Le retour du gardien

Le voyage long ? C'est vrai. A son habitude, le Sans-Visage voyageait très rapidement, grâce à sa parfaite maîtrise des dimensions, de la téléportation et tous ces cheat codes bien connus de tous. En y pensant, un petit motherlode ne pouvait pas faire de mal. L'argent, toujours l'argent. En même temps, l'argent appelle l'argent, alors autant ne pas en avoir... Ouais mais non. La pauvreté, c'était un concept à l'ancienne. La richesse, c'était surfait. il fallait être dans la moyenne, voire un peu au-dessus, parce que les classes moyennes étaient celles qui se faisaient le plus baiser la gueule. Bref, nous ne sommes pas là pour parler politique mais pour raconter une histoire. Celle d'un retour, celle d'un passage inévitable par la case "maison".


Accompagné d'Alfengard, celui-ci, bien malheureusement, ne connaissait pas le chemin le plus court pour se rendre au Sanctuaire. Il était bien évident que les Gémeaux, si. Hevruka avait parcouru le monde en long en large et en travers, en partance ou en direction du Sanctuaire d'Athéna. En tant que Chevalier d'Argent de l'Autel puis en tant que Chevalier d'Or des Gémeaux. Il n'était pas de ceux qui restaient le cul vissé sur un trône à attendre qu'un ennemi arrive. Non, l'ancien compagnon des dorés était plutôt quelqu'un qui allait chercher l'ennemi, quitte à se créer des inimitiés avec ses propres frères, avec Kaour d'Heraclès et Arion de Pégase, pour ne citer qu'eux... Aller jusqu'à étrangler au point de presque tuer un chevalier de bronze : il y avait mieux comme technique d'approche et comme façon de se faire des amis. Après tout, Hevruka n'était pas là pour se faire des potes, mais pour accomplir sa mission, pour son travail. Mal payé, de surcroît.


"Oui, Alfengard. J'y suis déjà allé. Pour être honnête... Je suis un ancien Saint. Ce Sanctuaire... C'est chez moi."


Voilà, c'était lâché. En même temps, il n'était pas là pour mentir aux autres. N'allons pas jusqu'à dire que le Buveur de Sang n'était pas un menteur. Il disait, la plupart du temps, la vérité. Mais il était important pour protéger les autres, de mentir. Pour que le peuple vive heureux et ait beaucoup d'enfant, nous avons le devoir de lui mentir, dixit K. Le Sans-Visage gravit les dizaines de marches amenant au premier temple des maisons du Zodiaque. Quelle atmosphère. Il en avait presque le coeur tordu, pourvu qu'il en ait un. Il avait une sorte de boule de chagrin dans la gorge. Parce qu'il n'était plus le protecteur du troisième temple... Parce qu'il avait perdu tout ce qu'il avait. Et pourquoi ?  Pour être resté un peu trop longtemps en Enfer. Quelle était la temporalité ici-bas ?


Oh... Un chevalier d'or se présentait à eux... Oh non... Alors il était encore en vie. Il était toujours à cette place. Le maître de son maître... Orion du Bélier, le si puissant chevalier d'or, le premier gardien. Inexistants ceux pouvant se vanter d'être parvenus à franchir son temple en un seul morceau. Pour  un chevalier d'or, il était clairement le meilleur. Le meilleur du meilleur. Indirectement, Hevruka lui devait tout. Sans lui, Milan ne serait pas chevalier d'or. Sans lui, Altia ne le serait pas devenu. Sans lui, Tenshu n'aurait pas été chevalier d'or des Gémeaux. Sans lui, Hevruka n'aurait pas été jugé digne du signe de la dualité. En y repensant, il n'avait pas comme souvenir de l'avoir déjà rencontré. Ou alors croisé... Oh si ! Un jour il était venu au premier temple du Sanctuaire et il y avait même Angèle et Scareface. De toute façon, au premier temple, il y avait toujours Scareface, à croire que la quatrième maison ne lui convenait pas.


Salagadou, la menchika bou, la bibidi bobidi boo ! En une fraction de seconde, l'heaume du Sans-visage disparut, laissant apparaître son véritable visage. Ici, il était connu. Jouer la carte de la sincérité ne pouvait qu'être bénéfique. Mais Hevruka connaissait Orion. Il était encore plus à cheval sur l'honneur que les Gémeaux. Alors s'il se souvenait de lui... quelle serait sa réaction ? Cela ne me dit rien qui vaille... De toute façon, maintenant il était là, alors autant y aller à fond. Le bluff, ça ne fonctionnerait pas sur Orion, il était bien trop vif pour ça. Et puis, ça ne servirait à rien. Quand il voulait, il pouvait aplatir les deux Marinas. Donc bon... Autant rester sympa, non ?


"Bonjour, Maître." - lança-t-il, laissant un léger silence s'installer avant de reprendre. -  "Il est d'une urgence capitale que nous rentrions en contact avec la divine Ahina ou avec notre Grand Pope. Il en va de la sécurité de notre monde... Le sceau, Maître... Le sceau."


Allez, y avait pas de temps à perdre. Moins de temps il passait ici, plus facilement il pouvait repartir et risquer sa vie. Parce que, pour une personne ne connaissant pas l'histoire, il pouvait être facilement considéré comme un traître. Et un traître au Sanctuaire, c'était pire que tout. Autant rester en vie le plus longtemps possible. Ca fait peu de temps qu'il a le plaisir de pouvoir respirer, alors autant que ça dure, n'est-ce pas ?

GEMINI IS BACK !

Spotted. Demasqué, dans les deux sens. Démasqué parce qu'il fit apparaître son visage aux yeux du maître de son maître. Démasqué parce qu'Orion le connaissait. Il est vrai, Hevruka, si ce n'est une fois, n'avait jamais eu l'occasion de remercier celui qui a enseigné son savoir à Milan Sethni du Capricorne. Il y avait un lien indéfectible entre les trois personnes. De mémoire, la plus puissante arcane du chevalier d'or du Bélier était l'Hymne à la vie. De par son enseignement, il a transmis cette technique à l'excellent Capricorne. Et le Capricorne a transmis cette puissance aux Gémeaux. Et de ce fait, trois générations de guerriers connaissaient cette puissante technique. Ils étaient liés à vie, qu'ils le veuillent ou non, qu'ils en soient conscients ou non.  Ils étaient liés par la Vie. D'un certain point de vue, si Hevruka arrivait encore à respirer, à vivre, c'était grâce à au gardien du premier domaine.


Il n'avait pas de coeur et pourtant... il ressenti comme une douleur dans la poitrine, à l'endroit exact où était l'organe vital. Comme s'il était enserré dans lui-même. Il était peiné, réellement, d'entendre à nouveau "Hevruka des Gémeaux". Oui, les Gémeaux, c'était lui. Sans vouloir paraître prétentieux, surtout qu'il ne l'était pas, il s'estimait meilleur Gémeaux qui n'a jamais été. Meilleur qu'un Tenshu, meilleur qu'un Kells, meilleur que tous réunis. Parce que lui, il était habité par la véritable âme de l'armure, il ne faisait qu'un avec elle. Avant de sombrer dans la mort, il avait porté une dernière fois l'armure de l'Autel, juste pour lui dire "au revoir". Mais il était les Gémeaux. Sa double-personnalité, bien ancrée déjà dans sa tête, bien longtemps avant sa promotion, s'en était retrouvée accentuée dès que le doré enveloppa son être. Une manière qu'a eu l'armure de lui dire : "Tu es légitime". Parce que oui, la constellation des Gémeaux est une constellation à double vue, à double-tranchant, à trouble vue.


"Pour vous servir."


Pur réflexe, dirons-nous. En quelque sorte, ça ne l'avait jamais quitté. Il avait beau être devenu un Marina de Poséidon, il restait encore profondément attaché à son ancienne vie. Pourquoi ne pas rester Gémeaux mais chez Poséidon ? Y'avait pas moyen de s'arranger ? C'est qu'une armure après tout. En échange, il refilerait le Dragon des Mers. On y verrait que du feu. Hevruka serra le poing pour se contenir. Non pas contenir sa colère, mais contenir sa déception. La déception qu'il éprouvait envers sa propre personne.


"Altia Verana ? Mon premier maître est devenu Grand Pope ?"


Il part deux ans, le monde entier change. C'est presque injuste. Êtes-vous déjà retourné dans une ville dans laquelle vous habitiez il y a quelques années ? C'est assez troublant. Oh ça, c'est comme avant, oh ça aussi ! Oh oui, le terrain de foot et la caserne des pompiers ! Et la maison, j'y étais... Oh non mais : elle est méconnaissable, ils ont tout refait. Et c'est quoi ce rond-point ? Y'avait pas ça avant. Qu'est-il arrivé à ma ville ?! Et bien ça, c'était le sentiment qu'éprouvait le Sans-Nom vis-à-vis de cette situation. C'était compréhensible, en même temps. Voir ses habitudes chamboulées comme ça. Comme quoi... même un rouquin pouvait être Grand Pope. Aux dernières nouvelles, c'était Biscione qui était le chef des armées d'Athéna. Cela voulait dire qu'il lui était arrivé quelque chose ?


"Je vous expliquerai tout, maître."


Mais, attendez, un petit détail fit tiquer le Sans-visage. Il a bien dit "Artémis" ? Mais... elle était pas au Sanctuaire sous-marin il y a quelques jours ? Ou quelques heures ? La notion de temporalité n'avait plus aucun sens à ses yeux, il ne pouvait être précis. Chacun ses défauts, n'est-ce pas ? Il s'adressa à Alfengard par la pensée.


*Ne sois pas trop agressif et pressé. Ça ne fonctionne pas comme ça ici. Si Orion nous refuse l'entrée, nous ne pourrons pas passer. Il nous écraserait bien trop facilement. Discutons avec lui, il est quelqu'un de confiance.*


Faisait-il une erreur de jugement là ? A ce qu'il venait de dire, le Bélier était l'ancien dirigeant du Sanctuaire. Donc il avait plusieurs notions de diplomatie, de stratégie et surtout d'entourloupe. Après tout, le Grand Pope, en plus d'avoir une fonction pleine de prestige, était celui qui savait dialoguer avec les dieux, et qui était à même de retourner leur cerveau. Alors, il fallait tout de même rester sur ses gardes, ne sait-on jamais. Pas qu'Orion allait les attaquer loin de là, mais il était assez malin pour leur baiser royalement la gueule. L'ancien Saint suivit le Bélier et prit place sur un banc, comme proposé par le maître des lieux.


"Maître... Parlons peu, parlons bien. Qu'Artémis soit en compagnie du Grand Pope ne change rien à notre volonté de nous entretenir avec. Artémis sait pour le retour de Poséidon. Artémis est déjà venue nous voir. Elle ne fait que faire le tour des différents camps... Quand elle est venue au Sanctuaire Sous-marin, elle était accompagnée d'un Guerrier Divin d'Asgard, donc elle y a été, forcément."


Pour un mec pas bavard, il parlait beaucoup. Mais avec Orion, il fallait jouer la carte de la franchise. Et puis, un Saint ne pouvait pas mentir à un autre Saint.


"Si nous sommes ici, c'est pour avoir des informations sur le Sceau qui a été volé par l'infâme Ange déchu. Si vous avez la moindre information, même infime, concernant sa localisation..."

Mince. Ça, c'était un aspect de la personnalité d'Orion qu'il ne connaissait pas. Il était bavard. Du moins, il parlait beaucoup trop au goût du Sans-visage. Déjà, là, il faisait un effort surhumain pour dire les choses, pour parler un peu plus que d'habitude. Parce que bon, entre être un muet pur et dur et juste parler un peu, il y avait un grand écart de malade mental. Ça tombait bien, Hevruka en était un ! Bon, officiellement, ce n'était pas un psychopathe. Dédoublement de personnalité allant jusqu'à la perversité narcissique. On peut y ajouter des troubles anxieux, dissociatif, des névroses obsessionnelles, phobiques. Un schizophrène paranoïaque en somme. C'était beaucoup de choses pour un seul homme, c'est vrai. Mais que voulez-vous ? On ne se refait pas.


"Athéna... Athéna a été blessée par..."


En l'espace d'un instant, son sang se mit à bouillir. En l'absence de cœur, on peut estimer qu'il s'agit d'une prouesse scientifique. Ne gageons pas qu'il s'agisse d'une anomalie médicale sinon une simple saute d'humeur. Un truc qu'il n'avait pas oublié, c'était son attachement à la déesse Athéna. Malgré un moment de folie durant lequel il envoya un corbeau mort à son temple, le maître des dimensions adorait cette reine de sagesse. Certainement quelque chose que Poséidon ne pourrait pas comprendre. Certainement quelque chose qu'Alfengard ne pourrait pas comprendre. Certainement quelque chose que lui-même ne pourrait pas comprendre. Et pourtant, il se sentait autant Saint que Marina. Voire même plus l'un que l'autre. Mais lequel était plus grand dans le "cœur" du Sans-visage ? Acceptait-il d'être dans l'armée du Seigneur Poséidon, alors qu'il n'avait rien demandé ou chercherait-il à retrouver la déesse qu'il aimait tant et redevenir son chevalier d'or des Gémeaux ? Pour ne rien cacher, il se posait très clairement la question. C'était légitime, après tout. Il n'a jamais demandé à devenir un Marina comme il n'a jamais demandé à perdre son armure d'or.


Il serra fort son poing droit, au poing de planter ses ongles à travers le "gant" de son écaille et d'en faire jaillir du sang. Personne, absolument personne au monde n'avait le droit de tenter de blesser la déesse Athéna. Personne n'avait le droit de faire du mal à Ahina. C'était impensable. Il ne comprenait pas comment cela s'est produit. Si ses chevaliers étaient attentifs à tout, elle n'aurait même pas eu un cheveu d'arraché. Et là... "blessures non mortelles". Donc était-il question qu'elle put avoir des blessures mortelles ? Y avait-il un risque ?! De son temps... jamais, oh non, jamais ça ne se serait produit. Il aurait tout fait pour empêcher ça. Il n'était pas le plus "fidèle" stricto sensu à Athéna. Il n'était pas le plus obéissant, le plus lèche bottes. Mais il était capable de tout pour la protéger. Il était capable de revenir d'entre les morts et de continuer à la protéger de tous les malheurs. Comme Orion, il présumait.


Il était à deux doigts d'en claquer une à Orion. Pourquoi Orion ? Parce qu'il était en face de lui. Si ça avait été un gamin de sept ans, il l'aurait fait aussi. Il s'était énervé d'un coup, attristé de ce qui aurait pu arriver à Athéna. Parce que ce n'était pas seulement le sort d'Ahina qui était important. C'était surtout le fait qu'il n'était plus là. Il ne faisait plus partie de cette famille, ô combien particulière, ne le cachons pas. Mais il était dans une autre famille, une famille à laquelle il n'était pas spécialement attaché. Certes, Erin, Alfengard, Egidio et même Gideon étaient ses frères. Sans oublier Réa, dont il ne prit pas la peine d'apprendre le nom. Ils étaient tous frères et sœurs de sang. Parce qu'appartenant au même peuple. Cela ne voulait pas dire qu'ils étaient liés par de l'amour fraternel. Étaient-ce des amours sincères ou des amours forcées ? Il ne saurait répondre. En tout cas, revenir ici amenait plus de questions que de réponses et ça, c'était un problème. Imaginez Athéna lui propose de redevenir Gémeaux. Il répondrait quoi ? Oui ? Non ? Reviens dans deux heures, je réfléchis d'abord ? Non. Arrêtons de penser à ce genre de choses, ce n'était pas le moment ! Pas du tout le moment ! Poséidon lui faisait confiance, et il devait honorer sa confiance ! Il devra tout de même en discuter avec l'ancien Saint du Verseau. C'était important. Lui seul pouvait le comprendre.


Il réussit à se calmer en prenant une profonde inspiration, comme une femme enceinte s'apprêtant à accoucher. Il reprit une information qui avait titillé son esprit. "à ma connaissance". Donc Orion connait le dernier emplacement du sceau. Donc ce qu'a dit Alfengard concernant les dires du Cardinal d'Arès était certainement vrai... Ça changeait beaucoup de choses. Pourquoi les Saints ne sont pas venus en parler à Poséidon ? Au pire pour lui dire "Ecoute, ton sceau est plus en sécurité avec nous qu'avec toi, mais t'inquiète Popo, tu as ton mot à dire, tu peux même venir le voir quand tu veux." Ils le faisaient exprès.


"Donc si je déduis bien les choses... Le sceau a été au Sanctuaire à un moment et qu'aux dernières nouvelles, il y est encore probablement ? Ou du moins... un de mes... un de vos sous-fifres s'est acquitté de sa mission en le cachant ?"


Mon ton son, ma ta sa, mes tes ses. C'était pareil au final. D'un côté, il estimait qu'il avait encore le droit de commandement sur les chevaliers de bronze ou d'argent, voire certains d'or comme Alistair. Bande de veinards, dégagez le bazar. Et vous allez voir, c'que vous allez voir. Venez applaudir, acclamer la Superstar ! Fêtez ce grand jour,  clochettes et tambours, venez adorer l'idole ! Prince Ali, sa Seigneurie, Ali Ababoua. A genoux, prosternez-vous, soyez ravis ! Bon, même s'il était devenu Saint d'or avant lui. Mais bon, on est pas à trois près, hein ?


"Kazuki ? Kazuki en voudrait au sceau à cause d'une vulgaire prétention de vouloir venger l'honneur de son peuple ? Le peuple d'Ivalice n'était-il pas éteint, aux dernières nouvelles ? Il serait temps pour lui de tourner la page..."


Et c'est lui qui dit ça ? Il se foutrait pas un peu de notre gueule l'Anglais, là ? Un peu, quand même, mais chut, ne lui dites pas, il va se vexer. En outre... Il ne fit pas de commentaire sur la capacité qu'avait Orion de faire fleurir la végétations. C'était ainsi que Milan lui avait enseigné l'élément de la Vie elle-même. Attendez... Mais n'était-ce pas là un des effets de...


"Hymn of life..."


Il baragouina ces quelques mots, que seul Orion pouvait comprendre, parce qu'il est fort à parier qu'il ne sache absolument pas de quoi Hevruka parlait.

La discussion tournait en rond. Non pas que c'était chiant, mais Hevruka et Alfengard étaient venus dans un but précis. Récupérer une information. Une information capitale. Le Sanctuaire a eu en sa possession le Sceau d'Ouranos et n'a pas pensé une seule seconde à le rendre à son propriétaire légitime. Selon Orion, il était en lieu sûr, mais quel lieu pouvait être plus sûr qu'avec son propriétaire légitime ? L'urgence... elle a bon dos l'urgence. Oui, dans l'urgence on oublie des trucs, mais pas des trucs aussi importants. Là, c'était presque impardonnable. Hevruka ne savait pas vraiment comment saisir cette information. La prendre telle quelle et la répéter au Seigneur des Mers, bêtement, simplement, ou alors s'énerver parce que le Sanctuaire était égoïste. Ou non, pas égoïste, mais inconscient. Qu'ils n'aillent pas dire qu'ils ne disposaient pas d'assez de monde pour se déplacer jusqu'au Sanctuaire sous-marin pour colporter la nouvelle. Non, là c'était idiot de leur part.


Ils venaient très clairement de griller leurs chances d'une alliance cordiale avec les Marinas. Ou plutôt... d'une neutralité bienveillante. Parce que, qui leur disait que le Sanctuaire n'allait pas commettre un autre impair, tel que celui-ci, dans les prochains jours, semaines, mois, années ? Certes, Hevruka ne pouvait pas se permettre d'être trop médisant envers ses anciens compagnons, mais là, ils venaient de faire une petite bêtise. Parler d'urgence n'était pas une excuse valable. C'était trop facile, sinon. Dès que Lucifer a été vaincu, ils auraient dû envoyer une délégation au Sanctuaire de Poséidon. C'était la moindre des choses. Et ça, Hevruka le voyait non pas avec ses yeux de Marinas, sinon avec son coeur de Saint. Il savait très bien comment pouvait réagir Poséidon. Cela créerait une profonde discorde entre les deux camps. Et ça, c'était très grave... Très grave parce que Hevruka, même s'il en voulait énormément aux chevaliers, ne pouvait se résoudre à les considérer comme des ennemis.


Son coeur balançait encore. Pourquoi Endymion lui a-t-il dit d'aller au Sanctuaire avec Alfengard ? Ou plutôt pourquoi lui a-t-il offert la possibilité de le faire ? Endymion voulait-il tester la loyauté de son ombre ? Il y a de fortes chances, oui. Il savait très bien que dans le "coeur" du Sans-Visage, il y avait une montagne de doutes. Des doutes fondées comme des doutes infondés. En tout cas, oui, il y avait une bonne probabilité pour que le Sans-Visage retourne chez les Saints. Que choisir ? Son sang d'Atlante, dont il n'a jamais eu connaissance, Anglais qu'il était, ou son coeur et sa raison de Saint ? Tout se chamboulait encore. Peu importe sa décision... Il devait se confier à une personne autre que Poséidon : le Grand Pope. Le Grand Pope, c'était celui qui lui avait permis de devenir le puissant chevalier d'or des Gémeaux.


"Maître Orion... Nous ne pouvons pas nous permettre de revenir auprès de Posé..."


Il n'eut absolument pas le temps de terminer sa phrase qu'un nouveau personnage fit son arrivée. Une personne mal en point, de toute évidence, une personne qui dégageait quelque chose. Forcément. Un humain lambda ne pouvait pas pénétrer le Sanctuaire Sacré d'Athéna. Même les villages alentours ne pouvaient voir que ruines, car le cosmos de la Déesse de la Guerre régnait en ce lieu depuis les temps mythologiques et il était impossible pour des gens non éveillés au cosmos de voir ce qu'il s'y passait. Une sorte de repousse-moldus, quoi ! Était-ce un réflexe ou une réelle envie, mais le Seigneur d'Atlantide se leva de son banc et s'approcha de la petite chose qui essayait, tant bien que mal, de faire face au comité rassemblé ici. Ne voulant nullement laisser le temps aux autres protagonistes, il passa son bras autour des épaules du nouveau venu et l'aida à se déplacer jusqu'au banc, anciennement occupé par les Gémeaux. L'intéressé restait debout. De toute façon, Hevruka n'était pas du genre à se prélasser, même si son hôte l'y invitait. Il était un homme d'action. Et ce, l'Anglais le savait pertinemment : qu'on ne lui demande pas d'effectuer une mission où le but résidait dans le fait d'attendre... sinon là oui, il pouvait devenir fou.


"Sauvé par le gong, Maître."


Un peu d'humour ne pouvait pas faire de mal, après tout. Bon, il est vrai qu'Hevruka n'était pas l'être le plus drôle qui existait sur cette Terre, mais il savait faire des efforts. Il n'était pas spécialement gentil, bon et avenant, mais il avait un minimum d'humour... Un minimum d'humour et des avis extrêmement tranchés, selon la personnalité qui prenait le contrôle de son être. S'il était bon, il pouvait penser A et se battre contre B, jusqu'à la mort. Mais s'il était habité par l'autre personnalité, ce serait l'inverse : penser B et se battre contre A. Là était le principe de sa constellation : la dualité permanente. Les yeux verts d'Hevruka laissait transparaître un léger doute. Peu importe la venue de cet illustre inconnu. Un doute quant à sa propre condition. Était-ce trop égoïste de penser à soi, d'abord ? L'autre, il était assis désormais, alors à part tomber de sa chaise, il ne risquait pas grand chose. D'ailleurs, il ne fit pas vraiment attention à ce qu'il avait dit. Pégasus ? Pégase, chevalier ? Si en plus il parlait en hiéroglyphe, on était pas sortis. Heureusement, la puissance du cosmos permettait de se faire comprendre par n'importe qui. Mieux que Reverso, finalement.


Après tout, les deux Marinas avaient eu l'information voulue. Les Saints ont eu en leur possession le sceau de Poséidon et l'ont mis dans un endroit plus sûr. Qu'une chose à faire : rapporter cette information au Seigneur des mers. Tout en regardant Orion, laissant une main posée sur l'épaule gauche du Kraken, il s'adressa par la pensée à son camarade.


*Tu devrais rentrer et informer Endymion de tout ce qui a été dit. Précise que, contre toute attente, ton ami le Cardinal avait raison.*


Pourquoi "tu" et pas "nous" ? Parce qu'Hevruka ne comptait pas partir de sitôt. Il voulait d'abord discuter avec Orion. Il voulait revoir son temple. Il voulait parler à Altia. Et il voulait par-dessus tout revoir Athéna. Il avait tant de choses à lui dire. Tant de choses.... Et ça, il ne pouvait pas y échapper. Son retour impliquait forcément des explications avec ses anciens camarades et surtout... des excuses envers sa déesse. Des excuses de sa part ? Et pourquoi pas de la part d'Ahina elle-même ? D'un côté, elle n'avait pas lancé de recherche pour retrouver son chevalier d'or des Gémeaux, qui, avant de partir du Sanctuaire pour une "mission", était devenu plus que fou. Heureusement, aujourd'hui, il l'était moins. Il l'était toujours, mais moins. Une seconde d'inattention  suffisait pour que le pépère pète un câble et menace de buter tout le monde, même sa propre famille.


*Je vais rester ici. Il faut que je récupère davantage d'informations sur l'emplacement du Sceau... Voire que je le récupère. Je ne peux te laisser rester avec moi. Si jamais tu venais à mourir dans ces négociations... Endymion ne me le pardonnerait jamais. Je suis là pour te protéger et non l'inverse, Alfengard... En outre, j'espère que tu comprends que j'ai besoin de rester un peu ici et de revoir mes anciens... "amis".*


Il relâcha la pression sur l'épaule d'Alfy et regarda Orion, tout en lançant quelques regards furtifs en direction du nouveau venu, du petit bébé qui était désormais parmi eux. Il est des nôôôtres, il est au Sanctuaire comme les auuuuuutres !


"Maître, si vous ne pouvez nous laisser parler avec notre Grand Pope, laissez-moi y aller seul. Après tout... Altia était mon maître. Il est celui qui m'a tout appris.... Je vous en conjure..."


Il réfléchit un instant.


"Comprenez, aussi, que j'ai besoin de revoir mon temple... Laissez-moi y aller avec ce petit, qui vient de débarquer d'on ne sait où...." - il changea directement de sujet - "Mais... Qui es-tu, étranger ?"


Les habitudes... Quand Orion n'était pas là, Hevruka passait beaucoup de temps au temple du Bélier. Il était gardien du troisième temple et donc, il avait pour habitude d'être un peu le portier du Sanctuaire. S'il n'était pas le portier, il était le videur, en tout point.