Reviens moi d'aussi loin que tu puisses partir...

Quiétude.
Est-ce sans doute le premier mot qui viendrait à l'esprit de quiconque pénètrerait dans ce lieu en dehors du temps et de l'espace. Caché aux yeux du monde. Un endroit que nul ne peut pénétrer... normalement.
Reposant contre le tronc noueux d'un arbre au firmament de sa jeunesse, Ahina. Son regard clair fixe avec tendresse le creux de ses bras. Pourtant il n'y a rien. Rien d'autre que le vide. Mais elle, elle voit.
Quand il était bébé, jeune bambin aux joues roses et aux éclats de rire retentissant au coeur de cette sphère protégée de tout. Il n'est plus pourtant. En a-t-elle conscience ? Peut être, même si l'expression doucereuse qui pare son visage semble indiquer le contraire.

Pourquoi a-t-elle quitté cet endroit... aurait-elle du y rester jusqu'à ce que ses jours prennent fin. Aurait-elle du garder Degalde auprès d'elle et ne jamais, non, jamais s'en séparer.
Egoïste ? Parfaitement. Ne le lui reproche-t-on pas en permanence ? Elle ne voue qu'affection et fierté à la race humaine. Cela a toujours été ainsi, aussi loin que son âme, qu'elle soit humaine ou divine, peut se le rappeler. Malheureusement n'est-ce pas ainsi que les choses se passent.
Le doute, la mort, la peur. Combien sont-ils à avoir bien plus confiance en le maître des enfers qu'en la Sagesse réincarnée.

Elle n'a rien senti, rien entendu, rien perçu. Elle aurait du pourtant. Ce royaume n'est-il pas le sien, pleinement et entièrement ? Mais non. Obnubilée par ce qu'elle tient dans ses bras et qu'elle est la seule à concevoir comme une réalité, Ahina ne perçoit pas celui qui est pourtant le seul à même de la sortir de sa léthargie.
Ce n'est que lorsque cette voix familière parvient à ses oreilles, que lorsque cette main tendue se dessine sous ses yeux, qu'elle relève la tête. Un visage au regard un peu perdu dans les premières secondes. Comme si elle se demandait... mais qui diable es-tu... et que fais-tu dans mon sanctuaire...

Ses esprits retrouvés, elle baisse de nouveau les yeux vers le sol sur lequel elle trône en réceptacle d'infortune.
Pourquoi est-il ici... Comment a-t-il pu arriver jusqu'ici. Cela a-t-il une si grande importance...
Elle n'ose même pas relever le visage, n'ose pas le regarder un seul instant. Ses poings se referment sur eux-mêmes alors que de fines larmes dévalent abruptement ses joues.

Alors que les mots s'enchaînent difficilement au fond de sa gorge, le spectre lumineux d'Athéna apparaît, opalescent, presque imperceptible, derrière la jeune femme. Si le "nous" de l'humaine n'était pas assez explicite, cette vision ne laisse plus de place au doute. Ici, en ce lieu, les deux âmes sont dissociées.

Le coeur lourd, la paume se referme machinalement autour du pendentif d'émeraude qui orne son cou. Un cadeau infiniment précieux qu'il lui fit... il y a tant de temps de cela. Car en vérité, elle a le sentiment que cela fait des siècles qu'ils ne se sont pas vus.
Et si la situation présente ne saurait être comparée à celle qui l'unissait à Vaelastrazs, là il y a véritablement très longtemps, la leur n'est guère beaucoup plus enviable, il faut bien l'avouer.

Personne ne distinguera l'hôte de la déesse, personne. Et en cela elle ne pourra guère le leur reprocher. Car si Athéna chérit Orion au plus profond de son coeur, il en va de même pour chaque être humain en ce monde, particulièrement ses propres chevaliers. Non... celle qui est tombée profondément amoureuse du chevalier d'or, celle qui mourrait pour lui si cela pouvait l'aider d'une quelconque façon, celle là même, c'est Ahina.

La bienveillante Sagesse savait avant même qu'ils ne se l'avouent eux-mêmes. Elle a vu naître et fleurir cet amour avant même qu'ils ne sachent qu'ils aimaient. Et bien que cette union soit bénie entre toutes, Athéna sait à quel point cela est difficile pour lui, comme pour Ahina.
Car eux savent. Eux trois partagent ce que personne en ce monde n'a jamais partagé. Et ce savoir est un fléau tout autant qu'une bénédiction. Ils comprennent, mais à jamais ils seront les seuls.

Ne repoussant pas cette main qui saisit son menton à la fois tendrement et fermement, la jeune femme relève la tête. Ses yeux clairs observent l'être aimé avec appréhension. Il ne la sermonnera pas. Non... il sait trop bien ce qu'elle ressent en ce moment. Et pourtant... a contrario il y a tant de choses dont il ignore l'existence. Est-ce mieux ainsi...

A son tour elle ne l'interrompt à aucune moment. Elle écoute ses mots, elle entend le message qu'il tente de lui inculquer. Il a raison. Bien sûr qu'il a raison. Mais cela fait tant d'années... tant de maux... tant de tristesse, tant de pertes, de souffrance, de faiblesses sans cesse renouvelés. Que tout ceci est épuisant, que tout ceci est éreintant.

Doucement elle se laisse aller contre son épaule alors que ses paupières se ferment.
Bienveillante mais muette, la divinité observe ce jeune couple sans briser la relation qui s'instaure entre eux. Elle veille, elle comprend, elle écoute. Mais c'est à Ahina de faire son choix.

Ses paupières s'écarquillent alors qu'il s'écarte d'elle, prononçant les mots qu'elle avait tant rêvé d'entendre. Elle les avait espérés au plus profond de cette sinistre prison, alors que ces entités des temps anciens ne cessaient d'abattre leur courroux sur le monde. Elle les avait si profondément attendues qu'elle en était arrivé à ne plus espérer les entendre réellement un jour.
Pourtant sa confiance en lui n'a-t-elle jamais failli. Non, pas une seule petite fois.

Juste avant qu'il ne reprenne la parole, alors qu'il vient de se lever et de rompre le contact, la main d'Ahina s'élève vivement dans les airs pour se refermer sur le bas de sa tunique qu'elle serre au creux de son poing.
Les mots qu'il lui adresse alors la percutent comme autant d'éclairs foudroyant la pauvre souche d'un arbre. Fixant le sol d'un air meurtri, comme si la pire nouvelle de la terre venait de s'abattre sur ses épaules, elle garde le silence quelques minutes.

Doucement elle se relève, quittant le sol d'herbe fraîche qui se répand sous leurs pieds. Saisissant la main tendue alors qu'elle consent enfin à relâcher sa tunique, elle adresse un dernier regard au linge vide qu'elle tenait dans ses bras jusqu'à lors.
Une larme perle le long de sa joue alors qu'il lui semble dire adieux pour la seconde fois à son enfant. Elle ne dira pourtant rien de cette larme, de ce linge qui chute sur le sol sans plus d'explication. Orion est sans doute la bonté incarnée sur cette terre. Mais pourrait-il comprendre que son enfant soit le fils de l'un des plus puissants juges des enfers... Elle n'a pas envie de courir ce risque. Pas maintenant, peut être même jamais.

Prenant le chevalier d'or au creux de ses bras, Ahina pose tendrement sa joue contre celle d'Orion alors que le paysage aux alentours commence déjà à disparaitre.
Lointain, sera sans doute le prochain moment où ils pourront être seuls. Peut être même que cela n'arrivera plus jamais. Réconfortante, comme si elle lui murmurait que cela n'arriverait pas, les bras d'Athéna s'enroule autour du couple tandis qu'ils disparaissent tous les trois de cette contrée mythique.

Dans la petite chambre calme cachée au fin fond du Sanctuaire Sacré, les paupières d'Ahina se meuvent doucement. Papillonnant à plusieurs reprises quelques secondes, la jeune femme pose une main sur son front en extirpant un bref soupir. Ses prunelles grises perdent de leur fadeur pour retrouver leur couleur d'émeraude originelle.
Sa main se pose sur celle du Bélier alors qu'elle se redresse lentement.

Ahina baisse les yeux sur son propre corps. Ses paupières s'écarquillent lorsqu'elle constate que de nombreuses entailles suintent encore de sang, que ses bras et ses jambes sont couverts ecchymoses violacées. Elle effleure son flanc du bout de doigts. Son mouvement se fige alors que son visage s'électrise de douleur.

A peine achève-t-elle ces mots d'une voix pâle, que l'aura d'Athéna enveloppe le corps fragile et blessé, provoquant une véritable explosion de lumière au sein du temple de la déesse.
S'exfiltrant comme une étoile que l'on aurait eu la mauvaise idée d'emprisonner trop longtemps, l'énergie brillante de la déesse s'extirpe des portes ouvertes du temple pour s'enrouler autour de la statue trônant au sommet du sanctuaire sacré. Auréolée d'une lumière rivalisant sans mal avec les rayons de l'astre solaire, plus personne en Grèce ne peut l'ignorer. Athéna est belle et bien de retour.