Retour à la maison ~ Libre

La silhouette craque ses épaules. Se redresse doucement alors qu'elle vient d'apparaître à l'entrée des Enfers. Plus loin, à l'Est, les premières âmes – ou plutôt, les dernières – attendant tranquillement leur passage. Au loin, les Eaux Noires. Les Eaux Écarlates. Les nombreux Fleuves, qui s'alimentent et disparaissent en des royaumes inconnus. Le Démon avance de quelques pas. Ses pieds nus reconnaissent la terre sombre. Ses yeux embrumés reconnaissent ces paysages. Ils connaissent – depuis fort longtemps – ces lieux. Cette région infernale. Et les autres. Les profondeurs le reconnaissent.
Au point qu'un frisson particulier vient animer les âmes. Comme le souvenir d'un vivant effroyable. Comme le souvenir d'une crainte. D'une peur. Qui offre à ces ersatz d'humanité un nouveau droit à l'émotion. Sans doute auraient-ils préféré ne pas le vivre. Ne pas le ressentir. Ne pas l'expérimenter.

Il disparaît, bien vite. Les Anciennes Créatures n'ont plus le droit de juger d'elles-mêmes. Du moins. Elles ne l'avaient plus. Maintenant … Maintenant … Alors qu'il est là. Il semble entendre quelque chose qui vient réfuter cette vérité. Le triste prière d'une chose abyssale. Féroce. Violente.

Un instant, l'homme craque sa nuque. Cela fait une année qu'il n'est pas revenu – car ses services n'étaient guère utiles. Les Spectres jouent avec les âmes. Les Juges sont devenus les Princes. Les Dieux Infernaux imaginent leurs nouvelles guerres. Lui. Lui. Ah. Il ressentait quelque chose qu'il n'a jamais perdu – à l'inverse des Spectres. La vie, même démoniaque, palpite encore dans son corps. Dans son sang. Dans sa chair. C'est là le paradoxe des êtres de son engeance – contemporains des Titans. Ils vivent. Ils n'ont pas besoin de mourir pour servir les Enfers. Car ce sont les Enfers qui leur ont donné naissance. Ni divinités. Ni morts. Ni humains. Le goût de l'éternité – non pas par le trône du divin mais par les profondeurs de la vermine infernale.

Une main sur le flanc, Eurynomos passe ses doigts devant sa bouche, cachant un bâillement. Une tenue plus proche des antiques tissus. Ses cheveux eux-mêmes sont couronnés de laurier – une provocation à peine voilée en direction de ceux qui aiment dire que cela appartient à la surface et aux visages de l'Olympe. Non. Non. Si une chose existe, alors toutes et tous peuvent la porter. La toucher. La tenir. Surtout si cela est mal vue. Oui. Surtout si cela est mal vue. Ainsi, c'est donc sous ces atours que l'homme au regard dépareillé commence à avancer. Avant qu'un Squelette n'approche. « Stop. » Il s'arrête. Alors. Obéissant. Penche la tête. Regarde.
Le Garde le pointe de sa lance. Le fixe avec rage. Ah. Il ne sait pas. Ah. Oui. Bon. Il faudrait lui apprendre. Peut-être. Lui apprendre. Mais par quoi commencer ? « Les morts doivent suivre la file. Un Juge ou Yade s'occupera de votre sentence. » Ah. Peut-être par ça. Oui. « Et si vous continuez … Je m'occuperai moi-même de votre cas. » Ou peut-être lui apprendre ça.

Le Squelette crache aux pieds de celui qu'il ne connaît pas. La preuve de l'incapacité de certains à réfléchir. À apprendre. À observer. Il n'y a que quatre choses pour ce genre de personne aux Enfers. Les dieux. Les Spectres. Les Gardes Squelettes. Et les Morts. Oui. Oui. C'est simple. Mais … insultant. Et … Faux.

Alors le Démon regarde le sol souillé par le crachat du Squelette. Avant de commencer à avancer. « J'ai dis, stop ! » Alors. Simplement. Il tente de frapper. Mais Eurynomos disparaît. Pour simplement arriver à côté de lui. Porter le doigt à la tempe du garde. « Il faudrait un peu … » Au simple contact, le crâne se fend. Se brise. Alors que le reste du corps subi le même phénomène. Ne laissant qu'une lance et des morceaux d'armure sans intérêt. « Utiliser un peu sa tête. » Un nouveau bâillement.

La journée va sans doute être longue.
Mais le démon s'étire. Un peu. Respire. Cet air sombre. Jusqu'à ce qu'un Papillon du Monde des Morts arrive jusqu'à lui. Se pose sur sa main. « Tu vois que je ne suis pas en retard. Hm ? Lui. Rien. »

« Hm … ? » En pleine discussion avec le Papillon du Royaume des Morts, le Démon est attiré par un autre bruit. Une autre arrivée. Tournant un instant la tête, son regard dépareillé observe alors celui qu'il croit reconnaître derrière toute cette saleté et cette fatigue. Curieux, le Papillon s'envole, ignorant les quelques mots lancés par Setesh, pour mieux tourner autour du porteur du Surplis d'Anubis. Pendant ce temps, Eurynomos écoute. Haussant à peine un sourcil, alors qu'il baisse ses yeux sur les restes du Garde Squelette. Puis. De nouveau il regarde l'Égyptien.

Alors. Il hausse les épaules. À sa deuxième question. « Non. Tu ne m'as pas menacé, Setesh. » Il se penche un instant dans sa direction. Il renifle. Un peu. Avant de reculer légèrement et de passer sa main devant son nez. « Tu n'es pas très propre. Tu as été tué qui cette fois au nom de tes dieux ? » Se redressant, le démon observe alors simplement les restes au sol. Une légère énergie traverse son corps. Glissant, rampant, jusqu'à sa main. Quelque chose de réellement infernal. Dans le sentiment. Pour un intrus, celui-ci semble tellement proche des Enfers …

Qu'il pourrait être né sur ces terres.

La main chargée d'énergie, il fait claquer ses doigts. L'éclat se brise, alors que l'armure du Garde Squelette vient à être rongée. Une rouille noire. Grouillante. Qui dévore comme une foule de vermines. Pendant ce simple phénomène, Eurynomos s'étire un peu. Son regard se penche vers le Papillon des Enfers. « Elle est en retard. J'ai gagné mon pari. Oui. Je sais. Il n'y a rien à gagner. » Un instant, ses épaules se relèvent. « Ah. » Son regard se lève. Vers le ciel obscure. Alors que quelque chose vibre dans l'air de l'Entrée des Enfers. Une respiration.

En Caïna, quelque chose à vibré. Quelque chose s'est réveillé.
Dans la plus profonde salle, pendant un instant, les yeux se sont emplis d'une vie. Une vie qui s'est dès l'instant animé.
Les portes se sont ouvertes. Alors que le métal sombre s'est déformé, pour devenir une brume. Une énergie qui lentement s'est entendue dans le Domaine. Avant qu'elle ne disparaisse. Comme un spectre qui vient de quitter un manoir.

Cela remonte. Rapidement. Plus vite encore. Chaque Prison. Cela vole. Jusqu'à n'être qu'une nuée noire. Une silhouette à peine formée. Qui domine le ciel. C'est cela, que le Démon observe. Ouvrant et fermant ses mains. Puis, violemment, la nuée se dirige en direction du sol. En direction de lui. Alors que son sourire s'étire. Un instant. Alors qu'il lève sa main. L'impact semble violent, et pourtant, dès le premier contact entre sa main et la nuée sombre, celle-ci est venue à recouvrir son corps. Redevenant un métal sombre. Qui s'étire. Habille. Enlace cette silhouette. Alors que dans la main, quelque chose reste. Comme contenue. Entravée.

Alors que le Surplis de la Wyvern termine de le recouvrir – seul le heaume semblant manquant, laissant cette couronne de laurier – une orbe palpitante continue d'exister entre ses doigts. « Tu es le premier. » Puis. D'un mouvement, il ne fait que l'écraser. Pleinement. Vie. Mort. Existence. Tout. Jusqu'à ce que tout ne devienne qu'un lointain souvenir. Peut-être pourrait-il remercier celui qui s'est occupé d'entraver définitivement l'existence du rejeton de Zeus. Mais pour le moment … il ne fait qu'essuyer ses mains. Alors que les débris disparaissent.

« Bien. Cela te conviens comme explication ? » Cette fois, il observe Setesh.