Quand sonne le glas / PV Eths

C'était terminé. La Guerrière divine en avait eu pour son argent, bien qu'elle n'ait rien payé. Il aimait ça. Il aimait faire mal, il aimait montrer à autrui le visage le plus sombre de l'être humain. Il aimait montrer à autrui comment était réellement la souffrance de l'Enfer. Son Enfer à lui, du moins, l'Enfer du monde judéo-christiano-musulman. Quoique, pas vraiment juif, étant donné que les juifs ne croyaient pas à l'Enfer. Cela ne voulait pas forcément dire qu'ils étaient dans le vrai. Après tout, chacun ses croyances, non ? Une fois le moment venu, chacun verra la vérité. Chacun pourra voir s'il risque la prison éternelle ou si tout était terminé, que le repos éternel prévalait sur tout.


L'intérieur du corps sans âme de Lénore était en train de pourrir. Un poison, sans nul doute. De là à savoir d'où il venait, n'allons pas faire de conclusions hâtives. Tout ce que Eths savait, c'est que, pour une fois, ce n'était pas de sa faute. Eths était un peu comme les juifs tout au long de l'Histoire : tout est de sa faute. Mais, à de rares occasions, non. N'allons pas jusqu'à affirmer qu'il n'avait pas sa part de responsabilité dans la conception de ce poison. C'était un personnage bien trop souvent occupé, comment voulez-vous qu'il s'en souvienne ? Bref. Il n'était pas fatigué de ce combat expéditif. Il n'avait pas pris le temps de faire souffrir son adversaire, pour connaître sa valeur, sa détermination. Ces règles-là, il n'en avait rien à carrer. Ni Arès, ni personne n'avait à lui dicter une conduite. On lui a toujours dit "Personne ne rentre", point final. "On" lui a toujours dit... Eths a toujours dit, quoi. C'est du pareil au même.


Ce n'était qu'une formalité d'anéantir une ennemie. La pauvre, elle n'avait rien demandé, c'est assez triste, finalement. Eths avait presque de la peine pour elle. Non j'déconne, il s'en foutait. Il s'en tamponnait à tel point qu'il s'alluma une cigarette, comme si de rien n'était. Après tout, une personne morte en plus ou en moins, il ne voyait pas vraiment la différence. Ce n'était pas ça qui allait plonger le monde dans la Révélation, l'Apocalypse. Tout ce qu'il désirait, c'était purifier l'humanité. Le monde était trop mauvais. Une bonne pomme pourrie. Ah, putain, une bonne clope, c'que ça fait du bien. Il avait l'impression d'être sobre depuis... depuis des semaines et que l'appel de la nicotine se faisait de plus en plus oppressant. Peut-être était-ce pour cette raison qu'il avait une agressivité latente ? Probable... probable.


Il était dans ses pensées. Il avait ressenti quelque chose de dégueulasse dans son âme lorsqu'il mit fin aux jours de Lénore. Une chose qui n'était pas lui. Une folie passagère ? Pour bien connaître le bonhomme, la folie, c'est son dada. Alors, non, ce n'était pas ça. Il tira une bonne grosse taffe de cet effeuillage de tabac blond. La fumée s'échappant du bout de la cigarette,  s'envolait jusqu'au cieux, laissant une aigre odeur dans les cheveux ébouriffés du Cardinal de la Calamité. Les formes anarchiques de cette fine fumée blanchâtre ravirent le maître des lieux. La fumée était un peu comme les hommes : elle allait dans tous les sens, prenait des directions incompréhensibles, pour au final monter au ciel et rejoindre l'Alpha et l'Omega. Et comme l'humanité, pour arriver à cet conclusion : il fallait la brûler, il fallait la purifier totalement de tout son mal, pour ne laisser que quelques cendres qui pourront donner un nouveau tabac.


Il écrasa sa cigarette sur le crâne fendu de la guerrière divine. A coup sûr, son crâne, une fois débarrassé de toute sa chair, ferait un merveilleux cendrier. A moins d'en faire une tasse ? Boire son café dans un crâne. Un peu trop viking à son goût. Faisons preuve d'originalité. Néanmoins, à peine eut-il le temps de se redresser qu'une sorte de pressentiment envahit son esprit. C'était trop calme. C'était beaucoup trop calme. Il aimait pas trop beaucoup ça. Il préférait quand c'était un peu trop plus moins calme. Mais soit, c'était sûrement la fatigue.


Tiens, il ne se souvenait pas d'avoir allumé la lumière. Son domaine baignait toujours dans une pénombre constante, une pénombre lugubre, un réel cauchemar. Mais là, une lueur dorée fit son apparition. Eths leva les yeux au ciel et regarda cet halo se diriger vers sa propriété. Il ne sourcilla même pas. Il n'était ni impressionné, ni amusé. Il restait impassible. Il en fallait plus pour le surprendre. Pour le coup... il ne savait pas ce qu'il faisait. Il ne se doutait pas un instant de ce qu'il se passait dans la fosse des calamités, dans sa cathédrale délabrée.


Une voix. Une voix lointaine, comme venant du fin-fond de l'espace, arriva jusqu'aux oreilles du Cardinal. Cette voix lui était familière. De là à dire qu'il la reconnaissait... n'allons pas jusque là. Son bras droit commençait à le démanger jusqu'à provoquer une profonde sensation de brûlure. Contrairement au reste de son corps, ce bras était le seul à ne pas posséder la moindre inscription, la moindre scarification, le moindre tatouage. Et là, une lettre commença, par l'intervention du Saint-Esprit, à se dessiner. Une simple lettre hébraïque. "גַּ", la première lettre du nom de l'archange annonciateur, du messager de Dieu, Gabriel. Toutefois, malgré le retrait immédiat de son armure et le fait qu'il s'arracha sa veste et la manche droite de sa chemise pour observer la douleur, Eths ne fit absolument pas le rapprochement. Ca pouvait être le commencement d'une phrase, d'un autre mot.



"Mon frère ?"



Avait-il bien compris ? Son frère ? A part les innombrables âmes, créées par Dieu, qui parcouraient la Terre, il n'avait pas de frère, ni de soeur. Il devait forcément faire erreur sur la personne. Après tout, ce ne serait pas la première fois, ni la dernière. Tout le monde avait le droit de se tromper au moins une fois dans sa vie. Et qu'il sache, les âmes chargées de la surveillance des Hommes ne se connaissaient pas, donc comment une autre âme pouvait connaître Eths ? Il y avait une couille dans le pâtée, c'est sûr.


Cette forme, cette grandeur... Eths leva exagérément la tête afin de bien voir le visage de celui qui parlait. Une auréole d'or. Oh Seigneur, la pureté angélique était présente. Ca ne faisait aucun doute. C'était impossible... Non, les Anges et les Archanges ne venaient pas sur Terre, sous peine de ne peut-être pas pouvoir revenir auprès du Père de toutes choses. Un des risques de la venue d'un Ange ou d'un Archange, si elle était prolongée, était qu'il perdrait la mémoire. Il n'aurait que de légers souvenirs, pas suffisants pour connaître son identité. Qu'il sache, aucun Ange, si ce n'est Lucifer, ne s'était amusé à descendre sur Terre. Si, Gabriel il y a un peu plus de mille ans pour apporter une connaissance au peuple arabe. L'Archange Michel aussi était descendu sur Terre, mais peu de temps... Juste assez de temps pour délivrer des messages aux humains.


Attends mais je rêve ou il vient de dire Azraël ? Ouais c'est bon, plus aucun doute possible. C'était un Ange de dieu. Parler de son frère, ensuite annoncer ce nom. Mais pourquoi l'appeler Azraël ? Il devait se tromper. Azraël était auprès de Dieu, il était le plus fidèle, il était celui qui avait décider de mourir en dernier, quand la fin des temps arriverait. Il était le dernier, celui qui obéissait au Seigneur, celui qui faisait, peut-être le travail le plus ingrat, mais celui dont l'existence était essentielle au salut de l'âme des Hommes.



"Un message pour moi ? Par contre, moi c'est Eths. Azraël, que je sache, est auprès de notre Père à tous. J't'écoute quand même."



Oui, la déférence si chère à Eths... Il n'était pas très respectueux des autres. En fait, il n'arrivait pas à savoir qui il avait en face de lui. Qui lui dit que ce n'était pas une simple illusion d'un Spectre ou que sais-je encore ? Il avait pour souvenir que Dante connaissait cette partie de son histoire. Le Spectre du Basilic savait très bien qu'Eths était la création de Dieu... de là à oser dire qu'il s'agissait d'Azraël... Dante était intelligent, mais faut pas déconner non plus.


Son bras droit le brûla à nouveau et l'inscription se compléta. " גַּבְרִיאֵל "... Eths regarda son bras, leva la tête, regarda son bras, leva la tête. Oh non, ce n'est absolument pas possible. Gabriel... Gabriel ici. Il ne se manifestait jamais. S'il le faisait, c'est qu'il n'avait pas le choix. De lui-même, il ne serait jamais descendu s'il n'en avait pas reçu l'ordre. Et dans la hiérarchie, il faisait parti du trio de tête : Gabriel, Michel et Raphaël. Et aucun ne donnait d'ordre à l'autre. Par contre, eux, commandaient aux autres comme Uriel, Azraël, ou la petite dernière Saraquiel. Donc... il a reçu les ordres de Dieu. Seigneur... Pourquoi était-il là ?


Peut-être pour la première fois de toute son existence terrestre, Eths s'inclina face à quelqu'un. Mais ce n'était pas n'importe qui. Il était la voix du Seigneur. Il avait toute autorité.


"Ga... Ga... Gabriel... Que me vaut l'honneur de votre visite ? Père est-il en danger ?"


S'il était là, ça ne pouvait être que pour cette raison. Jamais un Ange ne se serait déplacé pour une âme perdue, alors un Archange... Eths imaginait les portes du Jardin d'Eden se faisant détruire par des forces démoniaques ou quelque chose comme ça. Trop de questions d'un coup, si peu de réponse. Aucune, en fait.


La boule au ventre.

Ouf. On a évité la catastrophe. L'Alpha et l'Oméga n'était pas en danger. C'était une hypothèse loin d'être impossible, finalement. Le mal existait et s'efforçait, à chaque instant, de détruire la bonté du Seigneur. Bien heureusement, le Seigneur était omniscient et omnipotent. Sa puissance dépassait tout. Même le redoutable Arès ne pouvait rien faire face au Tout-Puissant. L'armée de l'Oméga était bien plus importante que celle des Spectres et des Saints réunis. Nul ne sait combien d'entités étaient à son service. Même Eths l'ignorait, car Dieu était une divinité très cachottière.


Le Cardinal de la Calamité se releva, après son inclination face au puissant archange Gabriel. Cet être était doux, et empli de bonté. Tous les anges, tous les chérubins, tous les séraphins avaient leur propre caractère, et celui de Gabriel était la bienveillance. C'était assez rare dans ce monde de brutes. Et Eths pouvait en témoigner, son coeur noir parlait pour lui la plupart du temps (pour ne pas dire constamment). Gabriel, en voilà un ailé qui ne pourrait pas connaître la corruption tant son esprit était droit, tant sa motivation était inébranlable et inébranlé depuis la nuit des temps.


Par contre, un truc commençait très clairement à le gonfler. Il fallait absolument arrêter de l'appeler Azraël. Il avait un nom et c'était Eths. Il était une simple âme créée par le Seigneur, qui allait sur Terre à sa propre demande ! Il devait surveiller les hommes, s'assurer qu'ils ne fassent pas trop de conneries. L'Unique était, certes, omniscient, mais il n'avait pas forcément le temps de s'occuper de tout. S'il a offert aux hommes le libre-arbitre, c'est que d'un côté, il ne devait pas interférer dans leurs actions. Mais l'humanité, c'était sa création : il devait en prendre soin. Bref, ça ne changeait rien. Il n'était qu'une âme, il n'était pas l'Ange de la Mort. Du moins, pas à sa connaissance. Mais soit, que Gabriel continue son petit manège si ça l'amuse, Eths poursuivra aussi.


Dieu en colère contre lui ? Et pourquoi ? Eths n'avait rien fait de mal. A ses yeux, en tout cas, il était innocent de toutes choses. Certes, il n'a pas été forcément très clément avec quelque gens. De là à être en colère... Il faut user, mais pas abuser. Il était là pour libérer l'Humanité de ses tourments en purifiant cette race, qui de base était bien dégueulasse. De l'eugénisme ? Non, parlons plutôt de volonté d'extinction de toutes les races. Tout détruire pour mieux recommencer. C'était une façon de voir les choses, qui n'était pas du goût de tout le monde. Dans tous les cas, Gabriel était du genre à parler, un peu comme Eths. Un point que les deux frères ont en commun. Il aurait bien voulu bavarder, mais l'Archange messager n'était là que pour délivrer un message. Un long message. Un châtiment, hein ? Gabriel n'a jamais vraiment été un bon combattant, en deux secondes Eths lui foutrait sa raclée, à coup sûr. Il savait commander, ça oui, mais foutre des claques, on a vu mieux.


Soudain, une puissante explosion vint détruire tout le domaine du Cardinal. Tout ce domaine qu'il avait construit de ses propres mains. Elle arriva à une vitesse dépassant certainement, bien allègrement celle de la lumière. Il n'avait absolument rien vu venir, il n'avait rien senti. D'ailleurs, il était bien trop occupé à s'intéresser aux propos de Gabriel pour ne serait-ce qu'observer ce qu'il se passait autour de lui. Il avait remarqué ce genre de dôme, mais rien de plus. Là, pour le coup, il a été touché par cette explosion. Touché autant physiquement que moralement. Faisons la liste exhaustive de ces dommages. Déjà, son armure était introuvable. Il l'avait retirée quelques secondes avant, mais il n'arrivait même pas à la repérer. Aurait-elle quitté le domaine des calamités ? Deuxièmement, sa veste était dans un sale état. Putain, c'était ignoble. Un tissu de cette qualité, un savoir-faire à se damner, réduit en poussière. Aucun respect pour les artisans ! Passons à la chemise, habituellement blanche immaculée, elle était déchirée de partout, sale, brûlée à certains endroits. Du lin de qualité supérieure, encore foutu à la poubelle ! Eths n'aimait pas ça, mais alors pas du tout.


Il était couché sur le sol, après cette déflagration. Couché parce qu'il se prit une colonne, se couchant à cause de l'onde de choc, directement sur la tête. Une colonne de plus de 40 mètres de hauteur, de plus de 7 mètres de circonférence. Elle se brisa directement sur sa gueule, et éclata son dos. Eths eut du mal à se relever. Se prendre plusieurs tonnes sur le corps, peu importe qui on était, ça faisait forcément mal. Donc difficilement, il se remit sur ses deux pieds. Gabriel n'avait absolument pas bougé, pas même d'un millimètre. Son domaine... détruit. La nef, perdue, l'autel, anéanti... Et ses quartiers existaient-ils encore ? L'entrée n'était même plus visible. Par pure rage, Eths déchira le reste de sa chemise et se retrouva torse-nu. Son corps était couvert de tatouages, que des écritures, principalement en hébreu et en sumérien. Tous les écrits racontaient quelque chose de bien précis, entre autres : la Révélation, la promesse d'Eths faite à Dieu, celle d'être le dernier à mourir et de s'occuper de tous les morts sur Terre. Mais Eths, ça, il l'avait oublié, depuis bien longtemps. Le corps qu'il avait actuellement, il s'en servait depuis... allez, une centaine d'années. Il n'a pas toujours été sur Terre, effectivement. Contrairement aux autres Anges, chérubins et autre, il était celui qui passait le plus de temps avec les Hommes, un peu à l'instar de Lucifer.


Eths sentait sa colère monter en lui. Pourquoi diable Gabriel s'était-il amusé à détruire son précieux domaine ? Pourquoi Gabriel, en simple messager, s'était-il amusé à provoquer le Cardinal ? Tandis que le bras droit d'Eths se remit à brûler, inscrivant cette fois-ci "מיכאל", il augmenta son énergie. Ses yeux étaient fermés, il devait se concentrer. Il devait faire le vide, non pas pour se calmer, mais pour montrer à quel point il n'allait pas se faire baiser la gueule par Gabriel. Cet archange n'était pas redoutable. Même sans armure, l'Ange de la Mort, chose qu'il ne croyait pas, allait lui éclater sa race.


Par moi.


Il ouvrit précipitamment les yeux. Alors là, il ne réfléchit pas une seule seconde. Il savait à qui il avait affaire. Il ne le connaissait que trop bien. Cette voix, cette prestance... Il n'y en avait qu'un comme ça. Là, il fallait l'avouer, il se la pétait beaucoup moins. Face à lui, il n'était pas du tout sûr de gagner un combat. Il était le plus redoutable et le plus redouté de tous les Anges de Dieu. Il ne se déplaçait jamais pour rien. Il ne se déplaçait jamais, concrètement. Il était face à "Qui est comme Dieu ?". Il était face au plus puissant, à égale puissance avec Samaël, appelé aujourd'hui Lucifer. Prince des Archanges, Archange du Premier Rayon, Défenseur de la Foi, Prince de tous les anges du Bien, chef des forces du ciel, de la milice céleste, champion du Bien... Michel. Michel... Michel là... Eths n'était pas du genre à avoir peur. D'ailleurs, il n'avait jamais eu peur de rien. Mais là, peut-être un petit frisson traversa son échine. Il savait pertinemment qu'il allait passer un mauvais quart-d'heure.


La grande stature de Gabriel disparut, comme si tout ça n'avait été qu'un mauvais rêve. Cela voulait-il dire que Gabriel n'était là que comme une apparition ? Alors que là, Michel... Il était là. Vraiment là. C'était bien pire. Il était face au champion du Bien. Se chier dessus ? Presque, hein. Son transit intestinal était bien facilité... Mais il ne flancha pas un seul instant. Eths avait une certaine fierté. Attends mais... Oui, niveau réaction on a connu plus rapide. Mais ce qui a détruit la fosse des calamités, c'était Michel ? Pour faire ça, il devait être dans une colère noire. Juste sa présence avait permis de tout détruire. Pourquoi n'a-t-il pas pu anéantir le Cardinal, dans ce cas ?



"Michel... Avant de vouloir me punir... Ai-je le droit de savoir de quoi on m'accuse, concrètement ? Et qu'on m'explique enfin pourquoi vous ne cessez de m'appeler Azraël ?!"



Les Anges ne se trompaient jamais. Donc s'ils l'appelaient Azraël, c'est qu'il y avait une raison, une raison bien logique. Il l'était. Mais il n'en avait pas conscience. Plusieurs plumes noircies tombèrent autour du Cardinal de la Calamité. La colère montait, encore et encore. Qu'on ait détruit son domaine, ça passe. Qu'on lui envoie deux des plus grands Anges, pourquoi pas. Mais là, c'était trop. Déjà on le condamnait à recevoir un châtiment à durée indéterminée. En plus, ce châtiment venait de la part de Dieu. Était-ce de la colère ? C'était plutôt un mélange entre déception et humiliation. Lui qui était le plus fidèle des adorateurs de Dieu, se voir punir, il ne pouvait l'accepter. Il avait beau travailler pour un autre dieu, l'Alpha et l'Oméga passait avant tout. S'il devait trahir Arès, il le ferait sans aucune hésitation. Avait-il failli à sa tâche ? Certes, il a fait preuve d'un peu trop de zèle. Un peu trop, mais est-ce une raison pour se faire punir par Michel ? Mikhà'êl...


Dans le dos du Cardinal, deux grosses cicatrices sous ses omoplates, comme la trace d'anciennes ailes, coupées depuis des temps... immémoriaux. Tout ce qui en sortait : quelques plumes, anciennement blanches, devenues noires, comme celles qui tombaient autour de la Calamité. On sentait bien qu'elles n'étaient pas originellement noires et qu'il s'agissait d'un gribouillage assez grossier. Les ailes des Anges, comme les "mini-ailes" des âmes protectrices des Hommes, changeaient de couleur selon le statut du porteur. Si un ange était déchu, ses ailes, automatiquement tombaient ou alors devenaient noires, voire fantomatiques. Le Cardinal arborait un message sur lui, comme des mots brûlant le papier, le papier étant sa peau. Ses illustrations épidermiques, qui lui sont si familières... lorsque le sang embrasse l'encre, lorsque la douleur enlace la chair... Dans ses pores, son sang bouillit. Il était la seule création de Dieu à arborer ces inscriptions. Ca, en plus de ces cicatrices, ne pouvaient dire qu'une seule chose : il n'était pas une simple âme, comme il l'imaginait. Il était un des Anges de Dieu. Voilà pourquoi Michel et Gabriel l'appelaient ainsi. Quoique non... Il y avait un hic à cette histoire : s'il était Azraël, l'Ange de la Mort, il s'en souviendrait. Il n'est pas con, quand même. Certes, le Cardinal utilisa de nombreux noms durant ses passages sur Terre : tantôt Eths, tantôt Nahash, tantôt Seth, tantôt Ézéchiel, comme le prophète. Mais jamais Azraël. Ou Zaza, ou même autre chose ressemblant de près ou de loin à Azraël.


Les yeux du Cardinal, habituellement rouge sang, changèrent subitement de couleur, en adoptant un teinte plus rosacée, une teinte plus vive et surtout en arborant une pupille semblable à celle d'un serpent, à celle d'un prédateur. Au fond de ses yeux, on pouvait très clairement y voir le fameux symbole satanique, le pentagramme. Eths était corrompu jusqu'à la moelle. A force de côtoyer des hommes, pas forcément bons, à force de vouloir apporter l'Apocalypse, à force de vouloir purifier la Terre du mal qui l'habitait, il ne se rendit pas compte qu'il ne s'était pas purifié de son mal. Mais ça, il n'en avait absolument pas conscience. Il avait été affublé par Dieu, de la pire tâche qui soit : celle d'être en contact permanent avec la Mort elle-même. Forcément à un moment ou à un autre... une erreur allait lui tomber dessus. Mais qui n'a jamais péché ? Même les Anges de Dieu ont déjà commis un péché. Le pire, aux yeux du Père de tout, étant celui de l'orgueil, celui de se croire supérieur à Lui. Pour le coup, Eths ne le commit pas, il se savait inférieur à Lui.



La voix du Cardinal se faisait plus fantomatique. Comme si quelqu'un ou quelque chose prenait le contrôle de ses paroles. Il était parfaitement conscient de ce qu'il disait, mais... Serait-ce la mémoire d'Azraël qui refaisait surface ? Ce n'était pas impossible. Revoir Michel et Gabriel, qu'il n'avait pas vus depuis... des millénaires, ça ravivait forcément des souvenirs. Concrètement, la vie est comme une chute d'eau. Le Cardinal est seul dans la rivière, et sera seul encore après la chute. Comme s'il nageait à travers le vide, il entendait le monde. Voilà tout ce qui remontait à la surface. Il ne se voyait pas en Ange de la Mort, mais il revoyait les visions qu'il avait eues avec Alfengard


Flash


Des ailes noircies. Un ordre : aide l'humanité à mourir. Mourir dans la pureté. Être à leur chevet. Transformer les corps en âmes. Insuffler la guerre dans le cœur des hommes. Apprendre aux premiers hommes le maniement des armes. Apprendre aux premiers hommes comment fabriquer des armes. L'absence de sourire. Toujours écouter Dieu. Protéger Samaël de lui-même. Protéger l'humanité du trépas éternel. Aider à l'Apocalypse. Purger le mal. Obéir. Obéir à la volonté divine.


Flash.


Comprendre les hommes. Vivre parmi eux. Ne pas se laisser tenter à l'idée de les détruire. Se faire passer pour celui qui aide à se remettre des deuils. Rejoindre un autre Dieu et le servir. Ne jamais tourner le dos à Dieu. "Alors sur le champ il ordonne qu'au bruit guerrier des clairons et des trompettes retentissantes son puissant étendard soit levé. Cet orgueilleux honneur est réclamé comme un droit par Azraël, grand chérubin". Ange de la Mort. Ange de la Mort. Ange de la Mort...


Flash



Une larme coula le long de sa joue droite. Ce n'était pas une larme de colère, ce n'était pas une larme de tristesse. C'était plutôt... la solitude qui frappait. Il avait été abandonné dès le début par Dieu. Lui faisait-Il trop confiance pour daigner protéger son fils ? Non... Non...


C'était bien la première fois qu'Eths ou plutôt Azraël se mit à pleurer, sincèrement. Il se savait condamné à la déchéance, il se savait condamné à la destruction totale. Il savait que son âme allait être annihilée par la Lame de la Mort... Sa propre dague, capable de tuer définitivement un Ange, une lame capable de tuer un Dieu, à jamais. Michel la possédait-il ? Il était absolument interdit de l'apporter sur Terre. Elle réveillait dans le coeur des gens l'envie de tuer pour un oui ou pour un non. Elle était semblable à la Dague d'or, connue des autres, capable de tuer un Dieu.... Mais avait-elle le pouvoir d'annihiler son âme ? Pour le coup, la Mort l'ignorait.


"Dépêche-toi, Michel."