Hello ? [FB Angèle]

« Je suis tout dégueulasse maintenant. C’était bien la peine de se donner du mal pour nettoyer ce costume la dernière fois, bon sang. »

La voix, déformée par le port du masque, provenait d’un petit bonhomme, qui n’avait pas atteint la vingtaine. Il époussetait sa bure de cérémonie en y allant franchement. Tout ce sang ne partirait pas aussi facilement. Il lui fallait très clairement un peu d’eau pour tout nettoyer.  Et il n’en trouverait pas en Enfers. Enfin. Si. Mais l’Archéron ou le Styx n’étaient pas particulièrement réputés parmi les lavandières.  Déjà que ça ne se bousculait pas au portillon pour faire trempette dans le fleuve – surement quelque chose à voir avec les milliers de mains qui tentaient de vous attirer vers le fond – si en plus on commençait à y déverser des produits tels que du savon…

Il avait fait disparaître son surplis aussitôt qu’il avait quitté les terres du dieu de la guerre, et ce pour plusieurs raisons. Déjà, il n’avait aucune envie de se voir surpris par un Saint agressif. C’était une hypothèse chez ces gens là. Ils avaient tendance à cogner avant et à questionner le cadavre après. De plus, il aimait se mêler à la populace lorsqu’il le pouvait. Bon, évidemment, le port du masque n’était pas vraiment un atout. On le regardait avec un mélange de curiosité et de peur.  

Tout ça pour dire que le jeune homme cherchait une rivière, un puits, ou une source d’eau quelconque lorsqu’il entendit un signe caractéristique de la présence d’un cours d’eau. Des bruits de vagues ou quelque chose comme ça. Il se mit à courir à toute vitesse vers l’origine de ce clapotis. Au bout de cinq minutes de marche, il eut la confirmation qu’une rivière ou un fleuve se trouvait dans le coin, tombant nez à … bec avec un oiseau à longues pattes. Un héron, ou quelque chose comme ça.

« J’vais enfin pouvoir nettoyer toutes ces taches, bon sang ! Youpi ! » Lança-t-il en levant les bras au ciel, alors qu’il courrait vers les berges de la rivière.

Evidemment, il ne s’attendait pas à tomber sur qui que ce soit à ce moment là.

Il avait peut-être couru un peu trop vite. Peut-être. Mais, ce n’était pas entièrement de sa faute. Toujours pas habitué à cette bure de moine, ou robe de cérémonie – quelque soit le nom que cet accoutrement bizarre porte – et plus enclin à voler grâce aux ailes de son surplis ces derniers temps, il avait fini par trébucher. Emporté par son élan, il avait heurté quelques buissons, une souche de bouleau, et un terrier de lapin, finissant sa course en roulé-boulé dans la flotte. De manière assez prévisible, il avait poussé un magnifique cri de Wilhem, interrompu par de l’eau qui, s’étant immiscée dans son masque, avait manqué de le noyer. C’eût été un destin tragique et quelque peu malvenu pour quelqu’un qui arborait jusqu’à peu une armure d’un signe du poisson – austral, certes, mais poisson tout de même.

C’est donc emporté par son élan, à moitié sonné par la chute, à moitié noyé, qu’il tomba sur elle. Littéralement, étant donné qu’il avait chu depuis un promontoire surélevé. La jeune femme barbotait dans l’eau comme si de rien était jusqu’à quelques secondes auparavant, et il venait de briser son moment de calme avec la délicatesse d’un éléphant. Sans sourciller, elle lui récrimina son attitude. Enfin. Surtout le fait de lui être tombé dessus. Lui n’avait rien fait, mis à part servir de projectile humain, en quelque sorte, mais il était possible que ses mains aient quelque peu ripé. Malencontreusement ripé ! Involontairement ripé ! Mais ripé tout de même. Tentant de se relevant dans l’eau, trempé de la tête aux pieds puisqu’il était à moitié immergé dans le fleuve, il manqua de nouveau de perdre l’équilibre.

« Excusez moi, je ne voul… Mais dites ... vous êtes toute nue ?? » réalisa-t-il enfin, avant de se retourner, dans un geste de honte. La première fois de sa vie que l’adolescent de dix-sept ans portait ses yeux sur une femme en tenue d’Eve, et ça devait être en passant pour le pire des pervers ? « Non mais, je. Je ne. Oh bordel, j’voulais pas ! Désolé M’dame !»

Et encore, elle n’avait pas tiqué sur son masque d’un blanc immaculé. Ni sur sa robe de cérémonie. Ni même sur le sang qui, commençant à se dissoudre dans l’eau, laissait une trainée rouge des plus éloquentes. Il allait avoir du mal à ne pas la faire paniquer… Mais pourquoi cela n’arrivait qu’à lui ?

Le masque. Ah oui. Ce fameux masque. Il avait souvent pensé à ce qu’il pouvait avancer à la populace lorsqu’elle questionnerait la présence de cet artéfact. Il avait pensé à prétexter une maladie de peau. Ou alors une grande laideur. Ou les deux. D’un côté ce n’était pas faux, pour la première proposition. Depuis qu’il avait décidé d’arborer les couleurs du dieu des enfers, il devait avouer qu’il avait quelque peu perdu son teint halé. D’un autre côté, son second visage l’empêchait de ressentir la chaleur de  la lumière sur sa peau…

« Oh ça ? » répondit-il, encore troublé par cette nudité qu'elle venait tout juste de dissimuler.

S’il avait dans un premier temps décidé de porter ce masque, c’était dans l’optique de ne pas se faire reconnaître par certains de ses anciens compagnons d’arme. Après tout, le passage des armées d’Athéna à celles du Sombre Monarque n’était pas vraiment bien vu. Sauf qu’il ne connaissait en rien son interlocutrice, donc il pouvait absolument l’enlever… ce qu’il n’allait toutefois pas faire. Pas sans raisons. Il mit deux petits coups sur son artefact tout en esquissant un sourire invisible derrière ce dernier.

« Ben en fait… C’est ma tenue de cérémonie. Je prodigue des sacrifices humain pour des puissances maléfiques et … »

Voyant le regard sévère de la jeune femme il toussota, pour se reprendre. Peut-être que les blagues n’étaient pas bienvenues en ces lieux. Après tout, il n’avait aucune envie de l’effrayer. D’un autre côté, même s’il l’avait voulu il ne l’aurait pas pu, étant donné qu’il s’agissait d’un chevalier d’or, mais ça, évidemment, le jeune ibère ne pouvait pas le savoir.

« Heu. Je rigolais, pas la peine de faire cette tête. » Ajouta-t-il en se grattant le menton. « Je suis un moine, et ce que vous voyez là est la tenue de mon ordre, les adeptes de Baal. Je m’appelle Rune, enchanté. »

Il remarqua alors que le regard de la blonde avait dévié quelques secondes sur les traînées incarnates que laissaient le sang qui se répandait dans le courant. Evidemment, la tenue, plus le masque, plus le sang, ça commençait à faire beaucoup.

« Oh. Ca. J’ai été attaqué par un animal. Un animal sauvage. J’ai malheureusement du me défendre, et l’abattre. » Mentit-il sans vergogne. D’un autre côté, ce Berserker des Explosions avait un petit côté animal non ? Il s’était battu avec la fougue d’un lion et avec la rage d’un tigre. Oui, bon, c’était un peu tiré par les cheveux…

La blague avait fait mouche, peut-être trop à la vue du regard porté par la jeune femme. S’imaginait-elle le pauvre masqué, se vautrant dans une baignoire de sang ? Ou buvant d’un calice rempli du dense liquide ? Il en frissonna. Déjà parce que si les spectres qu’il avait rencontrés ne s’adonnaient pas à ce genre de petits plaisirs, rien n’indiquait que ceux qu’il n’avait pas croisés ne le fassent pas. Et surtout parce que si ces êtres abominables existaient, rien n’indiquait qu’il n’allait pas finir comme eux. Après s’être extirpé de l’eau, son inconnue se dirigea vers un tas d’habits qu’elle enfila… tout comme une armure. Ainsi il avait face à lui une guerrière. Ses questions prenaient désormais un tout autre sens…

« Je suis ravi de vous rencontrer, Angèle. Heu… je ne comprends pas trop ces questions mais je vais tacher d’y répondre. »

Il sortit de l’eau et essora sa bure. Il espérait ne pas prendre froid avec cet habit tout trempé, mais le mal était fait. Il n’allait pas la retirer pour la faire sécher, de toutes façons. Déjà parce qu’en dessous, il n’avait qu’un simple pantalon et un haut plutôt mal taillé. De plus, parce que dans l’entreprise il risquait de faire tomber son masque, et que son visage était la dernière chose qu’il souhaitait dévoiler. Enfin … presque.

« Baal est un dieu, mais à vrai dire, je n’en sais pas beaucoup sur lui. Notre père nous a raconté des histoires sur cette divinité, et son ordre ne semble pas vraiment des plus actifs, c’est sur. Je ne suis qu’un novice, cependant, n’ayant rejoint mes frères que récemment. »

Au moment où il avait avancé le nom de ce dieu, il avait peut-être été un peu prétentieux. S’il connaissait la légende du dieu Baal, cité dans la bible comme une divinité païenne que les croyants repoussaient, il n’en savait pas assez sur cet être pour se prétendre un adorateur vraiment crédible. D’où son rôle d’aspirant.

« Si mon dieu existe ? Je pense que oui, personnellement, mais évidemment, je n’ai aucune preuve pour étayer mes propos, ma dame. »

D’un autre côté, il n’allait pas s’amuser à faire appel à la magie noire devant une inconnue, portant une armure, de surcroît. S’il ne la reconnaissait pas aussi simplement – après tout, ses connaissances en termes d’armureries étaient assez limitées – il était clair qu’elle appartenait à une certaine sorte de chevalerie. Il ignora sans le vouloir la question portant sur ses capacités.

« Si je me permet une question, quelle est donc cette armure ? Vous êtes une guerrière ? » Lui demanda-t-il avec une voix enjouée.