En tête à tête.

Le domaine de la Calamité n’est pas très loin du Palais si on se projette ou si on se téléporte. En vérité, je n’avais jamais parcouru le territoire en marchant. C’était l’occasion de voir comment les différents lieux étaient agencés, comment le domaine de la guerre était prévu pour la guerre. En plus de la prégnance divine qui baignait les lieux, empêchant aux étrangers de les traverser en un seul bond, on pouvait voir diverses constructions prévues autant pour impressionner et montrer la grandeur d’Arès que pour se préserver de ceux qui arriveraient tout de même par ici. Je murmurais quelques mots tout en préservant Harmonie de mes réflexions dont elle n’avait probablement cure.

- Intéressant cette structure. Un goulet d’étranglement conçu comme une faiblesse pour entrainer l’adversaire à s’y risquer.

Oui, convaincre l’ennemi que le défaut est à un point précis de la forteresse, c’est une raison suffisante pour le convaincre d’attaquer précisément là… et d’y masser nos forces.

- Bel ouvrage et beau stratagème….

Et notre progression passe par les palais des excellences Deimos et Phobos, méandres de folies mélangées de peur et de terreurs, telles que je ne pourrai jamais en supporter. La peur marche à mes côtés, c’est un fait mais il n’a jamais été dit que je pouvais la supporter. J’ai bien sur des prédispositions pour m’en accommoder mais les peurs insufflées par des dieux ne peuvent être surmontées. Tout leur domaine tend à prouver qu’ici l’espoir n’existe pas pour celui ose fouler cette terre en conquérant.

Et pourtant, nous avons bien subit une guerre Sainte il y a peu, c’était avant que je n’arrive. Mon regard se porte vers Harmonie alors que des pensées toutes autres et non dédiées à la contemplation des lieux émergent en moi.

- Il faudra bien que justice soit faite, que l’affront soit lavé…

J’avais murmuré de la même manière… et c’était là les derniers mots que j’allais prononcer jusqu’à ce que les frondaisons du palais d’Arès ne puissent être en vue.

Lorsque mes pas commencent à résonner dans les couloirs, je m’arrange pour trouver aussi vite que possible un serviteur. En quelques instants mon regard se porte sur l’un deux que je pointe du doigt l’invitant à me rejoindre.

- Les appartements de sa majesté.

Ces quelques mots sont secs mais murmurés. J’attends qu’on me guide sans qu’il soit de mon ressort de me tromper. En même temps, trouver les appartements de sa Majesté Harmonie n’est pas difficile ici. Juste que je n’ai pas le temps d’en perdre.

Lorsque je rentre dans sa chambre, j’avance sans cérémonie vers son lit pour la déposer. Je ne sais si elle est endormie mais il semblerait qu’elle se soit assoupie ; oui, la nuance est importante. Assoupie, elle peut être encore consciente de ce que je fais sans vraiment émerger, entre deux eaux, à la limite des mondes du rêve.

La petite déesse sommeillait. Ni vraiment endormie, ni vraiment éveillée, son esprit errait dans quelques songes propres aux Dieux, bien loin du monde des mortels.

La divine fillette en avait physiquement et psychiquement besoin. Surtout au vue des tâches qui lui restaient à accomplir. Car aussi futile et fantasque que soit son comportement, ses caprices cachaient toujours un réel intérêt pour Sparte et ses habitants, mais surtout un amour inconditionnel pour ses frères et son père. Leurs défaites lui étaient inenvisageables. Leurs ascensions lui paraissaient une évidence. Elle voulait en faire partie. Les aider dans leurs glorieux objectifs.

Malheureusement, les derniers événements l’avaient pour ainsi dire épuisée et sa réincarnation récente dans le corps d’une petite fille ralentissait sa complète recouvrance. Il faut dire que l’attaque à la porte avait été inattendue. Elle présageait de sombres jours et surtout inquiétait l’enfant sur ses conséquences. La demiurge ne connaissait que trop le poids des malédictions pour ne pas craindre les effets secondaires insoupçonnés du feu qui l’avait meurtri. Mais où trouver ses réponses ? Où chercher ?

Pour le moment, la fille d’Aphrodite n’avait pas la totalité des clés de ce problème qui semblait toucher l’ensemble des camps. Et cela la tourmentait jusque dans son repos. Ses petits sourcils se fronçaient par à-coups et ses poings se fermaient.

Pourtant, ce fut une demoiselle toute pimpante qui se réveilla dans son lit. Harmonie s’étira comme une chatte, en baillant largement, puis se leva. Ses petits pieds nus rentrèrent en contact avec le sol de marbre. Cela la fit frissonner. Mais peu importe. Elle sautilla jusqu’à sa coiffeuse avant de s’y installer. Calmement, l’enfant se mit à brosser ses longs cheveux afin d’y remettre un peu d’ordre.

Se faisant, elle jeta un regard à son reflet et à celui d’Alia qui l’avait à sa demande ramenée dans la demeure d’Arès. On y lisait de la détermination. L’enfant savait ce qu’elle devait faire.

Le visage grave, la divinité de l’équilibre s’adressa à la guerrière, tout en continuant à l’observer dans le miroir :
« Berserker de la peur, cela fait quelques temps que tu es dans les rangs de l’armée de l’unique. Tu as connu des batailles, ressenti dans tes veines l’ardeur des combats, gouté à la suavité des victoires et l’amertume des défaites. Tu as aussi vu la disparition étrange de Deimos mais également la puissance de Phobos. Je te pense donc apte pour posséder une analyse claire sur les forces et les faiblesses de nos troupes. »

La fillette aux cheveux roses se retourna vers l’humaine pour lui faire face :
« Quels sont donc tes conclusions ? »

Nonchalamment, elle continuait à brosser ses belles boucles.

Sa majesté venait de se réveiller. En fait, je n’ai même pas compté le temps. J’en ai eu assez pour aller en cuisine récupérer une coupe de fruits mais aussi quelques bonbons, tel que son majordome lui avait amené dans la demeure de la Calamité après son bain de lait. Ce n’était pas pour lui demander de manger, c’était pour qu’elle puisse le voir à son réveil et qu’elle se sente bien. J’avais également veillé à ce qu’un serviteur vienne nous prévenir si d’aventure une des divinités arrivait dans le palais.

J’étais restée silencieuse aux propos de sa majesté, debout, immobile, juste visible dans le miroir de la coiffeuse pendant qu’elle me témoignait toute l’attention qu’il lui faudrait : en ces termes, c’est un topo de ce que je sais et que je connais du royaume de sa majesté Arès qu’elle souhaite. Et ses souhaits sont ses ordres. D’autant qu’après lui avoir montré que dans le pire des cas elle pourrait me convertir en nounou de luxe, je souhaitais lui prouver que j’étais des plus habiles à voir et comprendre les rouages des militaires et de la politique. Quoi ? bien sûr qu’ils sont liés !

- Altesse, si mon analyse peut vous aider à mieux cerner les choses.

Je m’étais décalée un peu, je voulais qu’elle puisse me regarder dans les yeux sans avoir à plisser le regard ou encore à bouger la tête. J’étais attentive à ce qu’elle faisait de telle sorte que le moindre besoin qu’elle aurait eu aurait été perçu et anticipé par mes soins, dans une certaine mesure. Il me fallait structurer en un éclair ce que j’avais à dire et me lancer. Ouverture classique, une citation. 

- Mon père disait que pour déclencher une guerre, il faut lui donner des héros à admirer, des méchants à détester, et faire en sorte que les premiers soient les victimes de ces seconds. Malheureusement, nos troupes manquent des deux, en fait ; et des méchants à détester, nous en avons trop je pense. Si nous devions trouver un prétexte pour mener une campagne, avoir un incident pour pousser nos troupes à avancer dans un but commun, les motivations manqueraient ou seraient trop nombreuses. En vérité, La guerre n'a jamais été dédiée à l’apprentissage du courage et de la virilité. Ce sont des choses que l’on doit acquérir avant. Hélas, nombreux sont ceux qui croient qu’on peut apprendre beaucoup à la guerre… Et si alors les hommes ne se battent que pour le plaisir, il vient à manquer l’essentiel : La Foi.

Je marque une pause. Cette tirade n’était qu’une ouverture, un préambule. Je compte bien aborder le sujet qu’elle vient de me demander. Pas plus tard que tout de suite d’ailleurs.

- Si on me demandait de choisir un commandant autre que vos majestés, ce serait Alectryon, sans hésiter. Il dispose de capacités de discernement capables de faire la différence dans toute situation de crise. Ce n’est nécessairement pas un Héros, pas encore. Mais il en a déjà l’étoffe, Altesse. Car pour porter la bannière d’Arès, il faut quelqu’un aux épaules solides, au jugement implacable, quelqu’un qui ne soit pas divin et vers qui les regards se tournent, en qui on peut croire et s’identifier.

Les raisons de mon entrée particulière avaient trouvé une explication dans mon envolée suivante. Une armée ne se risquerait pas avec n’importe quel général, c’est un fait. Il était important que je précise que ce Cardinal avait tout pour figurer parmi les plus illustres que je choisirais dans mon giron si j’avais à le faire en tant que conquérante.

- Nous avons également des éléments prometteurs, Altesse. Pour les avoir combattus, pour m’être entrainée contre eux, Katharina et son tempérament de feu mais également Tanith et sa mystérieuse aura, capable de le faire disparaitre si j’ai bien vu… Ils seront de précieux combattants. Toutefois, la première est parfois encline à la sauvagerie et à la rébellion et peut-être qu’un rôle de… probatrice serait idéal pour la canaliser. Puisqu'elle a du mal avec les lois... autant lui en donner la charge... Pour aller plus loin encore, je dirai que la froideur du Cardinal des Calamités n’a d’égal que sa rage ; vous avez vu l’état dans lequel il est revenu des portes ?

La probatrice:

J’avais eu un sourire.

- Soit sa soif de combat n’est pas éteinte, soit le visiteur l’a poussé à l’extrême limite… C’est un gardien des portes qui n’a pas son pareil pour les garder fermés… il semblerait.

Un sourire qui se confirmait effectivement car ce Cardinal me faisait vraiment froid dans le dos.

- Pour clore ce que je peux penser de nos forces, de nos avantages, je dirai que notre dévotion ne connait pour l’instant pas de limite réelle. La dernière guerre sainte dont nous avons fait les frais a resserré les liens fraternels qui nous unissent. Car après tout nous sommes les artisans de la guerre et nous avons tout intérêt à la faire mieux que les autres. Je n'ai pas la prétention d'avoir connu les autres individus qui composent l'armée de notre souverain.

Je redressais le visage, inspirant un grand coup. Car si là il s’agissait bien des forces que j’avais pu voir en nos rangs, il faut bien avouer que d’autres éléments étaient à aborder, moins heureux, plus… facheux. Et je n’avais aucune raison de cacher ma pensée à sa Majesté Harmonie. J’avais mes ordres.

- Mais… la guerre est quelque chose de trop sérieux pour la confier à des militaires, Altesse. Pour preuve, la campagne d’Ithaque est née de l’imagination d’un guerrier, avec sa volonté de vaincre, de projeter à raison l’image d’Arès au-dessus de tout. C’était une très bonne raison. Cependant, nous sommes à présent en très mauvais termes avec les Titans. Altesse, c’est un fait, nous ne pouvons craindre personne mais il me semble que notre politique devrait s’envelopper de quelques précautions élémentaires. C'est une erreur fatale d'entrer en guerre sans la volonté de gagner, avec des soldats uniquement mus par la volonté de plaire à leur chef.

C’était une première étape à aborder. J’avais bien autre chose à dire mais le temps de formuler les choses, d’autres détails me passèrent par l’esprit.

- Pour aller plus loin encore, il me semble que nos troupes font acte de manière assez globale d’un empressement excessif, d’une rage parfois inconsidérée qui les emporte vers une mort rapide. La tactique n’est-elle pas l’art de la guerre justement ? Que cette rage existe au cœur de la mêlée est une chose mais il semblerait que même en temps normal, certains ne puissent pas arriver à retenir leurs coups… Ils frappent avant, parlent ensuite. J’ai pu voyager dans quelques territoires et si j’ai pu constater une tendance générale c’est que les royaumes adverses nous associent à de grosses brutes, pas à des maîtres de guerre. Et je passe toujours pour une originale qui doit se défendre d’être différente.

Bon, parler de moi un peu, ça ne fait pas de mal. Cependant, j’espère ne pas trop en faire… à force, elle va penser que tous sont des bras cassés… 

- l’entêtement et l’insubordination ne sont jamais bon dans les rangs de quelque armée que ce soit… La décoration murale portant le nom de Tenma accrochée dans le palais de Phobos témoigne qu’une fois les bornes passées, on perd un élément. Peut-on dire que la virulence du Cardinal à l’égard de l’Asgardien nous a privé d’éléments importants ? Je l’ignore mais finement mené, le guerrier du nord aurait sans doute plus parlé. Tout ce que je veux dire, Altesse c’est qu’il est sans doute utile parfois de redresser les tords aux plus obtus, et il est vrai que mon père n’a jamais regretté de me donner une trempe pour me faire marcher droit, mais le plus important à mon sens c'est de retenir la leçon, comprendre qu'en faisant autrement, on peut avoir d'autres résultats.

J’avais presque terminé… il me fallait conclure… 

- Il y a de l’ordre à donner dans tout cela… notre image doit être soignée ; Nous devons inspirer la crainte de l’inconnu, pas la crainte de repartir de nos affrontement avec des… vêtements sales. Et il faut canaliser les soldats qui seraient bien meilleurs avec des responsabilités adaptés.

Je baissais ma tête, inclinant de ce fait ce qu’il me restait de toupet pour avoir parlé ainsi, même si j'avais parlé en toute franchise.

- je ne suis qu’une guerrière, Majesté, je parle ainsi que vous me le demandez, mon avis sans cacher quoi que ce soit. 

 

La déesse laissa la berserker dévider le fil de ses pensées, l’écoutant en silence.

Et ce qu’on pouvait constater, c’est que la jeune femme avait déjà une analyse très poussée et structurée de la situation. Certes, elle n’était pas tendre. Alia parlait sans langue de bois tout en gardant la déférence nécessaire, dévoilant point par point ses arguments agrémentés d’exemples.

Certaines de ses remarques remettaient même en cause, à mots couverts, la gestion qui avait été faite des forces armée d’Arès. D’autres auraient pu s’en offusquer. Comment une simple soldate pouvait elle discuter les ordres de ses supérieurs ? Mais, ce n’était pas dans la nature de la fille d’Aphrodite ; ou du moins pas dans son humeur du moment.

Au contraire, la déité avait, pour l’instant, besoin d’un regard neuf et d’un aperçu objectif de la situation. L’évaluation des forces, la connaissance des qualités et des faiblesses d’une armée nécessitaient des capacités d’analyses très fines.
Comme Harmonie, l’avait deviné, cette mortelle n’était pas un simple trouffion sans cervelle et ça, ça lui plaisait. Avec ce type de personne, on pouvait avoir un dialogue construit, même si la jeunesse et la fougue de la militaire l’empêchait de voir certains points qui semblait essentiels à la divinité de l’équilibre.

C’est pourquoi, lorsque la guerrière eut fini son exposé, la demiurge posa sa brosse et sourit aimablement à sa compagne avant de préciser :

« Tu parles des héros à admirer et des méchants à détester nécessaires dans une armée. C’est une dichotomie qui m’amuse. Sur un champ de bataille, il n’y a ni l’un ni l’autre. Seuls le temps et surtout, le gagnant désignera qui est le gentils ou le vilains de l’histoire. Car ce sont les survivants qui réécrivent le fils des événements, mettant en avant leurs motivations et leurs bonnes intentions. Qu’elles soient réelles ou non. Or, ce qui nous manque c’est justement ce dessein qui ferait marcher notre armée dans un esprit de corps… »

Harmonie laissa ses mots en suspens quelques secondes, puis elle se leva pour aller rejoindre la table où se trouvait une corbeille de fruit :
« Je sais que pour certains des mortels qui se trouvent dans nos rangs, la victoire de l’unique et son contrôle absolu de cet univers semble quelque chose de lointains. Peut-être même utopique. Pas assez concret pour leur donner la force d’âme qui leur permettrait d’exploiter leurs potentiels au maximum. Leurs esprits simples ont besoin d’objectif à court terme. Qu’on leur désigne quelque chose de tangible, de palpable qui leur serve d’exutoire. Il faut qu’ils aient l’impression d’avancer.  »

L’enfant divin aux boucles roses se saisit d’une pomme qu’elle fit doucement tourner entre ses doigts :
«  Ce but commun éloignerait notre pire ennemi. Sais-tu de qui il s’agit, Alia ? Ce n’est ni des forces étrangères, ni le carillonneur, ni même les titans. »

Harmonie lui montra le fruit qui avait engendrait la guerre de Troie :
«  La discorde. »

La fillette croqua dans le symbole d’Eris avant d’ajouter :
« En bref, nous même… Et j’ai pu ressentir que cet animosité existait dans nos rang. Qu’elle les gangrenait, semant le doute et le trouble, divisant nos forces. Je ne veux pas de ça Alia. Alectryon, ferait peut être un meneur d’homme correct, pour ce que j’en conclu du portrait que tu me fais de lui, mais il ne pourrait arrêter ce cancer. Katharina est certes un bon élément, mais dangereuse pour notre unité, car son cœur est empli de convoitise et de jalousie malgré ses talents de guerrière évident. Je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer ce dénommé Tanith, je réserve donc mon jugement. Zyss est fort, j'aime son fanatisme et sa dévotion, mais c’est aussi un chien fou qu’il faut canaliser en lui donnant sans cesse une proie à dépecer sans quoi il deviendra hors contrôle, tout comme Ayol. »

Les yeux rosés d’harmonie se planta dans ceux de la mortelle :
« En bref, je ne pense pas que la dernière guerre sainte dont nous avons fait les frais ait resserré les liens fraternels qui vous unissaient. Tout simplement parce qu’il n’y a rien pour les cimenter et vous servir de facteur de cohésion. Mis à part bien sur la dévotion que vous avez pour mes frères et mon père. Je te rejoins donc sur le fait que c'est une erreur fatale que d'entrer en guerre sans la volonté de gagner, avec des soldats uniquement mus par la volonté de plaire à leur chef. Car malheureusement cet état d’esprit risque d’être handicapant face aux défis que j’entrevois dans le future. »

Elle sourit à la jeune femme :
« Dis moi, berserker de la peur, que ferais tu pour changer cet état de fait ? Quel serait ta tactique, ton approche du terrain?  »

Avant de de nouveau croquer dans le fruit.

J’écoute sa majesté Harmonie. Après ma longue tirade, après avoir parlé et répondu à ses attentes avec parfois une audace étrange, c’était à moi de me taire. Je restais ainsi silencieuse que nécessaire, attentive à ma moindre de ses paroles. Là, dans le miroir dans lequel elle peut me voir, je hoche la tête à certaines de ces affirmations. Elle reprend point par point mon analyse, elle tente d’y voir plus clair et j’espère avoir été aussi précise que possible. Enfin, alors qu’elle parle de la cohésion qui devrait être notre, c’est après une stratégie qu’elle compte me faire prendre la parole. J’ai écouté et si j’en crois ce qu’elle vient de dire, son attitude est d’ors et déjà orienté sur la compréhension. Il ne s’agit pas de ce que tu souhaiterais Alia mais bien de ce que sa Majesté Harmonie pourrait faire. Suis-je assez perspicace pour aller dans son sens et accorder mes violons à ce qu’elle serait sensée faire ?
Mais avant, il y a quelque chose à dire.

- La discorde, Altesse, la discorde ne peut être altérée et détruite que par une seule chose : la discipline. J’ignore d’où viennent les guerriers qui sont ici à Sparte mais avouez que la rébellion de ce Tenma fut inacceptable. Si je devais mener une action, ce serait à l’encontre de ceux qui nous envoient des guerriers aussi vifs et désordonnés dans leur… tête. Les responsables des camps d’entrainement sont coupables dans un sens… mais passons car certaines armures choisissent leur porteur. En fait, il ne suffit pas de frapper le mal mais de détruire aussi sa cause pour avoir plus de résultats. Et cette discipline, de quelque forme qu’elle puisse être me parait primordiale sur le reste.

J’avais eu quelques mots à propos de cette discorde latente que l’on pouvait sentir dans nos rangs. Sa majesté Harmonie n’avait pas tort. J’avais été la témoin de certaines situations parmi les plus étranges, Ithaque, pour ne parler que de celle-là encore… Et il était des plus ambitieux de vouloir trouver une solution à ce problème. Rien d’impossible au royaume de la Guerre. Mais pour l’heure il était important de mener mon avis construit sur les actions à mener…  

- Nos troupes nécessitent ordre et résolutions. S’il s’agit de tactique, de s’occuper de chaque guerrier, alors il faut les mener individuellement. Chacun dispose de différences, d’affinités, de qualités et de défauts. Il est sans doute primordial que chacun se trouve là où il doit être. Chaque engrenage… Et un crédo qui donne une réputation qui nous change de celle que nous avons à l’heure actuelle… Notre impact ne doit pas être limité à nos poings. Il doit être également psychologique.

Mon regard avait dévié quelque peu du miroir qui était là depuis bien longtemps pour se perdre au travers de la fenêtre de la pièce. Dehors s’étendait le royaume d’Arès, assez loin pour que je ne puisse pas en voir les portes.  

- Mmh… Il m’est indispensable de vous informer avant de continuer que Sa Majesté Arès, votre père, ainsi que son Excellence Phobos ont toujours nourri une interdiction formelle de nouer et lier quelque alliance tactique ou stratégique que ce soit… avec quiconque.

Pas d’alliance, les maitres sont formels.

- Cependant, pour nourrir certains projets, il est indispensable de pouvoir les réaliser sans que qui que ce soit ne soit là pour interférer. Non pas qu’il faille parler des plans secrets mais détourner l’attention, avoir un geste pour occuper, ce sont des attitudes qui peuvent faire toute la différence en cas d’une action de grande envergure. Vous ai-je raconté que des Spectes étaient arrivées à Ithaque et avaient eu leur rôle à jouer dans notre échec ? Si cette venue avait été empêchée d’une manière ou d’une autre…

Je parlais encore d’Ithaque, c’était fou de voir à quel point avoir été témoin de ce fiasco avait pu me forger encore quelque chose de puissant.

- L’histoire l’a prouvé : certains royaumes ne louent aucune alliance mais… achètent leur tranquillité. Et puis… la stratégie c’est continuer à tirer pour faire croire à l'ennemi qu'on a encore des flèches… mais c’est également savoir qui a réellement des flèches en cachant le fait que l’on pourrait encore lancer des pierres…

De nouveau la déesse laissa parler l'humaine, l'écoutant avec patience tout en dégustant sa pomme. Elle ne tilta qu'au moment où la berserker embraya sur la question des alliances.

Ses petits sourcils se froncèrent tandis que sa compagne lui expliquait :

« - Mmh… Il m’est indispensable de vous informer avant de continuer que Sa Majesté Arès, votre père, ainsi que son Excellence Phobos ont toujours nourri une interdiction formelle de nouer et lier quelque alliance tactique ou stratégique que ce soit… avec quiconque. Cependant, pour nourrir certains projets, il est indispensable de pouvoir les réaliser sans que qui que ce soit ne soit là pour interférer. Non pas qu’il faille parler des plans secrets mais détourner l’attention, avoir un geste pour occuper, ce sont des attitudes qui peuvent faire toute la différence en cas d’une action de grande envergure. Vous ai-je raconté que des Spectes étaient arrivées à Ithaque et avaient eu leur rôle à jouer dans notre échec ? Si cette venue avait été empêchée d’une manière ou d’une autre… L’histoire l’a prouvé : certains royaumes ne louent aucune alliance mais… achètent leur tranquillité. Et puis… la stratégie c’est continuer à tirer pour faire croire à l'ennemi qu'on a encore des flèches… mais c’est également savoir qui a réellement des flèches en cachant le fait que l’on pourrait encore lancer des pierres… »


Harmonie resta silencieuse. Rien ne transparaissait sur le fond de ses pensées. On n'entendait plus dans la pièce que ses dents qui croquaient dans le fruit et ses mâchonnements. Finalement, quand elle eut finit de manger, l'enfant posa le trognon de pomme sur la table en marbre et s'approcha de sa démarche dansante d'Alia.

Les mains derrières le dos, elle lui demanda, la regardant droit dans les yeux :

«  Suggérerais-tu donc la voie de la diplomatie ? Quelle étrange idée...  mais elle m'amuse. D'autant que c'est tellement... copmment dire... inattendu... personne ne pourrait prévoir que Sparte joue à ce jeu subtile. Il me semble pourtant qu'il s'agisse d'un champs de bataille comme un autre ; Avec ses armes, son code d'honneur, ses conquérants et ses victoires. »

La demiurge fit pourtant la moue :

«  Mais... je comprends aussi la position de mon père et de mon frère. Faire le jeu des alliances , montrer ouvertement que nous cherchons des alliés, serait un aveux de faiblesse de notre part. Nous ne pouvons nous le permettre. Sparte doit paraitre forte quoi qu'il arrive et inspirer la crainte sans qu'une faille n'apparaisse dans son armure. »

La divinité de l'équilibre se mit à jouer avec une de ses longues mèches roses :

« Comment concilier ces deux impondérables ? Et surtout... qui parmi notre camps pourrait être chargé de ces délicates négociations ? Car s'il faut un humain pour parler aux humains, il est nécessaire que cet individu soit doté de talent d'orateur hors du commun pour pouvoir convaincre les hommes comme les Dieux. »

Harmonie sourit à Alia :

« En bref, nous cherchons quelqu'un qui peut égorger son voisin sans que celui-ci le remarque. »

L'enfant soupira, l'air faussement déçue :

« Malheureusement, la subtilité n'est pas une qualité courante chez les serviteurs de l'unique. »

Elle ajouta, un regard empli de sous-entendu pour son interlocutrice :

«  Tu ne verrais pas qui pourrait faire l'affaire... Alia ? »

C’était à présent un échange qui avait pu continuer entre sa Majesté et moi. Mais je tenais à clarifier quelque chose.

- Altesse, je ne parlais pas de diplomatie mais d’une tactique nous permettant d’en savoir plus sur l’autre en dévoilant le moins possible sur notre manœuvre, quelque chose qui nous permette de déplacer nos pions sans attirer l’attention. Faire un écran de fumée, Altesse, présenter l’arbre qui cachera la forêt.

Je ne voulais pas que la confusion règne sur ce que j’avais dit. Non, ce serait catastrophique d’imaginer que des négociations d’alliances aient été annoncées par mes mots ici même. Jamais je n’irai à l’encontre de la volonté de l’unique ni avancer sa fille sur un terrain où nous n’avons pas la place. Et cette idée de prendre des renseignements, d’avoir une trace de ce que le monde faisait autour de nous eut sa place dans notre débat.

Sa majesté en vint inévitablement à demander qui pourrait parmi nous tous se charger de pareille mission. Ce n’était pas très difficile de le savoir. J’avais parlé de tous, j’avais peu parlé de moi, dans les détails je veux dire. Si ça se trouve, elle savait très bien à qui poser cette question, elle savait quelle était déjà sa réponse. Elle n’avait pas donné son avis sur moi en répondant à mon analyse des forces en présence. J’étais pourtant fière, certaine de mes mots, de mes actes, directe et aux ordres. Pourquoi hésiter à lui dire dans ce cas ?

- Majesté, ce monde est dirigé par des hommes… et une femme aura toujours plus de poids dans  l’exercice suggéré que n’importe quel démagogue… J’ai pu, moi aussi, voir à quel point le cœur des hommes est aisément corruptible. Il ne suffit parfois que d’un regard ou d’un sourire pour orienter une demande, une réponse, une solution. Nombreux sont les sous-entendus qui montrent le caractère reptilien et antique de certains représentants de la gente masculine.

J’avais eu un sourire. Etrange lorsqu’on sait que ce sont ce genre même d’individus qui causèrent ma perte et ma fin pour que je puisse mieux renaitre.

- Si vous cherchez celle qui portera la lame, celle qui frappera sans rien dire une fois que son masque sera tombé… celle qui sera au-delà de tous les appuis que vous pourriez avoir pour connaitre le monde, un pont entre votre condition divine et les manants qui pourraient vous souiller rien qu’en posant leur regard sur vous… il se pourrait bien que ce puisse être moi…. Secrète, discrète, acérée et sans pitié, Altesse. Mais suis-je seulement digne de votre confiance dans ce genre de mission, vous seule pouvez en décider.

J’avais posé un genou à terre. Le calme impassible dont je faisais preuve était synonyme de ma détermination. Qui d’autre que moi ? Quelle personne avec autant de fierté aurait pu répondre de la sorte ? Personne. Peut-être que c’était là ce qui plaisait à sa majesté Harmonie, cette façon singulière d’imaginer que j’étais la meilleure dans certains exercices et de ne jamais avoir à douter de cet état. Car je n’étais pas ainsi pour plaire à mes supérieurs mais pour montrer la conquérante que j’étais.

La divine filette observait gravement la guerriére agenouillée devant elle. Son regard, d'une sagesse hors du temps, jugeait cette mortelle et son allégeance.

Serait elle digne de la charge que l'enfant d'Arès voulait lui confier ? Peut être. Il y avait chez cette soldate une force de caractére et une puissance qui ne demandait qu'à être dévellopée. Harmonie se sentait comme face à un rubis. Une pierre brute encore terne, à peine sortie de sa gance de boue. Elle paraissait prometteuse. Cependant, ce n'est qu'une fois taillée avec minutie qu'on laissera apparaître son éclat... ou ses imperfections.

Le jeu en valait il la chandelle ? Oui. Indéniablement. Et la roumaine avait raison sur un point tout particulier : trop souvent  les femmes arrivaient à de meilleurs fins que les hommes en utilisant des chemins détournés. Alors autant laisser à la servante de la peur sa chance d'exprimer son plein potenciel.

La déesse aux belles boucles roses posa  sa délicate main sur la tête de sa vassale comme un geste de bénédiction ou d'adoubement.

Leur deux formes restérent figées quelques instants dans l'éclat du jour.

L'instant solennel, presque intemporel devint un moment de grace pur.


Puis, d'une voix claire, la déesse rompit le silence.

Elle invita Alia à la suivre jusqu'à l'immense balcon de la chambre.
De ce point surélevé , on surplombait la plaine. Le regard pouvait aller jusqu'aux  portes de la guerres. Il embrassait ainsi les divers domaines, serpentait du champs de mars vers l'antre de la terreur avant de s'arrêter aux impresionnantes fortifications du temple d'Arès.

Harmonie laissa le temps à la berserker d'observer la vue à couper le souffle.

Doucement la sœur de Phobos déclara :

« - Regarde Alia, toute cette immensité baignée de lumière est notre royaume . »


Elle laissa un petit temps avant de préciser :

« - Tous ce qui est dans la lumière  mais l'endroit qui est dans l'ombre aussi... c'est la fosse des calamités. »

Il y eut un petit flottement. Un corbeau passa au dessus des deux observatrices poussant un cri puissant. ( )

Harmonie laissa échapper un soupir. Pour le coups , la divinité pressentait qu'elle avait loupé son petit effet. Qu'importe, elle continua :

« Enfin bref... ou en étais je ? Ah oui... Si nous voulons protéger ce royaume, la vigilance est de mise. Toute négligence de notre part pourrait être préjudiciable. Tu rejettes le mot diplomatie, comme s'il s'agissait pour toi d'un gros mots. Ce n'est pas le cas. La diplomatie n'est pas l'arme des faibles ou des couards. Toi qui aime les proverbes devrait le savoir. Diplomatie n'a jamais rimé avec paix ou avec pacifismes... loin de là.»


L'enfant sourit, chantonnant:

« Les diplomates sont là pour commencer les guerres comme les soldats pour les finir. »

La demiurge observa le lointain :

« Ce que j'attends de celui qui sera choisi, c'est qu'il soit doté d'assez  d'habileté, d'adresse, de souplesse et de prudence pour conduire à bien des affaires difficiles afin de libérer le temps et l'esprit d'Arès, de Phobos et de Deimos... quand il reviendra. La gestion de nos troupes en est une. La représentation du nom de Sparte auprès des autres camps, une autre. »

L'enfant détourna ses yeux du paysage pour les diriger vers la berserker de la peur :

« Voudrais tu devenir la voix de tes Dieux en ces délicates matières ? Accepterais tu de quitter ton armure pour une autre plus lourde à porter ? »

Moment intemporel ou je ne sais quoi, le surnaturel était mon quotidien. Aurais-je pu penser manger aux côtés des puissants de ce monde et de leurs illustres serviteurs ? Jamais. Mon lot en tant que mortelle n’était pas de reluire au-dessus des autres. Tout ceci a changé. Chaque engrenage, chaque décision m’a amené à cette situation des plus étranges, enivrante et mystérieuse. Il est vrai qu’au départ j’ai refusé d’avancer, préférant mourir que de ne pas comprendre. Et puis tout a changé en si peu de temps. Autant de pensées qui traversent mon esprit et que je n’arrive pas à ordonner aussi convenablement que je le voudrais. Car là, un genou à terre, la main d’Harmonie posée sur ma tête, je réalise à peine… Cette fierté pourrait être mon atout mais aussi ma chute. Et ce qui est dit devra être prouvé.

Lorsqu’elle se lève et m’invite à la suivre, je m’exécute sans un mot. Ici, les grands ont marché, les suivants ont brillé dans la lumière de leurs maîtres. Et il n’y a aucune raison pour que je ne fasse pas la même chose…

Car sur ce balcon, là, observant ce que sa Majesté me montre, je vois depuis si haut mon élévation parmi les mortels que je pourrai en avoir le tournis. Combien de choses encore vont se révéler à moi ? Car même si je sais ce que je dois faire, il reste quelque pas un profond émerveillement pour tout ce dont je suis le témoin privilégié. Je ne suis plus l’innocente que j’étais mais mon regard n’a rien perdu de sa faculté à être émerveillé. Car si tout ce qui est devant nous appartient à Arès, il ne tient qu’à nous de faire en sorte qu’il s’agrandisse pour la gloire de l’Unique.

- Le temps que passe un roi à gouverner ressemble à la course du soleil…

J’avais répondu à l’évocation du territoire d’ombre et de lumière et j’avais eu cette maxime étrange avant de reprendre sans trop m’interrompre….

- Sauf que notre souverain pourrait lui dicter sa course…

Un sourire de félicité venait de me parcourir le visage. Ils n’étaient pas des mortels mais des dieux. Des dieux tous puissants et invaincus. Invictus pourrait-on dire.

J’avais peut-être été trop vive avec le mot diplomatie mais sa Majesté eu tôt fait d’éclaircir mes lacunes tactiques, les dernières qui me restaient encore, preuve que les puissantes divinités que je servais étaient absolues. Car il s’agissait bien d’ourdir, de comploter, de voir, d’entendre et de comprendre : être éveillé et aux aguets. D’autres auraient dit ‘’Aware’’ en d’autres temps. Et puis vient alors le coup de tonnerre. Car je ne pense pas une seule seconde entendre ce que j’entends. Car lorsqu’elle me demande qui pourrait œuvrer de la sorte, je ne pense qu’a un aide de camp, un maréchal du foyer ou quelque chose du genre… Et pas du tout ce que je viens d’entendre de sa propre voix.

L’espace d’un instant mes jambes semblent défaillir. Ne pas bouger, ne pas penser, contrôle-toi triple buse ! J’avance d’un pas et mes mains se portent tout de suite sur la balustrade… mon regard se perd une fois encore aussi loin qu’il le peut, là, dans le royaume mais je ne remarque pas que mon souffle s’est fait plus irrégulier, que mes yeux se sont fermés. Je pèse les mots qui ont été prononcés. Il faudra que je sois parfaite, que mon esprit et ma volonté soient au-delà de toute mesure mortelle… Mais plus important que tout, il me faut savoir.

- Vos propositions sont comme vos offres, Altesse, et ne pourraient recevoir de refus. Je n’ai pas d’autre armure que ma foi et ma dévotion, ma ferveur. Mais... suis-je seulement digne de votre confiance ? Le suis-je seulement.... 

Mes mains tremblaient devant tant d’incertitudes. Sa Majesté Harmonie avait trouvé là un moyen de m’emporter dans le doute. Il ne s’agissait pas d'une babiole, il s’agissait de porter une fonction au-delà de tout ce que j’aurai pu penser… Au-delà même de cette perfection que je désirais tant toucher…

Doucement, Harmonie répondit à la question, somme toute légitime, de la mortelle :
« Je devine que si tu émets à voix haute des doutes sur tes capacités à devenir le porte-parole de tes Dieux, ce n’est pas par fausse modestie mais parce que tous ce qui découle de ce titre te fais peur. C’est bien.  Malheureusement, beaucoup trop d’êtres ont voulu cette place, l’ont désiré, seulement par ambitions. Ils ne sont pas doutés un seul instant que ce fardeau les écraserait.»


Tranquillement, la fille d’Aphrodite continua :
«  Oui,  Le rôle que je te propose n’est pas simple. Il s’agira de devenir une des clés de voute de notre armée. Un chef, un leader,… Tu devras faire face aux crises, à la jalousie et à l’adversité. Trop souvent seule… ce sont des années de solitudes qui t’attendent. Mais quelle gloire sera la tienne si tu réussis dans ta tâche ! Une renommée sans commune mesure avec celle des autres mortels.

Un sourire flotta sur les lèvres pâles de la demiurge. Sur te ton de la confidence, elle précisa :
« Tu dois te demander, pourquoi moi ? Qu’ai-je fait pour mériter un tel honneur ?  Pourquoi moi, plutôt qu’un autre guerrier ? Un plus fort, un plus compétent, un plus expérimenté… que sais-je encore… Tu sais Alia… je vais te dire un petit secret… j’en ai connu des chefs militaires. Je les ai côtoyés à travers les temps, observait. Ils ont tous un point en commun : aucun n’était fait pour devenir un foudre de guerre. En fait, la vérité, c’est qu’on obtient le titre de chef par un concours de circonstances. Que ça soit la volonté des Dieux, le hasard, le destin… mais ça ne fait pas tout. Ce n’est même que le début du travail. Tous les jours, ils ont tous dû travailler pour être digne de leur renommée. Pour être au niveau. Pour tenir la distance.»

L’enfant divin tourna son regard rosé vers celui de la guerrière. Une lueur étrange y dansait.
« Es-tu digne de ma confiance ? Pour l’heure, tandis que je t’observe, je te répondrai… peut-être… je n’en sais strictement rien.  Car, toi seule pourras le prouver au monde. »

Un petit temps, comme un souffle passa avant qu’elle ajoute :
« Et à toi-même… »

La petite mit ses mains derrière son dos et pencha légèrement sa tête sur le côté :
« Alors Alia, voudrais tu devenir prêtresse d’Arès ? »

Après la longue tirade fort solennelle d’Alia, presque un serment d'allégeance, la déesse de l’équilibre eut un large sourire satisfait :
« Parfait ! »

Puis, sans plus d’explication, L’enfant aux belles boucles roses se détourna de la jeune femme agenouillée et trottina vers la porte de sa chambre qu’elle ouvrit. Hélant une servante dans le couloir, la divinité lui donna quelques ordres à voix basse puis se dirigea vers son bureau en dansant d'un pied sur l'autre.

Mais tout d'un coups, elle s'arrêta comme si elle se souvenait de quelque chose. Se tournant vers la guerrière , toujours agenouillée , elle se frotta joyeusement les mains avant de lui gazouiller :

« Relève-toi. Nous avons du travail. Beaucoup de travail… une montagne de travail.»

La fille d’Aphrodite ajouta, plissant son délicat petit nez :

« Mais D’abord... tu vas aller prendre un bain. Je refuse que la porte-parole de mon père sente le bouquetin. »

La demoiselle s’installa dans son fauteuil, bien trop grand pour son corps de 8 ans. On voyait à peine ses yeux qui dépassaient de la table. Pourtant, en les croisant la future prêtresse pu constater qu’ils pétillaient de malice, bien loin de la sagesse qu’ils inspiraient il y a quelques instant à peine.

Harmonie  semblait, pour ainsi dire, être devenue une toute autre personne. Elle rayonnait littéralement de bonne humeur, chantonnant toute seule en ouvrant chaque tiroir les uns après les autres. Elle farfouilla quelques instants puis releva la tête, observant l'amazone:

« Me regarde pas comme ça. Allez zou ! Tu vas aux thermes. J’ai dit à une esclave de s’occuper de toi. Et je veux  qu'à ton retour, tu sois toute propre et sente les huiles de bains. Alors,  frotte bien sous les bras. Et n’oublie pas aussi de nettoyer entre les doigts de pieds. Mais n'abuse pas du parfum... une dame ça doit savoir se respecter. Je m'occupe de tout durant ton absence. Tu vas voir , je vais te faire une belle surprise.»

Sur ces mots , l'enfant retourna à ses mystérieux préparatifs.

Mais avant que la servante de la guerre sorte, la sœur de Phobos l’arrêta à nouveau d’un ton impérieux :

« Attends! »

La fillette sauta de son siège pour se diriger d’un pas dansant vers sa subalterne. ses pieds nus claquaient doucement sur le sol de marbre :

« Avant de partir, tu vas laisser ton armure ici. Tu n’en as plus besoin. Pour te changer, tu utilisera ma salle de bains privés. Il doit y rester encore un ou deux peignoirs tailles adultes. Tu peux te servir…sauf du rose tout fluffy. Je l’aime bien. »

Ceci dit , la petite déesse fit demi-tour et retourna se percher sur son fauteuil avant de prendre une feuille de papier et de commencer à rédiger quelque chose.

Ses sourcils étaient froncés de concentration. elle tirait la langue , s'appliquant visiblement dans ce qu'elle faisait. Des fois, la demoiselle s'arrêtait, se redressant un peu pour observer son œuvre d'un œil approbateur, avant de la reprendre. Sa main leste faisait courir la plume sur le papier et bientôt dans la chambre , on ne put entendre que son discret petit grattement.

La servante d'Arés fit son retour dans le bureau à peine une demie heure après que la déesse lui eut ordonné d'aller prendre un bain. Harmonie en fut surprise. Elle même restait volontiers deux ou trois heures à barboter en jouant à faire des méduses avec sa serviette ou à reproduire des batailles navales ( qui finissaient une fois sur deux par la destruction complètes des deux armées dévorées par un kraken/ brosse à dos géant)

Ah ! Les mortels ne pouvaient décidément pas comprendre les plaisirs des dieux.

Quoi qu'il en soit, quand Alia mit genoux à terre devant le bureau de la belle enfant aux boucles roses, cette dernière se leva pour inspecter ses troupes.

« Debout soldat et garde à vous ! »

Elle fit le tour de la guerrière, observant avec attention. Ses délicates narines humèrent l'air.
Rien  à Signaler mise à part un parfum de  menthe glacée.

De sa voix enfantine , Harmonie ordonna :

« Rompez. »

Puis elle retourna à son bureau où elle grimpa dans son fauteuil  pour faire face à la roumaine :

«  Parfait. Comme la guerre est la seule hygiène du monde, il faut que tu donnes l’exemple.  À partir de maintenant tu t'habitueras à prendre au moins un bain par jour. Avec une dérogation en temps de conflits armés où ça ne sera que tous les trois jours. C'est clair ? »

Le regard rosé de la fillette observa celui d'Alia à la recherche d'un début de rébellion. Puis la représentante de l'équilibre passa à la suite :

« Maintenant que nous avons l'odeur, il faut passer à l'habit. Car s'il ne fait pas la prêtresse, il y contribue. J'avais pensé à ça : »

La gamine montra un dessin représentant un être en armure noire aux yeux diabolique chargeant sur un cheval de bataille, la hache à la main.

Spoiler:

« J'ai agrémenté la chose de quelques crânes. Tu vois, il ne faut pas oublier le coté ludique. Là tu aurais un double mortensen aux pointes imbibées de poison... hum...De taïpan, je pense. Oui! Pas de doute,  ça serait bien. Et puis aussi des couteaux de lancé caché ici. Oh et là j'ai rajouté une petite sacoche pour les scalpes. C'est bien pratique. Tu pourras te lancer dans la collection. À priori c'est ultra tendance aux Amériques. Autres accessoire tendance. Ce petit sac, là en bandouillére sous l'épaule. Il est prévu pour que tu puisses y ranger les mains gauches de tes ennemis. Et entre nous... si tu veux mon avis , bientôt aucune femme ne pourra se passer de cet accessoire. Et tu seras la première mortelle à avoir lancé la mode. J'ai même pensé à un petit nom dans le cas où quelque fashionista te demanderai ce que c'est. Tu n'auras qu'à leur répondre "C'est mon sac à main". C'est simple , sobre et tellement cool. Sinon point de vu couleur , à priori cette saison le noir prédomine. Mais pour que ça soit en accord avec la couleur de tes bottes en cuir tachée de sang , j'ai rajouté un peu de rouge grâce à la cotte de maille . C'est un peu flashy , certes, je le reconnais, sans être vulgaire pour autant. Sinon, on parle, on parle , mais regarde ! J'ai fait une ouverture bien béante au niveau de la bouche pour que tu puisses cracher des flammes sur tes ennemis. Et ça c'est ma touche féminine. Les tétons lasers. Piou ! Piou! Piou ! La classe cosmique !!! Et je suis une déesse, je sais de quoi je parle. Les autres guerrière vont être trop jalouse. Oh et là tu aurais des gantelets d'acier pour broyer les membres de tes victimes sans esquinter tes jolies mains... des mains de velours dans des poings américains of the death. C'est à ça qu'on reconnait les grandes combattantes.»

Toute enthousiaste, Harmonie s'arrêta pour reprendre son souffle. Un sourire béat flottait sur son visage. Elle regarda Alia , pleine d'espoir :

« Alors, t'en penses quoi ? »

Puis fit la moue, remettant une de ses mèches roses derrière son oreille :

«  Je crois que je me suis un peu laissée emporter, hein ? Bon ! Pas grave... c'est sans doute trop novateur pour ce siècle de toute façon.»


La demiurge prit le parchemin, en fit une boule et le balança négligemment par dessus son épaule :

« Alors ma chérie, comment verrais tu ta tenue de prêtresse d'Arés ? »

Harmonie était avachie dans son fauteuil, les bras croisés et la mine boudeuse.
Ses petits sourcils froncés indiquaient  à quel point la déesse était déçue du manque de reconnaissance dans son talent artistique et de modiste. Mais pire que tout, la fillette paraissait fort désappointée que son idée d'armure ne convienne pas à son inféodé.

Pourtant, le design en jetait. Avec ça, les ennemis d'Arés en aurait fait dans leur culotte rien que de voir arriver la grande prêtresse. La petite s'y était déjà vu. Dans une scène épique avec comme fond sonore le chant du massacre et les râles d'agonie des victimes piétinées sans pitié par une armée de berserkers en furie chargeant comme un seul homme en poussant des cris de gloire à l'unique ou en beuglant " THAT IS SPARTAAAAAAAAAAAAAAAAA!!!". Harmonie pouvait entendre les os brisés , les cris de désespoir et les suppliques. Dans son esprit elle contemplait le vol gracieux des têtes coupées, de magnifique explosion illuminant un ciel d’apocalypse déchiré d'éclairs grandiose. Des incendies dignes de celui de Rome embrasant les rangs adverses et la peur s'abattant sur l'humanité pour l'asservir à son bon vouloir. Le tout dans un torrent de sang avec des licornes de guerre . (parce que Harmonie restait une petite déesse qui aimait bien les licornes)

Enfin bref, Alia la tira de sa super production digne Hollywood pour la ramener à la froide réalité.

« - Certes, mais pour une prêtresse, je suis un peu… fine pour porter ce genre d’armure…  Que sa Majesté me rassure, il s’agit bien d’être la prêtresse de l’unique… et il était question de diplomatie ? »

La déesse de l'équilibre poussa un soupir et étendit ses bras sur le bureau dans un grognement de désespoir avant de poser sa tête sur le meuble. Le visage plaqué contre le meuble, elle se laissait aller à la mélancolie de l'artiste incompris écoutant la mortelle lui dire :

« J’avais pourtant vu Guerre dans ce dessin ou encore un héraut de sa Majesté votre père. Cependant, pour répondre à votre interrogation, je verrai pour moi quelque chose qui soit un subtil mélange entre l’armure d’écailles et les tenues que l’on pouvait voir pendant la Grèce antique sur les gladiateurs ou certaines combattantes. Des voiles blancs, des Jambières de métal, sculptées de motifs étranges, tout comme le reste des pièces métalliques. Le torse serait lui aussi dans ce même métal, scintillant comme du platine et étrange comme de l’orichalque. »

Petit à petit grâce aux évocations de la guerrière, l'esprit fertile de la sœur de Phobos se mit en marche. Elle commençait à entrevoir certaines images. C'était pas tout à fait ce qu'elle espérait mais ça pouvait avoir un intérêt :

« - Ici, Mon plastron métallique qui laisse le col ouvert avec des reflets d’argent et d’or, le platine et l’orichalque… Taillée en forme d’écailles. Elles descendent sur mes hanches alors que sur le devant un jupon blanc sera accroché à la ceinture. Une cape bleue pale pourrait être accrochée ici, avec des épaulettes concaves, et qui possèdent les mêmes attributs esthétiques que le reste. Un casque me semble inutile… Et si quelque chose doit pendre à ma ceinture ou accroché dans mon dos, autant que ce soit une épée…  »

Timidement Harmonie demanda :
« Et tu ne voudrais pas d'un sac à main avec ? On pourrait l'assortir à la couleur de ta cape et je te jure que ça peut être très pratique. Tu pourrais y ranger autre chose que des mains tu sais... »

La divine enfant semblait y tenir. Elle avait redressé sa tête pour observer Alia. Ses yeux rosés brillaient derrière ses soyeuses mèches de cheveux magenta. Il y avait beaucoup d'espoir dedans.

Puis la demiurge soupira et se rassit convenablement pour faire face à la future prêtresse, de nouveau très sérieuse :

«- Bon nous avons l'odeur, la tenue, maintenant passons à autre chose ... l'arbre généalogique des dieux et les relations entretenues entre eux. Si tu ne sais pas ça , tu ne pourras pas t'adresser convenablement aux uns ou aux autres quand tu devras jouer ton rôle de porte parole. Or, l'étiquette c'est trèèèèèèèèèèès  important. Il y en a certains qui se vexe pour rien. Alors que sais tu sur ce sujet ? »

On passait donc à l'interrogation surprise, vous avez deux minutes.

Sa majesté Harmonie semblait prendre note de tout ce que je racontais. Je faisais ma description au fur et a mesure, ajoutant des détails et fournissant l’aspect général de mon armure, l’accoutrement qui serait mien avec une narration que je trouvais toutefois pauvre. J’avais une idée très précise en tête et j’avais peur de n’être qu’une piètre conteuse pour sa Majesté. Oui, je ne suis qu’une mortelle et c’est encore plus vrai lorsque nos talents sont mis bout à bout avec ceux des divins. Nous ne pouvons que voir l’évidence. Notre perfection ne pourrait même pas toucher la leur même debout avec les bras tendus vers eux.

Je souris lorsque sa Majesté évoque à nouveau l’idée d’un sac étrange qui serait à mes côtés.

- S’il sied à sa Majesté que pareil accessoire demeure indispensable, pourrait-on faire en sorte qu’il puisse s’attacher en bandoulière et telle une besace tendance, ne soit apparent que si je le place devant moi ?

En d’autres termes, il serait dans mon dos, caché par ma cape ; avoir la possibilité de prendre de choses, des livres, des parchemins, un nécessaire, tout cela ne me paraissait pas incongru mais de première nécessité. Sa majesté devait comprendre que cette idée me convenait au plus haut point. Et puis, ce serait sans doute un outil très pratique pour fourrer aussi tout un tas de trucs inutiles en vrac… donc carrément indispensable.

- Avec une dague cachée à l’intérieur, Majesté. Une seconde.

J’écoutais ainsi ce que la suite me réservait. Une interrogation en bonne et due forme sur la hiérarchie olympienne, et au-delà d’ailleurs. Mon père m’avait laissé écumer les livres de la bibliothèque pour que je puisse m’instruire sur les origines de notre civilisation, j’étais loin d’être inculte.

- Si sa majesté me permet, ce que je sais est assez complet et utile à ce qu’il nous préoccupe. Cependant, j’imagine que les livres humains sont peu de choses face à la réalité que je connais à présent. Je n’ai jamais douté que les ménestrels… enjolivaient la vérité ou bien étaient à 1000 lieux de la connaitre vraiment.

Je prenais ma respiration pour bien choisir mes mots. Oui, éviter de balancer de but en blanc que Zeus était le roi des violeurs en série,

Spoiler:

capable de se transformer en pluie divine pour fertiliser une nymphe, prenant l’apparence d’un taureau ou encore d’un bellâtre… Parce que c’est bien de cette façon-là que les livres humains le dépeignaient… tout en racontant que c’était forcément quelque chose de naturel, viril, divin et même une aubaine pour la femme ainsi choisie. Nulle donzelle ne résisterait, de plein gré ou… forcée… face aux atours de quelques nature divine que ce soit…  Je soupire. Nous ne sommes toujours pas au siècle où les femmes prendront leur revanche, hélas, et même nos récits sont remplis d’exemples relayant notre condition à celle de soumise… Les hommes diront que c’est dans leur gènes… moi je leur dirai que c’est dans leurs Jeans !

- Jamais… !

Mince… il semblerait que je me sois emportée dans mes pensées… A force de refuser cet état de fait, ce système… M’enfin, là pour l’heure, j’étais avec sa majesté Harmonie et nul ne pourrait rivaliser avec sa façon de voir le monde… Sans doute la raison pour laquelle j’étais si bien ici, chez les Berserkers… Que la guerre ne s’embarrasse pas de considérations futiles… il n’existe pas d’amour si ce n’est celui de la passion… 

- Les primordiaux, Ouranos et Gaia ont créé le monde et engendré les Titans. A leur tête, Cronos et Rhéa, ils ont des enfants qui deviendront les Olympiens tels Zeus, Poseidon, Hadès, Hera… Mais Ils sont mangés les uns après les autres. C’est Rhéa qui est à l’origine de la prise de pouvoir de Zeus sur son père, car elle lui a subtilisé une pierre à la place. Ainsi cet événement a laissé la place au temps des Olympiens dans lequel nous nous trouvons toujours. Le Maitre du Panthéon a sauvé ses frères et sœurs en les extirpant du ventre de Cronos… puis en prenant le pouvoir. L’ère de la Titanomachie si je ne m’abuse ?

C’était ce qu’on racontait mais je voulais aller au-delà de ça, montrer à sa Majesté Harmonie que je comprenais la politique.

- Et si j’ai bien suivi, Sa Majesté Arès mais également Athéna, Artémis, Abel… et bien d’autres, sont des fils et des filles de Zeus qui a décidé dans sa toute-puissance de leur donner à certains, des droits sur la terre et divers domaines. Ce qui n’est bien sûr pas du gout de ses frères Hadès et Poseidon... et de ceux qui n’ont rien eu dans ce partage. Je pense qu’on est en droit de parler de rivalité ou de légitimité. Et si Sparte reste un domaine terrestre, il est bien peu, hélas face au territoire que la sœur de l’unique, Athéna, peut revendiquer : la terre entière. Je comprends pourquoi Poseidon et Hadès mènent leurs assauts pour gagner le pouvoir dont dispose Athéna.

Oui, la terre était un domaine très convoité si j’en jugeais par les guerres saintes qui s’y déroulaient assez fréquemment.

- Mais je suis encore plus éveillée aux souhaits de l’unique en ce qui concerne les conquêtes qu’il souhaite accomplir. A elle-seule, Sparte ne nous suffit pas, … Et sans guerre, il n’y a pas de conquête. Je connais le pourquoi, Altesse. Cependant, je ne suis qu'une jeune guerrière et le comment, le fondement même de votre question, me parait encore obscur. De diplomatie, je peux faire preuve. De discernement également. Ménager les uns, flatter les autres... mais il me faudra apprendre, Majesté, apprendre ce que vous aurez à me dire sur ce qui est en chasse-gardée pour les uns et les autres...

Oui, je n'étais qu'une mortelle et je n'avais pas la prétention de dire qu'un atlas mythologique humain aurait pu m'aider pour répondre à cette question au delà. J'étais intelligente pour comprendre, m'adapter mais en cet instant il me manquait des informations. Pardon... très intelligente.

Pendant qu’Alia faisait sa longue litanie, la petite déesse avait sorti un nouveau parchemin et une boite à peinture. Joyeusement, elle se mit à dessiner puis à barbouiller le bout de peau avec la gouache. Ses petits sourcils se plissaient de concentration. Elle ne s’arrêtait que pour remettre en place de temps en temps une de ses mèches de cheveux roses derrière l’oreille ou pour contempler son œuvre.

Bizarrement, Harmonie semblait à peine prêter attention à ce que raconter la servante de la guerre. Comme si elle s’en moquait alors que c’était elle-même qui avait interrogé la combattante sur la question. La divinité paraissait se plonger corps et âme dans son travail et ses couleurs, se coupant ainsi du monde extérieur. Pourtant, cet apparent manque d’intérêt était trompeur. La fille d’Arès écoutait belle et bien. La demiurge tiqua même quand la guerrière parla d’Athéna. Néanmoins l’enfant ne contredit pas l’éloquente, ni n’ajouta quoi que ce soit à son exposé, laissant la demoiselle à la chevelure pâle dérouler le fil de sa pensée.

Quand Alia conclut en disant :
«Ménager les uns, flatter les autres... mais il me faudra apprendre, Majesté, apprendre ce que vous aurez à me dire sur ce qui est en chasse-gardée pour les uns et les autres... »

Son interlocutrice finit par détourner les yeux de son dessin pour planter son regard rose et pétillant dans celui de la mortelle:
« La seule chose à savoir c’est que mon papa est le plus fort et que mes frères et lui gouverneront un jour le monde. Tous ce que les autres ont, ils l’auront et plus jamais personne n’osera prononcer le nom de Sparte sans trembler. »

L’enfant adressa un grand sourire candide à la jeune femme avant de chantonner :
«  Il faudra que tu devines ce qui faut faire ou pas et que dire à qui. Savoir trouver ce type d’information constituera ton apprentissage. Soit donc très prudente pour ne mécontenter personne.»

Puis la demiurge posa son pinceau et se leva pour aller à la porte de sa chambre. De nouveau, elle héla une servante à qui elle remit le parchemin en lui chuchotant ses ordres avant de revenir vers Alia d’un pas dansant.

«  Allons, passons à un autre problème. Tu parles bien, tu es éloquente et capables de te servir autant de ta tête que des muscles. C’est très bien. Mais il y a une autre arme qui va falloir que tu développes. Elle peut devenir ton meilleur allié car contrairement à ton épée, cet arsenal sera toujours avec toi quoi qu’il arrive. Je parle bien sûr de  ta fé-mi-ni-té. »

Le sourire d’Harmonie s’agrandit :
«  Et ça, ça ne s’apprend pas sur un champs de bataille ou dans un camps d’amazone. Heureusement, tu en as les bases. J’ai déjà pu le constater lorsque que tu m’as coiffé tout à l’heure. Tes mouvements peuvent se montrer délicats, élégants. En plus tu es belle, avec de jolies formes, ce qui ne gâte rien. Maintenant, il faut juste que tu t’entraines à te mettre en valeur pour pouvoir utiliser ton charme naturel afin d’arriver à tes fins. »

La déesse haussa des épaules :
« Vu que les hommes sont stupides, Pour ne pas dire faibles devant certaines courbes autant s’en servir. Ces idiots sous-estiment toujours les dames. Et dans un monde où les mâles pensent avoir le pouvoir autant en profiter en leur faisant regretter ce type de raisonnement. Notamment en leur montrant que la femme n’est pas inférieure, ni même son égale mais bien supérieure et capable d’utiliser chacune de failles de son adversaire.  Tu ne crois pas ? »

La fille d’Aphrodite prit la future prêtresse par la main et l’entraîna vers la coiffeuse :
« Primo, on va commencer par travailler ton regard. C’est déterminant pour un premier contact. Les yeux en disent beaucoup sur leur propriétaire. Ils ne sont pas faits que pour voir, ils sont aussi là pour être vus. Tes prunelles claires feront merveilles si tu arrives à focaliser l’attention d’un individu dessus. Et là, un peu de maquillage peut aider. As-tu déjà utilisé ce type de produit Alia ? Je sais qu’à notre époque, il est considéré comme un symbole de luxure conduisant irrémédiablement à la débauche. J’ai même entendu dire que certains le voyaient comme un subterfuge diabolique censé dissimuler l'horreur du corps et de l'âme nichés en dessous. Pathétique. Ce n’est qu’un outil bien pratique. Regarde, je vais t’apprendre. »

S’en suivit une petite leçon de maquillage où notre guerrière découvrit les joies du fard et du khôl. Quand la déesse de l’équilibre eut finit, elle démaquilla la future prêtresse et lui demanda à son tour de refaire.

La déesse avait suivi les gestes de la mortelle en silence, satisfaite qu’Alia soit une élève qui apprenait vite. Ainsi, la jeune femme semblait avoir compris d’emblée les enjeux du maquillage prenant l’exercice avec sérieux. Le résultat était convenable. Quand elle se tourna vers l’enfant pour que la demiurge lui donne son avis, celle-ci hocha de la tête en guise d’approbation. L’Harmonie du visage avait été conservée. Le regard de ses futurs interlocuteurs seraient inévitablement happait par ses prunelles claires ainsi mise en valeur. Bon, la main de la guerrière avait quelque peu tremblée, le trait n’était pas tout à fait symétrique, mais ces petits détails se régleront avec l’expérience ainsi que la pratique.  

La fillette aux belles boucles roses ramassa les produits utilisés avant de les tendre à son inféodée :
«  C’est bien. Tiens, prend ceci. C’est un cadeau. Et entraine-toi à les utiliser. Par la suite, je t’apprendrai  à en fabriquer; Tout comme les crèmes qui te permettrons de prendre soin de ton corps. Tu verras, c’est un exercice très amusant. D’ailleurs certaines recettes peuvent permettre de faire en sorte que ton vernis inflige des blessures empoisonnées, que ton rouge endorme tes victimes d’un simple contact avec tes lèvres ou que ta peau exhale des flagrances qui envouteront toute personne qui la sentira. Cela te plairait ?»

Puis on passa à la coiffure.
Harmonie aida la combattante à démêler ses longs cheveux d’or pâle, puis elle la laissa se coiffer, approuvant là encore le choix de faire des tresses sur le côté de la tête tout en laissant une partie de la chevelure défaite cascadant librement dans son dos. Cela donnait un petit air d’innocence à la farouche guerrière.

Quand alia quitta la coiffeuse, c’était déjà en apparence une personne différente.
Harmonie croisa ses doigts et l’observa quelques instants les yeux brillants.
«  Passons à l’étape numéro deux. La façon de marcher et de se tenir. Là aussi ça à l’air de rien, mais on en apprend beaucoup sur une personne selon son langage corporel. Et ton attitude est un peu trop… militaire. Tu es raide, droite, semblant prête à attaquer la première personne qui se dressera face à toi. C’est bien pour une combattante. Tu en impose ainsi naturellement. Mais cela te posera problème si tu dois jouer en finesse. Il faut que ta présence soit forte, sans étouffer ton adversaire de manière à le mettre en confiance. Cela te permettra aussi de le surprendre si tu es amené à faire ressortir ta personnalité de martiale. »

La fille d’Arès ajouta :
«  Attention, je ne te demande pas de changer du tout au tout. Cela te serait impossible de toute manière : Ton langage corporel fait partie intégrante de ta personnalité. Mais on va faire quelques exercices sur ta façon de marcher. Première consigne ralentir la cadence. Vas-y. »

Quand Alia eut fait quelques allées-venues, Harmonie lui donna sa deuxième consigne :
« Tu gardes la tête droite et tu ouvres les épaule. Cela ne sert à rien de faire de grand mouvement de balancier avec tes bras. Il faut que tu marches de manière détendue, les bras relâchés… Fais des enjambées sans dérouler le pied. Tu poses d’abord le talon puis la plante du pied. Voilà, très bien. »

Après avoir laissé la future prêtresse faire de nouveau quelques mètres, la divine enfant se dirigea vers la porte et l’ouvrit faisant signe à la guerrière de la suivre.
« Maintenant exercice pratique. On va faire une petite promenade toute les deux. Attention. Il va te falloir appliquer mes conseils en matière de démarche tout du long et surtout… sourire. »

La déesse sortit de la chambre et commença à se diriger vers l’aile ouest du temple d’Arès en roucoulant:
"Tu vas voir comme les gens vont te regarder de manière différente."

A L’écoute de la question d’Alia , Harmonie sourit :
« - J’ai une requête, Altesse. Le jeune homme pour lequel j’ai orchestré la mise à mort… pourrait-il être un garde recommandé pour une prêtresse ? Lorsque son temps sera venu j’entends.»

Pour simple réponse, la guerrière n’eut le droit qu’à un suave :
«  Nous verrons. »

Nul ne sait ce que les Dieux ont prévu pour les mortels. Et encore moins les plans de la si versatile fille d’Arès. D’ailleurs, et si tous cela n’était qu’un vilain jeu orchestré par la divine enfant ? Une sorte de passe-temps où l’amazone n’aurait servi que de poupée grandeur nature et vivante à sa cruelle maîtresse. Et si… Si toutes ses promesses n’étaient qu’un miroir aux alouettes où la trop naïve roumaine se serait perdue, leurrée par des rêves de gloire bien trop grands pour elle ? Qui sait ?

En tout cas la guerrière se pliait aux ordres de la demoiselle aux belles boucles roses sans rechigner. Même si la chose paraissait absurde, elle le faisait, puisant dans les mots enrobés de miel de la fillette une nouvelle assurance, de nouvelles certitudes, une nouvelle gloire. Pauvre mortelle. Il serait alors si facile de la briser, de faire tomber le rideau sur la mascarade.  

Pourtant, loin de ce type de doutes, de nouvelles questions naissaient dans l’esprit de l’amazone qu’elle offrait sans crainte à une a déesse silencieuse au sourire mystérieux, tandis qu’elles arpentaient les couloirs de l’aile ouest quasi déserts du temple d’Arès :
« - Ce ne sera qu’une façade, Majesté, j’en suis consciente. Mes atouts seront puissants ainsi. Même si j’avoue que ne plus pouvoir défier personne et par ce biais, ne plus pouvoir me battre sauf si on m’attaque, me parait difficile à gérer, intérieurement j’entends. Sachez, Majesté, que je me conformerai au code qui est strict en ces termes, mais que je ne refuserai jamais un défi qui me serait lancé. Serais-je ainsi toujours digne de votre intérêt ? Car il est aussi bien d’autres choses que je pourrai faire ; en soutien de nos soldats j’imagine, au chevet des blessés… certes. »

D’un signe de la tête, Harmonie lui intima l’ordre de continuer. Ses prunelles rosées ne quittaient pas le visage de la femme aux cheveux pâles comme si elle savait déjà où elle voulait en venir mais attendait de voir si la servante d’Arès aurait l’audace d’aller jusque-là :
« - Lorsque votre Majesté a été frappée par le carillon, lorsque j’étais auprès de vous dans la chambre, la seule chose qui m’a empêché d’agir en vous veillant c’était la crainte de poser mes mains sur votre divine entité. Car j’avais au fond de moi, du moins l’ais-je ressentie ainsi, une force qui je le sais aurait pu vous soigner. Et je n’ai pas compris d’où cette force pouvait venir…»

La divinité de l’équilibre arrêta son sautillement de dalle en dalle et se figea. Les paupières fermées et le visage grave, elle semblait réfléchir ou écouter quelque chose. Puis soudain elle rouvrit les yeux comme inquiète. Sans explication, elle fit demi-tour et reprit le chemin de la chambre mi-courant, mi-dansant, sa chevelure rose valsant sur ses épaules.

Vite, vite, elle parcourut le chemin inverse, ignorante des serviteurs qui se prosternaient sur son passage, avant d'ouvrir à la volée la porte qui menait à ses appartements et de se ruer dans une pièce sur la droite.

On entendit ensuite de grands bruits comme si on vidait tous les meubles de l'endroit de leurs contenu puis quelques instants plus tard , Harmonie ressortit de la pièce en pleure. sa peine était poignante.

Alors que la souffrance n'avait pas fait versé une larme à la divinité au moment de l'attaque qui pourtant lui avait fait vivre un vrai martyre, la petite demoiselle pleurait maintenant comme une enfant, poussant de petits gémissement à vous briser le cœur.

J’avais pu parler un moment en répondant à tout ce qui avait été demandé. Du moins je l’espérai, je le croyais. D’un autre côté, il n’y avait personne pour m’interrompre et la Princesse était des plus attentives à ce que je pouvais dire. La diplomatie était un art et en lieu et place de conseils avisés, ce fut un encouragement à la perfection ; J’en profitais pour revenir sur le rôle qui serait alors le mien en tant que prêtresse, invoquant les différentes responsabilités qui pourraient être miennes.

Là encore, très attentive, elle écouta ce que j’avais à dire sans m’interrompre. Quelle impression pouvait-elle avoir en m’entendant parler de la sorte de ce que j’estimais être bientôt de mon ressort ? Et puis j’avais réellement ressenti quelque chose lorsque sa Majesté avait été frappée par… Et ne pas agir par peur avait été salvateur, clairement, mais ça m’avait aussi enlevé l’occasion de savoir ce qui se cachait réellement au fond de moi.

J’allais parler encore mais il se passa quelque chose que je ne pus vraiment imaginer. D’un coup, Sa Majesté Harmonie s’en va jusque dans ses appartements, j’entends qu’elle fouille avec acharnement alors que je reviens vers elle, que je tente de voir ce qu’il peut bien se passer… c’est en pleurs que je la vois sortir de la chambre dans laquelle elle venait de s’engouffrer quelques instants plus tôt.

- Majesté… ?

J’ose avancer une main vers elle. Peut-être que la relative complicité qui existe depuis peu entre nous peut me permettre de faire ceci en l’absence de quiconque. Je m’abaisse, je suis sans doute plus bas qu’elle ne l’est. Mon regard pointe le sol. Elle n’est pas une enfant, elle est divine et c’est avec la plus grande précaution que je témoigne mon inquiétude quant à ce qu’elle traverse.

- Il y a un souci ? Majesté ? Que se passe-t-il ?

C’était le peu que je pouvais faire. Je ne savais pas quoi faire de plus… Je n’imaginais pas faire moins.

Impossible de trouver ce qui avait contrarié sa majesté Harmonie Au contraire, les choses semblaient ne pas se calmer. Des sanglots qui laissaient deviner une grande tristesse. Que pouvait bien avoir son altesse ? J’observe, j’écoute, sauf qu’il n’y a rien à écouter. Elle est dans un profond mutisme. Elle n’a rien à dire ou ne peut tout simplement pas le dire. Une douleur ? Non, je n’ai pas vu ni constaté de blessures particulières. Un oubli de sa part ? Aucune idée de ce qui aurait pu être oublié.

En définitive, je l’invite à me suivre jusqu'à sa chambre. D’une, se trouvera de quoi la réconforter, de deux, elle pourra s’allonger et dormir quelque peu. Si ça se trouve, il y a un effet post traumatique qui est clairement identifiable. Et préférant ne pas prendre de risques, c’est chemin inverse que nous faisons.

Sur la route je fais signe à quelques serviteurs de me suivre. Je préfère encore une fois être bien entourée que de rester seule et incapable d’agir s’il le faut. Et c’est ainsi que chemin faisant, nous arrivons tous à destination.

Je fais servir ce qu’il convient de mieux à son Altesse pendant que d’autres préparent son lit. Je ne sais pas si ce sera jugicieux mais…

Et au même moment arrive un serviteur pour nous prévenir qu’Arès et Phobos exigent notre présence dans le palais plus bas. Effectivement, avec Harmonie au plus mal et je ne sais pour quelle raison encore, je ne pourrai pas avoir de meilleur dilemme. Laisser son Altesse pour au moins voir les raisons de cette convocation, tout en présentant le souci avec Harmonie… Mais si me déplacer avec elle est impossible… dois-je la laisser pour autant ?

Sans doute est-l plus sage de ne pas faire attendre l’Unique.

Un flash, une idée fixe me traverse la tête. Et si c’était lié à ses cheveux ?  Je regarde sa coiffure et je n’y retrouve pas la broche qu’elle pouvait avoir avant d’être frappée. Simple alors d’imaginer que sa contrariété vienne de là ? J’interpelle 2 serviteurs afin qu’ils se tiennent prêts à la préparer le cas échéant. Je me penche en avant, il va bien falloir que je lui dise…

- Altesse, nous sommes convoqués par sa Majesté votre Père. Je vous propose de vous préparer pendant que je vais annoncer votre arrivée.

Je recule de quelques pas et attendant tout de même une réponse, je finis par me rendre a bonne vitesse au Palais de Phobos pour ne pas faire attendre nos souverains.

--> Palais de Phobos.