un tête à tête : une âme et un juge

Seul répondit au silence d'Angèle le bruit des vagues, les rares à animer les flots ténébreux du fleuve Achéron. Dans ses méandres nageaient des âmes damnées qui jamais plus ne croiraient au repos. Sous la surface des eaux ternes, des esprits brisés guettaient sa chute pour boire sa vie jusqu'à la lie, pour faire d'elle l'une des leurs. Elle n'aurait besoin que d'y mettre un pied et y serait irrémédiablement entraînée pour ne plus jamais en ressortir. Mais elle ne venait pas ici pour la première fois et ne commettrait dont pas pareille sottise, quelle que puisse être sa hâte de s'en aller d'ici. Remonter à la surface ne serait pas si facile, et elle dut le comprendre dès la première note qu'émit une voix familière sur un ton monocorde. Qu'elle sache à quel triste sire elle appartenait n'enlevait rien à la beauté de son chant, plus enivrant encore que ne l'étaient ses paroles quand il avait tenté de la corrompre. Un véritable chant des sirènes, d'autant plus étonnant de la part d'un homme. En dépit de l'indicible tristesse dont avaient l'air de vibrer ses cordes vocales, elle ne pouvait qu'identifier le propriétaire de cette voix familière qui, du fait de son timbre altéré, se révélait être de toute beauté.

Le roi et ses pairs ont enfermé la reine à bord d'un bateau de plomb... Nous naviguons, et par ses pouvoirs moi et mes frères voguerons... Yo-ho... Sur l'heure, hissons nos couleurs... Hissez -haut... L'âme des pirates jamais ne mourra...

Le contenu de sa mélodie en aurait surpris plus d'un, mais ce n'était pas la première fois qu'elle voyait le Juge agir d'une étrange manière et ne devrait donc pas se poser de questions. Pas trop. Du moins, pas plus qu'il ne se plaisait à en soulever à chacune de leurs rencontres. Chaque note était ajustée avec soin pour ne nuire à l'harmonie de la mélopée à aucun moment, si bien qu'on l'aurait crue oeuvre divine. Toutefois, il n'en était rien et elle en eut la preuve quand elle vit l'ombre d'un navire se dessiner au coeur de la brume qui l'environnait. L'eau elle-même semblait s'être tue pour l'écouter chanter tandis que se poursuivait son récital, plus proche de minute en minute. Il ne cessait d'en articuler les paroles que pour appuyer l'intensité dramatique qu'il se devait de donner à cet air de forban. Angèle saurait-elle déceler toutes les subtilités du récit que contenaient en vérité ces paroles ? Point de certitude, mais elle l'avait maintes fois surpris par le passé.

Nefertis menait sa barque avec assiduité, sans se soucier d'avoir un Juge pour passager. Qu'il ait pu formuler une telle demande avait de quoi surprendre mais elle n'était pas en droit de lui refuser et n'avait surtout aucune raison de le faire. Aussi s'était-il hissé à son bord avant que la passeuse n'ait pu s'en aller chercher la nouvelle arrivante, dont le cosmos n'était que bien trop familier à ce passager de dernière minute. Voguer sur les flots semblait l'inspirer puisque, alors même qu'ils étaient sur le point de toucher terre, il continua de fixer un point sur le lointain de la ligne d'horizon et mit le point final à cette complainte née d'une ère de la piraterie qui s'était éteinte depuis fort longtemps. Et bien qu'il soit décédé bien des siècles auparavant, Alessio ne s'était que trop documenté sur le sujet, comme bien d'autres avant lui. Le contexte avait pour lui le mérite de se prêter merveilleusement bien à sa ballade improvisée.

Il y a les morts et il y a les vivants, on ne peut fuir le temps... Grâce aux clés de la cage, il faut payer le diable et prier pour la forme... Les morts ne peuvent pas faire voile vers les mystères du funèbre océan... Mais nous ne le sommes et soyons forts, et rentrons au port... Yo-ho ! Quand sonne l'heure, hissons nos couleurs ! Hissez haut ! L'âmes des pirates... Jamais ne mourra !

Ce n'est que quand résonna la dernière syllabe dans les parages déserts que le frêle esquif dut heurter le sol pour signaler à l'archère sa présence, et avec elle son droit de passage. Il n'avait hélas pas eu le temps d'avoir une explication avec Yade et il aurait été fâcheux qu'elle se rende au tribunal alors même qu'il était en train de le remettre à sa place – fut-ce de façon définitive s'il le fallait. Aussi avait-il préféré venir à sa rencontre et retarder quelque peu l'heure de son jugement, et avec lui son retour à la vie. N'avait-elle pas fait la promesse de venir le rejoindre aux Enfers ? Le destin s'en était apparemment chargé, sous la forme de la main du Dieu de la Mort. Cruelle ironie du sort mais qui n'était pas sans arranger ses affaires, car sans son aide, il aurait sans doute dû attendre longtemps avant de voir l'ombre de sa charmante silhouette. Le Griffon fit alors volte-face et esquissa une révérence, bien que toujours perché au bord de son modique galion.

Bienvenue en mon modeste royaume, ô ma reine ! C'est un plaisir de vous y accueillir. Que me vaut l'honneur de votre charmante visite ? Je ne vous attendais pas si tôt, ni dans cette tenue, si je puis me permettre.

Dès que ces paroles eurent été prononcées, Alessio lui tendit la main pour l'aider à monter sur sa gondole. Bien qu'elle n'ait que peu de points communs avec celles qui peuplaient les canaux de Venise, il n'en espérait pas moins la balade romantique et espérait qu'entendre la douceur de sa voix l'aurait mis dans de meilleures dispositions que quand il l'avait croisée au Sanctuaire – il n'y avait ici personne pour l'influencer. Nul ne pourrait lui rappeler parole ou serment et nul ne serait là pour la ramener à la raison si celle-ci venait à basculer. Qu'elle soit ou non soumise au contrôle de ses sombres facettes, il n'en avait cure, tant qu'elle acceptait de demeurer à ses côtés pour l'éternité. Même si elle le regrettait amèrement, elle était morte et nul doute que le geôlier auquel elle aurait droit n'était pas prêt de la laisser repartir. Il était facile d'entrer aux Enfers, mais en ressortir l'était bien moins – et plus encore pour qui tombe entre les griffes de leur plus perfide chien de garde.

Mais cela n'a que peu d'importance. Nous n'avons que trop peu de temps devant nous et je m'en voudrais de le perdre en trivialités : vous aurez tout le temps de me conter cela alors que je vous fais visiter. Venez plutôt. Votre avenir vous attend.

Pourtant, il n'y avait dans son expression nulle trace de la plus petite fourberie, mais au contraire ce qui semblait être un soupçon de vague à l'âme dont elle n'aurait su identifier l'origine. Ce qui ne l'empêchait pas d'afficher un charmant sourire comme à son habitude, mais celui-ci semblait étrangement plus doux, mais aussi plus détendu. Ce que cela pouvait bien vouloir dire, elle était seule à pouvoir le découvrir.

Ce que nous avons entre les mains, est-ce l'espérance ou le désespoir ? Il n'appartient qu'à vous d'en décider. Tout n'est qu'une question de choix, et le moment est venu pour vous d'en faire un qui pourrait bien changer votre vie à tout jamais.

Une réponse énigmatique provenant d'un personnage qui ne l'était pas moins. La voilà bien avancée. Ce n'était pourtant là que la vérité dans toute sa splendeur. Pour recouvrer sa liberté, elle allait devoir faire des choix et tous ne seraient pas aisés. Car si elle se pensait désormais à l'abri dans la lumière, elle devrait apprendre à ses dépens que le clair et l'obscur ne font qu'un. Pour conquérir les ténèbres, il n'y a pas de secrets : il suffit d'être plus fort qu'elles. Plus facile à dire qu'à faire, et plus encore pour qui a déjà été sur leur emprise. Accepter sa part d'ombre serait nettement plus aisé que de tenter de la dominer. Car à chaque fois qu'elle refoulerait ses sombres pulsions, Angèle tuerait une part d'elle-même. Aussi étonnant que cela puisse paraître il n'est guère meilleur de ne connaître que le bien que d'avoir un penchant pour faire le mal. Si elle avait le malheur de museler quel qu'en soit le prix cette autre facette, sa destruction serait inéluctable. Son rôle était d'empêcher cela : comment pourrait-il encore jouer avec elle si elle-même choisissait de se briser en mille éclats de verre ?

Sa tenue était affriolante, à n'en point douter, mais en dehors du rapide coup d'oeil qui lui avait permis de relever son absence d'Armure, Alessio ne s'y était pas attardé. Ses vices étaient plus que nombreux et la luxure en faisait occasionnellement partie, mais seulement selon son gré et il ne le souhaitait point ce jour. Il avait à ses côtés une invité d'honneur, et d'honneur était le point qu'il mettait à ce qu'elle soit traitée avec égard. La Sagittaire était bien plus à ses yeux que de vulgaires penchants lubriques et il tenait à le lui faire savoir. Ce qui ne toutefois n'aurait su l'empêcher de lui faire perdre l'équilibre sitôt montée à bord, si bien qu'elle fut contrainte de lui tomber dessus au sens propre. Et s'il ne faisait montre que d'une musculature à la fois fine et agréable, son étreinte quand il la rattrapa prestement ne démontrait pas moins une certaine fermeté. Un mouvement audacieux mais qui n'alla cependant pas plus loin, quand bien même son visage était à présent proche du sien – presque assez pour lui donner un baiser. De quoi rappeler à Angèle certains souvenirs. Bons ou mauvais, cela ne dépendait que d'elle encore une fois.

Mais dites-moi, très chère... Morte ou vivante, quelle importance ? Ce qui m'importe n'est ni la forme, ni l'enveloppe, mais l'âme. Débarrassée de la contrainte du corps, l'âme acquiert une liberté infinie. Vous devriez en profiter tant que vous le pouvez encore, le voyage ne sera que trop court. Pour en revenir à votre question, je vous prise pour ce que vous êtes, non pour ce que vous vivez ou mourez. Ne suis-je pas moi-même déjà mort ? Ce monde n'est qu'abîme, et ce monde s'abîmera. C'est une évidence. Aussi n'ai-je pas à coeur de m'attarder sur de pareils détails.

Comme pour lui faire écho, c'est à ces mots que s'ébranla la gondole pour leur faire traverser le fleuve Achéron. Les âmes qui sommeillaient sous la surface étaient fébriles : il y avait depuis quelques jours plus de passage qu'il n'y en avait eu en l'espace de ces dernières années. Et ce n'était pas sans susciter l'intérêt de ces damnés qui, au fond de l'eau, regardaient passer ceux qui contrairement à eux avaient la chance de pouvoir rêver de s'évader. Aucun d'eux n'aurait la chance ne serait-ce que de s'y essayer, leur seule et unique liberté de mouvement étant limitée au droit de s'emparer de tout ce qui frôlait la moindre goutte de leur dernière demeure. Alessio avait imposé à leur gondolière un rythme lancinant, de telle sorte qu'ils aient tout le temps de renouer le dialogue avant d'atteindre l'autre rive. À la réponse de son interlocutrice, le Juge fit la moue, mais il était en vérité assez satisfait de l'annonce qu'il s'apprêtait à lui faire. Éliminer toute concurrence avait toujours été l'un de ses jeux préférés, et c'était cette fois d'autant plus beau qu'il n'avait eu nul besoin d'y prendre part.

Ce cher Belgarath n'est plus de ce monde ni d'aucun autre, je crains. Son âme s'est évaporée en Elysion, où sommeille sa majesté Hadès... Et jusqu'à il y a peu son altesse Perséphone mais il semblerait que ce ne soit plus d'actualité. L'on aura beau dire qu'il ne faut jamais dire jamais, il me parait indéniable que vous ne reverrez plus jamais. Croyez bien que je le déplore, c'était de loin mon pire ennemi et mon meilleur adversaire. En conséquence, je ne crois pas avoir eu un jour meilleur ami en ce bas monde. Oh, je pourrais comprendre que vous mettiez ma parole en doute, mais si vous ne me croyez pas, croyez-en votre mémoire : depuis combien de temps ne l'avez-vous pas revu ? Le Surplis de la Wyvern qui était autrefois le sien vient de changer de main, je ne puis vous apporter de meilleure preuve. Et puis, ne dit-on pas qu'il faut savoir tourner la page ? J'ai moi-même dû renoncer à l'amour d'une vie, savez-vous...

De tous temps, c'était la première fois qu'il faisait allusion à sa vie terrestre. Depuis qu'il s'était éveillé à la mort, tout ce qui concernait son existence en tant qu'homme avait été balayé d'un revers de la main. Mais la nostalgie qu'il avait éprouvée au cours de ces dernières heures avait semble-t-il convaincu ces souvenirs enfouis de refaire surface, pour son plus grand malheur. La demoiselle était en droit de savoir, après tout. Un peu de transparence ne faisait jamais de mal même à lui. Le plus difficile restait encore de discerner le vrai du faux, mais qu'importe qu'elle ne puisse s'en convaincre : lui au moins aurait la conscience tranquille. Il avait cependant omis délibérément de dire que l'assassin n'était autre que lui, et qu'il n'avait eu d'autre choix que de l'exécuter avant qu'elle ne mette son plan à exécution. La vindicte l'attendait déjà au tournant, les lances et les épées eurent tôt fait de mettre un terme à sa misérable vie. Le pire était sans doute l'identité de la victime, mais il refusa de s'abîmer dans cette réflexion.

Sa mine lugubre démontrait à elle seule qu'il n'avait guère envie de s'étendre sur le sujet, et Angèle devait déjà se douter qu'il ne le ferait que s'il l'estimait nécessaire. Le Griffon n'était pas de ces personnes à qui on peut forcer la main, plus encore lorsqu'il s'agit d'une question aussi épineuse. La Gold Saint n'avait pas eu le temps d'y réagir que déjà il serrait sa main de la sienne, non sans avoir au préalable enlacé ses doigts. Un geste d'affection qui risquait fort de la faire sourciller mais il n'en avait cure. Lorsqu'elle était encore sous son emprise, Angèle n'aurait pas demandé mieux que sa chaleur et son contact. Pour peu qu'il en demeure une quelconque réminiscence, elle ne manquerait pas d'y être sensible. Un tel geste de sa part avait de quoi surprendre, mais c'était un simple détail suspect parmi tous ceux que comprenait son comportement. Il n'aurait guère pu paraître sous ce jour en présence de ses ennemis, et c'était en partie pourquoi il avait tenu à la voir seul à seule. L'archère serait probablement plus réceptive maintenant que plus aucun de ses compagnons n'était susceptible de porter sur elle un regard accusateur. Ici, elle était libre de ses opinions, car nul ne viendrait l'y juger - et ce pour l'éternité, il ne cessait de l'escompter.

Soudain, il se rapprocha d'elle en ce qui semblait être une tentative de réconfort. La nouvelle l'avait ébranlée, et cela ne lui avait pas échappé. C'était l'effet escompté, croyait-elle seulement que c'était par hasard qu'il lui en avait parlé à ce moment précis ? Alessio gardait plus d'un tour dans sa manche. Passant les doigts dans ses cheveux, il les descendit bien vite à hauteur de sa joue afin qu'elle tourne le visage dans sa direction sans toutefois faire usage de la force. Ses lèvres frôlèrent les siennes sans pour autant entrer en contact, dans l'espoir de ressusciter les sensations qui l'avaient poussée à répondre à son baiser alors qu'ils se trouvaient tout deux au pied du Sanctuaire. Elle était certes en proie à des tourments jaillis des tréfonds de son âme, mais son corps se souvenait. Ainsi cessa-t-il de la vouvoyer pour lui indiquer clairement que le moment était venu d'entrer dans le vif du sujet et de parler de cette étrange relation qui les unissait depuis plusieurs mois déjà – au grand désarroi de la Femme-Chevalier.

Tu oublies un peu vite qu'ici, c'est moi qui dicte les règles. Notre marché ne prévoyait pas que tu ne serais plus qu'une simple âme en venant ici. Entendons-nous bien, cela n'a fait que hâter nos retrouvailles et je m'en réjouis. Mais puisque te voilà impuissante qu'est-ce qui m'empêche de te garder auprès de moi pour l'éternité ?

Le connaissait-elle assez pour connaître la réponse ? Car s'il y avait une personne au monde à pouvoir y répondre, c'était bien elle. Par désintérêt, tout simplement. User de ses prérogatives pour se l'accaparer n'aurait à ses yeux aucune valeur. Le sens moral d'Alessio était sans doute l'un des plus corrompus qui ait jamais vu le jour et en fait d'éthique, il n'avait que celle dont il lui arrivait de vouloir donner l'illusion. Ainsi ne reculait-il devant rien pour remporter la victoire, même s'il lui fallait l'arracher au moyen de ses habituelles manigances. Néanmoins, pour cette fois, il avait dans l'idée de gagner à la loyale. Aucune fraude n'était autorisée dans sa quête du coeur d'Angèle. Celui-ci lui avait échappé alors qu'il le tenait dans le creux de sa paume, mais qu'importe : elle en resterait à jamais souillée. Qu'il ait usé de la ruse et profité du fait que son âme soeur – selon ses propres dires – ne soit pas dans son état normal ne pourrait plus jamais rien changer au fait que cela s'était bel et bien produit.

Même si c'était sous l'emprise de cette sombre facette qu'elle refusait de révéler au monde, elle avait nourri des sentiments envers lui et pour se l'approprier, nul moyen n'était plus indiqué que de les faire renaître de leurs cendres – si douloureux que cela puisse être. Le Sagittaire n'était pas au bout de ses peines. Ce n'était que le début du voyage, et il tenait à lui faire au moins visiter les lieux avant de la relâcher afin qu'elle voie à côté de quoi elle passait en refusant ses avances. Sans doute plus pour très longtemps, se consolait-il quand cela faisait mine d'ombrager son humeur, n'attendant qu'avec trop d'impatience un geste tendre ou même un mot maladroit. C'était ancré en elle, même si elle se battait de toutes ses forces dans le but de réprimer ce qu'elle fut autrefois. Et de même qu'elle avait accepté sa part d'ombre, le Juge se faisait fort de lui faire avouer ses sentiments – de gré ou de force. Ses yeux se plissèrent un peu plus qu'à l'accoutumée pour apercevoir le relief à travers le nuage de brume.

Et puis, je n'ai de cesse de te rappeler qu'il ne tient qu'à toi d'acheter ta liberté. Nul n'aurait le droit de t'accuser de trahison, puisque devenir l'une des nôtres ne ferait que de révéler ta vraie nature. Tout ceci est gravé dans ta chair depuis le jour où tu es venue au monde. Peu importe combien tu pourras te souiller en portant cette armure, tu n'y pourras rien changer. Ta place n'est pas aux côtés d'une déesse écœurante de bons sentiments, tous les efforts que tu feras pour t'en convaincre ne feront que retarder l'inéluctable. Ta place est ici, il n'est que trop temps de t'en apercevoir...

Il prit soin d'éviter sa question. Il voyait clair dans son jeu et devinait sans difficultés qu'elle ne cherchait qu'à contourner les siennes et à gagner du temps. S'engager avec lui dans un de ces jeux d'esprit revenait à connaître le résultat à l'avance, et il était surprenant que la Gold Saint ne s'en soit pas doutée. À moins que ce ne soit là qu'une tentative désespérée de lui échapper. Auquel cas elle devait savoir qu'il préférerait encore retourner brûler dans les flammes que de lui laisser cette chance. Elle ne quitterait pas les lieux sans son accord – à plus forte raison que Yade avait une dette envers lui s'il ne souhaitait pas être le prochain à s'asseoir sur le banc des accusés. Le Juge du Griffon n'avait toujours pas digéré son attitude lors de sa dernière visite et se ferait une joie de le condamner à la damnation. Non, Angèle n'accéderait pas au tribunal à moins qu'il n'y consente, et ce ne serait de toute évidence pas pour tout de suite. Tant qu'elle demeurerait à l'état d'âme, elle n'aurait aucun moyen de se soustraire à son bon vouloir. Même si ce serait une victoire sans saveur, rien ne l'empêchait d'en profiter ne fut-ce que pendant un certain temps.

Probablement aurais-je dû commencer par là. Tu m'en vois navré, mais tu ne peux repartir. Cela t'est interdit. C'est pourquoi je suis venu te l'annoncer en personne, même si comme tu t'en doutes ce n'est pas pour me déplaire. Ce n'est pas tous les jours qu'un Chevalier d'Or arrive jusqu'ici, et compte tenu de tes particularités il a été décrété que nous ferions mieux de faire en sorte que tu ne revoies plus la lumière du soleil. À dire vrai, j'ai été chargé de venir te jeter dans le Cocyte où tu retrouveras peut-être les âmes de défunts chevaliers que tu as connu. Mais comme tu t'en doutes, je n'apprécie guère que l'on me donne des ordres. Aussi, il peut m'arriver de désobéir...

Pour appuyer la véracité de ses dires, il fit paraître les copeaux de glace qui ornaient encore ses gants par endroits. Dans la mesure où il s'était véritablement rendu à la huitième prison, il n'était guère difficile de lui faire croire qu'il n'avait entrepris ce voyage qu'en vue de son arrivée. Le ton solennel sur lequel il avait transmis ce verdict ne faisait aucun doute sur sa sincérité. Et pourtant ce n'était là qu'un odieux mensonge, mais quelle preuve avait-elle du contraire ? Bien que la passeuse n'ait pas été mise dans la confidence, elle était tenue au silence et ne trahirait aucune émotion. Même si Angèle venait à l'interroger, elle abonderait en son sens plutôt que le contraire. Il n'était pas dans son intérêt de dévoiler son stratagème et encore moins en faveur d'une ennemie potentielle. Mais peut-être plus pour longtemps. Les récents événements rendaient parfaitement crédible qu'ils aient pu voter une telle loi.

Si leur but était d'affaiblir les Saints, quel meilleur moyen pour cela que de les priver des meilleurs d'entre eux ? Le Spectre aurait alors tout le loisir de se présenter comme son sauveur. Qu'elle morde à l'hameçon et elle n'en serait que plus malléable. Le Juge s'était pour une fois gardé d'afficher le moindre sourire. Sans une mine impassible, les chances qu'Angèle le croie sur paroles, même bouleversées, en seraient réduites de moitié. Il ne s'attendait pas à ce qu'elle lui fasse entièrement confiance, mais tant qu'une once de doute subsisterait au fond de son âme, il pourrait l'utiliser à sa guise. Avoir son destin entre ses mains et pouvoir le briser à tout moment serait une grisante sensation, quand bien même il n'en ferait rien. Il tenait trop à l'avoir à ses côtés quand enfin il aurait acquis assez d'importance pour mettre en oeuvre ses plans les plus machiavéliques.

Bien entendu, le plus simple serait encore que tu te décides enfin à assumer ta vraie nature en te joignant à nous. Tu serais alors libre d'aller et venir comme bon te semble, mais je prendrais soin de faire en sorte que tu aies tes quartiers dans mon propre palais de manière à ce que tu ne manques de rien. Quelle que soit ta réponse, tu es mon invitée et en tant que telle tu seras traitée avec tous les égards. Je ne te cache pas que ce serait la meilleure solution pour nous deux. Il serait fâcheux que je me compromette si quelqu'un venait à découvrir que je t'ai aidée à t'échapper. Mais si tu tiens tant à rejoindre la surface, tu peux compter sur ma coopération... À condition de ne pas oublier que tout se paie, tu n'es pas sans le savoir. Je ne saurais que trop te conseiller de réfléchir avant de répondre, sans quoi tu risques de prendre une décision que tu pourrais regretter...

Le pied posé sur la proue du navire, Alessio scrutait encore l'horizon au moment de prononcer ces quelques mots. Ce n'est qu'une fois qu'il en eut terminé qu'il haussa les épaules avant de se tourner vers elle, la mine toujours aussi grave, voire lugubre, en total contraste avec cette indicible lueur de malice qu'il avait coutume d'arborer. Oui, il était essentiel qu'il insuffle en elle ces hésitations pour qu'elle en ressente le poids à chaque seconde et en vienne peut-être à se dire qu'elle n'avait pas fait les bons choix jusque là. Peu importe combien elle pouvait se croire acquise à la cause d'Athéna, le Griffon était passé maître dans l'art de la manipulation et avait les moyens de la faire douter de sa foi profonde. Pour cela, il suffisait de trouver les mots, et il avait déjà prouvé plus d'une fois en être largement capable. La manière qu'il eut de scruter sa physionomie ne le rendit que plus crédible tant la mélancolie éclairait son regard.

Enfin vint le moment où la barque heurta la terre ferme et où la passeuse les en fit descendre, ce en quoi il lui vint en aide de la même manière qu'il lui avait permis d'embarquer. Tout à coup silencieux, ce qui ne lui ressemblait guère, il faisait mine de n'avoir pas tout dit afin de jauger à quel point il était parvenu à la rendre nerveuse. Qu'il ait attisé sa curiosité ne faisait aucun doute, mais le tout était à présent de savoir jusqu'où il avait piqué au vif sa curiosité et jusqu'où elle était prête à aller pour obtenir des réponses à toutes les questions qui peuplaient désormais son esprit tourmenté. La main caressante qui cueillit la sienne afin qu'elle descende en toute sécurité de ce frêle esquif ne ferait sans doute qu'accentuer ce trouble naissant, et ce n'était pas pour lui déplaire. Masquant à la perfection la moindre émotion susceptible d'altérer le peu de confiance qu'elle pouvait lui porter, il songeait déjà aux nombreuses tromperies qu'il pouvait encore lui infliger. Qu'y pouvait-il, si elle finissait par en redemander ?

Angèle était troublée, et c'était précisément l'effet recherché. Perdue en Enfers, elle était loin de tout repère et ne pouvait se fier qu'à lui. Le Sanctuaire devait déjà lui sembler n'être plus qu'un souvenir lointain tandis qu'elle progressait toujours plus avant aux confins du monde souterrain. Non, ce cher Belgarath n'était plus, et il était désormais le seul à pouvoir lui venir en aide. Quel intérêt aurait-il à maquiller la vérité pour une fois que celle-ci était de son côté ? Si malsaine et déviante que soit leur relation, qu'il tienne à elle ne faisait pas l'ombre d'un doute. Quel que soit le chemin emprunté, ce ne serait pas en but de lui nuire – quand bien même il n'était pas à exclure qu'elle puisse en souffrir. Le mieux qu'il puisse espérer serait qu'elle se raccroche à lui comme à une bouée de sauvetage dans cet océan de désarroi qui s'offrait à elle. Quant à lui, il ne faisait que renforcer ce sentiment d'abandon à l'aide de ses litanies, lui faisant croire qu'il n'existait plus aucune porte de sortie.

Le dépit dévorerait bientôt les derniers bastions de sa conscience humaine et elle n'aurait alors plus d'autre choix que de se jeter dans ses bras. Ainsi, elle lui serait pleinement acquise, et il lui conférerait un corps immortel en échange de sa reconnaissance éternelle. Voilà comment cela devait se passer, il ne pouvait en être autrement. Et si par malheur elle se montrait toujours réticente, il se ferait une joie de lui démontrer qu'elle n'était pas la seule à avoir plus d'une corde à son arc. Et nul trait n'avait plus de précision que les siens, nés pour frapper en plein cœur. Un sourire matois se dessina sur son visage quand Angèle lui fit part de sa déception de n'avoir point son enveloppe physique à disposition. Il se pouvait que ce soit uniquement car en être dépourvue ne la faisait sentir que plus vulnérable, mais il avait en tête une tout autre hypothèse. D'une caresse au creux des reins, il amena son corps contre le sien.

Seriez-vous frustrée de n'être pas libre d'en profiter, très chère ?

Une réponse sans équivoque. Il n'y avait guère d'autre raison pour qu'elle regrette tant de n'être pas pourvue de son corps de chair et de sang. Ce n'était pas un problème cependant – ne venait-elle pas d'en avoir la preuve il y a un instant ? La cime de ses doigts alla cueillir cette dernière larme, afin de rappeler à son bon souvenir cette sensation de la peau contre la peau. Peut-être était-elle encore trop troublée pour en profiter pleinement. Qu'à cela ne tienne, il lui laisserait tout son temps pour se faire à l'idée qu'il lui fallait à présent renoncer. Il n'en savoura pas moins la texture de son épiderme, dont la douce chaleur ne fit que raviver les braises de son désir pour elle. Elle serait sienne, même si pour cela il devait briser ses ultimes liens de ses propres mains. L'archère n'avait perdu que trop de temps à la surface, le moment était venu pour elle de s'ouvrir en grand les portes du royaume des ombres...

Ses doigts se frayèrent un passage entre les siens. Nul besoin de ses fils pour tisser des liens : celui-ci était bien plus mesquin. Il était celui du réconfort, d'une main tendue quand on en a le plus besoin à une personne que les ténèbres environnent. Qu'elle sache qui il était en vérité n'avait à cet instant plus aucune importance, et c'était là tout l'intérêt d'une telle stratégie. L'on peut savoir que quelqu'un fait le mal et tout de même préférer sa compagnie à la solitude. Il n'y aurait de plus belle acceptation que de la voir mettre son sort entre ses mains tout en sachant pertinemment qu'il pouvait être si bien son mécène que son bourreau. Car même s'il ne lui souhaitait aucun mal, le Griffon était prêt à tout pour parvenir à ses fins, et il était possible que cela ne se fasse pas sans douleurs – et ce à plus forte raison si elle continuait de se voiler la face.

Et tandis qu'il exerçait une légère traction sur le poignet de sa « prisonnière » pour l'emmener au plus profond des Enfers, un rictus sardonique se peignit sur son visage, de ceux qu'elle ne l'avait vu avoir que quand il tire une profonde satisfaction de ses plus infâmes trahisons. Était-elle déjà tombée dans son piège en proférant ces quelques mots ? Tout portait à le croire. Ne manquaient plus qu'une poignée d'explications, qu'il se ferait sans doute une joie de lui livrer une fois dissipée ce qui ressemblait à un semblant d'hilarité. Un rire cristallin lui échappa, bien vite réprimé, après avoir pris son essor quand elle avait invoqué le nom d'Athéna. Le faire en ces lieux avait d'ores et déjà l'allure d'une mauvaise blague, mais plus encore en ces conditions ; quelle pouvait être encore cette odieuse machination ?

Athéna, tu dis ? Ha ! Heureux de voir que notre petite comédie a marché à la perfection. Je n'en suis pas peu fier, mais de là à penser que serait si parfaite l'illusion... Apprends, ma tendre amie, que tout ceci n'est qu'une pièce dont je tire les ficelles. Jamais la Déesse de la Guerre n'a daigné réintégrer ce pauvre Sanctuaire. Alors même que les Cavaliers d'Arès s'escrimaient à tenter de vous imposer leur domination, Thanatos et moi-même n'étions là que pour faire diversion. Il n'aurait été guère normal que nous ne tentions rien alors qu'Athéna vient de ressusciter mais encore aurait-il fallu que ce soit réellement le cas, en vérité. Celui qui régit le Sanctuaire en ce moment n'est autre qu'Hadès sous les traits d'Athéna, j'en fais serment.

Libéré de ses ennemis jurés, Hadès n'aurait plus qu'à frapper ; dominer les Saints n'en serait que plus aisé. Jamais l'image du loup dans la bergerie n'avait été plus pertinente, et quoi de mieux en guise de peau qu'Athéna l'éternelle absente ? Et comment assumerait-elle le fait que, contrairement à ce qu'elle disait, Hadès l'avait choisie plus que jamais ?

Vous convaincre ne fut guère aisé, mais au moment où vous en aviez le plus besoin, comment auriez vous pu douter sans que cela condamne vos lendemains ? Surpris, moi-même je le suis ; je ne l'aurais pas cru capable de feindre tant de bons sentiments, mais il n'en est que plus brillant. Ainsi, merci du compliment ; cela n'aurait pu être possible si Orion ne m'avait jadis fait ce joli présent.

Le petit cube de cristal se matérialisa entre ses doigts. Pris dans la glace demeurait l'oeil d'Orion, un souvenir du temps où celui-ci n'était encore qu'un humble Silver Saint. Cet échantillon de celui qu'il fut autrefois pouvait très bien avoir permis au sombre monarque d'en prendre possession pour enfin le perdre corps et bien. Ainsi se débarrasserait-il à la fois d'un ennemi de longue date en la personne d'un Chevalier d'Or tout en condamnant Athéna à subir la sentence du Conseil des Dieux à la place de celui par qui le tort avait été commis. Car à en croire les apparences, elle était seule responsable de sa propre déchéance. Tous l'avaient vu de ses propres yeux commettre l'irréparable, et pas même ses propres dévots n'oseraient la dire non-coupable.

L'étau s'était refermé. Pourrait-elle jamais s'en délivrer ?

Déçu. Oui, c'était le mot : Alessio était déçu. Déçu qu'elle ait fini par se conformer aux règles, déçu qu'elle ait oublié qui elle est. Ce qui l'avait tout d'abord attiré chez elle était qu'elle sorte du lot. Qu'elle n'était pas qu'une dévote stupide comme la plupart de ceux qui se seraient jetés aux pieds d'Athéna si elle avait daigné leur accorder audience. Qu'elle était capable de réfléchir par elle-même sans avoir besoin de s'en remettre à une divinité qui manquait à l'appel depuis trop longtemps. Pas qu'une larve servile qui poursuivait sans cesse l'ombre de celle qui l'aurait soi-disant élue alors qu'elle n'était en fait que de la chair à canon. Elle n'était pas comme eux : elle avait sa personnalité propre. Un fort caractère au service d'une dualité qui n'avait fait que croître avec les années.

Non, elle n'était pas l'une des leurs, elle n'était pas un de ces moutons de Panurge qui rentraient docilement dans les rangs et sacrifiaient leur identité propre au profit d'une cause désuète. Tout la promettait à un grand avenir, une incroyable destinée. Mais voilà qu'elle venait de tout gâcher. Et un tel gâchis lui donnait la nausée. Voir ce potentiel s'effondrer lui faisait mal au coeur tant il trouvait cela navrant. Ainsi s'était-il figé sur place quand il l'avait entendue prononcer ces mots, craignant de n'avoir pas bien entendu – ou plutôt, au contraire, ayant peur de n'avoir que trop bien entendu. Horrifié, le Spectre se passa la main sur le visage pour recouvrer un semblant de contenance, désespérant de ne pouvoir croire que c'était lui qui avait manqué de lucidité.

Elle ne le croyait pas.

Que t'ont-ils fait ?

La question était sincère, même si elle ne pourrait en comprendre le sens. Faisant mine de se ronger les ongles, le Griffon était en proie à une angoisse oppressante. Celle de la voir négliger ce potentiel énorme pour n'être en définitive qu'une arme de plus entre les mains de la Déesse de la Guerre, éternelle absente. S'il peinait déjà à comprendre comment les Saints possédaient une armée de cette envergure alors même que la plupart d'entre eux ne devaient jamais avoir eu de preuve de l'existence de celle qu'ils étaient supposés servir, il était d'autant plus choqué de voir qu'une telle conversion soit possible alors qu'elle n'avait pas reparu depuis. Surtout de la part de celle d'une personne dont l'âme était depuis toujours divisée entre lumière et ombre - d'autant plus après avoir tout fait pour que les ténèbres qui l'encerclaient prennent le dessus.

Si crédule...

Jamais il n'aurait pensé qu'elle puisse tant l’écœurer.

Elle qui avait ne fut-ce qu'un bref instant sillonné l'obscurité, n'avait-elle pas appris lors de ce bref passage qu'il n'existe rien en ce monde qui ne puisse être contrefait ? Jusqu'aux sentiments les plus purs, à commencer par ceux en lesquels les Saints croyaient de tout leur saoul. Se faire repousser ne l'aurait point dérangé ; depuis le début, il en avait de toute façon toujours été ainsi au sein de leur relation. Mais si elle devait le faire, qu'elle le fasse pour de bonnes raisons et non en s'absorbant dans une foi aveugle envers une divinité qui n'avait rien fait pour elle alors qu'elle avait largement le pouvoir de briser sa malédiction. Qu'elle puisse encore croire en elle, passe encore : qu'elle en vienne à oublier qui elle était pour rentrer dans le rang, certainement pas. Il ne le permettrait pas.

Et moi qui croyais que contrairement aux bouffons qui peuplent ton entourage, tu avais assez de personnalité pour exister par toi-même... Il semblerait que je me sois bien trompé. « Ah d’accord. Alors, sous prétexte qu’il terrorise le monde, qu’il fasse tuer des femmes et des enfants, et qu’il ponctue chacune de ses phrases d’un rire sardonique, il serait maléfique ? Non mais vu comme ça, naturellement ! » la voix nasillarde qu'il venait d'emprunter ne laissait que peu de doutes sur son intention de tourner cette réponse niaise à souhait en dérision. S'était-il à ce point trompé sur son compte ? Bah ! Tu le constateras par toi-même bien assez tôt. Libre à toi en ce cas de conjecturer sur les raisons de notre présence sans jamais trouver la moindre explication, puisque je viens de te la donner. Que tu t'obstines à la réfuter ne pourra hélas rien y changer.

Pour se calmer les nerfs, Alessio fit passer le cube de cristal d'une main à l'autre sans que l'oeil qu'il contenait ne bouge d'un iota. Un travail d'orfèvre, ainsi qu'il y avait veillé. Ce n'était pas si souvent qu'il ramenait un trophée, aussi ne pouvait-il que veiller à ce qu'il soit bien conservé. Le sortir en public faisait toujours son petit effet. La mine sceptique d'Angèle lui fit réprimer un soupir. D'un autre côté, il en fut soulagé : au moins son manque de foi émanait-il cette fois de sa propre volonté et non d'une vaine idole qu'il espérait ne jamais la voir vénérer. Son choix et le sien seul. Fallait-il pour autant entrevoir une lueur d'espoir ? Désappointé comme il l'était à présent, Alessio préférait ne pas trop y croire. Il haussa les épaules avec un relatif dédain et lui fit savoir qu'il était aisé de déceler son air buté et les suspicions qui se cachaient derrière pour peu que l'on s'en donne la peine au moyen d'une remarque si pertinente qu'elle en deviendrait presque vexante.

Oh, au cas où tu te poserais la question : ceci - il éleva le cube à hauteur de son visage pour la regarder au travers - ...est authentique. Je ne sais pas si tu t'en souviens mais le clone d'Orion que nous avons affronté tous les deux il y a quelques temps était borgne. À quoi était-ce dû, à ton humble avis ? J'ai hélas cru voir qu'il avait trouvé un moyen de remédier à ce problème. Et moi qui pensais qu'au moins celui-là il ne pouvait pas le perdre en lui laissant ce souvenir...

Le cube sauta d'une main à l'autre une fois de plus avant de regagner sa poche, où il disparut sous forme d'une épaisse fumée noire emplie de maléfices. Le Spectre était passé maître dans l'art du camouflage et maîtrisait de nombreux tours du même acabit. Même si Angèle était en ce moment réduite à l'état d'âme, il préférait ne pas trop lui laisser miroiter ce trophée pour ne pas qu'elle soit tentée de s'en emparer. Le lui reprendre alors qu'elle était affaiblie ne causerait pas la moindre difficulté à une personne de son rang, mais s'il pouvait éviter ces complications,  il ne s'en priverait pas. Ne fut-ce que par égard pour l'intérêt qu'il lui avait autrefois porté, il ne tenait pas à la mutiler, mais cette résolution était susceptible de changer si rien ne devait venir corriger le tir.

C'est regrettable, mais je suis obligé de te donner raison. Aussi vais-je te laisser le choix ; soit tu viens avec moi, ne fut-ce que pour contempler tout ce que tu n'auras jamais si tu continues de perdre ton temps avec cette gourgandine d'Athéna, soit tu repars dès maintenant. Auquel cas je me contenterai de t'indiquer la direction à prendre et c'en sera fini de notre relation, qui avait pourtant si bien commencé.

La Sagittaire ne réalisait sans doute pas tout ce qu'elle perdrait s'il se détournait d'elle car il n'y a pas d'allié plus fiable qu'Alessio envers ceux qu'il considère comme étant sous sa juridiction. Quelle que soit sa situation, elle aurait toujours pu compter sur lui pour surgir de nulle part comme il en avait l'habitude afin de voler à son secours pour l'unique raison qu'il ne tolérerait pas que quiconque pose ses sales pattes sur ce qui n'était à ses yeux rien de moins que sa propriété. Avec Lenalee, elle faisait partie des rares personnes à pouvoir se vanter d'être ainsi considérée, si du moins c'était encore d'actualité. D'une rotation du poignet, il fit se matérialiser son haut-de-forme au bout de ses doigts et le posa sur sa tête, dissimulant ainsi son regard contrit.

Mais n'oublie pas une chose : c'est de ton plein gré que tu as choisi de me suivre. C'est par choix que tu te tiens à ùes côtés à cet instant même. Tes mots si creux ne pourront rien changer au fait que ton âme, elle, au moins, sait que tu es faite pour m'appartenir durant le reste de l'éternité. Aussi je te prie d'interroger ton coeur pour voir quelle est la voie à suivre en ton âme et conscience. Le choix t'appartient.

Citation :

→ Tribunal.