Juste une larme... [PV Alessio]

Le regard de la jeune fille naviguait entre la droite et la gauche. De temps en temps, ses yeux émettaient un faible clignement, afin de se débarasser des quelques grains de poussières étant malencrontreusement arrivés là. Pour tout dire, Mu était déconcertée. Elle ne comprenait pas trop ce qui l'avait poussée à se rendre ici. "La Porte des Enfers", comme disaient les gens. Logiquement, personne n'était censé la trouver après sa mort. Logiquement. Cela était donc une très bonne raison pour torturer l'esprit de la demoiselle.

Elle n'était pas morte. Son coeur le lui faisait grandement savoir. Battant sans cesse, répendant le sang au travers de son corps. Non, elle n'avait pas pu s'éteindre. Alors... Comment se faisait-il qu'elle soit parvenue à aller là?

« Ca doit être faux... Tout simplement... L'atmosphère lugubre et cette ambiance sombre ne peuvent faire d'une simple porte un passage vers ces Enfers inexistants... »

Un sourire traversa son visage, tel un fulgurant éclair. Ainsi, tout cela était faux. N'importe qui pouvait franchir cette porte sans subir le moindre dommage. Les gens étaient juste trop faibles, trop sots. N'importe quoi pouvait être cru du moment qu'un "Dieu" y était lié. Tous sous l'emprise de la terreur. De simples ignorants. Sans plus. Comme si de telles sottises pouvaient exister... Il leur fallait juste quelqu'un sur lequel s'appuyer, afin de se sentir protégé. Cela fonctionnait de la même manière avec les sorcières, en sens inverse. Si une sorcière habite le village, tous les malheurs lui seront mis sur le dos. Sans sorcière, c'est la panique générale.

« Je ne nierai pas l'étrangeté de cet endroit. Mais cela n'est pas une raison valable pour croire en ces fables sans nom... »

Et, comme on aurait pu s'y attendre, la jeune fille tourna les talons. Sa soeur était désormais bien loin. Une larme rencontra le sol.

Et alors que la demoiselle fuyait sans retour ce lieu qu'elle pensait n'être qu'une chimère, un fantasme, une prise se raffermit sur son bras. Ce n'était pas là celle d'une poigne faite de chair et d'os comme on aurait pu si attendre : pas un doigt ne s'était posé sur sa silhouette plus fragile que le verre en cet endroit où tout n'était que violence et déchéance.

En soi, c'était une chance que ce soit un être aussi civilisé que le Juge du Griffon qui ait été le premier à croiser sa route, cela lui éviterait d'avoir affaire aux dégénérés qui hantaient l'endroit. En revanche, il n'était pas dit qu'elle en sorte indemne non plus, à ceci près que c'était son esprit qui courait le risque de se lester de quelques séquelles en sa compagnie. Mais cela, elle ne pouvait le savoir... Sa présence, étrangère, n'avait pas manqué d'interpeller Alessio. Si sa sensibilité au cosmos demeurait aussi vacillante que peut l'être la flamme d'une bougie sur le point de s'éteindre, son savoir était désormais assez vaste pour s faire une idée précise de l'anomalie qu'était cette nouvelle venue. Même si à vrai dire, son teint et son attitude étaient autant de preuves de son étrangeté. Pas un détail en elle ne laissait penser qu'elle puisse être passée de vie à trépas. Et pour cause. Le manipulateur n'avait pas été long à le comprendre, mais cette invitée de marque n'était ni plus ni moins qu'une banale humaine bien loin de son doux foyer.

À ce constat, à l'ombre du haut de forme qui complétait sa tenue de soirée permanente, le romain leva un sourcil. À moins d'être passé maître dans l'art subtil du huitième sens ou d'être un habitué des lieux, pour ne pas dire un spectre dans toute sa splendeur, penser pouvoir accéder aux Enfers était inepte. Pas un de ceux qui avait essayé sans entrer dans l'une de ces deux catégories n'en était ressorti sans y avoir laissé sa peau et n'être plus qu'une âme damnée errant parmi toutes celles qui peuplaient ces vallées de l'ombre de la mort. Et pourtant. Elle était là. Aussi vivante qu'on pouvait l'être, dotée d'un cœur dont les battements lui parvenaient à travers ses filins. Désappointé, il n'eut d'autre conclusion de celle que c'était l'exception qui confirme la règle, satisfaisant provisoirement ses questionnements par cette réponse sans saveur. Quelqu'un devrait pouvoir éclairer sa lanterne une fois ce cas traité – et il convenait qu'un Juge s'y emploie compte tenu de ce cas de figure en marge de la normalité.

« Et bien, en voilà une bonne surprise. »

Un fin sourire ourla ses lèvres. Rassurant, d'un œil extérieur. Mais intérieurement, le marionnettiste du conflit ne demandait qu'à percer les secrets de cette espèce rare qui avait su se frayer un passage dans l'étroit espace entre la Vie et la Mort. Quoi qu'il ait pu se passer, il tenait à le découvrir le premier et à élucider un mystère qui n'aurait de cesse de le tenailler tant qu'il n'aurait pas compris de quoi il retournait. Avec une lenteur mesurée, il exerça une légère traction sur ses câbles afin de l'amener dans sa direction et la réceptionna sans trop de mal, s'emparant de son bras d'une main douce et prévenante. Pas une fois son vrai visage n'était apparu, le laissant sous les dehors d'un vrai gentleman venu tendre une main secourable à une jeune fille égarée – même si l'aider à retrouver son chemin était tout sauf sa première préoccupation, cela va de soi. La laisser s'échapper n'était pas envisageable, ou du moins pas avant d'avoir saisi par quelle diablerie son voyage avait été rendu possible. Toujours aussi faussement sympathique, il esquissa une courbette. Dénué de toute trace d'appartenance à l'armée des ténèbres, tout laissait à penser qu'il était dans la même galère qu'elle et ne souhaitait que voler à son secours.

À première vue, elle était ignorante de tout ce qui pouvait avoir trait au cosmos, mais Alessio se hâta tout de même de faire disparaître le sien pour parer à toute mauvaise surprise. Plus affable que jamais, il reprit de ce même ton enjôleur, sans jamais relâcher sa prise – bien qu'il soit tout disposé à le faire si elle faisait mine de vouloir se dégager pour ne pas paraître suspect et se cantonner à son rôle de dandy jusqu'au moment où lui et lui seul consentirait à ce que les masques tombent.

« Seriez-vous perdue, par hasard, bel ange ? Un endroit si sinistre ne sied guère à une jolie jeune fille telle que vous. »

En silence, le piège se referme...

Spoiler:

« Que... Qu'est-ce que vous... Êtes...? »

"Qui êtes-vous" aurait peut-être été mieux. Mais il était impossible pour Mu de reformuler sa question. A vrai dire, elle aurait presque pu laisser échapper un cri en voyant cet homme dans un tel endroit... Que faisait-il ici? Deux personnes se rendant au même endroit, et ce au même moment... Peu de gens partiraient volontairement rejoindre cette "Porte des Enfers", non...?

Enfin, la demoiselle n'avait certainement aucune raison de s'inquiêter (Sauf peut-être si il continuait à lui parler de la sorte... Bon sang, c'était quoi ces surnoms...?). Elle tentait d'apercevoir son visage, sans rien dire de plus. Elle ne savait que répondre. Révéler immédiatement le réel but de sa visite était une idée complêtement stupide. Surtout si il était un de ces supersticieux comme on en voit partout...

« Non, pas du tout... Je.... Enfin... ... Je crois que je tourne tout de même un peu en rond... »

Les derniers mots avaient été prononcés de manière faible, étouffée. Mu n'avait aucun talent lorsqu'il s'agissait de mentir, et cet homme l'avait sûrement ressenti. D'ailleurs, il n'avait toujours pas lâché son bras, aussi fit-elle en sorte de le dégager de lâ, mais pas trop brusquement non plus. Elle ne souhaitait pas être mal vue par les autres... Même si, généralement, elle ne faisait rien pour y arriver. Un boulet notoire, comme diraient certains. Ou presque. Enfin bon, disons que la jeune fille était assez spéciale. Sa simple présence ici le pouvait largement, non?

« Tout comme vous, je suis perdu ici. » mentit-il, toujours avec le sourire.

Après tout, jusqu'à preuve du contraire, cette couverture était crédible. Pas une émanation cosmique ne filtrait de son corps et son allure relativement banale, même si tirée à quatre épingles, ne laissait traîner aucune piste pouvant remonter jusqu'à sa véritable identité. De toute façon, si ce n'était bel et bien qu'une humaine arrivée ici par hasard, il était fort peu probable qu'elle sache quoi que ce soit au sujet de la hiérarchie des Enfers ou même des spectres. Tout au plus pouvait-elle s'y connaître en mythologie et avoir connaissance de l'existence des Dieux, auquel cas ses croyances n'auraient jamais été aussi concrètes. Loin de vouloir l'oppresser, Alessio ne se fit pas prier pour la relâcher dès qu'elle fit savoir que tel était son désir. Mais avant de la laisser libre de tout contact, il retint tout de même sa main l'espace d'une seconde, assez pour la porter à ses lèvres et déposer un baiser sur son revers pour mieux la laisser filer ensuite. Une galanterie qui tendait à se perdre au fil des générations mais s'accordait à merveille avec les bonnes manières d'Alessio, qui avait tout pour passer pour un enfant de bonne famille, tant par l'attitude que par l'aspect.

« J'aimerais vous aider, mais je ne suis pas en meilleure position que vous. Je crois que nous sommes coincés. »

Ses mains gantées s'emparèrent alors d'un paquet de cartes jusque là prisonnier de ses poches pour les faire passer de main en main. Malgré la gravité que pouvait avoir cette situation, il n'en paraissait pas moins décontracté et conservait une allure joviale et avenante, faisant tout pour la mettre en confiance. Ce ne serait que plus facile d'en faire l'un de ses pantins une fois qu'elle serait sous sa coupe, mais encore fallait-il qu'elle tombe dans le panneau pour qu'il puisse l'ensorceler comme à son habitude. Ce n'était peut-être qu'une humaine, mais sa présence ici en faisait une invitée d'honneur : en tant que tel, il était logique qu'elle ait droit au meilleur. Et puis, il ne serait pas dit qu'il faisait de la discrimination entre ceux qui avaient le malheur de finir prisonniers de sa toile. Sans perdre de sa sérénité, il piocha une carte au hasard parmi celle qu'il faisait circuler d'une paume à l'autre et la présenta à la belle du bout des doigts, en dévoilant le motif richement travaillé.

« La Reine de Cœur. Serait-ce un présage ? »

Sans attendre de réponse, il la réintégra à l'ensemble avant de ranger le tout sans plus de fioritures. Ce n'était qu'un tour de passe-passe fait pour amuser la galerie, mais un rien devait suffire à déboussoler la jeune femme. Ce n'était pas tous les jours qu'on entreprenait un voyage dans les limbes et accepter d'en être là était déjà ardu pour elle, il ne faisait qu'aider à la perte de ses repères. Sa désinvolture ne ferait très certainement que renforcer la confusion en pleine croissance au sein de cet esprit fragile. Une âme pure et innocente, malléable à souhait... Qu'une pichenette pourrait briser. Mais ce ne serait pas drôle. Qu'aurait-il à y gagner ? Rien. Absolument rien. Tandis qu'en la tourmentant quelque peu comme il était en train de le faire, il avait toutes les chances d'en faire l'un de ses jouets tant qu'elle demeurerait captive de ce monde souterrain – et il n'avait pas l'intention de la laisser repartir de sitôt, cela va de soi. Prendre son temps était le meilleur moyen de se divertir en l'ayant entre ses griffes, inconsciente du danger venu la menacer. Pour le bien de sa comédie, il finit néanmoins par reprendre son sérieux pour effectuer un tour d'horizon, faisant mine de chercher une issue par laquelle ils pourraient s'évader. Mais c'était peine perdue. Si elle avait pu entrer librement, il ne serait pas dit que faire marche arrière serait aussi facile, il s'en portait garant. Fort occupé à feindre une intense réflexion, le romain se caressa le menton. Le vouvoiement ne fut plus qu'un souvenir : la mettre en confiance semblait demander plus de normalité dans sa façon de faire. Qu'à cela ne tienne.

« Plus sérieusement, je crois que le mieux à faire serait de rester ensemble. Non pas que je veuille m'imposer mais nous serons plus en sécurité en restant tous les deux que séparément, tu ne crois pas ? Et puis, nos efforts auront plus de chances de porter leurs fruits si nous les mettons en commun. En tout cas, ce serait un plaisir de tenir compagnie à une telle beauté. »

« Et si, pour commencer, vous cessiez de me parler de la sorte? »

Ahah. Zut alors. Bon, c'était compréhensible en même temps, Mu commençait à en avoir assez de ces flatteries dans le vent. Plus sérieusement, elle pensait fortement à revenir sur ses pas tant qu'il lui était encore temps, plutôt que de rester avec cet inconnu qui n'avait pas l'air si perdu que cela, avant qu'il n'arrive quelque chose de grave. La jeune fille sentait fortement que quelque chose n'allait pas, et, bien que cela puisse simplement être lié à ces lieux on ne peut plus lugubres, elle préférait rester sur ses gardes. Et un inconnu lui parlant de la sorte ne faisait que l'inquiêter d'avantage.

« Vous ne m'inspirez absolument pas confiance. Il est illogique qu'une personne perdue fasse de vulgaires tours de passe-passe. A moins que vous n'ayez simplement envie de m'impressioner. Mais je ne fonctionne pas de cette manière. Si vous vous êtes réellement égaré, alors cherchez votre sortie tout seul. Vous semblez suffisament intelligent pour le faire. ... Ou pas. »

Elle lui jeta alors un regard qui était tout sauf amical. Avec le temps, et toutes ces rumeurs infondées, elle était, sans vraiment s'en rendre compte, toujours sur la défensive, constamment froide avec les autres. Mais, en cet instant, elle le souhaitait vraiment. Cela la rassurait, en quelque sorte, la faisait se sentir en position de supériorité, bien qu'elle sache que cela soit totalement faux. Une illusion dans laquelle un bon nombre de personnes s'engouffrent bêtement. Mais Mu ne cilla pas. Elle avait l'habitude.

Et puis, elle ne s'était pas égarée. Si cet homme, aussi stupide soit-il, avait gobé ce mensonge paraissant si faux avec autant d'indifférence, il ne pouvait que faire semblant d'être "de son côté", non? A moins qu'elle ne soit atteinte de Paranoïa, ce qui pourraît être tout aussi probable. Les deux hypothèses n'ayant trouvé réponse, elle se contenta donc de tourner les talons, repartant immédiatement par le chemin qu'elle avait emprunté plus tôt.

Et qu'il n'essaie surtout pas de la suivre.

Aussi détendu qu'au début de cet entretien, Alessio eut un haussement d'épaules pour toute réponse. C'était là sa façon d'être, que cela plaise ou non – ou plutôt le masque qu'il s'était constitué pour cacher toute l'inhumanité qui grouillait sous sa peau depuis le jour de sa mort. Mais cela ne changeait rien au résultat. N'en déplaise à la demoiselle, même s'il avait omis de le lui dire, elle n'avait pas d'autre option que de lui faire confiance et de s'en remettre à lui pour trouver la sortie. Mais elle aurait tôt fait de le découvrir par elle-même. Inutile de lui jeter l'évidence au visage alors que tôt ou tard elle finirait par faire ce constat à son tour.

« C'est inutile. Tu perds ton temps. J'ai déjà fait le tour du propriétaire et il n'y a aucune issue. Le mieux qu'on puisse faire, c'est d'attendre qu'on vienne nous ouvrir, d'une certaine façon. Pourquoi crois-tu que je suis aussi serein ? Je me suis rendu à l'évidence, voilà tout. Ce n'est pas plus compliqué que cela. »

Ceci étant dit, le Juge s'assit à même le sol et joignit les mains afin d'en soutenir son menton tandis que ses coudes prenaient place sur ses genoux. Si ses paroles ne réussissaient pas à la raisonner, elle finirait par revenir quand elle aurait suivi elle aussi ce parcours fictif. En soi, ce n'était pas un mensonge : entrer et sortir des Enfers ne se faisait pas en claquant des doigts, et à moins de recevoir une aide extérieure, elle n'était pas prête de revoir la lumière du jour. Pour tout dire, c'était le seul et unique être dans les environs à même de voler à son secours, mais encore fallait-il qu'il le veuille... Et il n'était guère recommandé de s'éloigner davantage, puisque cela voudrait dire s'exposer au regard des – trop – nombreuses menaces errant dans les parages. Que ce soient les défunts plus vindicatifs les uns que les autres ou les Spectres qui seraient venus sillonner les environs, il y avait en ces lieux mille et un périls qu'elle ne pourrait surmonter sans sa protection. Que ce soit par dépit de n'avoir pu retourner à la surface ou prise en chasse par l'un de ses semblables, elle finirait par revenir à son côté. Il n'avait qu'à s'armer de patience... Avant que l'inconnue ne soit plus à portée de voix, il l'interpella à nouveau d'un ton rieur, faisant craquer ostensiblement ses phalanges.

« Ne t'éloigne pas trop. Tu risquerais de le regretter. En tout cas, moi ne ferais pas ça si j'étais toi. Libre à toi de t'obstiner, bien sûr, mais il ne faudra pas venir te plaindre quand tu auras fait de mauvaises rencontres. Je t'attends ici, au cas où tu changerais d'avis. »

Cloîtré dans son rôle de gentilhomme, il lui adressa un signe de la main en guise d'au revoir. Des séparations de courte durée, si tant est qu'elle veuille toujours se débrouiller en solitaire après cette mise au point à propos des risques encourus. Pour n'être que la plus pure vérité, ses paroles respiraient la sincérité, et son jeu d'acteur ne pouvait que souligner cet état de faits même s'il n'avait rien perdu de son apparente bienveillance. À l'abri du regard de la belle, il avait tout de même pris soin de fixer un fil invisible à un pan de sa tenue de manière à pouvoir la suivre à la trace, et ainsi la retrouver si elle venait à se perdre ou à croiser la route d'un autochtone. Il serait dommage qu'elle perde la vie pour de bon, l'exception qu'elle était n'aurait alors plus qu'à se fondre dans la masse inerte des entités exsangues en quête de rédemption... Même si maintenant qu'Alessio avait jeté son dévolu sur elle, plus que jamais, la mort serait délivrance.

« Et la logique, dans tout ça? J'ai bien du mal à vous croire... Si cet endroit est si mal famé que vous le dites, comment se fait-il que vous soyez toujours vivant? »

La jeune fille avait laissé ce faible monologue sans même se retourner. N'exéxutant pas le moindre moment, elle s'était arrêtée, ses yeux fixant le sol, se demandant réellement si tout ce que disait cet homme était réel. Elle ne savait plus vraiment que croire. Si cet air bienveillant émanant de lui était sincère ou non. Si il ne voulait que lui prêter main forte, ou la détruire à petit feu. Tout cela finirait par la rendre folle, et ce à un moment où à un autre, ce qui, dans l'esprit de Mu, signifiait "Très bientôt".

« Bien... Même si vous avez plus l'air de ne pas chercher de réelle sortie, je vais rester avec vous... Je n'arrive pas à voir... Ce qu'est réellement cet endroit. »

Et, une nouvelle fois, elle regarda à gauche, à droite. Repartant près de l'homme, elle resta debout quelques instants, avant de s'asseoir, sans rien ajouter d'autre. Jamais elle ne se souvenait avoir autant réfléchi. Une ambiance sombre, menaçante, pas de sortie possible. Et sa présence rendait la situation encore plus inquiêtante. Elle restait à ses côtés car elle ne pouvait guère faire grand-chose d'autre, mais si tout cela ne tenait qu'à elle, la demoiselle serait repartie depuis bien longtemps.

Alors, elle reprit l'habitude. Ces petits tout ou rien que vous ne cessez jamais d'exécuter. Elle laissa ses yeux se perdre dans le vide.

D'autres larmes coulèrent de ses paupières.

« Crois-tu vraiment que je serais aussi serein si je savais pas me défendre ? Je suis sûr de moi, c'est tout. Je ne dis pas que je suis à l'abri de tous les dangers, mais je pense pouvoir parer à une majorité d'entre eux. Tu peux ne pas me croire, mais je ne vois pas ce que cela change de te dire que je suis plus aguerri que je n'en ai l'air. »

Même s'il ne disait pas tout sur les raisons de cette débrouillardise, il n'y avait pas un mot de faux dans cette tirade. Rares étaient ceux à pouvoir rivaliser avec sa force ici bas, même s'il continuait d'enrager intérieurement que les autres Juges ne soient pas les seuls à l'y surpasser, nonobstant les divinités locales. Mais il n'était nullement question de tout cela présentement : elle n'avait besoin que de savoir que si elle souhaitait assurer sa protection, il était l'homme de la situation. Les détails importaient peu. Le plus important était de la convaincre de sa bonne volonté et de la laisser penser que ses intentions étaient limpides et n'en finissaient plus de tendre vers le positif. Ce n'était qu'alors que les masques pourrait tomber, mais encore fallait-il venir à bout de cet exercice périlleux. Qu'elle soit aussi suspicieuse n'arrangeait pas ses affaires, mais avait la contrepartie de pimenter ce petit défi. Lentement, les défenses mentales qu'avait pu se bâtir la jeune fille s'effondraient une à une et bientôt, les failles y seraient si grandes que s'y frayer un passage ne poserait plus aucun problème.

« C'est toi qui vois. »

Son intonation avait perdu de sa superbe : il s'était rembruni pour lui démontrer que malgré ses airs indolents, il n'était pas qu'un beau parleur comme elle avait pu le croire. La laisser voir clair dans son jeu, ou tout du moins faire en sorte que la petite puisse se persuader que c'était le cas était le premier pas vers la réussite. Empreint de ce soudain sérieux plus que convaincant, Alessio guettait la moindre de ses réactions. Tout battement de cil pouvait être un indice de son état psychique et de son degré de décadence : elle finirait par tomber dans ses filets tôt ou tard, tout dépendrait de sa force morale. Mais personne à qui il s'était attaqué aussi sérieusement n'avait eu la chance d'y échapper et il ne comptait pas lui offrir le privilège d'être la première à passer outre ce délectable dénouement. Pour son bon plaisir, l'adolescente finit par revenir sur ses pas, ce à quoi il ne réagit pas en surface – alors qu'il en exultait intérieurement, jugeant obtenir de bons résultats jusque là.

« C'est mieux comme ça, sois-en sûre. »

Il feignit un soupir de soulagement, faisant mine d'être rassuré sur son sort. Au contraire, elle était loin d'avoir échappé au danger, puisqu'elle venait d'ouvrir la porte de son cœur au pire d'entre eux en admettant l'hypothétique véracité de ses dires. L'observant sans mot dire, il laissa sa conscience se perdre et attendit qu'elle se mette à pleurer pour s'approcher avec minutie, animé par une prudence de mise. Une femme triste est plus dangereuse qu'une bête sauvage : pour en avoir fait les frais, il connaissait son sujet et ne s'y serait pas risqué sans prendre de précautions. En silence, ses gants furent ôtés et la cîme de ses doigts alla cueillir les perles salées que laissait s'écouler la belle enfant avant que son visage ne puisse en être baigné, laissant l'inquiétude et la compassion se peindre sur son regard et au fond de ses prunelles.

« Ça ne va pas ? » murmura-t-il, attentionné. Ou presque.

Les yeux de Mu s'écarquillèrent, laissant les quelques larmes restantes s'écouler plus rapidement que la normale. Qu'avait donc cet homme pour réagir de la sorte?! Immédiatement, le repoussa, avec toute la force dont elle était capable, avant de s'éloigner de lui, le plus loin possible. Elle ne pouvait tolérer qu'il s'amuse à la toucher, ne serais-ce que sur le bras. Elle ne supportait pas les contacts physique avec cet homme. Et allez savoir pourquoi...

« L-laissez-moi. Ne me touchez plus...! »

Le ton, qui se voulait au départ sûr de lui, ne faisait que défaillir d'avantage. La jeune fille semblait être terrorisée, sentant une menace flotter autour d'elle, attendant un geste particulier pour l'attaquer soudainement. Comment pouvait-elle donc avoir la conscience tranquille si il ne cessait de réagir de la sorte?! On aurait plus dit un pervers qu'autre chose... En tout cas, c'est comme ça que Mu le ressentait...

« ... Est-ce que vous croyez en tous ces Dieux...? »

Whoops. Une question sortie de nulle part, et Mu avait comme la désagréable impression qu'il désirait l'entendre franchir ses petites lèvres. Sa paranoïa refaisait-elle surface? Sûrement. Cependant, elle n'avait à ce moment aucune raison valable de lui demander ça. D'ailleurs, elle n'auraît même pas dû le lui demander du tout.

« Je suis venue ici en parfaite conaissance de cause. Les rumeurs comme quoi cet "endroit" serait en fait une inexistante "Porte des Enfers" ne cessent de retentir. Mais ces gens sont trop peureux pour aller vérifier d'eux-mêmes. Personellement... Je ne pense pas que cela puisse exister. Ce système de Dieux est étrange, et les preuves ne se trouvent nulle part. J'ai parfois l'impression qu'ils ne sont que le fruit de l'imagination de certains hommes, afin qu'ils n'aient plus à se préoccuper de leurs problèmes, rejetant ainsi la moindre faute sur eux... Cependant... Les doutes ne cessent de persister, mon esprit en est envahi... »

Et voilà, un peu trop de stress, et Mu sort tout ce qu'elle pense sans même s'en rendre compte... Elle est donc un boulet notoire à la société. Ouuu pas.

Évidemment. C'était s'y prendre en avance que de penser qu'elle puisse se laisser faire si facilement. Dans son état de nerfs, il était déjà étonnant de pouvoir se tenir si près de quelqu'un. La brusquer compromettrait ses projets instantanément, et ce serait fâcheux. Aussi, Alessio leva les mains pour faire bouclier à son emportement et présenter ses paumes vierges de toute arme pour lui faire comprendre qu'elle n'avait rien à craindre à son contact. En apparence, du moins. Son arme de prédilection était un fil cosmique qu'il ne tenait qu'à lui de rendre invisible et pouvant sortir de nulle part pour peu qu'il le veuille. Un lien que personne n'avait le pouvoir d'arrêter une fois que le Griffon se mettait à tendre sa toile pour que sa proie vienne s'y empêtrer. Et sans même sans rendre compte, Mu était déjà en train d'en arpenter la surface... Ce n'était qu'une question de temps avant que l'étreinte ne se referme sur elle et l'en fasse prisonnière pour l'éternité à venir.

« Je ne te veux aucun mal. » mentit-il, excellent comédien. « N'aie pas peur. »

Il n'y avait pas moyen de se douter ne serait-ce qu'une seule seconde que ce n'était que mensonge. Tout au plus sa paranoïa lui ferait-elle envisager la question, mais ce serait indépendant de sa volonté. Rien n'avait été laissé au hasard, pas un détail ne pouvait le mettre en échec... Tout suivait son cours normal. Pas d'inquiétude à avoir.

La question était intéressante. L'espace d'un instant, le Juge des Enfers s'était même surpris à penser que ce pouvait être une question piège destinée à le confondre pour le tirer de son rôle d'épaule sur laquelle pleurer. Mais en bon maître-chanteur, il n'était pas si malhabile et n'allait pas tomber dedans si facilement. Donner le change sur ce point ne serait pas dur et pour cause : de son vivant, pas une fois il n'avait vraiment réussi à croire en l'un des Dieux du panthéon romain. Même à l'heure de sa Mort, pas une fois l'un de ceux-ci n'avait daigné le laisser penser qu'il pouvait être dans l'erreur étant donné que tout portait à croire qu'il n'y avait qu'une sinistre fatalité, sans personne aux commandes. Ce n'est qu'une fois revenu en vie qu'il avait pu s'apercevoir qu'il avait fait fausse route depuis sa plus tendre enfance, et même s'il devait sa seconde existence à l'un d'entre eux, il ne pouvait s'empêcher de garder une part de regrets d'avoir été si longtemps à côté de la plaque.

« Je ne crois pas en Dieu. Pas plus qu'au Diable, d'ailleurs. Si vraiment il y avait une autorité supérieure appelée à régner sur nous, quelle raison aurait-elle de nous condamner à l'Enfer sur Terre ? Pourquoi y aurait-il tant de souffrances dans le monde ? Pour cela, je préfère croire que Dieu n'existe pas, sans quoi je serais forcé de lui vouer une haine sans merci. »

Malgré le caractère blasphématoire de ses propos, il ne s'était pas une fois départi de son sourire éclatant. Pour quelqu'un dans cet état d'esprit, le sujet était forcément d'une légèreté à nulle autre pareille, et il était donc normal de ne pas se séparer de sa bonne humeur en en parlant – et puis, ce n'était qu'en restant aussi chaleureux qu'il pouvait espérer qu'elle finisse par voir une forme de réconfort dans sa présence à ses côtés. Parler d'un Dieu unique devrait pouvoir brouiller les pistes, assez pour qu'elle ne doute pas de sa bonne foi. Le but était qu'elle se confie d'elle-même et mette son sort entre ses mains au bout du compte : ce n'était qu'ainsi qu'elle finirait par être en son pouvoir, conformément à ses attentes.

« Si toi non plus tu n'y crois pas, alors pourquoi être venue vérifier si ces rumeurs étaient fondées ? »

« Je n'ai pas dit "en", mais "aux"... L'idée qu'un seul Dieu existe est purement impossible... Comment pourraît-il parvenir à tout gérer en même temps..? Bien que les deux seuls noms ne cessant de revenir dans mon village soient "Hadès" et "Zeus", j'aurais tendance à pencher vers cette idée de polythéisme... Même si je ne sais pas si ils sont réels, ou non... »

Son regard s'était porté sur le visage de l'homme au fur et à mesure qu'elle parlait. Ses pensées sur celui-ci étaient à peu près les mêmes que celles concernant les Dieux. Devait-elle y croire, ou cacher ça dans un coin de son cerveau...? Malgré tout, elle ne cessait de se dire qu'elle devrait essayer, il n'avait pas vraiment l'air d'être faible... Ce n'était pas comme elle, qui avait une force de mouche. Soudainement, et sans réelle raison valable, l'image de sa soeur décédée lui revint en tête. Son corps glacial entre ses mains, ses yeux vitreux fixant le vide... Mu avait-elle fini par adopter ce visage inexpressif...? Ses yeux n'étaient-ils pas dénués d'éclat lorsqu'elle regardait devant elle? Et pourtant, elle était toujours bien vivante, n'est-ce pas?

« E-et si je suis v-venue... C'est p-parce que j-je veux voir si P-phi se trouve vraiment ici...! »

Et alors, sans même s'en rendre compte, elle tomba dans les bras de l'inconnu, pleurant de nouveau un véritable torrent de larmes. Malgré toutes ces semaines d'indifférence, à cacher sa douleur, elle n'avait pas été capable de la contenir suffisament. Elle était arrivée à ses limites, à un assez mauvais moment, il faut dire. Plus les moments heureux passés avec sa soeur lui revenaient en tête, plus elle avait du mal à rejeter l'existence des Enfers. On ne peut faire revenir un mort à la vie, mais peut-être que si elle la croisait réellement sous cette forme d'âme, comme disaient les gens, elle pourraît enfin lui faire part de ce qu'elle ressentait...

« S-si vous conaissez c-cet endroit... S'il vous plaît... »

Mu ressera son étreinte, pleurant de plus belle. Oui, car si il conaissait cet endroit et ses dangers, et qu'il avait été capable de les surmonter jusqu'à présent, il pouvait sans problème l'ammener à sa soeur. Et alors, l'idée que cet homme ne lui veuille pas forcément du bien s'effaça entièrement de son esprit...

Sans répondre, Alessio opina du chef d'un air compréhensif. En bon faux profane, il avait l'air de boire ses paroles et de s'intéresser au plus haut point à ce qu'elle pouvait lui dire. Mais bien évidemment, il connaissait déjà tout cela. Pour avoir vécu sous le joug de l'empire romain au nom dé César, il n'avait pas été initié à la religion par ces noms mais le fait que les Dieux qui les portent soient les mêmes le ramenait à un cas de figure identique. Manifestement, l'éducation de la petite à ce niveau restait emplie de lacunes pour n'avoir que ces deux-là à la bouche au mépris de tous les autres, mais là n'était pas la question.

« Je vois. C'est intéressant. Certaines cultures défendent le point de vue comme quoi Dieu serait omniscient, omniprésent, omnipotent. Il ne serait pas étonnant que le don d'ubiquité li soit acquis. Mais il est vrai qu'il est tout aussi possible qu'ils soient plusieurs à se partager les rôles. Enfin... Encore faut-il que tout cela existe bel et bien et ne soit pas le fruit d'un esprit malade qui aura cru bon d'aller jeter ces idées folles en pâture à la croyance populaire. »

Toujours pétri de quiétude, il la gratifia d'un fin sourire, s'amusant de ce sujet plus que vaste. Pour de vrai, sa compagnie était un vrai bonheur : voir une telle naïveté, une telle innocence n'était pas courant dans les parages. En un sens, cela lui inspirait tant l'envie de protéger ces vertus que de les meurtrir de ses propres mains, le partageant entre deux volontés contradictoires dans un redoutable paradoxe. Oui, c'était un jouet de premier choix, et pas un parmi ses semblables ne devrait avoir l'audace de lui ôter des mains sans quoi sa colère serait terrible. C'était lui le premier qui l'avait découverte sous sa parure de brebis égarée et il avait à cœur de la garder égoïstement pour lui tout seul aussi longtemps qu'elle serait apte à le divertir. Ce ne serait pas aisé de la manipuler de telle sorte à ce qu'elle puisse finir par accepter son identité véritable quand il croirait bon de la lui révéler, mais... Il avait dans l'idée que cela était possible, tout comme le fait de l'avoir à son service au bout du compte s'il se débrouillait bien. Ce serait un travail long et délicat mais pour connaître l'étendue de ses talents, Alessio ne doutait pas de pouvoir y arriver s'il réussissait à éviter les faux pas et les embûches qui jalonnaient sa route comme autant de doutes sur le chemin de l'âme pure et tremblante de cette demoiselle.

« Je dois dire ne pas trop savoir qu'en penser... » murmura-t-il, pensif, semblant toujours en proie à une intense réflexion quant au thème de leur débat improvisé.

Ce fut le moment choisi par l'adolescente pour se jeter dans ses bras – il n'y avait pas d'autre mot. Écrasée par le poids de son chagrin, trop lourd à porter pour de si frêles épaules sans que personne ne lui vienne en aide, elle avait fini par craquer. Tout en elle ne faisait que lui hurler de se cramponner de toutes ses forces à l'aide qu'on lui proposait. Et il lut dans ses yeux embués de larmes que cette fois, c'était la bonne. Plus de soupçons, plus de méfiance : elle ne demandait qu'à être protégée et à ne plus le quitter tant qu'il voudrait bien veiller sur elle. Tout cela était parfait, dans les moindres détails, et servait parfaitement la cause du Griffon. Fort de son méfait accompli, ce dernier n'entendait toutefois pas cracher le morceau avant d'avoir parfaitement formaté son esprit de telle sorte qu'elle finisse par penser qu'il était le seul être digne de confiance parmi tous ceux vivant ici. Ce qui en soi était tout le contraire de la vérité, mais le plus important n'était-il pas qu'elle y croie dur comme fer et se place d'elle-même sous sa coupe ? Ne laissant rien paraître de ces desseins, le légionnaire se contenta de parcourir d'une main consolatrice le dos de cette petite chose fragile qui avait cru bon de trouver refuge auprès de l'un des pires monstres que la Terre ait enfanté. Cela dit, il fallait concéder que la voir si désemparée était attendrissant et que même lui n'était pas totalement insensible à cette candeur à double-tranchant, et se prenait au jeu en tant que mystérieux sauveur. Quelque part, il aurait voulu pouvoir être celui-là, mais seul son subconscient avait idée de cette chimère – car jamais plus ce ne serait possible.

« Allons, du calme. Tout ira bien. Je suis là pour toi. Ne pleure pas. »

Ces quelques mots furent suivi par un baiser sur le front sans que son étreinte ne se desserre, ni ne s'affirme plus avant, la gardant contre son torse qui semblait lui offrir le torse fluet mais solide de son bienfaiteur. Si celait pouvait l'aider à se sentir mieux, alors l'humaine pouvait se serrer à son côté sans condition – ce ne serait que plus facile d'en prendre le contrôle une fois parvenu à ses fins. Une nouvelle fois, le Juge des Enfers s'offrit le luxe de la débarrasser des larmes venues souiller son doux minois de leur intarissable flux de peine. Il avait bon espoir de ne pas être chassé comme lors de son premier essai, à présent, et pensait pouvoir s'y risquer sans avoir à craindre son courroux. N'avait-elle pas spontanément décidé de se presser contre son corps en désespoir de cause pour épancher la tristesse dévorante qui l'accablait ? Enchanté de cet état de faits, même si touché par cette détresse sans s'en rendre réellement compte, Alessio n'arborait qu'un masque marmoréen nuancé d'une inquiétude continuant de construire pierre par pierre cette image d'âme charitable à laquelle il tenait tant.

« Qui est Phi ? Et... Je ne suis pas sûr de pouvoir t'aider pour ça. Même si j'ai déjà inspecté les lieux, je ne sais pas où nous sommes ni par où aller. Mais je peux essayer de chercher, si c'est ce que tu veux vraiment. Mais cesse de pleurer, tu as un bien trop joli visage pour le maculer de larmes... Tu veux bien ? »

Le jeu ne faisait que commencer...

« P-phi c'est... Ma... Ma s-soeur... Mm-morte... »

De nouvelles larmes dévalèrent alors le visage de Mu, qui, il faut le dire, avait complêtement perdu le contrôle de ses émotions. Une véritable crise de larmes, ses pleurs ne cessant de résonner, de plus en plus, de plus en plus, de plus en plus plus plus. Il lui était impossible de les arrêter, et tout ce qu'elle pouvait faire en cet instant était de se coller le plus possible contre cet homme. Bien qu'il lui eût dit de cesser, elle n'y parvenait pas. Son petit corps était secoué de violents sanglots, la seule image de Phi aparaissant dans sa tête était celle de son cadavre glacial entre ses doigts. Un accident si stupide qu'elle n'en conaissait même pas la cause. Est-ce que sa soeur avait souhaité se séparer d'elle? Si l'existence de son âme persistait, croyait-elle que Mu allait tout mettre en oeuvre pour la retrouver?

Aah, mais la jeune fille n'avait jamais fonctionné de la sorte. Le simple fait de se retrouver là, impuissante, la détruisait tant qu'elle craignait de sombrer dans la folie si ce qui l'attendait derrière était encore plus terrifiant. Mais cela ne devait être que la crainte, celle que l'on éprouve "sur le moment"...

« Jj-j'ai p-peur... »

Elle avait relevé la tête, fixant l'inconnu dans les yeux. A quoi s'attendait-elle, au juste? Que pouvait-il donc faire, ou lui répondre? Quand bien même il sécherai ses larmes, elles reviendraient toujours, encore plus abondantes que la fois précédente. L'idée même de retrouver sa soeur paraissait inacessible, égoïste, et surtout complêtement stupide. La détresse "du moment", qui nous fait dire et penser des choses qui ne nous seraient pas venues à l'esprit en temps normal...

« Q-qu'est-ce que jj-je d-dois faire... P-pour me calmer...?! »

Hors d'elle. Elle aurait presque pu lui donner un coup... Qu'espérais-t-elle? Retrouver sa soeur... Chimère impossible. La meilleure des choses à faire était de sortir de cet endroit. L'atmosphère ambiante ne faisait qu'accroître son malaise, lui faire perdre la raison. Mu secoua la tête.

Les larmes cessèrent d'un coup.

Toute la solidité qu'avait voulu avoir la jeune femme partait en morceaux. Le royaume de doutes dont elle était la reine était en passe de subir un coup d'état. Sa coquille s'était fendillée assez pour qu'Alessio réussisse à y passer la main et elle se retrouvait désormais sans défense autre que celle qu'il voudrait bien lui céder. Une dépendance s'instaurait au fil du dialogue et si tout se passait comme prévu elle ne pourrait très bientôt plus se passer de lui, et c'était son seul souhait.

« Reste calme. Tout ira bien. »

C'était vite dit. Mais un fond de vérité était présent. La maltraiter n'était aucunement dans ses projets. La torture psychologique était distrayante, en revanche, mais si d'aventure elle venait à choisir en son âme et conscience de rester à ses côtés il ferait l'effort de ne pas en abuser, même s'il poussait déjà le vice fort loin alors qu'elle ne demandait que des réponses à ses questions. Pour la plupart, il pouvait les y apporter.... Mais... Ne serait-ce pas justement plus cruel encore ? Confier à cette oreille indiscrète les châtiments infligés aux âmes damnées pour faire pénitence durant des siècles et des siècles ne réussirait qu'à enfoncer le clou. Sa chère soeur, si elle était bien ici, n'était déjà plus que l'ombre d'elle-même ; un corps habité par la vie mais abandonné par la volonté pour n'être plus qu'une enveloppe vide marchant vers sa triste fin pour l'éternité à venir. Le feu purificateur des Enfers aurait tôt fait de la consumer comme tous les autres, quel que soit celui où on l'ait envoyée après sa mort. Faire l'aveu de ce sort ne pourrait que la meurtrir davantage et lui plonger la tête sous l'eau de cette tristesse abyssale qui s'étendait en elle. Ce n'était pas conseillé, à moins de vouloir la briser mentalement. Ce qui, si cela aurait pu le tenter avec une tierce personne, n'était pas envisageable avec cette pauvre petite pour qui il nourrissait d'autres ambitions.

Tout cela éclaterait au grand jour quand il en aurait assez de cette mascarade, mais ce n'était alors pas le cas et il allait continuer à jouer le jeu tant qu'il en vaudrait la chandelle. Quand elle releva la tête dans sa direction, il soutint son menton avec une extrême prudence, comme craignant qu'elle finisse par n'avoir même plus la force de le faire par ses propres moyens tant celle-ci semblait l'abandonner progressivement pour en faire une poupée de chiffon. La comparaison était peu flatteuse mais pas forcément mauvaise, cela dit. Avec la prévenance d'un grand frère mais la lascivité d'un amant, le Spectre serra sa main dans la sienne après avoir entrelacés leurs doigts et serra son corps au sien. Dans cette position, difficile de lui faire du mal, il pouvait donc se permettre quelques fantaisies sans craindre de ne pouvoir contrôler un accès de colère. Aussi s'autorisa-t-il à voler un chaste baiser à sa petite protégée, quitte à en subir les conséquences. Cette tendresse pouvait éteindre les braises de son désarroi comme raviver les flammes de sa colère, c'était un pari risqué mais il fallait le prendre pour en connaître l'issue...

Si son âme était vieille de plusieurs milliers d'années en sa qualité d'immortel, Alessio n'était extérieurement qu'un fringant jeune homme tout juste majeur et il n'était donc pas si révoltant de le voir embrasser une fille de cet âge. Mais peut-être ne verrait-elle pas cela du même œil. Si toutefois elle lui donnait sa bénédiction, ce serait une étape de plus de franchie dans la relation de confiance échafaudée pour en venir au but.

« Je ne peux pas te laisser repartir les mains vides. Ce serait criminel. Je vais t'aider, alors arrête de pleurer, tu veux ? Tant que tu me laisseras être à tes côtés et te guider, tout ira bien. N'aie crainte. Je sais ce que je fais. Aie confiance... Crois en moi. »

Sa perfidie n'avait d'égal que la qualité de son jeu d'acteur, pour le plus grand malheur de ses victimes. Les yeux brillant d'une émotion faussée mais non moins feinte à la perfection, il frôla sa nuque de la cîme de ses doigts et l'attira contre son torse où, pour peu qu'elle tende l'oreille, elle aurait pu entendre les pulsations factices d'un cœur qui de battre s'était arrêté depuis belle lurette. Figé dans cet instant d'éternité, le Griffon se tint sur ses gardes, convaincu de devoir s'attendre à tout avec le caractère bien trempé de cette nymphette.

Les yeux de Mu s'écarquillèrent. Elle ne bougeait plus, ses yeux fixant l'homme, une expression de terreur mêlée à l'incompréhension figée sur son visage. Il venait de... Mon dieu. L'espace d'un instant, ses prunelles s'écarquillèrent, et ses joues se teintèrent de rouge. Elle était affreusement gênée, et, d'un autre côté, profondément en colère. Cependant, elle ne savait absolument pas comment réagir. Il devait y avoir un immense écart entre leurs âges, et elle ne le conaissait pas. Il lui avait semblé avoir ressenti ce semblant de perversité, plus tôt, mais cela lui était complêtement sorti de la tête. En tout cas, ce baiser avait eû le don de la calmer. Elle ne pleurait plus, mais restait sans voix. Elle ne savait que lui répondre, aussi préféra-t-elle le silence.

Une nouvelle fois, elle sentit ses joues virer au rouge, chose assez normale, puisqu'il venait de la serrer contre lui. Avec ce qui venait de se passer, la jeune fille se demandait fortement si il souhaitait réellement la réconforter... Il pouvait tout aussi bien élaborer ces phrases en quelques instants pour lui faire quelque chose de bien pire par la suite. Tout se jouait sur la confiance. Devait-elle donc la lui accorder? Logiquement, non. Mais dans la situation actuelle, elle n'avait pas vraiment de choix. Il n'avait pas l'air si dangereux, n'est-ce pas? Juste un peu... Déconcertant...

« Pourquoi... Pourquoi réagissez-vous de la sorte...? Je veux dire... Qu'est-ce qui vous a obligé à... »

Aussi faible qu'un léger murmure. Mu ignorait complêtement la manière dont elle devait réagir. Que ressentait-il? Que pensait-il? Avait-il eu pitié d'elle, ou la prenait-il juste pour un simple jouet, un passe-temps qu'il détruirait par la suite? Tant de personnes existaient, leurs caractères étaient si différents qu'il était toujours impossible de prévoir leurs actions futures. Cependant, elle ne pouvait pas lui en vouloir pour ce qu'il venait de faire. Quelque chose en elle l'en empêchait. Après tout, elle n'avait aucune raison de se dire que cet homme lui voulait du mal, n'est-ce pas? Il pensait peut-être que ce baiser la rendrait heureuse, après tout? Cela était assez étrange, et elle avait beau ne pas vraiment le connaître, elle ne pouvait s'empêcher de se dire... Qu'elle était liée à lui, d'une manière ou d'une autre.

Tout d'abord, Alessio ne répondit que par un sourire à l'honnêteté indéniable. Cela dit, sans doute était-il plus pur que ne l'aurait voulu sa satisfaction intérieure, bardée de vice. Tout allait pour le mieux, et le Juge ne manquerait pas de continuer sur sa lancée maintenant qu'il avait obtenu l'objet de ses convoitises. C'était la meilleure preuve à avoir de l'influence qu'il étendait petit à petit sur elle et très bientôt, elle serait sous son joug. C'était déjà en très bonne voie, il n'avait qu'à maintenir l'illusion et tout irait pour le mieux. L'incompréhension lisible dans le regard de sa petite protégée était un délice dont le Griffon raffolait, et il n'aurait de cesse de s'en régaler tant que ces jeux interdits auraient le pouvoir de lui en fournir. Avec douceur et minutie, son index passa sur la joue de la jeune fille en une lente caresse, un souffle lui murmurant de ne pas prononcer un mot de plus, insinuant de profiter de la magie de l'instant. Car même si des sentiments opposés venaient de se percuter à toute vitesse dans l'esprit de la belle, elle n'en était pas moins plus sereine que la seconde d'avant : ce baiser avait été bénéfique en ayant l'effet escompté.

« Je ne me suis pas senti obligé. J'en avais envie, c'est tout. »

Une fois son étreinte raffermie pour la laisser lovée contre son corps, il posa sa joue contre la sienne. Cette proximité était malsaine, profondément malsaine, mais Mu ne pouvait en avoir idée car lui seul se rendait compte d'à quel point elle avait pu laisser la pire des vipères s'approcher de son cœur. Il suffirait de l'enlacer un peu plus et ses crochets empoisonnés n'auraient plus qu'à y déverser un venin létal si l'envie s'en faisait sentir. En outre, ce n'était pas le cas, pas plus que ce n'était près d'arriver : c'était un jouet de trop haute qualité pour être cassé de sitôt. Il voulait la garder auprès de lui autant que faire se peut et ne daignerait éventuellement lui rendre sa liberté qu'une fois lassé de l'avoir entre les griffes.

Ce numéro de charme n'avait fait qu'affirmer cette place prédestinée et elle n'avait d'autre choix que d'y reposer désormais, pour s'être prêtée au jeu du démon sans même le vouloir. Sans perdre de son charisme, le Juge répéta le même geste, avec plus de calme encore pour qu'elle puisse cette fois s'y attendre et ait la preuve de sa bonne foi. Oui, ce n'était que de son propre fait qu'il avait décidé d'agir ainsi et continuerait à le faire, pour peu qu'elle y consente. Le calme était revenu en elle et cette seconde tentative n'avait pour but que de lui témoigner que ce n'était le fruit que de sa volonté propre, qu'en rien il ne se sentait forcé de le faire, mais qu'il s'y était effectivement adonné pour la soulager de son fardeau en lui offrant un réconfort plus charnel et romantique que celui, banal, d'un enlacement – aussi étroit qu'il puisse être.

« C'est étrange. Tu me rappelles quelqu'un... »

Sa vision se brouilla l'espace d'une seconde et le Juge eut une absence momentanée, qui très vite s'estompa mais le laissa perplexe. Qu'était-ce... ? Lui-même n'aurait su le dire. Son passé surgissait parfois du néant par bribes, confuses et désordonnées, mais n'avait cette fois pas même osé imposer une image à son esprit. Une vérité qu'il avait su autrefois mais qu'il avait choisi d'oublier. Troublé, mais non moins soucieux de faire durer la comédie et de ne pas laisser traîner le moindre indice pouvant éventer sa couverture, Alessio se redressa de toute sa hauteur sans jamais lâcher la main de l'adolescente. Tout au contraire, son but était de l'attirer à sa suite, de la convaincre de se relever pour cheminer à ses côtés et partir à la recherche de celle qu'elle était venue récupérer ici. Pas un mot ne la préviendrait de ce qu'elle allait voir : la triste vérité aurait tôt fait de transparaître sans qu'il ne l'y aide.

« Assez perdu de temps. J'ai une fratrie à réunir. N'est-ce pas ? »

Spoiler:

Le rouge présent sur les joues de la jeune fille n'avait daigné disparaître, la laissant empêtrée dans cette incontrôlable impression de gêne. Le doute avait beau planer, il lui était impossible de le repousser. Et puis... En avait-elle vraiment envie? Il ne souhaitait que l'aider, après tout. Et bien que cela soit quelque peu étrange au vu de la situation, elle ne pouvait penser à refuser la perche qu'il lui tendait. Comment pouvait-elle sortir de là par ses propres moyens?

Et alors, il recommença. Cela ne la surprit pas, il aurait été stupide de ne pas s'y attendre. Cependant, et contrairement à la première fois, elle était bien plus sûre d'elle, et n'hésita pas une seconde à l'accepter. C'était une sorte de réconfort, après tout... Et, désormais, elle avait un peu plus l'impression de le connaître. Quand bien même le doute ferait de nouveau surface, elle était persuadée que cela ne serait dû qu'à sa paranoïa, causée par la menace et l'étrangeté des lieux. A partir de cet instant, toute la confiance de Mu était rassemblée en cette personne. D'ailleurs... C'était bien la première fois qu'on faisait attention à elle. Ou du moins depuis la mort de sa soeur...

« R-réunir... Vous êtes vraiment sûr que Phi se trouve ici... Et... Vous avez dit que cet endroit était dangereux, non...? »

Le doute disparu laissait désormais place à l'inquiêtude. Mu, qui s'était laissée submerger par le flot de ses pensées, n'avait entendu qu'une bribe des paroles du jeune homme, aussi avait-elle pu manquer une phrase importante. Si Phi était ici... Ils étaient en Enfer... Non? Ca et ça, le danger, l'impossibilité de sortir... Tout cela était effrayant, non? Se mordant légèrement la lèvre, Mu, qui s'était relevée en même temps que lui, n'hésita pas une seconde à se réfugier entre ses bras. Aah, lui serait-il possible, au moins une fois, de contrôler ses émotions?

« J'ai peur... »

Et c'était bien vrai. Pas de lui, bien sûr. Cela n'avait rien à voir. Elle le voyait presque comme un proche, désormais. Non non, elle était terrifiée par les lieux en eux-même, et surtout sur ce qu'ils risquaient de croiser, à trop s'attarder dans les parages... C'était presque un miracle que sa première rencontre ne lui soit pas néfaste, qu'elle soit tombée sur le "gentil" de l'histoire. Bien que certaines de ses manières lui avaient parues... Bizarres, il était tout sauf menaçant. Du moins avec elle. La jeune fille en était désorais certaine, si ils venaient à avoir un problème, il n'hésiterait pas une seconde à la sortir de là. Il n'aurait pas réagi de la sorte, sinon, n'est-ce pas?

Illusion...

Alessio touchait au but. C'était désormais une bouée de sauvetage dans l'océan de solitude où se noyait cette pauvre enfant avant son arrivée. À en voir l'engouement perceptible avec lequel elle répondit cette fois à ses avances, le piège s'était refermé et elle ne pourrait plus s'en défaire. Le mécanisme était en marche et nul n'avait plus les moyens de l'arrêter car son emprise était déjà trop forte. Qu'elle le veuille ou non, un lien s'était tissé. Équivoque qu'il était, personne ne pouvait en comprendre la réelle substance, mais ce n'était pas grave car toute relation ne peut être rompue si aisément. Pour s'en défaire, cela demanderait de sa part des efforts qu'elle n'avait pas la force physique ni mentale d'accomplir. Tout ce que demandait cette petite était de pouvoir se reposer sur lui sans compter et il ne faisait que lui donner ce qu'elle attendait. On ne pouvait lui en vouloir de couronner de succès ses espoirs, même si ce devait être de manière fictive.

La garder à ses côtés n'était pas un problème ; tous les Juges n'avaient-ils pas nombre de serviteurs à leur botte ? Ce pouvait être pareil pour elle. À la différence près qu'elle était humaine, vivante, et non pas issue de ce monde terne et inerte où toute chose est appelée à tomber en décrépitude. Ce ne devait pas être un obstacle, mais il pensa tout de même plus prudent de maquiller cet état de faits jusqu'à nouvel ordre. La tromperie ne durerait qu'un temps mais au moins pouvait-il retarder le moment de cette découverte par un habile subterfuge. Si ses pairs avaient toujours une plus grande maîtrise du cosmos, il n'avait pas son pareil pour dissimuler et conspirer et les propriétés du sien s'en ressentaient. Pas un ne pourrait percer le secret de la belle pour peu que son ouvrage soit sans faille à moins de s'y pencher de très près – à une distance où personne ne pourrait l'approcher tant qu'elle serait sous sa tutelle, évidemment.

« Sûr est un bien grand mot. Mais qui ne tente rien n'a rien. Et je te l'ai dit, tu n'as pas à t'en faire : tu n'auras pas à craindre quoi que ce soit tant que je serai avec toi, et je ne vais pas m'en aller en te laissant toute seule ici. Je serai ton ange gardien. Après tout... Par ce baiser, nous sommes liés l'un l'autre. »

Un sourire se peignit sur ses lèvres, taquin. Mais s'évanouit tout aussi vite pour faire place à une expression plus tendre, détendue mais significative de combien il pourrait être attentionné à son égard si elle le laissait faire. Oui, tout portait à croire que sa bienveillance n'avait de limites que celle qu'il voulait bien lui donner et que sa bonté était soumise aux mêmes conditions. Un stratagème qui s'affinait de minute en minute et que très peu même parmi ceux habitués à le fréquenter auraient pu déceler. Le Griffon était changeant, lunatique. D'une inconstance rare. Ces airs débonnaires pouvaient être une contrefaçon comme la vérité vraie. Comment savoir ? Tant que ses secrets seraient bien gardés, personne n'en aurait idée... Sans quitter cet état d'esprit, Alessio passa un bras autour de la taille de la belle et exerça une pression mesurée pour la guider vers l'avant sans la brusquer. Le contact n'était là que pour lui rappeler qu'il ne la quittait pas d'une semelle et était là pour veiller à sa sécurité. Bien sûr, si elle le souhaitait, cela ne le dérangerait pas de le maintenir – le baiser qu'ils avaient échangé était sensiblement plus symbolique que de la toucher si sobrement.

« Tout va bien, ne t'en fais pas. Je suis là. »

L'étape suivante... Il en avait déjà une vague idée, mais n'achèverait de la confectionner qu'en cours de route. Leur destination n'était pas si éloignée, mais lui laisserait tout le temps de peaufiner sa stratégie d'approche de sorte à ne pas manquer son coup. Songeur, il fit un tour d'horizon pour s'assurer de ne pas être suivi ; il avait déjà assez de problèmes sans que les murs n'aient d'oreilles pour venir aggraver son cas. Aussi, pour ne plus avoir à se méfier de voir l'un des leurs arriver sans prévenir et gâcher la mise en scène qu'il s'escrimait à mettre en place pièce par pièce dans les moindres détails, quitter les lieux pour en rejoindre de moins fréquentés serait le plus arrangeant. Après tout, l'adolescente ne pouvait pas savoir qu'en le suivant, elle ne ferait que s'enfoncer plus loin dans les limbes. Par chance, tout Juge des Enfers qui se respecte était pourvu d'appartements de fonction sous forme d'un somptueux palais. Personne ne viendrait les déranger en son domaine, et ce serait là leur prochaine destination...

Citation :: → Anténora (si tu le veux bien ~).

Sujet: Re: Juste une larme... [PV Alessio]

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