[PV Seishiro] La thèse d'un ange cruel

Rapport de mission: semi-échec. Tabris n'avait pas réussi à convaincre Athéna de venir en aide aux Titans, mais c'est bien lui qu'elle eut convaincu en définitif. La déesse de la sagesse et de la guerre avait raison sur toute la ligne, ce n'est pas en restant retranché dans ses rêves d'utopie que le maître des Titans réaliserait jusqu'où cela l'a mené. Le prêtre médita laconiquement sur le sujet tout en redescendant les marches du Sanctuaire, tergiverser plus longtemps sur la question ne serait que vacuité, Cronos a perdu la confiance de sa famille c'est un fait. Pourtant, loin de paraître bouleversé, Tabris n'exprima qu'un profond soupir de lassitude sans perdre de vue son objectif principal: "Persuader les opposants à éviter les moyens belliqueux". Cronos aura bien toute l'éternité pour comprendre les origines de cette continuité dans sa malédiction, le détrônant non seulement par sa descendance puis une seconde fois par sa propre fratrie. Chassant au loin ces spéculations stériles de sa tête, Tabris eut un sourire ravi en retrouvant le chemin de Rodorio qui faisait tout de même une bonne trotte intermédiaire entre Athènes et le Sanctuaire. Quelques habitants le saluèrent cordialement sur son passage, un village aussi charmant et accueillant que celui-ci ne pouvait qu'être privilégié aux abords du domaine sacré. L'Hiérophante salua chaleureusement chacun en retour et s'arrêta une nouvelle fois devant le commerce de cette vieille marchande de pommes. Sans qu'un seul mot ne soit échangé, elle lui tendit un panier rempli de belles pommes rouges auquel il lui paya son dû en pièces d'or, leurs sourires d'humains parlaient d'eux-mêmes.

Ainsi se conclut son voyage en Grèce, le prêtre aura fait de fabuleuses rencontres instructives et inoubliables. Milan Sethni et Altia Verana sont devenus ses premières connaissances et ami pour le Capricorne, Orion du Bélier et Biscione du Scorpion symbolisaient la parfaite image des Saints en adéquation avec son impression bien que le Grand Pope semble traverser une crise existentielle. Un peu comme un certain homme de foi amnésique, mais que sont les souvenirs humains d'une vie antérieure où la lumière d'Athéna n'aurait pas pu l'atteindre ? Pure vacuité, pensa-t-il. Cette déesse rayonnait littéralement de sagesse et de bonté, il ne pourra jamais l'oublier, tant qu'il restera tel qu'il est du moins. Le cours de son trajet l'amena à l'extrême sortie de Rodorio, près des falaises jouxtant la baie du Cap Sounion dont le vent marin vint rafraîchir le coeur quelque peu enflammé du petit chérubin en pèlerinage. Attrapant une pomme et croquant dedans avec un plaisir espiègle, il jeta son dévolu sur une simple pierre pour lui servir de siège et admira la splendeur irisée du crépuscule flamboyant l'horizon. On dirait presque que le soleil unissait le ciel et la mer dans ce spectacle éternellement merveilleux qu'offre la Terre, les yeux du prêtre ne se trompent jamais quand il s'agit de définir le sacré.

Tabris remercia la vieille marchande de pommes d'une prière silencieuse pour ce repas, sans lâcher le couchant des yeux il avait englouti pas moins de sept pommes parfaitement juteuses bien qu'il faillit s'étouffer avec la dernière bouchée. Jetant les trognons les uns après les autres en mer, il se stoppa avant de jeter le septième... ne portaient-ils pas des graines ? Si, et les graines sont faites pour pousser afin de perpétuer le cycle de la vie. Le prêtre les planta donc non loin du bord du chemin et fertilisa la petite surface de terre avec son cosmos, avec un peu de chance les six autres trognons seront comblés par ce chiffre porte-bonheur... celui du sens de l'ultime cosmos. L'aura éthérée de Tabris revitalisa assez sa plantation pour qu'un bourgeon apparaisse instantanément, une opération digne d'un ange n'est-il-pas ? Le soleil était maintenant complètement couché, il faisait bien sombre et les lumières de Rodorio servirent de point de repérage au jeune pèlerin. Quoi de plus sensé que de retourner sur ses pas pour y passer la nuit ?

Tiens... curieux que ça me soit sorti de l'esprit. Je me demande ce qu'est devenu ce type louche vêtu de noir, il avait une de ces poignes et une aura similaire à la nôtre... ou celle d'Eris tout au plus. Heureusement que j'ai pu le semer, a fortiori si on en juge sur son identité suspecte. Le diable... juste ciel, de qui se moque-t-on ?

Les feux du couchant maintenant remplacés par l'épais rideau obscur de la nuit couvrirent le paisible village de Rodorio d'une atmosphère propice au repos des honnêtes gens mais aussi aux complots des pires forbans. Ainsi sont faits les humains contrairement aux dieux, des choix cruciaux seront toujours au rendez-vous et en particulier celui de choisir entre le bien et le mal. Tabris en avait vu de toutes les espèces, il ne se voilait pas la face sur ce concept dichotomique omniprésent depuis l'origine du monde. Tel qu'il est là, à déambuler innocemment dans les rues presque désertes du village en profitait aussi pour fredonner de singulières notes semblables à une berceuse faisant office de prière. Ainsi il souhaitait collectivement à sa manière une bonne nuit aux villageois déjà couchés, lui-même avait hâte d'arriver à l'auberge et louer un lit bien mérité. Loin vde se douter de ce qui s'apprêtait à lui tomber dessus, le jeune prêtre retint un baillement de dernière minute sans pouvoir réfréner le poids s'abattant sur ses paupières. Il est vrai que cette journée au Sanctuaire n'avait pas été clémente pour ses maigres forces, son cosmos suffisait certes à limiter son état de fatigue qui devrait être démesurément plus avancé pour le commun des mortels. C'est au moment où il choisit de bifurquer par une ruelle quelconque que le sort s'acharna à transformer cette douce nuit rafraîchissante en "heure de ténèbres"... une présence froide et sinistre s'immisca dans son dos sans qu'il ait pu ressentir la moindre alerte extrasensorielle et lui électrisa l'échine sur toute la longueur par cette simple voix qui n'avait rien d'humain.

Les yeux écarquillés du hiérophante tremblèrent et virent blanc quelques instants, son poursuivant ne se trouvait qu'à quelques centimètres de son dos et encore... Tabris se sentait comme paralysé par un étau d'effroi, ce timbre de voix grave et profond, cette aura lugubre et ce sentiment oppressant comme la poigne exercée sur son épaule au Sanctuaire. Pivotant de profil avec une lenteur mal calculée, il se retrouva nez à nez avec l'incarnation de son futur cauchemar vivant, inutile de craindre la vulnérabilité du sommeil dorénavant. Les premiers mots prononcés au creux de son oreille résonnaient encore dans sa tête comme le bruit d'une sentence personnifiée par son expression aussi incrédule que paniquée. Cet homme n'était qu'un réceptacle en apparence, celui de Lucifer finit-il par comprendre ! Pourtant, l'étrange proximité entre eux dans ce cadre nocturne fut bien le cadet de son inquiétude car c'est bel et bien le jugement déguisé de Lucifer que Tabris se retrouvait incapable à discerner.

Ma noirceur... mais je... qu'en savez-vous ? Vous devez faire erreur et puis pour quelle raison me poursuivez-vous ? Votre façon d'agir m'effraie plus qu'autre chose messire Lucifer, je présume !

L'ange déchu dont parle la Bible, celui qui fut jadis appelé l'étoile du matin ou le fils de l'aurore sous le nom d'Eosphoros pour les grecs. Selon la version de l'époque, il représente la figure du mal absolu aux attributs de Satan l'accusateur de l'humanité devant le trône de Dieu tandis que son origine n'a en soi aucun rapport avec cette dénaturation biblique. Lucifer comme son nom latin l'indique est le "Porteur de Lumière", annonciateur de l'aurore sous le nom d'Eosphoros puis du crépuscule en Héspéros et son rôle s'arrêtait là... Tabris n'avait pas pu approfondir ses études à son sujet similairement au cas de Tatsou, ni Eris ni Lucifer ne disposaient d'archives détaillées les concernant. Comment ce dernier en est-il venu à faire partie des damnés du Tartare ainsi qu'allié par contrainte des Titans en définitif ? Quoi qu'il en soit, le prêtre ne pouvait plus le quitter des yeux sans risquer de voir sa vie fauchée sans même pouvoir s'en rendre compte. Fixant son interlocuteur se déplacer sur le côté pour lui poser une question existentielle !

Ces gens vous dites... je ne vois pas en quoi ils ont besoin d'un salut ni n'entends un appel de détresse venant d'eux. Ils acceptent leur vie telle qu'elle est sans se torturer l'esprit en vain, ce dont vous me parlez là n'est que la part de ténèbres que chaque coeur humain possède. Athéna, Cronos ou autres dieux majeurs ne s'occupent guère des réalités qui hantent le coeur des hommes !

Il déglutit discrètement sans quitter le sombre homme des yeux, sans doute voulait-il le distraire avec une tentative de conversation. Le mieux était encore de surveiller de près ses moindres gestes en répondant à ses questions d'un point de vue terre à terre. Ce n'était pas comme avec Milan, Orion ou Athéna avec lesquels il se sentait libre de s'exprimer pleinement et sans crainte mais un pressentiment restrictif. Il ne pouvait vraiment pas se sentir à l'aise avec ce genre d'hommes, dans le style d'Alessio du Griffon, non bien pire que cela c'est le diable en personne qui l'avait à sa merci. La main du Malin vint fatidiquement se nicher une seconde fois sur son épaule, le contact paralysant fit frissonner le jeune homme d'anticipation s'attendant à éprouver cette même douleur poignante. Malgré ça, il n'en ressentit rien étonnement... ses yeux se décrispèrent comme sa respiration retenue et observèrent la main inoffensive posée sur lui puis son propriétaire. Quelle ne fut pas sa surprise d'y découvrir un sentiment paradoxalement humain, une émotion d'une beauté sage et capable de purger les âmes... la tristesse pure.

Mais... pourquoi moi ? Je ne suis qu'un serviteur humain des Titans, je ne vois rien qui puisse vous intéresser en ma personne. Messire Lucifer, si je puis vous appeler par votre nom... pourquoi avoir décidé de revenir maintenant ? Suggériez-vous que vous êtes ce sauveur dont le monde a besoin selon vous ?

L'air distant et peu concerné du prêtre ne sembla pas plaire au ténébreux moralisateur que jouait Lucifer, qui sans même lui permettre un objection, le tira par le poignet fermement jusqu'à l'église du village. Tabris aurait voulu s'y soustraire, partagé entre l'inquiétude et l'exaspération, mais la poigne de l'homme le soumettait au silence et à l'obédience. Après tout, Lucifer égalait les dieux les plus mineurs en termes de nature donc par principe, l'hiérophante se devait de ne pas le contrarier. Il se faisait tard et les lumières des logements abandonnaient les ruelles au voile de la nuit, leurs silhouettes marchant à un rythme pressée atteignirent en quelques minutes le parvis du lieu de culte encore éclairé où ils pénétrèrent. Tabris eut beau ne pas apprécier d'être traîné comme un vulgaire garnement en besoin d'éducation, cette place consacrée au Dieu unique de la religion chrétienne l'apaisa en un instant. Un timide sourire naquit sur son visage fasciné par le caractère sacré de cette architecture et des vitraux représentant diverses figures saintes de la Bible, à la faible lueur des cierges et lumignons. Ici, au moins, il se sentait en paix !

Pourtant, ils n'étaient pas seuls comme le lui fit remarquer Lucifer... une vieille femme agenouillée sur un prie-dieu était en pleine oraison, ce qui n'est pas extraordinaire en ces lieux. L'Ange déchu lui narra alors les malheurs de cette pauvre ménagère, veuve de surcroît, qui priait en vain la Providence de sauver son unique enfant. Certes, cela eut pour effet de l'émouvoir mais que pouvait-il faire d'autre que de compatir avec un pincement au coeur ? Son "tuteur auto-proclamé" en avait de bonnes d'ailleurs, qui pourrait imaginer ou encore entendre les souffrances de toute l'humanité ? Seuls les dieux le peuvent, et encore, la majorité d'entre eux feigne la sourde oreille en avançant l'argument que les hommes ne récoltent que ce qu'ils sèment. Tout le monde connait des hauts et des bas dans la vie, certains plus que d'autres si on en plaint la fatalité et Tabris avait eu son lot lui aussi car le bonheur il est loin d'y nager. Lorsque Lucifer alla s'installer aux côtés de la vieille dame pour la soutenir dans sa prière, le prêtre se contenta de baisser les yeux las et croiser les bras dos au mur.

Cette pauvre dame priait pour le salut de son fils, le mieux à faire pour les compatissants serait certes de lui venir en aide mais pas de l'importuner d'emblée en pleine communion avec Dieu. L'hiérophante se frotta les yeux et pensa qu'il pourrait simplement prendre congé lorsque l'impensable arriva... un horrible bruit de craquement résonna en écho amplifié, Tabris avait assisté incrédule et impuissant à un meurtre. Les yeux écarquillés d'horreur, il vit Lucifer couvrir le corps sans vie d'un linceul puis lui expliquer que son acte ne visait qu'à lui éviter de faire le deuil de son enfant. Comble de l'horreur, il lui révèle de but en blanc que son dessein est d'apporter ce salut là à toute l'humanité ! Tabris sentit son sang ne faire qu'un tour dans ses veines, fébrile et la respiration saccadée, un défilé d'images persistait sur sa rétine. Une dernière image de Lucifer brisant la vie de cette malheureuse lui revint et il laissa éclater toute ce que cette horreur lui inspirait. Ses cris et ses pleurs envahirent le calme de l'église, accourant vers la défunte sans pouvoir y croire, il retira violemment le linceul et la prit dans ses bras. Le visage ridé et serein reçut sur ses joues les larmes du prêtre coulant à flots, il eut beau la supplier d'ouvrir les yeux et la secouer contre lui mais elle resta inerte tout comme le Christ en croix sur l'autel.

Madame... C'est impossible, vous ne pouvez pas être... Réveillez-vous, par pitié ! POURQUOI ? POURQUOI AVEZ-VOUS FAIT CELA, MONSTRE ?! AU SECOURS, QUELQU'UN... N'IMPORTE QUI... SEIGNEUR DIEU, NE LA LAISSEZ PAS MOURIR AINSI !!!!

Personne n'entendit les appels au secours de l'hiérophante, pas même Dieu, cette vieille femme venait de perdre la vie tragiquement sous ses yeux sans qu'il ait levé le petit doigt pour la sauver. Et maintenant il n'avait plus que ses yeux pour pleurer, sa conscience pour se tourmenter, sa voix pour hurler son désespoir. L'Enlaçant sans pouvoir s'y résigner, Tabris continua de la pleurer pendant un long moment, lui embrassant le front et l'inondant de suppliques pour qu'elle reprenne vie par un quelconque miracle. Sa raison l'avait abandonné, maintenant le corps reposait à ses genoux tandis qu'il continuait de sangloter dans le tablier de la malheureuse veuve. Son cosmos vibrait de façon incontrôlable au rythme de ses sanglots, à tel point que l'édifice se fissurait à plusieurs endroits, colonnes de pierre et vitraux compris. Du haut de l'autel, la figure du Christ supplicié versa des larmes de sang pour répondre à cette scène, par ailleurs le regard du messie se trouvait précisément tourné en direction de Lucifer. Ce dernier n'aura pourtant rien à ajouter, puisque le cosmos de Tabris finit par exploser tout simplement lorsqu'il se releva subitement pour maudire le responsable, la voix brisée.

Soyez maudit... Comment avez-vous pu tuer cette malheureuse ? De sang-froid, qui plus est ! Vous n'avez rien d'un sauveur, vous n'êtes rien de plus qu'un immonde dieu maléfique et fou à lier jouant avec la vie des plus faibles. Monstre infâme, puissent tous les dieux et hommes à votre image périr dans les flammes du Tartare ! Disparaissez de ma vue, car je le jure en son nom, Athéna vous le fera payer cher !!!

Le bâtiment s'effondra tout autour d'eux, l'explosion alerta l'ensemble de la population de Rodorio qui fera certainement circuler l'information jusqu'au Sanctuaire aussitôt que possible. Lucifer venait de commettre un acte regrettable pour lui-même, brisant une vie et un coeur en une sombre et funeste nuit de ténèbres. Seule encore la statue du Christ aux larmes de sang miraculeuses demeurait fixe sur l'autel de ce qui fut l'église de Rodorio, Tabris quant à lui, se releva et transporta la morte dans ses bras pour lui offrir un dernier hommage. Son coeur à l'état de verre brisé résisterait encore avant d'éclater en morceaux, le temps que le voeu de cette pauvre veuve soit accompli !

In my spirit, lies my faith
Stronger than love
And with me, it will be with me for
Always !

Son monde partait en cendres, comme les ruines de cette église où il n'aurait jamais dû pénétrer. Prostré à genoux devant le corps de la défunte, il fixait d'un air ravagé le ciel nocturne accueillant la fumée et les couleurs de l'incendie. Des cris d'alerte résonnèrent de tous les côtés, les villageois avaient été réveillés et s'ameutaient maintenant en masse sur les lieux du drame sans pouvoir croire leurs yeux. Leur église séculaire n'est plus qu'un vieux souvenir à présent, tout ce qu'il en reste c'est des débris enflammés entourant deux hommes et une femme allongée, raide morte. Tabris ne prêta cependant plus aucune attention à son environnement, son expression dévastée et ses larmes séchées sur ses joues par la chaleur offraient là le parfait reflet de sa détresse intérieure. Pourquoi le destin l'avait-il mis sur ce chemin ? Lucifer... Lucifer... l'hiérophante l'entendit ricaner, pauvre de lui s'il savait combien la haine consumait son coeur. Un flot de sentiments empoisonnants affluait jusque dans ses veines, irriguant son coeur d'un acide mortel composé de pulsions de mort. Ses pupilles écarlates se dilatèrent et sa mâchoire se crispa férocement, la fureur bouillonnant en lui se matérialisait par son cosmos encore frénétiquement actif malgré l'explosion. Lucifer allait payer, qu'importe les conséquences, il payera pour ça... Le prêtre savait quelles sont ses priorités. Et pourtant, tout ce qu'il put faire fut de prendre le corps sans vie dans ses bras une nouvelle fois et laisser ses sanglots désespérés se perdre dans le tablier de l'infortunée veuve.

Si seulement Cronos pouvait lui faire remonter le temps à cet instant, si seulement le Léthé pouvait de nouveau lui effacer ce pan de son existence. Les villageois se tenaient toujours rassemblés en quart de cercle, médusés par l'incident survenu au beau milieu de la nuit, aucun n'osait faire le moindre pas en avant. Ils sont tous à la merci de Lucifer qui pourrait bien se prendre l'envie de commettre un génocide ici et maintenant, en dernier recours, Tabris songea à le défier pour défendre le village et y perdre la vie si nécessaire. Pour valider sa détermination, il releva sur l'ange meurtrier un regard animé d'intentions combatives par delà ses prunelles pourpres dilatées par la rage. Les ruines enflammées qui auraient pu servir de terrain de bataille furent toutefois parcourues d'une soudaine brise qui les fit partiellement grésiller, puis qui vint se concentrer autour du jeune prêtre en emportant quelques perles lacrymales dans la bourrasque. Tabris retrouva ses esprits plus clairement, rafraîchi et en sécurité dans une bulle de vie, sa surprise s'intensifia lorsque la bulle l'emporta dans les airs en lui arrachant des mains la défunte femme. Il n'eut pas le temps de protester ou de se débattre contre il ne sait quoi qu'une onde de chaleur douce et incroyablement apaisante l'enveloppa en un instant, dissipant sa haine, sa colère et sa détresse comme une étoile perçant le vide des ténèbres. Ses yeux s'illuminèrent comme chaque fois qu'il visualisait une essence sacrée dans son périmètre, Athéna auréolée de toute sa gloire le protégeait désormais.

Je ne rêve pas, c'est bien elle... Athéna ! Quelle douce chaleur, divine et d'une pureté inégalable, j'ai l'impression que mon coeur s'enivre de feu et de joie. Elle est venue pour me sauver...

Les pensées du prêtre avaient beau être un peu floues, voire aveuglées par le ravissement d'une telle théophanie, il se sentait plus lucide que jamais. Loin des ténèbres et de la douleur atroce qu'elles engendrent, loin de Lucifer... Cronos lui-même est incapable d'inspirer pareille béatitude car il a lui aussi ses propres démons le taraudant, Athéna au contraire, est une déesse rayonnant d'amour et de sagesse. Tabris se laissa aller à sourire sereinement, auréolé tout entier par cette lumière dorée porteuse d'espoir occultant son propre cosmos vibrant de bonheur. La déesse de la guerre reporta une attention toute particulière vers Lucifer, lui opposant une position ferme, elle le défiait ouvertement en face à face. D'un regard en contrebas, l'hiérophante eut une vue d'ensemble sur la foule et le responsable de tout ce malheur. L'Ange déchu écoutait l'avertissement d'Athéna avec un rictus malveillant au coin des lèvres, sa mémoire lui remémorerait-elle quelques bribes de son passé lointain ?

D'une injonction puissante et sans équivoque, elle lui intima expressément de repartir et de ne plus jamais mettre les pieds au Sanctuaire. Clémente elle l'était à bien des égards, il venait tout de même d'assassiner froidement une innocente villageoise, vieille et sans défense, elle aurait son bon droit de le châtier céans. Athéna est différente des autres olympiens, elle laisse la sagesse parler avant la guerre, son cosmos en témoignait dans toute sa splendeur. Sur Tabris, elle laissa s'exprimer toute sa bonté en lui conjurant de ne pas sombrer dans les ténèbres où l'entraînait inexorablement Lucifer, et une nouvelle promesse, si d'aventure il venait à s'y égarer définitivement elle sera là pour le ramener dans la lumière. Les êtres humains, véritablement humains, ne peuvent pas rester insensibles à un tel deus ex machina, à cet instant précis la déesse venait de prendre sous son aile le salut de ce jeune prêtre des Titans. Quant à Tabris, c'est fort d'un espoir transcendant les limites de la foi humaine qu'il se laissa choir paisiblement sur le sol et répondit à la divinité des hommes disparaissant progressivement.

Déesse Athéna, seul j'aurais effectivement sombré dans ces abysses mais je fais le serment de ne jamais m'écarter du sillon que trace votre lumière. Je ne perdrai pas confiance en vous non plus, en votre image mon coeur saura trouver refuge. Puisse un jour le monde accueillir votre règne et louer votre nom, unifié et sauvé !

Merveilleuse déesse qu'est Athéna, Pâris fut un pauvre idiot que de choisir cette superficielle Aphrodite ce jour-là, pensa le prêtre qui possédait des archives mythologiques plutôt exhaustives. Les villageois s'étaient barricadés dans leurs habitations dès le premier regard de leur déesse, l'un d'eux avait même emporté le corps de la vieille veuve pour le préserver sûrement jusqu'à l'heure des funérailles. Lucifer avait fait mention d'ailleurs qu'elle priait pour son fils agonisant, alors au moins pour que sa mort n'ait pas été vaine, Tabris exaucera le dernier voeu de cette malheureuse femme en sauvant son fils de la mort. Les prédictions de Lucifer ne seront pas les siennes... mais quand on parle du loup, le prêtre se rendit compte tardivement qu'il avait baissé sa garde un bon laps de temps. Quand il se fut retourné, l'ange déchu se trouva déjà face à lui et l'agrippa par la gorge d'une main de fer, ce qui fit hoqueter violemment l'hiérophante de panique et de risque d'asphyxie. De grands et sombres appendices ailés apparurent dans le dos du Malin qui s'éleva aussitôt dans les airs pour emporter sa proie loin d'ici, vers une colline haut placée sur le panorama de Rodorio. Tabris fut jeté au sol sans cérémonie et dut prendre son temps pour recouvrer une respiration normale, la cruelle réalité reprenait sa place semble-t-il !

Aux premiers mots de sa Nemesis, il darda un regard assassin dans sa direction sans prendre la peine de dissimuler son mépris. Ses jambes peinaient à le tenir debout convenablement et ses yeux voyaient un peu trouble après tout le cosmos qu'il eut consumé pour provoquer l'explosion, toutefois il ne fera pas le plaisir de dévoiler plus longtemps des preuves de faiblesse à ce diable capable des homicides les plus monstrueux. Encore une fois, il lui sortit le même refrain concernant la souffrance incurable de cette femme comme pour le reste de l'humanité ainsi que son désir de s'allier avec Athéna. Tabris en serait tombé des nus peu avant, mais maintenant il ne pouvait vraiment plus accorder crédit aux paroles de Lucifer ni l'entendre tout court d'ailleurs. Comment Athéna pourrait-elle s'allier avec quelqu'un qui causa la mort d'une habitante de son territoire ? Pire encore, il osait jeter la pierre à un simple mortel ayant agi humainement devant un meurtre de sang-froid. Tabris ferma les yeux de dépit, non content d'avoir la malédiction de Cronos et la crise existentielle de Japet pour le garder soucieux au domaine il a fallu qu'on lui impose de finir sa vie sous la tutelle d'un illuminé voulant réformer les paradigmes les plus fondamentaux. Merci bien, mais il va passer son tour !

Avec tout le respect que je vous dois, laissez-moi vous donner le fond de ma pensée, messire Lucifer ! Un meurtre reste un meurtre peu importe pourquoi on le commet, un acte contre-nature ne peut pas effacer ces souffrances terrestres. Tout ce que vous avez fait a été de briser la vie de cette malheureuse en la privant d'un sens louable pour sa mort, elle ne priait pas pour trouver la mort ou cesser de souffrir proprement mais pour que son fils ait la possibilité de vivre plus longtemps qu'elle. Tout être supérieur que vous êtes, vous n'êtes finalement qu'un borgne incapable de voir le bon côté de la vie humaine ni tous les trésors qu'elle abrite lors de ce temps de vie éphémère.

Alors qu'il parlait encore, Lucifer le marqua du "sceau de sa destinée" en s'obstinant à revendiquer son aide pour ses projets à venir. Tabris contempla la figure du Pendu indélébile sur sa paume droite maintenant que la carte a fusionné avec sa chair, étrangement cela ne lui fit ni chaud ni froid, son corps pouvait bien être marqué mais sa volonté restera vierge de toute soumission non-voulue. Il avait sa propre vision du monde et de la justice, similaire à celle d'Athéna, à différence près qu'il n'est qu'un mortel imparfait devant la déesse possédant ces attributs. D'un soupir à fendre l'âme, Tabris oublia sa main comme s'il ne s'était rien produit et lança un dernier avertissement à l'ange déchu.

Seishiro, c'est à vous et non à Lucifer que je m'adresse maintenant. Pensez-vous réellement comme l'être dont vous servez de réceptacle ? Le combattez-vous au prix de votre salut ? Ou bien n'êtes vous plus qu'un souvenir à présent ? Sachez toutefois que je compatis grandement à votre sort, j'aurais pu être à votre place... mais ma bonne étoile continuera de briller tant que mon cosmos brûlera, si je dois m'allier à vous ce ne sera qu'après votre approbation par Cronos et Athéna eux-mêmes. Si votre nom Lucifer signifie le porteur de lumière, le mien Tabris, est celui de l'ultime messager divin créé par Dieu d'une de vos plumes perdues dans votre chute. Cet ange est ma muse en quelque sorte, ainsi que votre avocat par procuration jusqu'au jour du jugement si on en croit la Bible, n'est-ce-pas là un signe du destin ? Vous comprendrez alors que peu importe la puissance du lien, nous resterons inconciliables par essence. L'Ange symbolisant le Libre Arbitre ne se laissera pas piétiner par celui qui chuta du plus haut des cieux jusqu'au plus bas des enfers, votre disgrâce ne sera point la mienne !

Tout était dit, maintenant à Lucifer de choisir comment corriger ces crimes impardonnables dans l'état au prêtre des Titans. Ce dernier ne se fit pas prier et s'empressa de redescendre vers Rodorio, son cosmos flamboyait maintenant sans discontinuer pour prévenir une nouvelle attaque déloyale. Son kekkai de prédilection fera face à l'ennemi en muraille absolue, et rien ne le fera chanceler jusqu'à ce qu'il ait honorer les prières d'une mère.

Ce bougre de Lucifer avait au moyen le profit de posséder des ailes, pas comme certains qui sont obligés d'utiliser le moyen de locomotion le plus commun. Redescendre et marcher pour rattraper les kilomètres perdus sont bien le plus lourd fardeau des mortels et après l'ange déchu se disait miséricordieux... Mais, ce ne fut pas un handicap pour Tabris qui pouvait après tout surpasser la vitesse du son quand il use de son cosmos. Le seul vrai problème fut de devoir le brûler sans répit pour anticiper toute attaque, sans quoi il ne serait pas autant épuisé en atteignant l'entrée du village. C'est ça ou accorder une brèche au Malin pour l'étrangler à nouveau, hors de question, plus jamais il ne laissera brutaliser sans riposter à dater de ce jour. Ses pas hésitants le ramenèrent vers ce qui reste de l'ancienne église, des cendres encore en proie aux flammes dévorantes qu'il a lui-même provoquées. Contemplant ce triste spectacle, Tabris serra le poing jusqu'à en saigner et médita les yeux fermés sans cesser de brûler son cosmos. Trop de choses l'inquiètent et le taraudent maintenant, comme la trahison injustifiée de Tatsou, le mystérieux lien entre lui et Setesh et l'issue incertaine de la révolution des Titans... Non, le pire restait à venir et se trouvait précisément gravé sur sa paume pour qu'il le garde à l'esprit. C'était cette main d'ailleurs qu'il s'est saigné jusqu'aux ongles, sachant que ce n'est pas quelques cicatrices qui masqueront les répercussions pourtant il se sentait souillé quelque part... ou l'avait-il toujours été ? Lucifer lui avait honnêtement fait part de son utilité à ses yeux, jugeant que le mensonge n'accorderait aucun bonus à ses talents de manipulateur aguerri. Athéna lui est venue en aide, mais ne pouvait en faire plus, c'est lui et sa petite personne qui manquent de puissance !

L'Autel demeurait toujours miraculeusement intact, comme s'il était sous la protection d'Athéna ou d'une autre divinité. Pourquoi est-ce toujours les dieux qui régentent nos vies ? Si Athéna ou cette entité nommée "Christ" étaient vraiment des dieux capables d'apporter le salut au monde, pour quelle raison restent-ils aussi passifs ? Tabris se détourna de ce lieu maintenant bon pour les badauds et reprit son chemin, la lumière qu'il émettait n'avait rien de saint si ce n'est qu'elle révèle la nature de son âme. Les villageois semblent avoir une opinion toute faite maintenant, l'ayant vu revenir sans prendre la peine de faire profil bas avec son cosmos, ils furent vite redescendus dans leurs rues pour le huer de tout leur soûl. Tabris resta imperturbable et neutre face aux cris de haine montant en crescendo, des projectiles suivirent rapidement, pierres et autres objets du même genre rebondissant sur son Champ de Terreur Absolue. Quelle ironie ! Lucifer avait bien réussi son coup, objectivement c'était bien Tabris le responsable de l'explosion et celui qui portait le corps de la défunte veuve alors il est bien normal que Rodorio le considère comme coupable. Athéna n'avait pas prise la mesure de les en informer mais le prêtre ne lui en tiendra pas rigueur, de toute manière, il est et restera toujours un paria inhumain. Pris au piège de tous les côtés, l'hiérophante sentit ses forces diminuer dangereusement alors que la clameur gagnait en frénésie. Une pierre arriva même à percer son kekkai amoindri et le toucher à la tempe gauche, une longue trace rouge s'écoula tout le long de sa joue mais ni il ne se lamenta ni ne riposta. Prostré comme une proie inoffensive et tête baissée, il laissa finalement son cosmos s'éteindre et accueillir son châtiment comme il se doit.

Benedictus es, Domine, Deus universi, quia de tua largitate accepimus panem, quem tibi offerimus, fructum terrae et operis manuum hominum: ex quo nobis fiet panis vitae et vinum, quod tibi offerimus, Fructum vitis et operis manuum hominum, ex quo nobis fiet potus spiritalis.

Ses genoux s'affaissèrent au sol, il embrassa sa croix pour conclure là sa prière latine eucharistique tout en se faisant injustement lapider. Jamais il ne pourra faire de mal à quiconque et vivre en paix avec ça, alors autant subir en silence jusqu'à ce qu'ils s'en lassent... Si seulement en effet, son "ange gardien" ne semble pas du genre à renoncer aussi facilement. Cette entrée en scène fut un plagiat finement bien orchestré de celui d'Athéna, auréolé de lumière tel un saint descendant des nuées du paradis céleste. Le prêtre le dévisagea avec morgue, encore et toujours cette mascarade pleine d'artifices trompeurs, au moins il aurait servi d'extincteur en dernier recours. Sycophante et vil diffamateur, il osait s'arroger le persona du bon juge face au mauvais larron et envoûter les gueux superstitieux en prenant Dieu à témoin.

Fut la seule réponse que Tabris lui accorda, Seishiro venait de sceller à jamais toute possibilité d'entente entre eux deux. D'un dernier regard empreint d'une hypocrite tristesse, l'ange déchu s'envola vers le ciel en lui retirant au passage la marque du Pendu qui se rematérialisa en carte dans sa main droite. Il eut au moins le mérite d'avoir calmer durablement la foule, mais cela allait se payer et cher, ce n'est pas à l'ange qu'on apprend à faire la bête. L'Hiérophante se releva et s'épousseta sèchement, repoussant avec dédain quelques villageois s'approchant avec remords pour l'aider. Mais il accepta d'écouter une jeune fleuriste l'implorer de sauver son petit ami, pure coincidence, le fils mourant de cette même malheureuse veuve.

Ayez pitié, monsieur ! Ma belle-mère n'aurait pas souhaité que toute sa famille soit décimée par le sort ainsi, je ne veux pas que sa mort soit vaine... je ne veux pas non plus perdre celui que j'aime. Sauvez-le, je sais que vous en avez le pouvoir !

Tabris contempla avec émoi le visage larmoyant de la demoiselle et accepta d'un geste entendu de l'accompagner, partir sans finir ce qu'il avait décidé de faire n'entrera jamais dans son credo. Cinq minutes de marche et ils arrivèrent dans le logement délabré mais accueillant de par son atmosphère encensée. La chambre du mourant à l'étage comportait plusieurs offrandes religieuses entourant le lit, même des reliques appartenant au culte d'Athéna sur le bas. Le prêtre referma la porte et observa la jeune femme se précipiter vers sa moitié, à genoux en pleurant l'agonisant, un deuil aussi sincère et désespéré n'a pas le droit d'avoir lieu. Tabris s'agenouilla aux côtés de la demoiselle et pria en silence, de longues minutes d'oraison ponctuées par les sanglots et les gémissements du jeune couple jusqu'aux aurores. Les premiers rayons du jour perçant la lucarne annoncèrent le commencement d'une nouvelle vie, le cosmos du prêtre s'enflamma puissamment et irradia un joyau de l'Adamas Psammos que Tabris alimenta jusqu'à le pulvériser en particules étoilées. D'un souffle concluant l'opération, il répandit la poussière étincelante sur le patient qui l'huma avec apaisement... tout son corps fut traversé de spasmes durant une longue minute de transfiguration, puis retrouva enfin les couleurs de la santé. Stoique, le thaumaturge abandonna le jeune couple au comble de leur joie sans attendre de remerciements, prenant congé comme s'il n'avait rien accompli d'important. Heureux pour eux il l'est certainement, mais ce n'est qu'une mince partie blanche épargnée sur la surface d'une feuille souillée de sang que lui faisait miroiter sa conscience. Sa bonté d'âme est son seul trésor, arrivera-t-il à la préserver tout le long de son voyage ?

 Asgard

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