heure. J’ai trop à faire pour m’en préoccuper immédiatement. « Ne t’en fais pas, je sais me montrer discret malgré les apparences. Personne ne saura que je suis là avec toi. » La nature est mon domaine, je sais m’y fondre avec aisance. Refermant ma besace, je me redresse finalement, contemplant les alentours avant que mon regard ne se pose de nouveau sur le jeune garçon. « Si tu désires voyager, il te faudra la quitter tu sais. Mais je comprends ce que tu ressens… Il n’est pas toujours facile de partir vers l’inconnu. » Je me perds un instant dans des souvenirs bien trop anciens avant de reprendre d’une voix nostalgique. « J’étais bien plus âgé que toi lorsque j’ai quitté les terres de mon père. Le monde était si vaste et moi, si petit en comparaison. ça n’était pas facile au début de mon errance, je n’avais aucun repère, mais finalement, j’ai beaucoup appris, sur moi et sur les autres, appris de mes erreurs aussi, car j’en ai fait beaucoup, des erreurs ! Je n’étais qu’un enfant qui ne savait pas grand chose après tout... » Ma voix se meurt, mes paupières s’éteignent alors que les souvenirs s’échappent.

Le poids des âges.

Mon sourire revient prendre place sur mes lèvres. « Enfin, c’était il y a longtemps à présent et peut être vivras tu cela différemment. Si voyageur est un métier que tu souhaites toujours expérimenter. » Un clin d’oeil espiègle accompagne ces derniers mots. Néanmoins, je doute qu’il expérimente cela de la même façon. Nous sommes différents. « Bien, avant que nous commençions... Comment souhaites tu que je t’appelle ? Je peux continuer à te nommer cosán beag si tu préfères ne pas me donner ton nom véritable. Tu sais comment me nommer dans ton cas. » Je ne me formaliserai que peu d’un refus de sa part et je laisse transparaître cet état de fait dans mes mots.

Un sourire en coin vient glisser sur mes lèvres lorsqu’il parle de l’origine de sa mère. Un pays que je connais bien moi même, quand bien même son nom a changé à travers les âges. « Je suis né sur les mêmes terres que ta mère. » commençai-je doucement. Même si je suis un enfant du monde, je n’en oublie pas pour autant mes racines profondes. Je reprends à son attention, après un instant de réflexion. « As tu déjà entendu des murmures que tu étais seul à entendre ? Ou senti des présences sans qu’il n’y ait pourtant quelqu’un à tes côtés ? Peut être encore as tu aperçu une silhouette qui s’est évanoui en un instant ...? » Je laisse mes questions en suspens, attendant ses réponses. Patient. J’ignore pour l’heure, l’étendu de ses pouvoirs et de leur manifestation. A son âge, cela m’arrivait de temps à autre mais j’avais un père pour me guider, pour m’apprendre, me faire comprendre.

Ses questions attisent mon sourire. La curiosité dont il fait preuve est bien plus plaisante que sa méfiance. Je la préfère de loin. « Ah ! C’est une bonne question ! » répliquai-je à sa dernière interrogation. Mon âge. Cela fait bien longtemps que cela n’a plus réellement d’importance. « Quel âge me donnerais-tu ? » Je joue un peu, je l’avoue sans vergogne. Je le laisse réfléchir un instant avant de reprendre, l’air moins espiègle, plus triste peut être. Mon regard un instant s’échappe à travers la cime des arbres, apercevant dans les cieux se voilant, les premiers éclats de diamant. « Mais oui, j’ai fais des erreurs, des erreurs sans importances et des plus douloureuses. C’est ainsi qu’on apprend les leçons les plus importantes de la vie. » Qu’on le veuille… ou non. Mais est ce réellement des erreurs si l’on apprend d’elles et que l’on grandit grâce à elles ? Non. Bien sûr que non. Les erreurs font aussi parties du cycle. Une histoire… je pourrais lui en conter une. Laquelle ? Il y en a tant…

Je me laisse le temps de la réflexion alors qu’il reprend sur son nom. Mon sourire ourle mes lippes. C’est un enfant qui connait certaines croyances anciennes, bien trop souvent oubliées du commun. C’est une bonne chose. Il sera plus difficile de le tromper ainsi. Il y a une once de fierté dans mes prunelles lorsque je regarde cet enfant se justifier. Ce qu’il n’a nul besoin de faire. « Tu as raison. Si tu n’es pas assez fort pour lutter, il est préférable encore de tromper. C’est une leçon que j’ai apprise à mes dépends. » Comme beaucoup d'autres leçon. La vie est formatrice. « C’est la raison pour laquelle je ne donne en général que mon prénom. Ton vrai nom est un tout, il te compose, te définit. Le connaitre, c’est connaitre une part de ton essence profonde, de ton âme pour ceux étant capable de lire à travers lui. Le donner n’est jamais anodin, au contraire. Rare sont les gens aujourd’hui pouvant utiliser ton vrai nom à tes depends mais certaines créatures le peuvent plus aisément. Certaines faeries notamment en sont très friandes. » Certaines sorcières aussi… Toutes ne sont pas bonnes après tout, même si leurs intentions demeurent bien souvent plus troubles. « Cela me va de t’appeler ainsi. Sois sans crainte. »

Lorsqu'il reprend sur les sorcières, je ne peux empêcher un rire léger de s'échapper de ma gorge. Un enfant plein de détermination ! Peut être faudra t'il l'aider, la destinée, en effet. « Oui, des sorcières en dehors du Sidh existent. Ma tante en est une par exemple. Elle n'est pas rousse cependant. » Un clin d'oeil ponctu ma phrase a ces derniers mots. Bien sûr, le cas de Dahud est encore à part néanmoins, elle est le premier exemple qui m’est venue en tête. Elle est comme une seconde mère pour moi après tout… Il est vrai que ma mère aussi, aurait pu être ainsi qualifiée… « Je peux te raconter beaucoup d’histoire, sur moi ou sur le monde, mais avant toute chose… » Je me relève, époussetant mon manteau blanc davantage par habitude que pour une raison de propreté. « Allons dans un endroit plus confortable dans lequel je pourrais passer la nuit. » Je me doute qu'il ne partagera nullement son lieu de vie et cela ne me dérange pas plus que cela. Je m'avance un peu avant de me détourner vers lui. « Peut être connais tu un endroit dans lequel je pourrais m'installer le temps que je reste ici ? »

La gêne et le malaise de l’enfant est palpable. Un bien piètre menteur. Alors j’imagine qu’il les entend déjà, ces manifestations. Cela ne m’attriste que davantage pour lui. Ce Monde se plait parfois trop à rejeter les êtres différents du commun. Par le passé, il les louait. Louait ces êtres aux pouvoirs exceptionnels, lien entre deux mondes, garant d’un équilibre. Les choses ont changé. Tant changé… mais est ce si étonnant après tant d’année ? Je feints de nouveau l’incompréhension, comme un peu plus tôt, ma main venant glisser sur mon menton. Réflexion. « Bizarre, vraiment ? C’est quelque chose que j’ai toujours connu pourtant. Tout comme la majorité de ma famille proche, tout du moins. » Peut être que cela le rassurera. Ou peut être ne me croira t-il pas. Qu’importe au fond, seul le temps permettra de lui faire comprendre que cet héritage n’est en rien la malédiction à laquelle il croit. Peut être y parviendrai-je dans ce temps qu’il m’a imparti…

A sa réponse concernant mon âge, je ne peux m’empêcher de rire. Non pas de moquerie, comme il le croira probablement, mais parce qu’il n’est pas si loin que ça de la réalité. Je me doute bien cependant qu’il bluffe, prêcher le faux pour obtenir le vrai, mais je ne suis pas ce genre de joueur et il va l’apprendre à ses dépends. « Et qu’est ce qui te pousserait à croire que je suis si âgé ? » M’amusai-je avant de reprendre, un sourire taquin sur les lèvres. « Tu penses que c’est possible, de vivre aussi longtemps ? » Il n’y avait cependant nul mépris ou moquerie dans mon ton, uniquement des questions et peut être un rien d’amusement aussi.

La moue boudeuse de l’enfant est sans équivoque concernant mon parent. Mon amusement demeure sur mes traits, mes lippes esquissant un sourire taquin. « Ma tante sera ravie d’apprendre qu’elle est une fausse sorcière en réalité. » Ma phrase demeure bonne enfant, loins d’être sérieuse. Ce n’est que les croyances d’un enfant, quand bien même ai-je entendu dans ses mots, une information qui me fait tiquer. « Elle est ma tante par alliance, elle est l’épouse de mon oncle, qui est le frère de mon père, si tu préfères. » Mon explication qui se voulait simple ne l’est peut être pas tant que ça, néanmoins, je précise. « J’ai hérité de mes pouvoirs de mon père surtout, et en partie de ma mère également. » Alors que je me penche légèrement, ma main vient se poser entre lui et moi, paume vers les cieux. Au creux de cette dernière vient naître un feu crépitant. Je laisse ce dernier danser quelques secondes face à lui avant de refermer mes doigts et le faire mourir au creux de ces derniers. Mon index vient se poser devant mes lèvres. Secret. « Je compte sur toi pour le garder pour toi. »  

Non pas que je craigne réellement qu’il ne parle à tout va de moi. A qui pourrait il le faire, hélas ? Autant continuer sur ce sujet. « Tu as l’air de connaître de vraies sorcières également. Tu en as rencontré beaucoup ? » Je suis curieux à ce sujet, je dois bien l’avouer. Tout comme pour le suivant par ailleurs. Une chaumière. Y en avait il une la dernière fois ? Je n’en ai pas le souvenir. Un rien surpris, je contemple l’enfant mal à l’aise, visiblement inquiet.

Une banshee ? Cela me parait quelque peu incongru. Je l’aurai senti et ici, je n’avais senti que des âmes animal et la sienne. Néanmoins, c’est probablement la rumeur que je ferai courir si je voulais être tranquille dans ma forêt. « Veux tu que nous y allions ensemble, dans cette chaumière abandonnée ? Ou bien préfères tu que nous nous y rendons à la faveur du soleil ? » Un instant je pense à mon oncle. A ma place, nul doute qu’il aurait trainé l’enfant jusqu’à la chaumière abandonné et l’aurait confronté à sa peur sans empathie aucune. C’est ainsi qu’il m’avait enseigné après tout. Malgré les risques que cela pouvait engendrer. Non pas que je lui en veuille aujourd’hui, il est juste ainsi. Rude mais néanmoins au coeur bon. Trop peut être parfois…

A ses mots, mes pensées se dirigent vers le souvenir de ma défunte mère. Néanmoins, nulle parole ne vienne répondre à sa question, juste un sourire et un regard un peu lointain. Perdu. Lentement, ma tête va de droite à gauche, mes lippes reprenant une moue plus amusée. « Ne t’inquiète pas pour eux, ils savent parfaitement se défendre. » Ce ne sont pas quelques villageois qui leur feront courir le moindre risque. Mon sourire demeure matois lorsqu’il reprend sur mon âge mais nul réponse ne vient s’échapper de mes lèvres si ce n’est la manifestation de mes pouvoirs et une expression un rien énigmatique. Moi aussi, j’ai le droit à mes propres secrets après tout. Un rire léger s’échappe de mes lèvres lorsqu’il s’avance sur l’utilité d’un tel pouvoir. « C’est très pratique pour la cuisine, en effet, ou pour s’éclairer dans la pénombre et se réchauffer lorsque le froid est trop rude. » Le feu a bien des vertues qui sont préférables à celles utilisées par cet homme d’église.

« Je pourrai peut être t’apprendre. » Ma voix est plus basse à ces mots, plus pensive. Peut être en aurai-je la possibilité, le temps seul pourra nous le dire cependant.  

A l'énoncé de son rêve, mon sourcil se hausse. Une belle sorcière rousse endormie. Cela pourrait presque ressembler à un conte pour enfant, semblable à celui de la belle aux bois dormants, pourtant… les rêves ne sont pas toujours si anodin pour nous. Même si ils n’ont pas tous une signification profonde non plus. Il faut savoir démêler le vrai du faux. Un rêve d’enfant. Peut être. « Qu’est ce qui te fait dire que c’est une vraie sorcière ? Hormis ses cheveux roux. » Une véritable question qui m’intéresse. Je ne relève cependant pas sa gêne, y préférant ma question au malaise. Il s’empresse de changer de sujet, se saisit au vol de ma proposition quand bien même n’en mène t-il pas large du haut de ses quelques années. Il s’arme de courage et d’un bâton avant de me guider vers les lieux en question. « Nous devrions en venir à bout, oui. » m’amusai-je à ses dépends. Je savais que nul Banshee ne se trouvait ici, néanmoins, d’autres menaces pouvaient être présentes et bien invisible à mes sens.

Tout du moins à une certaine distance.

Bien vite, la chaumière se dévoile à la faveur de la lune. Elle se dresse paisiblement, presque endormie au milieu des bois, se fondant avec lui. Pourtant, une impression étrange me tenaille. Non, il n’y a pas de Banshee ici. Ce n’est pas cette sensation… pourtant, elle est un peu similaire sur certain point. La forêt a repris ses droits sur les lieux. Ma main vient se poser sur l’épaule de l’enfant à mes côtés. « Ne t’éloignes pas trop de moi, Cosan Beag. » Ma voix est grave, sonne comme un avertissement. Je m’avance finalement vers la masure, utilisant l’éclat de la lune pour me dévoiler le chemin. Nul besoin d’attirer par le feu les regards.

Quelque chose. Une sensation. Une présence. Un regard.

Mes prunelles sont attirées par un symbole gravé directement sur le tronc d’un arbre. Une protection ancienne. La rune Elhaz. Rare sont ceux utilisant les runes et connaissant leurs significations. Mes doigts viennent toucher le bois gravé, essaye de sentir le pouvoir qui lui a été insufflé. Il persiste mais semble bien moindre que fut une période.  « Ce n'est pas une banshee qu'il y avait ici... Mais bien une sorcière Consan Beag. » Mais elle n’est plus… Son ombre pourtant demeure encore. Je la sens...

Un soleil noir. Ce détail m’interpelle un instant alors que l’enfant de nouveau se reprend sur ses mots. Son comportement me fait sourire, néanmoins, je ne m’en moque nullement. A quoi bon. L’innocence et la franchise des enfants est préférable aux mensonges protecteurs des adultes. « Tu peux parler d’instinct sinon. Cela paraîtra moins étrange aux yeux des autres et on ne te posera pas davantage de question à ce sujet. » Un clin d’oeil ponctue mon conseil. Non, je ne reviendrais pas sur ses mots, pas plus que je ne demanderai davantage de précision. La confiance manque pour qu’il puisse se confesser à moi. Inutile de faire croître son malaise.

Un soleil noir…

L’enfant à mes côtés frissonne dès lors que nous nous rapprochons de la masure. Il la sent lui aussi, mais son corps ne lui renvoie qu’un malaise incertain. Une brisure entre les mondes. Quelque chose qui ne devrait pas être. Les questions de ce dernier m’amusent mais pas plus que sa théorie. Un rire discret, se faisant soubresaut, s’extrait de ma gorge. Quelque part, il n’avait pas si tord, d’une certain façon tout du moins. Même si cela n’était guère si complexe. Ma main s’attarde un instant dans ses cheveux avant de reprendre amusé. « J’aime beaucoup ta théorie, Cosan Beag ! » Je ne me moque guère davantage en pointant de la main le symbole que j’ai découvert. « Ce symbole est une protection. Aujourd’hui, de rares personnes l’utilise encore, la plupart sont des sorcières. Ou des sorciers d’ailleurs. » Ou bien des êtres comme moi, à cheval entre les mondes. Et concernant tes autres questions… Mon regard embrase une nouvelle fois les lieux. Je ne sens pas ici ce qui a attrait à la magie néfaste. « Je ne pense pas qu’elle était mauvaise, mais nous le saurons bien assez tôt. »

Le merle babille à mon oreille. Je sais. Je le sens.



De nouveau ma voix s’élève pour se faire chant alors que je me rapproche de quelques pas de cette demeure abandonnée. Je la sens, cette âme, cette présence. Ma voix possède un pouvoir comme celui du merle. Elle guide. Elle appelle. Les paroles s’envolent, jusqu’à elle et elle s’approche, comme le papillon captivée par la lumière. Je lui offre un sourire, à cette âme alors que ma voix se meurt finalement. Elle m’observe de ses grands yeux verts, auréolée de sa chevelure d’oriflamme. « Je ne pensais pas entendre ce genre de chant ici. » Sa voix s’élève dans un murmure, alors que ses prunelles se posent finalement sur l’enfant. C’est une femme à la beauté ordinaire, d’apparence plus âgée que je ne le suis. Une quarantaine d’année sans doute, vêtu simplement. Probablement plus. Les apparences ne sont pas bonnes guides pour nous.

Je lui offre un sourire, à cette âme tourmentée.

« Et je ne pensais pas trouver l’âme d’une défunte sorcière ici non plus. » Elle me jette un oeil avant de reprendre son examen de l’enfant. « Toi, je t’ai déjà vu venir par ici. Je t’ai appelé plusieurs fois mais tu ne t’es jamais approché, enfant de la lune. » Il y a un rien de reproche dans sa voix à ces mots avant qu’un soupire ne vienne s’extirper de son être. « Tu as si peur de moi mon petit ?»

L’enfant s’émerveille. L’enfant craint. Néanmoins, l’enfant sait. Il relâche sa prise sur son bâton de bois alors que la sorcière s’adresse directement à lui. Il ne s’esquive pas à son reproche mais ne l’accepte pas pour autant. Son comportement me fait sourire. Un enfant téméraire mais franc qui pourra aller bien plus loin qu’il ne le pense sur ce chemin. Je ferai en sorte de lui donner les outils nécessaires à cela. Autant que possible. « Je ne peux pas apparaître comme bon me semble, mon cher enfant ! Sinon, crois moi que je l’aurai fait ! » La dame observe ses mains avant de me regarder, moi. « Cela fait bien longtemps que mon âme n’a pu reprendre une forme tangible. » Mes prunelles viennent contempler ce jeune disciple en devenir qui s’approche de l’esprit. Fasciné, il l’effleure comme pour se convaincre de sa présence. Il n’a sans doute dû voir que des âmes errantes… intangible. Son comportement fait naître en moi une douceur certain qui éveille une nostalgie oubliée. « Certaines âmes oublies ce qu’elles sont. Qui elles sont. Elles hantent et erent dans des lieux liés à leur existences à la recherche de ce qu’elles ont perdu… L’un de nos rôles est de les rappeler et de les guider là où elles sont destinées à aller. »

La sorcière acquiesce en croisant les bras sur sa poitrine, plus amusée du comportement de l’enfant que réellement gênée… Peut être un peu surprise cela dit. « C’est pour cette raison que je t’appelais, enfant de la lune. Ton âme émet une chaleur que je voulais attirer à moi...» Ses derniers mots sont empreint d’une amertume certaine. L’amertume de la mort attirée par la vie, comme l’ombre l’est de son pendant. Le garçon reprend d’une voix plus timide, peut être plus intimidée aussi par cette âme qui se présente à lui. Sa demande me fait sourire. Je n’ai nul besoin d’un toit sur ma tête, néanmoins, je lui laisse toute liberté.

La dame l’observe en haussant un sourcil, contemple sa maison puis notre petit duo avec un rien de circonspection. Mes lippes demeurent ourler alors que je laisse l’enfant demander. « Ce que je veux ? Et bien, ça me paraît plutôt évident ! » La lassitude vient glisser sur ses traits alors qu’elle reprend d’une voix fanée. « Je veux le repos, mon enfant. » Dans ses prunelles, la mélancolie prend toute sa place alors qu’elle se penche sur l’enfant, s'accroupit face à lui « J’ai erré. Erré dans cette forêt encore et encore à la recherche de ce que je n’étais plus. A la recherche d’une lueur, d’une chaleur que j’ai à tout jamais perdu. Lorsque je t’ai vu… j’ai ressenti autre chose. Autre chose que cette tristesse insondable qui me composait jusqu’alors. Toi… tu peux me donner ce que je veux. Ce que j’attends depuis si longtemps… »

Sa délivrance. La fin d’une errance. Quelque chose doit la retenir ici. Un souvenir. Une émotion. Qui n’a pu que se déliter avec le temps. Le pire fardeau des âmes est d’oublier la raison même de leur présence ici bas. Leur malédiction. Condamner à perdre… et à voler.

« Si tu me donnes ce que je veux, alors cette maison sera à vous. »

Une première leçon. Une leçon que je peux lui enseigner. Car c’est à lui qu’elle l’a demandé, aussi, c’est à lui de respecter ce marché. « C’est quelque chose que tu peux faire Consan Beag. Tous les enfants de la lune ont ce pouvoir enfoui en eux. Le pouvoir d’offrir le repos aux âmes égarées. » Mes doigts viennent faire naître un feu pâle, immaculé, semblable à l’astre nocturne. « Ce pouvoir peut prendre de nombreuses formes. Parfois un chant appelant l’âme à passer le voile invisible à ses yeux. Parfois des flammes purifiantes. Parfois, un nom peut aider aussi. » Ma main se referme, faisant disparaitre cette flamme opaline. « Les flammes ne sont pas mauvaises. Tout dépend des mains qui les utilisent. » Mon sourire est doux à ces mots, comprenant son aversion pour cet élément qui, pourtant, est si précieux. Si important. « Cherche en toi, Consan Beag, la manière dont ton âme peut guider celle de cette femme. Comment veux tu l’y guider ? »

L’âme contemple l’enfant et acquiesce à sa question. « Me libérer oui. C’est la seul chose dont j’ai besoin. » Cette aversion, je la ressens bien. Cette aversion certaine pour le feu. Je m’en désole, je dois bien l’avouer et j’espère parvenir à, si ce n’est lui faire apprécier, lui apprendre au moins à l’utiliser de la meilleure façon possible. Et ôter de son visage cette colère qui n’a pas lieu d’être. Alors il reprend de sa façon, celle qui tout du moins lui semble la plus adapté à lui, néanmoins, elle n’est pas la plus simple pour autant, bien au contraire. Je me redresse, l’observant se concentrer sur sa tâche alors qu’il recherche en lui ce dont il a besoin.

Un nom. Juste un nom. Un simple nom.

Finalement, il se retourne penaud vers nous, avouant son échec. Je lui offre un sourire encourageant alors que l’âme à mes côtés croise les bras, patiente. A vrai dire, son échec ne m’étonne pas, il aurait même été surprenant cependant, je me devais de connaitre la profondeur du lien qu’il possède déjà avec ce monde. « Ne t’inquiète pas, tu n’as pas à être désolé. Comme je te l’ai dit, le nom de l’âme facilite les choses, néanmoins, il ne se suffit pas forcément à lui même. Approches toi Cosan Beag. » De nouveau, je m’accroupis face à lui, tendant ma main en l’invitant à la saisir. « N’ais pas peur. Ce n’est pas dangereux. » Lentement, mon essence vient attiser la sienne, doucement, comme un murmure chuchotant au creux de son âme des mots d’autrefois, une douce chaleur se propageant dans le corps de l'enfant. Des mots oubliés. Des sensations perdues qui se réveillent d’un lourd sommeil. Il n’est qu’un enfant cependant et seul le temps lui permettra de saisir ce qui aujourd’hui s’éveille.

Ce n’est qu’un enfant oui.

Peut être est-il encore trop jeune. Peut être devrais-je l’accompagner sur cette voie qu’il ne connait pas. Qu’il n’a probablement qu’effleuré. L’instinct est bon guide, néanmoins il n’est pas infaillible. « Je vais t’aider. » Oui, ce sera sans doute mieux ainsi. Il n’a pas comme moi eu de lien avec cet autre monde. Probablement pas encore. « Fermes les yeux et concentres toi sur ce que tu ressens Cosan Beag. Penses à une porte. Une porte que tu souhaites ouvrir pour elle pour qu’elle puisse rejoindre un lieu dans lequel elle pourra se reposer. Dans lequel elle sera en paix, baignée par la lueur de la lune. » La pâle lueur de mon cosmos vient le guider, guider cette frêle flamme qui est la sienne pour trouver ce lien. Ce lien précis avec cet autre monde.

Le lui révéler. Un monde finalement si semblable à cette lune qui nous surplombe. « Au fond de toi, il y a plus de ressources que tu ne le soupçonnes. Alors ne doute pas de toi. »

Lentement, ma flamme guide la sienne. Doucement, ses braises s’illuminent avec une ardeur jusqu’alors inconnue pour lui. Il s’en empare, pour finalement parvenir à son but. A ce but que nous lui avons donné. A lui, cet enfant de la lune. C’est un regard confiant qui fait face à la sorcière demeurant sur le seuil. Sur ce seuil qu’elle a tant attendu. Dont elle a peut être rêvé. Moi, je demeure spectateur de cette scène. Soutien voilé à leur présence. Il clame ses mots, amènent la dame jusqu’au seuil pour l’y guider pour la dernière fois. Les ressources, il les a toujours possédées. Elles sont là, juste face à nous. Ce paysage change pour chacun d’entre nous, aussi, je me contente de l’observer, bien que quelque chose m’interpelle. Quelque chose que je garde pour moi. Ma présence ici est celle du Merle à l’image du guide que je demeure.

« Je savais que je pouvais compter sur toi, mon petit. » La dame sourit. Un sourire doux et reconnaissant. Elle a retrouvé son nom. Une part d’elle même. Elle ferme les yeux, serre entre ses doigts immatériels la main de l’enfant. « Merci. » Elle est heureuse. Délivrée d’un mal qui l’affligeait jusqu’alors. Libérée de cette funeste malédiction. La sorcière dépose sur le front de l’enfant un baiser évanescent. « Ma demeure est tienne, enfant de la lune. Je te la lègue. » La sorcière se redresse, et se laisse guider vers cette onde mystique qui l’attend, cette terre immaculée dans lequel elle pourra demeurer à présent. Elle disparait, nous laissant seuls sur le seuil de ce monde. A chemin entre deux Mondes. Des mondes dont nous sommes les gardiens.

Ma main vient se poser sur son épaule. « Nous ferions mieux de retourner là d’où nous venons à présent. » Quand bien même y avons nous autant notre place, il n’est pas bon pour une jeune âme de demeurer trop longtemps ici. Un éclat de pâle lumière embrase les lieux, obligeant quiconque à fermer les yeux. Lorsque l’enfant les rouvrira, ce sera pour contempler la demeure de la sorcière baignée par l’astre lunaire. La dame n’est plus, sa présence bel et bien disparu. Il y est bien parvenu. « Tu vois que tu en avais le pouvoir. » Toujours accroupie à ses côtés, je le gratifie d’un sourire fier. La fierté que peut avoir un maître envers son élève. Cela fait tant d’année, que je n’avais pas ainsi enseigné. Ma main demeure attachée à la sienne, prévenante. Même si je l’ai guidé, il a utilisé des ressources qu’il n’a pas coutume d’employer, aussi, sa fatigue sera certaine. Ma main vient se poser doucement sur ses cheveux dans un geste tendre que mon père a souvent eu à mon égard. « Nous ferions bien de rentrer et de prendre un repos bien mérité. Tu as réalisé une belle prouesse. »

Lentement, je le guide vers la demeure, attentif à son état. A sa fatigue. Cette maisonnée méritera un nettoyage dans un futur proche néanmoins, elle est en suffisamment bon état pour nous permettre de nous reposer au chaud pour cette nuit. Simple, une unique pièce à vivre dans laquelle se trouve le nécessaire. J’avise rapidement l’essentiel, remarque un coin nuit dissimulé derrière un rideau miteux sur lequel je ne m’attarde pas plus que nécessaire. Je m’occupe d’allumer un feu dans le foyer avant d’aviser l’enfant. « Reposes toi Consan Beag. Nous parlerons demain. » Le sommeil viendra bien vite emporter l’enfant entre ses bras, et je viendrai déposer sur sa silhouette endormi le manteau immaculé qui me recouvre. Nous aurons tout le temps de parler les jours suivants.

Après tout, je dois lui apprendre avant la prochaine lune...