[Flashback] La voix de l'aube (PV Kalen)

F uir le Sanctuaire. Ne serait-ce que quelques heures. Ou…Définitivement ? Retourner dans les Highlands, loin de Culloden, se construire une cabane au fond des bois et cultiver des navets…Même s’il n’aimait pas ça. Il avait cru trouver une nouvelle chance en partant aux antipodes de l’Ecosse. Il devait admettre qu’il s’était lourdement trompé. L’échec cuisant remontait déjà à plusieurs mois mais il était toujours aussi vivace dans son esprit. L’humiliation de se retrouver seul au centre de l’Arène…Sans aucun maître pour le choisir. Le regard amusé des instructeurs et les moqueries de ceux qui avaient été pris comme apprentis. Rejeté à nouveau… Il était resté de longues heures, seul, désœuvré, abandonné, cherchant un sens à son existence. Il avait erré ensuite une bonne partie de la nuit jusqu’à finir par atteindre le cimetière. Là, il avait écouté les esprits. Comme il le faisait sur les hautes terres de son pays natal. Les morts avaient des choses à dire. Une intuition. Un espoir. A l’aube, il était parti pour la montagne. On lui avait soufflé un lieu. Un lieu méconnu. Où personne ne viendrait lui demander quoi que ce soit. Là-bas, il était libre. Il avait continué l’entraînement. Mais à quoi bon ? A quoi bon devenir plus fort ? A quoi bon rentrer au service d’Athéna si personne ne croyait en lui au Sanctuaire ? Cela faisait des mois que ces questions le taraudaient.

Alors il ressentait le besoin de s’évader. Juste pour se donner le frisson. S’imaginer montant sur un de ces navires et voguer vers l’aventure. Atteindre ces continents nouveaux et tous ceux qui restaient à découvrir. Voir si tous les hommes étaient semblables ou si certains lui ressemblaient.

Le Pirée était depuis des siècles, un lieu cosmopolite. Et les trois siècles de domination ottomane n’avaient rien changé à cet état de fait. Mais les navires de commerces n’étaient pas les seuls à accoster dans les parages. Des pirates de toutes origines y accostaient aussi, à la recherche de contrats que les autorités turques ou certaines guildes marchandes ne pouvaient exécuter pour des raisons diplomatiques évidentes.

Kalen se perdait sur les quais, écoutant les histoires abracadabrantesques des marins dont une nuit de beuverie avait embrumé les esprits. Il subtilisa une bouteille de rhum à peine entamée à l’un d’entre eux qui ronflait comme un sonneur, le visage écrasé contre une bite d’amarrage, et déambula sans bute dans l’espoir vain d’un miracle qui viendrait donner un sens à tout cela.

C’est alors qu’une voix, sortie de nulle part, pure, vibrante, surgit de nulle part. Une sirène échouée ? Une  Non, une jeune fille avec une drôle de chevelure. Rose… Pas commun… Anomalie de la nature ou teinte excentrique? Difficile à déterminer.  Mais cet air…. Il lui disait quelque chose… Impossible pourtant de retrouver où il avait pu l’entendre… Sur le bateau l’ayant amené au Sanctuaire quelques années auparavant ? Possible…
Intrigué, il s’approcha de la demoiselle et leva ses yeux de glace vers l’horizon.  

« Une bien belle chanson… Mais particulièrement triste si tu veux mon avis… C’est ton père que tu attends comme ça ? Ou ton fiancé ? »

Il s’accroupi à côté d’elle et lui déposa la bouteille.

« Tient ça t’aidera à te réchauffer… T’as l’air d’avoir froid… Fait gaffe, ça ramone quand même sévère…  »

Puis jetant un œil à l’horizon, perdu dans ses pensées, il chantonna à voix basse.

« Quinze Marins sur le bahut du mort
Yop là haut une bouteille de rhum
A boire et l'diable avait réglé leur sort
Yop là haut une bouteille de rhum»

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E lle visait juste la demoiselle. De toute façon, il n’aurait jamais pu se faire passer pour un forban, un pirate ou n’importe quel autre type d’écumeur des mers. Quoi qu’il aurait pu faire passer sa cicatrice pour un coup de sabre mal placé. Mais bon. Il n’allait pas se payer le luxe d’enlever sa chemise pour se faire passer pour celui qu’il n’était pas.  

« Je ne savais pas que le petit déjeuner à base d’alcool était un privilège des équilibristes de bastingage… Si les anciens de mon village natal t’entendaient, ils seraient très vexés. Pour un écossais, il n’y a rien de plus sacré que le whisky. Enfin si, peut-être le haggis mais bon… Je pense pas que l’on trouve de la panse de brebis farcie ici et maintenant… »

Il finit par s’asseoir et but une dernière gorgée dans la bouteille.

« Pas du tout amateur de chant de marin. C’est le seul que je connaisse… Les gars n’arrêtaient pas de le chanter pendant tout le trajet qui m’a amené d’Inverness à Athènes. Autant te dire qu’elle m’est restée dans la tête un bon moment et que ça m’a donné une furieuse envie d’en passer certains par-dessus bord. Heureusement, je n’avais que huit ans…»

Il se remémora ce trajet. Long de plusieurs semaines. Ils avaient longé les côtes anglaises, françaises, espagnoles, portugaises. Fait une halte à Gibraltar puis en Sicile avant d’atteindre le Pirée. Il s’était ennuyé à bord malgré les histoires que l’ambassadeur d’Athéna et les marins avaient pu lui raconter. Sur les dieux, les légendes marines, les monstres qui peuplaient le fond des océans.

Il détailla le bateau qu’elle lui désignait. Un beau bâtiment. La figure de proue ouvragée lui donne un air distingué. Il dénote au milieu des autres embarcations, aussi bien la simple barque de pêcheur que des navires de la marine de guerre ottomane. Tout se mélange dans un enchevêtrement de voiles, de mâts et de cordages qui relèvent d’avantage d’un joyeux bazar que d’une organisation au cordeau.  

« Y’a pas à dire, il a fière allure. Le Phénix… L’Oiseau immortel… Tout un symbole. Ton capitaine aussi est capable de renaître de ses cendres ou c’est juste un gros piaf pour dissuader les pirates de vous chercher des noises ?»

Toujours la petite phrase qui asticote. Il avait du mal à s’en empêcher. Même avec une parfaite inconnue. Inconnue… Il ne s’était pas présenté avant d’ouvrir les hostilités. Pas que la politesse l’étouffe mais s’il avait bien retenu une leçon de sa mère, c’était d’être poli avec les dames.

«Désolé, je ne me suis pas présenté. Je m’appelle Kalen. Et toi ? Laisse-moi deviner… Océane ? Marine ? Rosie ?»

Délicatesse, quand tu nous tiens…

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R éa... Joli prénom. Oui, il fallait bien avouer, il avait joué dans les clichés avec une délicatesse toute relative. Mais bon, au moins avait-il réussi à obtenir son attention. Elle semblait être la seule personne digne d’intérêt à plusieurs lieues à la ronde. Et elle posait les bonnes questions. Celles bien embarrassantes qui vous obligent à vous regarder en face alors que vous préféreriez mettre la poussière sous le tapis. Il la regarda d’un air grave. Et esquiva la question. Comme à son habitude face à des inconnus. 

« Non, je venais faire le décompte des ivrognes  sur le quai… Et voir s’il y avait des trucs intéressants à récupérer à droite à gauche… Une vieille voile, un bout de cordage encore réutilisable… J’essaie d’aménager un espace dans les Montagnes au dessus du Sanctuaire… »

Il lui avait balancé ça directement. Ok. Comme tentative de diversion, il y avait mieux. C’était même absolument nullisime !!! Il tenta maladroitement de rattraper le coup  en espérant qu’elle ne relèverait pas mais il ne se faisait pas trop d’illusions.

« Non plus sérieusement, un peu des deux… L’océan est tellement vaste. Il y a beaucoup à découvrir. Des continents entiers, des terres mystérieuses, j’en suis convaincu…  J’aime bien écouter les récits des aventures des marins. C’est toujours mieux que leurs chansons entêtantes…Tu as du pas mal voyager avec ton « Captain », non ? »

Il espérait qu’elle avait des choses à raconter. Des bêtes mystérieuses, des aventures trépidantes. Cela lui changerait de la monotonie et de la rudesse de la vie d’apprenti solitaire. Il avait besoin d’évasion. Et s’il ne pouvait quitter le Sanctuaire physiquement, au moins pouvoir s’envoler par la connaissance et la transmission orale constituerait un léger baume au cœur.

Il se perdit dans la contemplation alors que le soleil continuait son ascension inéluctable dans le ciel.

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E ntraînant… Ce n’était pas vraiment le premier mot qui serait venu à l’esprit de Kalen. Mais bon, chacun ses goûts. Ça manquait trop souvent d’une bonne cornemuse pour être considérer comme une musique digne de ce nom mais au moins cela lui faisait bien moins saigner les oreilles que les chants d’église qu’il avait dû se coltiner quand il aidait son paternel à enterrer les pauvres hères qui avaient passé l’arme à gauche. Elle restait bien évasive sur les destinations qu’elle avait pu connaître… Dommage. Rien à se mettre sous la dent. Quelle déception.  

« Pas la moindre petite anecdote ? Pas une attaque de pirate ou un lapin retrouvé sur le bateau ? Une tempête, un sauvetage héroïque ? Rha… Tant pis… Ce n’est pas aujourd’hui que je repartirai avec une nouvelle petite histoire… Quelle déception »

Il surjoua ce sentiment de manière grossière si bien qu’il n’était absolument pas crédible. Il enchaîna d’ailleurs sur l’idée de Réa.

« Un radeau de fortune ? Tiens c’est une idée. Je peux peut-être emprunter quelques planches à ton Captain, genre celles de la dunette arrière… Elles servent à rien, celles là. Avec un coup de main de deux trois gars costauds et sans cervelles, il y a moyen de s’en tirer… Mais pour aller où ? Tu as des suggestions ?»

Il redevint soudain plus sérieux. Là encore la question qui faisait mal. Elle avait le chic pour appuyer sur les zones sensibles. Il y avait bien pensé à tout lâcher quand il n’avait pas été choisi. Mais il était trop borné, et il fallait l’avouer, trop fier pour rester sur un tel échec. Il allait leur montrer à tous qu’ils se trompaient sur son compte. Ou mourir en essayant. On lui avait claqué la porte au nez ? Qu’à cela ne tienne, il rentrerait par la fenêtre !

Mais l’expliquer était une autre paire de manches. Il bredouilla en se grattant l’arrière du crâne, ébouriffant ses cheveux blancs,  visiblement gêné.

« J’ai pas le droit de quitter le Sanctuaire… Normalement, je devrais même pas être là sans autorisation… Si le Grand Pope le savait, je passerais un sale quart d’heure… Je suis apprenti au service d’Athéna…Et si tu veux, c’est un peu comme entrer dans les ordres, une fois que tu as signé la fuite est difficilement envisageable… »

On lui avait toujours expliqué que fuir, c’était trahir. Et que la trahison entraînait la mort. Une perspective qui ne l’enchantait guère. Il resta un moment silencieux ne sachant quoi ajouter. Génial, il venait de plomber l’ambiance. Décidément, c’était presque devenu sa marque de fabrique. Il soupira avant de reprendre du poil de la bête et d’à nouveau détourner l’attention.  

«Bon, et toi ? Comment une jeune fille se retrouve sur un bateau entouré d’hommes sans doute plus ivres les uns que les autres sans devoir défendre sa vertu à chaque heure du jour ou de la nuit ? J’imagine que tu dois avoir un pouvoir ou quelque chose pour qu’ils te foutent la paix…»

Tacte, savoir-vivre, respect. L’atiraille du parfait gentleman somme toute.

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E lle avait l’art d’enfoncer des portes ouvertes la demoiselle. Mais au moins avait-elle le mérite de ne pas s’aventurer en terrain dangereux. Tout du moins pour le moment…  Lui laisser le champ des possibles. Pas une mauvaise idée vu qu’il se sentait parfois acculé dans la montagne.

Mais il était persuadé que c’était une illusion. Jamais il ne pourrait construire ce radeau. Pas avant d’avoir fait ses preuves. Pas avant d’avoir endossé une armure. Les histoires des apprentis du Sanctuaire étaient très claires sur le sujet. On se racontait comme pour détourner le mauvais sort ou comme menace la légende de cet apprenti qui aurait été tué par son maître pour avoir tenté de déserter. Comme dans n’importe quelle armée, n’importe quel clan, n’importe quel groupe humain voué à la carrière des armes. Même s’il ne doutait pas de la bonté d’Athéna, il était clair que la discipline était la base. Et que la fuite était une trahison.  

« Si j’avais le choix, j’irai me perdre sur une île au milieu de l’océan. Un endroit désert sans autre être humain. Mais avec des livres. Des tas de livres pour comprendre le passé, les mystères et les légendes… Et avec des animaux…En Paix… »

Cette pensée le laissa songeur. Mais pas suffisamment ne pas tiquer à l’explication de sa camarade de bout de quai.

« Esclave ? Ca ne devrait pas exister… Tous les hommes devraient être libres de leurs choix, de leur vie. Quelque soit leur origine, leur foi ou… leur couleur de cheveux !!!! »

Une famille pirate… Au moins avait-elle une famille qui l’avait choisi…C’était déjà pas si mal… Il aurait signé pour ça si on lui en avait laissé le choix lorsqu’il était gamin. Mais bon, il n’avait eu que l’option « fuir les pierres et les crachats » comme alternative. Personne ne l’avait pris sous son aile. Il y avait bien eu Aedan mais… Il ne l’avait pas suivi. Pourquoi ? Il se posait encore la question à ce jour. Mais ça n’avait plus d’importance. Athéna serait sa famille. Tout du moins, il l’espérait.

Il eut un mouvement réflexe de recul lorsque la jeune femme fit apparaître une boule de glace dans le creux de la paume de sa main. Nom d’un leprechaun en kilt !!!! Cette fille possédait réellement un pouvoir ? Il avait balancé ça davantage sur le ton de la provocation sans se douter qu’elle lui répondrait du tac au tac.

Au temps pour lui. Passé la première surprise, il s’émerveilla dans un enthousiasme franc et direct.

« Joli…. T’es du genre à tricher dans les batailles de boules de neige. Pas vrai ? Quoique je t’imagine bien  mettre des glaçons dans la boisson de tes camarades de bordée pour rigoler ou geler le pont pour pouvoir y faire des glissades, non ?  »

Mais quand elle évoqua son pouvoir. Il se crispa. L’utiliser ici ? C’était prendre le risque de se faire repérer par les autorités qui ne manqueraient pas de s’alarmer à la réapparition des disparus et autres manifestations de l’autre monde. Les revenants n’avaient pas bonne réputation. En Grèce comme ailleurs.

«Désolé princesse mais primo, je n’en ai absolument pas le droit et secundo, je préfères pas… Ça pourrait nous valoir quelques soucis et des rencontres forts désagréables… Sauf si tu tiens absolument à  convier tous les noyés du port à notre petite discussion…»

Au moins les choses étaient dites.

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«   Excusez-moi votre Splendeur, loin de moi l’idée de vous manquer de respect. Mais il existe bien des princesses guerrières ou des reines des neiges. Alors, pourquoi pas toi ? »

Bon d’accord, c’était capillotracté. Un brin de mauvaise foi, une pincée d’ironie et une once de manque de respect. Une verve digne d’un pirate ou d’un contrebandier. Il laissa d’ailleurs son imagination divaguer. Un contrebandier… Accompagné d’un ours. Pourquoi un ours ? Et pourquoi pas, d’abord. Sur une goélette qu’il appellerait… Le Faucon Millénaire… C’est bien ça comme nom…. Vous rajoutez dessus un apprenti d’Athéna et ils vont défier… L’Empire Ottoman. Voilà, ça, ça avait du cachet. De quoi construire une belle histoire. Il fallait absolument qu’il la note en rentrant au Sanctuaire celle-là. Qui sait ? Ça ferait peut-être une légende intéressante à raconter sur les quais ou au coin d’un feu avec un peu de viande saoule.

Néanmoins, il pouvait difficilement éluder la question de la jeune femme indéfiniment. Il reprit un air grave, ses yeux se perdant à nouveau dans le ballet des vagues alors que les cris stridents des premiers albatros se faisaient entendre.  

« Ce n’est pas tant de voir les morts qui est effrayant. Ça, on s’y habitue. Certains sont à combattre d’autre à aider… Ça fait partie du don.  Non, le problème c’est plus les vivants, tu vois… »

Comment expliquer ?  Les buchers, les lynchages, les insultes, la peur dans les yeux des autres apprentis… Malgré son jeune âge, il avait un bagage à faire pâlir le plus chevronné des janissaires de la Sublime Porte. Et le pire c’est qu’il n’y pouvait rien. Il avait appris à faire avec. Mais dire qu’il s’en réjouissait aurait était un mensonge éhonté. Il préféra donc brandir le masque de l’ironie et de la dérision. Un mécanisme familier, une poudre aux yeux qu’il avait développée pour assurer sa propre tranquillité et se donner un semblant de contenance.  

« Non mais je crois que le problème c’est mes cheveux. Le blanc, ça met les gens dans un état, je ne te raconte pas… Les marins crachaient au sol sur mon passage dans le bateau qui m’a amené ici… J’ai bien pensé à les teindre au hénné comme certaines femmes… Mais bon… Ca dégouline à la moindre suée ou la première averse… Pas très pratique quand on passe ses journées à suer sang et eau… »

Les entraînements au Sanctuaire étaient plutôt rudes. Mais en solitaire, c’était encore plus compliqué. Il avait tâtonné, testé, échoué avant d’obtenir un semblant d’ébauche de début de résultat. C’était comme vouloir lancer un couteau sur une cible les yeux bandés à cent mètres. En espérant ne pas toucher la charmante assistante à qui on risquait pour le coup de refaire le sourire façon ange.

«Je suis surpris qu’une personne telle que toi ne sois pas au service d’une personnalité disons… plus…charismatique que ton capitaine… Ce n’est pas un dieu tout de même…»

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«   T’en as de bonnes… C’est vrai que c’est facile de ne pas se préoccuper des autres quand tu vis en collectivité. L’avis de tes camarades d’équipages, de ta famille, de ton captain, tu vas sans doute me dire que tu t’en contrefiches ? Si c’était aussi évident, crois-moi, j’aurais trouvé la solution depuis bien longtemps. Et je ne vivrais pas dans une grotte … Du coup, tu remarqueras qu’il me manque plus que les chèvres…»

Vexé comme un pou. Elle ne l’avait pas pris au sérieux et en plus, elle se permettait presque de lui sortir le discours paternaliste lambda…. Résiste, prouves que tu existes… Si elle se mettait à chanter, là, il ne répondait plus de rien. Bon, il regarda les cheveux roses de sa camarade de quai. C’est vrai que ce n’était pas classique non plus. Voire carrément perturbant. Pas étonnant qu’elle est finit esclave… était-ce d’ailleurs un sort plus enviable que le lynchage. Il y avait débat… Mais bon, ils ne se connaissaient pas encore assez bien pour évoquer des sujets aussi…sensibles. La dérision semblait à nouveau une issue toute trouvée pour se sortir de cette philosophie pour le moins embarrassante.

« C’est sûr que rose… Niveau discrétion, c’est comme allumer un feu de saint Jean en mode furtif… Mais au moins, les gens ne doivent pas avoir de préconçus, contrairement aux cheveux blancs. On va pas jouer à celui qui a le plus souffert, non ?  »

Rien ni personne à la cheville de… Néréus ? C’était donc ça le nom de son capitaine. Derrière ces mots se cachaient une admiration certaine. Indubitable. Voir même un peu plus. Aussi solitaire soit-il, Kalen comprenait intuitivement les âmes. Pas seulement celles des morts à priori.    

« A en croire que tu en es amoureuse de ton cap’tain. Prends garde à toi, les dieux apprécient très moyennement qu’une personne éveillée leur échappe. Et encore plus qu’elle ait de l’adoration pour l’un de ses semblables… Athéna exceptée sans doute. Je me demande quels pouvoirs il peut bien avoir cet homme pour déclencher autant de ferveur chez toi et chez son équipage…»

La déesse aux yeux pers était sans doute la seule divinité à considérer l’amour des hommes vis-à-vis de leur prochain comme un sentiment entendable sans chercher à s’en servir contre eux ou pour ses propres intérêts. Enfin, la seule parmi celles qui se dotaient d’un ordre de chevalerie. Réa risquait un jour ou l’autre d’attirer l’attention. Telle était peut-être sa destinée. Seulement, elle l’ignorait sans doute encore.  

«Crois-moi Princesse, d’une manière ou d’une autre tu devras faire des choix. Des pouvoirs tels que les nôtres effraient et attirent des convoitises. Nous sommes…différents. Notre destin est différent… Mais j’ose croire que nous avons encore le choix du chemin que nous prenons...  »

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«   Pas besoin de pouvoirs ? La bienveillance à elle seule ne suffit pas à faire un bon chef. Malheureusement. De deux choses l’une, soit tu es très naïve, soit tu ne souhaites pas dévoiler son secret… Ce qui est tout à ton honneur. Ça n’a aucune espèce d’importance de toute manière. L’essentiel est sans doute que tu crois en cet homme.»

Kalen avait l’art de sentir quand les choses ne tournaient pas rond. Paradoxalement, alors qu’il n’aimait pas se mêler aux autres, il pouvait se montrer assez perspicace pour deviner quand on essayait de lui dissimuler des éléments par des semi-vérités ou des illusions. Et là, il avait cette désagréable sensation que Réa ne jouait pas franc jeu. Pouvait-il seulement lui en vouloir ? Il n’était qu’un étranger. Elle protégeait ceux qu’elle aimait. Il aurait sans doute fait de même dans le sens inverse.

Elle parlait avec des phrases évasives. Comme si elle pouvait feindre que la Destinée la rattraperait un jour. Sans doute avait-elle peur. Ou alors, il était peut-être trop tôt pour évoquer ces sujets-là ? Après tout, elle ne savait pas si elle pouvait lui faire confiance. Aussi apprenti d’Athéna soit-il, ça ne constituait pas un gage de fiabilité absolue. Certains étaient bien de sombres crétins individualistes et arrogants. Il ne pouvait lui en vouloir. Mais pour autant, il était curieux. Il voulait creuser. Savoir de quel bois elle était faite. Quitte à se montrer insistant.  

« Un but ? Des principes ? Et quels sont-ils donc ? Protéger la veuve et l’orphelin ? Assurer la sauvegarde des poissons volants et des loutres de mer ? Je serai curieux de savoir quel est le feu qui t’anime sous la glace… »

Bon, ça devait être du donnant-donnant. Si elle lui demandait son but, il pouvait au moins le lui révéler. De toute façon, ils ne se recroiseraient peut-être jamais. Elle se lève. Le jeune écossais l’observe du coin de l’œil. Elle est plutôt jolie. La fin de partie est en train de sonner.    

« J’espère survivre suffisamment longtemps pour devenir chevalier sans l’aide de quiconque. Ou mourir en essayant. Et si j’obtiens une armure, lutter pour permettre aux hommes d’être libres et d’avoir le choix. Et trouver un havre de paix. Ce serait bien. Je sais, ça fait beaucoup d’illusions pour un seul homme…»

Il se leva à son tour et poussa un soupir. Il allait devoir regagner la montagne. Le port commençait à s’animer. Il ne pouvait plus vraiment s’attarder s’il ne voulait pas d’ennuis. Et à priori, elle aussi semblait devoir lever les voiles.  

«J’imagine que l’appel du large va bientôt retentir… Vous allez appareiller, c’est bien ça ?  »

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E lle lui saisit la main le plus naturellement du monde. Kalen resta interdit quelques instants de surprise. Et quoi ? Ça ne lui arrivait pas tous les jours. Quelqu’un qui osait le toucher. Un peu plus et il en aurait rougit. Mais l’injonction qui suivit donna du sens au geste. Elle voulait lui montrer quelque chose qui semblait lui tenir particulièrement à cœur. Elle le mena vers le navire à la proue de phénix. Décidemment un bel ouvrage. Mais c’était sur un tout autre point sur lequel Réa souhaitait attirer son attention.  

Des groupes d’hommes, de femmes, d’enfants semblaient se déverser du vaisseau. Ils ont l’air hagards, affaiblis, malades. Certains boitent. D’autres regardent fixement devant eux comme s’ils n’étaient que des ombres. Des esclaves. Des personnes enlevées à leurs familles ou vendues par cette dernière qui auraient certainement terminé leur vie dans les harems ou dans les mines. Pas sûr que l’un soit un sort plus enviable que l’autre.

L’intention était louable. Le jeune apprenti savait reconnaître quand il avait à faire à une personne juste. Réa était sans doute une idéaliste mais elle avait à priori bon cœur et la liberté des hommes semblait avoir autant d’importance à ses yeux qu’à ceux de Kalen. Cependant, elle semblait aussi affublée d’un enthousiasme qui pouvait lui jouer des tours à l’avenir. En l’occurrence, il s’interrogea sur le choix fait de débarquer ces hommes et ces femmes dans le port du Pirée  

« Et tu ne crains pas que les autorités ottomanes ne leur mette quand même le grappin dessus en les débarquant au petit matin ici ? Je doute que le Bey de Roumélie laisse des non turcs se balader en toute liberté sur ses terres. Pas plus que le capitan Pacha… Si l’armée les reprend, ils auront deux choix : se convertir ou être à nouveau réduits en esclavage… A moins qu’ils fuient dans les villages des montagnes dans lesquels les ottomans évitent de s’aventurer…  »

Peut-être que Réa et son capitaine n’avaient pas eu le choix de s’arrêter en ces lieux. Mais c’était stratégiquement peu opportun. Même si le Pirée était une zone cosmopolite et que fort heureusement, ces hommes et ces femmes n’avaient pas été débarqués de l’autre côté du Bosphore, il n’en restait pas moins que le commerce d’esclave était une réalité dans tout l’Empire et un commerce fermement établi. En regardant ces gens, de toutes origines, de diverses couleurs de peaux, il était certain qu’ils ne passeraient pas inaperçus s’ils quittaient le Pirée. Et même ici, des pirates peu scrupuleux et bien organisés, voir quelques fonctionnaires zélés pourraient lorgner les jeunes garçons pour l’esclavage militaire.    

« Si tu désires réellement donner une seconde chance à ces gens, la Sicile me semble d’avantage indiquée. Je crains que l’esclavage ne soit pour le moment une pratique trop lucrative pour qu’une majorité des personnes la remette en cause. Surtout tant que certains peuples considérerons qu’ils valent mieux que les autres..»

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I ls n’avaient rien laissé au hasard. Voilà qui était rassura nt. Pour autant l’explication de Réa laissait Kalen dubitatif. Tout homme avait son prix. Et l’altruisme pur et désintéressé n’était pas monnaie courante. Si ce type avait décidé de bosser avec Néréus c’était certainement parce qu’il payait mieux que les autorités ottomanes. Ou alors parce qu’il avait un moyen de pression, une dette ou une revanche à prendre. Ce n’était certainement pas par pure bonté d’âme. Tout du moins, c’est l’analyse que le jeune écossais faisait. Le jeu devait bien en valoir la chandelle. Mais le plus important était de savoir de quelle manière le capitaine pirate tenait son homme. Cela permettrait sans doute de se faire une meilleure idée du personnage.  

« Je serais curieux de savoir comment ton capitaine tient cet homme… J’veux dire… Personne n’agit gratuitement. Soit votre équipage est extrêmement riche, soit ce « contact » a une excellente raison d’une autre nature… Et il n’y a aucun risque qu’il vous trahisse si d’aucun lui proposait une offre disons… plus alléchante ? »

Le jeune apprenti ne se faisait pas trop d’illusion sur la nature humaine. La liberté avait un prix. Celui du choix. Et le libre-arbitre avait son corollaire : l’intérêt personnel. Tout ce qui pouvait amener tout à chacun à commettre le meilleur comme le pire. Mais dans ce cas précis, Réa avait de toute façon raison. Il valait mieux pour ces gens suivre cet homme que d’errer sans but dans les parages. Ils avaient au moins une chance de s’en sortir. Combien pouvaient en prétendre autant ? Cependant, Kalen souhaitait offrir une alternative à la jeune femme. Une solution fiable dont il ne doutait absolument pas.    

« Tu sais, si jamais vous aviez d’autres personnes à libérer… Il y a un petit village aux abords du Sanctuaire d’Athéna…Rodorio… C’est un lieu dans lequel d’anciens esclaves pourraient parfaitement débuter une nouvelle vie… Loin des dangers du monde et sous le regard de la protectrice de l’Humanité…»

Il la regarda, guettant sa réaction. Il ignorait comment les autorités du domaine sacré verraient ce genre d’initiative. Mais après tout, cela correspondait aux valeurs que l’on avait cessé de lui inculquer depuis son arrivé. Il avait la certitude que ce genre de démarche serait accueilli favorablement. Après tout, Athéna ne pouvait décemment tolérer que des hommes soient relégués aux rangs d’animaux et privés de leur liberté.

Il continua à observer le groupe de pauvres hères qui attendaient d’être guidés vers leur salut. Mais alors qu’il se perdait dans ses pensées, l’appel d’une Boru résonna le long du quai. Des janissaires !!!!! La panique commençait à s’emparer des environs, secouant la fourmilière humaine d’autant de soubresaut.

D’un ton mesuré et pragmatique, Kalen s’adressa à la jeune pirate. Pourquoi fallait-il toujours qu’il soit un oiseau de mauvais augure ? Comme si le fait d’avoir évoqué le pire l’avait rendu tangible. Il fallait réagir.

« Quand on parle du loup… Qu’est-ce qu’ils foutent là, nom de Zeus ? Princesse, il va être temps d’accélérer l’évacuation de tes protégés. Si tu ne veux pas qu’ils retournent à leur situation antérieure… Et nous avec eux…»

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