chassez le naturel, il revient au galop

Le sombre royaume des Enfers semblait exactement le même que la dernière fois que la sainte y était arrivée. Cette fois-ci, exténuée, à bout de force, elle se demandait si elle pourrait encore se porter jusqu'à l'Achéron, qui pourtant n'était pas très loin. Décidant que, quoiqu'il arrive, elle n'avait pas la moindre seconde à perdre, la petite se releva tant bien que mal et se mit en marche. Sa légèreté, n'ayant plus son corps, la surprit de nouveau agréablement. Son regard errait parmi le paysage lugubre, observant toujours plus les alentours.
Finalement, le trajet vers les rives de l'Achéron ne fut pas aussi pénible que prévu, et l'Aigle prit de l'aisance, et se répétait des phrases comme "plus tôt arrivée, plus tôt repartie", espérant que cette fois-ci l'énigme serait évidente, si possible. Elle considérait déjà cette descente aux Enfers comme une simple formalité, bien que la phrase gravée sur le marbre conseillât de perdre tout espoir. Dans la mesure où l'on ne peut perdre que quelque chose que l'on a...
En avançant, la petite s'étonnait de plus en plus, parce que, bien qu'elle y revenait pour la seconde fois, elle ne pouvait s'empêcher de se dire que ça ne ressemblait pas du tout à ce qu'elle avait pu savoir, et ne pouvait s'empêcher de penser qu'il y avait autre chose, de pire. Était-ce vraiment cela, l'horreur avec laquelle les gens étaient traumatisés pour se bien conduire? Ou était-ce une exagération humaine, afin que, par comparaison, la vie semblât moins horrible? Mais après, chacun est libre de penser comme il veut, donc la sainte ne fut pas surprise que, en arrivant derrière tous ceux qui attendaient le passeur, pas un seul ne gémissaient pas. Ils craignaient l'inconnu, le châtiment, l'éternité, et tant de choses que leurs esprits ne pouvaient pas envisager comme concrètes. Puisqu'ils tenaient sans doutes tous à retarder le moment de leur traversée, la sainte ne se fit aucune scrupule de se faufiler discrètement entre eux, pour se retrouver plus vite devant les bords à proprement parler du fleuve, et se mit à scruter l'arrivée du passeur, se demandant quelle était la durée d'un trajet, et cherchant déjà à optimiser le temps passé aux Enfers pour rentrer le plus vite possible.

Après un tout petit moment passé à observer les sombres remous de l'Achéron, et les eaux noires frapper doucement la rive en un lent va-et-vient, la sainte entendit un autre bruit, qui tranchait sur toutes les lamentations. Il s'agissait des coups sourds et répétés de la rame dans l'eau, le passeur arrivait, et sa silhouette se découpait dans l'obscurité. La sainte leva la tête dans sa direction, et le fixa, tandis que la barque arrivait jusqu'au rivage. Nefertis descendit à terre, et l'invita à monter.
La petite dévisageait l'ange pour la seconde fois. Depuis sa précédente venue, elle avait un peu oublié Nefertis, mais l'attitude de l'ange lui semblait toujours tout autant imposante, et elle ne pouvait s'empêcher de l'admirer, peut-être justement parce que c'était un ange.
L'ange déclara n'être aucunement étonnée par le retour de l'Aigle, puis sous-entendit qu'elle ne méritait peut-être pas son armure, puis enfin, que Yade serait fâché que ne se soit pas repentie. La sainte, blessée par la seconde remarque, ne prit pas la peine de répondre à tout.
Je me moque de ce que Yade peut penser de moi. Juger les gens est, je crois, son boulot, et mes regrets ne le regardent pas.
A vrai dire, elle savait reconnaitre ses erreurs, tenter de ne pas les réitérer, mais jamais elle ne les regrette, considérant soit que c'est une forme d'hypocrisie, soit que sans ces erreurs elle n'aurait pas appris. Et, de plus, elle ne portait pas du tout Yade dans son coeur.
La sainte monta dans la barque derrière Nefertis, qui se remit à ramer mécaniquement. Pendant le chemin, elle pensa d'abord à son armure, qui peut-être était endeuillée , ou non, mais vu le nombre de porteurs que l'armure avait dû connaître, un de plus ou un de moins ne changeait sans doute plus grand chose. Et, bien que la sainte aimât son armure plus que la normale, elle n'était pourtant pas jalouse.
Attendant la fin du voyage, et comme Nefertis n'était pas quelqu'un de très bavard, la jeune fille se balançait doucement, adossée au bord de la barque. Elle continuait de dévisager l'Ange, avec ses grandes ailes noires, et pensait à la monotone existence que celui-ci devait mener, toujours la même chose, toujours la même chose... Evidemment, ceci avait du charme, et même un petit côté sécurisant. Mais il n'y avait rien d'autre. Et certainement pas la possibilité de chercher, et même si l'on ne sait pas quoi chercher, la réponse arrive souvent d'elle-même.