La résurrection du Juge du Griffon

Après avoir sombrer dans l'inconscience dans le Néant, vous vous éveillez en pleine forme ici =

Péniblement, Alessio rouvrit les yeux. Il eut alors la surprise de découvrir un environnement familier. Et pour cause : il était de retour en sa demeure, juché sur un trône qui lui avait toujours appartenu. Une place qui ne valait certes pas celle du sombre monarque, mais dont le confort était aisément reconnaissable. Se passant la main sur le visage, il prit le temps de juger la décoration de la pièce, redoutant que ce ne soit encore une illusion destinée à le tromper. Ses souvenirs étaient intacts, il se souvenait distinctement avoir mis fin à la vie de ces deux jeunes enfants. L'un d'entre eux devait encore être en train de se tordre de douleur quand il avait essayé de quitter les lieux par le trou béant apparu dans le ciel. Et puis... Plus rien. Le trou noir – comparaison d'autant plus ironique que c'était là la nature du passage qu'il avait essayé d'emprunter. Et maintenant, il était de retour ici, à l'endroit qu'il n'aurait jamais dû quitter. Peut-être que s'il n'en était pas sorti depuis le départ, on ne l'aurait pas contraint à prendre part à ce voyage qui, jusqu'à présent, demeurait nébuleux. On l'avait emmené au bout du monde sans qu'il n'obtienne plus d'explications, ayant au contraire droit à davantage de questions à se poser.

D'autres Spectres avaient très certainement connu le même sort, et pourraient peut-être lui en dire plus, mais cela pouvait attendre. Il n'était pas homme à quémander de l'aide, même si elle n'était qu'informative, et il patienterait ainsi jusqu'à ce que les données manquantes arrivent jusqu'à lui spontanément. Le Juge ne réprima pas le moins du monde le soupir qui franchit ses lèvres, esquissant un geste de la main qui fit comprendre à son surplis qu'il était temps pour lui de se retirer. Débarrassé d'un poids, le Griffon se redressa pour se mettre debout. Après avoir épousseté les pans de son costume que ces dernières heures avaient couvert de poussière et autres gravats, il se passa la main dans les cheveux afin d'y remettre bon ordre. Faisant céder l'attache qui les maintenait en place, il les laissa cascader sur ses épaules et se sentit revivre. Il n'était pas encore parfaitement détendu, mais le fait de savoir que cette excursion forcée était terminée le soulageait d'un poids, même s'il restait méfiant à l'idée qu'un nouveau passage ne le détrompe au moment où il s'y attendrait le moins.

Refilant le cours des événements, le Juge se perdit dans ses pensées alors qu'il se dirigeait vers ses appartements privés, dans l'intention de se rendre plus présentable qu'il ne l'était après avoir enduré ce parcours d'obstacles qui exacerbait encore ses vibrations les plus noires. S'employant à faire sa toilette, il ne fut pas long à en ressortir, non seulement d'une propreté qui le fit se sentir mieux dans sa peau mais aussi vêtu d'une nouvelle tenue. Déchirée de toutes parts, l'autre était bonne à jeter ; ce qui en soi n'était pas si terrible étant donné la collection qu'il s'était donné la peine de constituer. Précisément pour parer à ce genre d'imprévu. À l'image du précédent, son costume n'avait rien perdu de son élégance, mettant en valeur des traits fins et nobles dont lui-même n'aurait su donner la justification. Gâté par la nature, sans doute – considérant la misère dans laquelle il avait grandi, il doutait fort être de sang royal, même si l'idée ne lui aurait pas déplu.

Mais c'était inutile. Car s'il n'était pas né pour porter la couronne, il en avait tout de même obtenu une, envers et contre tout. Celle du roi Minos, dont il avait dévoré l'âme et absorbé les pouvoirs au moment de revêtir ce prestigieux surplis qui à présent dormait dans un coin de la pièce. Sa réparation prendrait du temps, un temps durant lequel il ne pouvait se permettre de rester inactif. Ce qu'il devait faire à présent était très clair, bien que dépendant entièrement du fait que les autres victimes aient elles aussi été libérées de l'emprise de ce mauvais sort. Mais d'après l'activité qu'il pouvait sentir au sein des Enfers, il en avait conclu qu'il n'y avait pas de raison qu'il n'en soit pas de même pour les autres camps. Il passa la main dans les fils d'obsidienne de sa chevelure. Les plaquer en arrière comme il le faisait d'ordinaire lui étant trop pénible dans l'immédiat, il se contenta de les nouer en une élégante queue de cheval. Une poignée de mèches sombres retombèrent alors sur son front pour dissimuler les stigmates qui le décoraient encore à ce jour. Endossant une cape de voyage, il ne s'attarda pas plus : on l'attendait ailleurs.

C'est tout un art, d'arriver au plus mauvais moment.