FB : L'ange et le griffon sous l'océan

Vin qui pétille, femme gentille, sous tes baisers brûlant d'amour, oui d'amour, plaisir bataille, vive la canaille, je bois, je chante et je tue tour à tour...

Telles étaient les paroles familières - quoique peut-être moins dans cette partie du monde - que l'on pouvait entendre se répandre dans l'air du sanctuaire profané, se réverbérant sur la pierre et le sable au gré de ses places fantômes et de ses rues désertées.
Ce n'était pas la première fois qu'Alessio venait musarder en ces lieux depuis que ses propriétaires l'avaient déserté, et pas plus cette fois que les précédentes n'y avait-il rencontré âme qui vive. C'était tant mieux : il détesterait l'idée d'aider à s'éteindre une espèce déjà en danger.

Trompant l'ennui et la solitude, il avait par ailleurs passé une tenue de circonstance - à Rome, fait comme les romains, même s'il n'y avait ici personne pour en être témoin.
Ainsi aurait-il moins l'impression de jurer dans le décor - même si le simple fait de continuer à respirer semblait être en infraction directe avec les us locaux par les temps qui couraient.

Redingote et tricorne étaient donc à l'ordre du jour, de même que le reste de l'attirail propre à tout loup de mer qui se respecte - il avait croisé suffisamment d'épaves échouées sur le chemin pour pouvoir consulter les squelettes dont ils étaient jonchés quant à la dernière mode en la matière.
Cet effort vestimentaire n'en faisant toutefois pas assez à lui seul pour le faire entrer dans le rôle, il s'était donc mis à pousser la chansonnette - et, bien qu'il ignorât si celle qui lui était naturellement montée aux lèvres était encore à la mode sur les différentes mers du globe, l'estima être un bon choix.

...Étant forban, je vis dans ma cabine, en méprisant les lois, même la mort ; ne vivant que de meurtre et de rapine, je bois mon vin dans une coupe d'or... Oh ?

Déambulant de tous côtés dans les faubourgs d'Atlantide, à défaut de carte, il utilisait généralement le Pilier Central pour s'y retrouver ; visible de loin et au centre de tout, celui-ci faisait un parfait point de repère. Or, alors même qu'il parvenait à son pied, il put se rendre compte que d'autres - eux humains, du moins en apparence - en avaient foulé il y a peu les parages.

Dans la mesure où il était arrivé ici en volant, ce ne pouvaient être les siennes ; et même si ça avait été le cas, les courants marins en auraient fait leur affaire sur le temps qu'il lui avait fallu pour fureter à la ronde.
Il n'était pas seul - comme un grondement à proximité s'employa à le lui confirmer, l'incitant à aller y voir de plus près. Ce qu'il résolut de faire : cela le changerait de la routine de ses visites habituelles.

Ainsi, le Griffon déploya ses ailes, avalant en un rien de temps la distance qui le séparait de la source de ce tapage - et, avec un peu de chance, de celui qui l'avait provoqué.
C'était le cas, à en juger par la haute silhouette qui se tenait au milieu de la faible clarté que laissait entrer le caveau fracturé - une forme si sombre qu'elle semblait la lumière avaler.

Et bien, ça par exemple ! s'exclama-t-il avec entrain à cette vue, pénétrant à son tour dans le mausolée, son attirail de forban se muant peu à peu en volutes noirâtre pour laisser place à un accoutrement plus orthodoxe. Et bien que quiconque eût pu jurer que c'était un autre chapeau qu'il portait sur la tête, c'est bien un haut-de-forme qu'il tira au moment de saluer son interlocuteur.

Et moi qui commençais à me demander s'il vous était arrivé malheur. Et bien, on dirait que ce n'est pas encore cette fois que j'aurais l'occasion de l'essayer, dit-il en baissant les yeux sur le sabre d'abordage qu'il tenait à la main, avant que celui-ci à son tour n'explose en fumée. Il fit mine d'épousseter ses doigts gantés : Puis-je savoir quel bon vent vous amène ?

Certes oui, fit Alessio en finissant d'ajuster son chapeau, mais nous vivons des temps périlleux, et même les dieux tombent comme des mouches.

Car si en effet il arrivait également au Griffon de quitter la scène pour des périodes plus ou moins longues, le Porteur de Lumière semblait avoir une meilleure maîtrise de cet art ; cela faisait des mois, sinon des années, qu'il n'avait plus fait parler de lui. Mais après tout, ne dit-on pas que la plus grande ruse du Diable est de faire croire qu'il n'existe pas ?

Heureux de voir que mes craintes étaient infondées, néanmoins. Cigarette ? conclut-il en en faisant apparaître une dans chaque main.

S'il parut avoir remarqué lui aussi le léger frémissement de l'urne, il ne s'y intéressa pas au-delà d'un simple regard - car trop occupé à lutter contre l'humidité ambiante jusqu'à finalement réussir à faire naître une faible flamme au bout de son bâton de tabac.

Oh, rien d'aussi lugubre : je passe juste nourrir le Léviathan. dit-il en pointant l'index vers l'extérieur du temple - et qui y consacrerait suffisamment d'attention pourrait effectivement entendre un grondement bestial dans le lointain. La pauvre bête n'a plus grand chose à se mettre sous la dent depuis que ses maîtres sont partis en vacances, il faut bien que quelqu'un s'en occupe. Et puisque j'ai régulièrement des pièces de viande encombrantes sur les bras... Il haussa légèrement les épaules. J'en profite pour visiter pendant qu'elle se remplit la panse, au cas où il y aurait quoi que ce soit à ramener, des souvenirs pour ma collection.

Comme en guise de preuve, il fit tournoyer au bout de son index deux bracelets finement ciselés, incrustés de joyaux précieux. Ceux-ci se volatilisèrent dès qu'il referma la main dessus, reprenant leur place dans les coffres bien garnis d'Anténora.

Quant à cet endroit, si j'aimerais partager votre attachement à son égard, je crains de ne l'avoir jamais connu comme autre chose qu'une gigantesque décoration d'aquarium. reprit-il tandis que les premières volutes de fumée s'élevaient avec paresse tout autour de lui, si étrange que soit cette vue dans un environnement aquatique. Une chance que les Marinas aient prévu une bulle d'oxygène pour leurs visiteurs n'étant pas dotés de branchies. Son regard se reporta sur la jarre qui trônait devant eux : Il est vrai que cela fait longtemps que le vieux loup de mer n'a plus pointé le bout de sa barbe. Hélas, je crains que nous n'y soyons pas pour grand chose : ce sont les Berserkers qui ont ravagé les lieux, il me semble. Encore qu'ils auraient fini par s'effondrer d'eux-mêmes, si vous voulez mon avis.

Il promena un oeil critique sur le temple et son état de délabrement avancé. S'il n'avait jamais considéré les Marinas comme une force majeure dans les conflits divins, en dépit de l'importance de leur fondateur au sein du panthéon, la discrétion dans laquelle ils s'étaient éteints n'en étaient pas moins décevants.

Quant à Asgard... Ce sont eux qui ont tenu à tourner cela en humiliation, reprit-il, toujours aussi désinvolte, arpentant la salle où ils se trouvaient d'un pas léger au cas où quoi que ce soit mériterait qu'il y regarde de plus près. Ce n'était au départ qu'une visite de courtoisie, certes un peu musclée... Mais qu'y puis-je s'ils se montrent aussi égoïstes quand on leur demande de partager ?