Dans la gueule du Serpent

Cronos Labyrinthos

Un autre voyage, un autre portique de pierre. C’est fou ce qu’ils finissaient par se ressembler à la longue… Bien que les enjeux soient particulièrement importants cette fois. Qui aurait cru que les enfers dépendraient à nouveau de ses décisions et capacités en si peu de temps ? Cependant cela ne la faisait pas trembler, car elle avait tôt appris que c’était dans l’adversité – ou dans ce cas-ci la contrariété – que les vraies capacités se révélaient. Deux présences avaient été décelées aux portes, et naturellement Belhys se sentait responsable de leur « accueil ». La curiosité la tiraillait quand à l’identité de leurs visiteurs vivants, d’autant plus que l’un deux avait été reconnu comme un saint d’une puissance non négligeable. Un Gold Saint probablement. Et qui disait Gold Saint disait migraine. Pour elle l’un allait difficilement sans l’autre…
Sortant du portail de marbre gris qui lui servait aux déplacements, Belhys posa un pied nu sur le sol froid de cet endroit macabre, à quelques mètres seulement des cette étrange paire d’inconnus. Trois personnages encapuchonnés la suivirent de près et se postèrent derrière elle, dans une escorte silencieuse qui inspirait le respect. Des statures féminines se devinaient sous les tissus pourpres, et des broches d’argent aux formes de l’étoile d’Hadès étaient suspendues à leurs poitrines. Se postant à sa droite dans un mouvement synchrone, elles semblaient réserver la place de l’autre côté à quelqu’un d’autre. De la sorte on pouvait contempler l’Assassine parée d’une robe simple mais élégante, dans une parure digne de ce qu’elle était en ce moment, à savoir la reine des Enfers. Ses traits différents de ceux qu’elle avait eu jadis étaient plus fins et plus doux, avec un je ne sais quoi d’apaisant et paradoxalement ténébreux, son cosmos était lui aussi d’une harmonie à nulle autre pareille, comme si elle était à elle seule le pont entre la Terre et les Enfers... La force tranquille d’une suzeraine.


Ses yeux sanguins se posèrent sur le chevalier qu’elle reconnut comme celui de la balance grâce à sa cloth box, puis dérivèrent sur cette jeune femme excentrique qui semblait s’en donner à cœur joie de sa balade en balai, autour de son compagnon. Ce comportement lui parut peu discret, voire certainement un peu inconscient, cependant la demoiselle ne sembla pas y accorder plus d’attention pour le moment. La présence d’un gardien zodiacal était bien plus intrigante, bien qu’elle n’en ignore pas la jeune femme non plus. A vrai dire elle imaginait très mal cet homme s’entourer d’une civile pour entamer une descente aux enfers au sens le plus littéral. Elle devait être soit une guerrière à sa façon, ou une prêtresse qui sait… Ce qui supposait que Thésée avait été remplacée. Ce n’était pas plus mal si tel était bien le cas. Quoi qu’il en soit, c’est en tant que Perséphone que Belhys s’approcha, suivie de ses « courtisanes » qui restèrent en retrait, à une distance respectable pour ne pas gêner et assez proches afin de la protéger si besoin était. Logiquement ce fut au chevalier qu’elle s’adressa, ne sachant trop quel était le rôle de son accompagnatrice.

- Cela fait bien longtemps que je n’avais vu des vivants en terres infernales. J’imagine qu’une affaire précise doit amener des défenseurs de ma demi-sœur Athéna. Pour quelles raisons prenez vous un tel risque ?

Son ton était chaud et neutre, dépourvu de teintes d’hostilité. Jusqu’à preuve du contraire, elle n’avait pas de raison d’être désagréable, aux dernières nouvelles leurs camps étaient en trêve, par conséquent l’agressivité n’avait pas de raison d’être. Pourtant une chose était sûre, elle s’attendait aussi à de la courtoisie et du respect de la part de ses hôtes si ces derniers voulaient un accueil digne de ce nom… Car dans le cas contraire, ils seraient derechef invités à rentrer chez eux.

Aak'ab avait de la chance, il aurait du normalement se charger de recevoir les visiteurs et de prendre les bonnes décisions comme le lui avait demandé sa Majesté Hadès mais au final, il n'avait pas besoin de le faire car Belhys allait s'en charger. Il se contenterait seulement de la suivre et de veiller à sa sécurité... si pour une fois, il arrivait à se contrôler, ce qui n'était pas chose aisée.

Aak'ab sortit à la suite de Belhys, du portail qu'elle avait créé afin de les amener du palais d'Hadès aux portes de l'enfer. Il laissa Belhys et ses suivantes se mettrent en place devant les visiteurs et Aak'ab put remarquer qu'une place avait été laissée vaquante. Cela devait être pour lui. Il se mit donc en place à la gauche, légèrement en retrait de Belhys, prêt à bondir pour s'interposer si quelque chose se passait mal. Toujours encapuchonné, seules deux faibles lueures rouge émanaient de l'ombre qui devait être son visage.

Aak'ab ne regardait pas directement les visiteurs afin de garder l'esprit claire. Mais, s'il sentait que quelque chose était bizarre, il n'hésiterait pas à plonger son regard sur les visages des visiteurs pour connaître plus clairement leurs intentions. Mais, comme cela avait un risque de finir en carnage s'il faisait cela, il attendit tranquillement.

Aak'ab ne comptait pas parler durant toute l'entrevue avec les visiteurs, Belhys allait s'en charger. D'ailleurs, elle pris la parole, s'adressant au chevalier d'or.

- Cela fait bien longtemps que je n’avais vu des vivants en terres infernales. J’imagine qu’une affaire précise doit amener des défenseurs de ma demi-sœur Athéna. Pour quelles raisons prenez vous un tel risque ?

Belhys n'avait pas tort, si les forces de sa Majesté avait toutes été là, ils auraient été reçus différemment, encore que les deux camps étaient pour le moment en trêve. Dans tous les cas, une réponse claire était attendue de la part du chevalier d'or.

[Dsl du retard]

En observant attentivement les expressions tranquilles et presque naïves des deux visiteurs, Belhys ne put s’empêcher de penser qu’ils avaient eu une énorme chance. De fait s’ils étaient arrivés en une période différente il était fort probable que leur accueil soit largement moins courtois. Heureusement et pour des raisons qu’elle ignorait mais questionnait quand même, leurs camps étaient en trêve, ce qui éviterait les bains de sang avec le premier spectre qu’ils croiseraient. Après tout c’était bien une des premières fois que deux membres du clan athénien auraient l’occasion de venir ici en temps de « paix ». Et encore… ce mot lui paraissait rudement utopique, pour ne pas dire hypocrite. Pour peu que l’on ait un minimum de réalisme, il était aisément prévisible que cette situation ne durerait pas toujours. Au final l’un des deux camps romprait l’accord tôt ou tard… et Belhys ne faisait qu’espérer que ce moment ne vienne pas tout de suite.
Ecoutant les paroles de la jeune femme qui prit les devants au niveau des explications, la demoiselle haussa un sourcil d’incrédulité. Quels drôles de temps étaient ceux qu’ils vivaient pour que des saints donnent des justifications aussi ironiquement innocentes ? A moins peut être que ce ne soit une plaisanterie de bien piètre goût. Des défenseurs d’Athéna qui voulaient découvrir leurs plus grands ennemis ? La réaction de l’Assassine fut mitigée, témoignant d’abord de la surprise et ensuite de l’hilarité dépourvue d’arrière pensée.

- Un… échange culturel ?

Un petit rire grave fut visible plus qu’il n’était audible. Elle ne se permettrait pas de les interrompre en si bon chemin, surtout qu’il n’était pas courant qu’un des leurs daigne apporter des précisions quand au bon fondement de ses actes. Peut être parce que la plupart du temps il n’y en avait pas, mais soit telle n’était pas la question. Se tenant immobile mais pas rigide, Belhys semblait encore plus vivante qu’eux qui vivaient à la surface. Ses joues rosées contrastaient avec la pâleur mortelle de tout être arpentant le royaume infernal. D’ailleurs un bruit de fond était audible pour tous les présents, en l’occurrence les plaintes de douleur et de tristesse des différents damnés attendant de traverser grâce à Charon. Regardant un instant dans leur direction son faciès changea momentanément et se drapa du malheur qu’elle semblait partager avec eux. Elle n’avait pas de pitié à leur encontre mais plutôt une empathie singulière qui ne pouvait être ressentie que par quelqu’un qui avait vécu un supplice semblable. Et tel était le cas…
Reprenant son sérieux, elle tourna son regard vers la Balance qu’elle laissa parler. Son discours allait dans le même sens que celui de son accompagnatrice et le complétait… Ce qui ne le rendait pas forcément plus logique. En fait elle se demandait comment ils pouvaient croire qu’une visite aux Enfers était possible selon leur point de vue. Ici c’était le domaine des morts, et non celui des vivants. Leur présence ici était à elle seule une énorme bévue dans l’équilibre des choses. N’avaient ils donc pas eu vent de l’histoire d’Orphée et de sa bien aimée Eurydice ? Des mortels ne pouvaient trouver qu’une chose en ces terres inhospitalières : la Faucheuse. Tentant donc d’être le plus conciliante possible sans leur donner l’impression d’être hautaine, la Galicienne reprit la parole.

- Vous ne trouveriez rien qui puisse vous intéresser dans les différents domaines du royaume, à moins peut être que contempler indéfiniment les châtiments éternels des défunts ne soit à votre goût. Comme vous le constaterez par vous-même sous peu, les humains qui ont été jugés doivent payer pour leurs crimes et sont trop envahis par leur propre peine pour répondre à vos questions. De plus les Enfers ne sont pas comme Athènes ou Asgard des pays qui peuvent être visités à la demande. Vous n’êtes tout de même pas de ces touristes ignobles qui souillent de leur curiosité des lieux sacrés, n’est-ce pas ? – elle leur sourit brièvement, préférant les épargner à une vue macabre qui les changerait à jamais. Pour votre propre sauvegarde je ne vous montrerai pas ce qui se passe de l’autre côté du Styx, car de toute façon vous aurez amplement le temps de le sillonner une fois que viendra votre heure. Néanmoins je veux bien accéder au reste de votre demande. En l’absence de mon époux Hadès je suis la seule apte à commander aux Enfers, et puisque vous faites preuve d’une humilité rare chez les vôtres, je suis disposée à répondre à vos questions.

Ils n’avaient probablement pas idée de l’opportunité en or dont ils disposaient. Avoir une seule personne disposée à s’entretenir pacifiquement avec eux était de l’ordre du miracle, car quand bien même des éléments de l’armée spectrale avaient largement les moyens de les éclairer, ils auraient tout simplement refusé d’échanger une seule impression avec ceux qu’ils combattaient depuis l’aube des temps. Ils avaient accepté cette nouvelle existence pour les occire et non pas pour nouer des liens de quelque nature que ce soit… Et en cela Belhys les approuvait. Cependant les Spectres étaient des êtres comme il y en avait d’autres, et tous avaient des besoins. Ce qui lui penser que Aak’ab paraissait bien trop calme, trop pour ce genre de situations. Se souvenant qu’il avait eu quelques problèmes par le passé auxquels Kyrian avait tenté de trouver une solution, elle décida de l’interroger personnellement par le biais de l’esprit :

* Il me semble que tu as connu quelques soucis dont j’ignore la teneur par le passé et j’ai vu que tu portes la cape de mon protégé, Kyrian. Es-tu parvenu à résoudre la situation ? Si tel est le cas tu n’as pas besoin de te donner le mal de m’escorter, je peux m’en sortir et nos invités ont l’air de venir en paix… *

Il n’était pas nécessaire qu’elle se tourne en sa direction puisque de toute façon on ne pouvait voir son visage recouvert de la capuche. D’un autre côté il n’était pas non plus utile que les saints se rendent compte qu’elle discutait avec lui sans qu’ils le sachent, notamment parce que cela n’avait strictement rien à voir avec leur présence ici. En somme elle voulait surtout libérer Aak’ab afin qu’il s’occupe de ce qu’il lui restait à faire, et éventuellement qu’il lui dise ce dont il était question afin qu’elle l’aide si besoin en était…

Depuis qu'Aak'ab était arrivé en compagnie de Belhys aux portes de l'enfer, il n'avait fait aucun mouvement, écoutant la discution. Lorsqu'il entendit la raison de la venue de ces deux vivants, Aak'ab n'eut aucun gestes et ne fit aucun bruit même si intérieurement, il rigolait.

Aak'ab écoutit la réponse que fit Belhys mais fut choqué par la fin de ces propos. Elle allait répondre à leur question. Pour Aak'ab, cela n'était pas une bonne idée, mais ce n'était pas à lui de décider cela. Il devait se contenter de protéger le domaine de sa Majesté Hadès de toute intrusion et tant que ces deux vivants n'allaient pas plus loin, il ne ferait rien.

C'est alors que Belhys s'adressa à Aak'ab par la pensée. Aak'ab lui répondit de la même manière.

Pour répondre à votre question, le soucis n'est toujours pas réglé. Pour vous expliquer rapidement, lorsque je prends l'apparence et les souvenirs de quelqu'un, je n'arrive plus à me controler et une envie irrésistible de tuer cette personne apparait en moi. L'ancienne prêtresse m'avait conseillé d'aller boire une goutte d'eau à la fontaine de jouvence, mais j'ai besoin de sang divin pour accéder à cette dernière. Donc pour le moment, je resterais avec vous. De toute manière, sa Majesté m'a demandé, avant de partir pour le domaine de Poséidon, de protéger les enfers. Je ne peux donc pas partir d'ici pour le moment.

Belhys n’était peut être pas familière avec cette position nouvelle de reine, encore moins si l’on prenait en compte l’ampleur de responsabilités en ce moment, cependant elle entendait faire les choses correctement. Elle avait été courtisane dans sa première existence, par conséquent elle avait au moins la possibilité de connaître parfaitement les règles de bienséance et toutes les subtilités que cela comporte, mais aussi les divers rouages d’une cour. La diplomatie et la politique ne lui étaient pas étrangères, c’est juste que ceci… était un premier test. Ce n’était pas quelque chose qu’elle voulait faire ressentir pour autant, d’où son aplomb à sa tâche. Continuant de regarder en direction des deux alliés d’Athéna, elle répondit à Aak’ab, toujours par télépathie. Elle avait plus ou moins eu vent des capacités du dopplegänger, ce qui ne voulait pas dire pour autant qu’elle savait ce qui se passait au juste.

* Je vois que pour résoudre ton problème tu seras obligé de poursuivre une quête loin d’être aisée. Je ne peux rien promettre pour l’instant, surtout que nous avons forte affaire avec nos visiteurs. Cependant si tu te montres digne de nous servir mon époux et moi, alors je te donnerai ce qu’il te manque. Tout ne dépend que de toi. A quels sacrifices es-tu prêt pour parvenir à tes fins? *

Elle n’était ni familière ni hautaine car son but était de trouver un juste milieu entre les deux. Si elle ne voulait pas sombrer dans la tyrannie qui de toute façon ne serait pas approuvée par Hadès, d’un autre côté elle n’admettrait pas non plus l’insolence. Elle était bien trop consciente des erreurs de la réincarnation précédente pour les répéter. L’assassine avait toutes les raisons de vouloir aider Aak’ab, afin qu’il ne représente plus un danger pour les autres spectres, toutefois il était hors de question de le faire sans contrepartie. Il n’était pas question qu’il accède de la sorte à la fontaine de jouvence… néanmoins ce serait idiot de lui couper l’herbe sous le pied. En bref une affaire qui devait être traitée dès qu’elle en aurait fini avec les athéniens.
D’ailleurs elle entendit la jeune femme prendre la parole, se présentant comme la prêtresse. Belhys se mit à prier pour qu’elle ait un peu plus de présence d’esprit et de respect que Thésée, ce qui en soi ne serait pas bien difficile. Elle l’écouta attentivement, puis lui répondit de son ton calme et harmonieux.

- Justement, jeune prêtresse. Ici il ne s’agit pas d’un temple ou d’un lieu sacralisé par les rites. Il s’agit dans ce cas d’un royaume entier qui est interdit aux vivants depuis la nuit des temps. Hercule, Orphée, Enée. Je pourrais citer par cœur le nom du peu d’élus qui sont venus au royaume souterrain… et surtout qui en sont repartis en vie. Inutile donc de vous indigner contre des lois millénaires qui vous dépassent. – Belhys sourit à demi. Cette prêtresse avait du culot, dommage qu’elle refuse de voir plus loin qu’un point de vue mortel. Les temps changent, même les dieux doivent s’adapter. Nous ne sommes pas exception.

Ce fut le seul commentaire qu’elle ébaucha au sujet de l’absence de son époux, qui en effet était bien occupé ailleurs. Mais cela était un tout autre sujet, qui de toute façon ne regardait pas les deux présents. Il y avait des vérités qu’il valait mieux ne pas savoir, pour son propre bien. C’était donc une censure altruiste que faisait la demoiselle afin de leur éviter des soucis inutiles. Ils étaient en temps de paix après tout, alors on n’allait tout de même pas la blâmer de vouloir la sauvegarder !
Se tournant vers Dohko lorsque celui-ci, plus avisé, saisit la chance qui lui était donnée, Belhys écouta ses questions. C’étaient des interrogations étranges surtout pour quelqu’un qui avait côtoyé le concerné de près, cependant elles étaient pertinentes et différaient pas mal du type de questions prévisibles.
La réponse qu’elle aurait pu donner était aussi vaste et vague que les Enfers eux-mêmes. Il lui fallait donc penser à quelque chose de suffisamment concis et précis afin de décrire fidèlement le plus riche des Dieux. Posant ses yeux carmin sur le chevalier de la Balance, la suzeraine le regardait franchement. Elle avait accumulé les différents points de vue possibles, puisque elle avait été spectre pendant des siècles avant de tenir son rôle actuel.

- Hadès est en beaucoup de points semblable à l’Homme qui l’accueille, à tel point qu’à vrai dire il est difficile de savoir ou s’arrête l’un et commence l’autre. Cela arrive pour les Dieux qui ont trouvé un hôte qui leur correspond particulièrement bien. Ma précédente réincarnation fut un échec total, alors je peux dire avec certitude que c’est d’une importance capitale si nous voulons disposer de la totalité de nos capacités. Ensuite… vous pourrez certes penser que je fais preuve de démagogie… Mais je vais vous dire ma façon de penser, puisque vous me l’avez demandée.
Hadès est par-dessus tout quelqu’un de Juste. Quoi que vous puissiez penser et peu importe à quel point nos points de vue sont différents, cette qualité ne peut pas lui être refusée… Dans son rôle de Dieu comme dans son rôle plus « terre-à-terre ». La mort est bien la seule chose en ce monde qui soit équitable. Qu’importe la race, le statut, la richesse ou la force. Tout ce qui naît doit mourir un jour. Le deuxième trait le plus important est qu’il n’est pas simplement une entité repoussante qui se complait à enlever aux vivants ce qu’ils ont de plus cher. Cette vision manichéenne est une invention de l’homme afin de diminuer ses peines en diabolisant ce qui ne devrait l’être. Il y a quelque chose que vous devriez, l’un comme l’autre retenir à son sujet. Jamais mon époux n’entreprendrait quoi que ce soit sans raison. Dans la diplomatie comme dans la Guerre, dans les situations qui vous semblent potentiellement les plus incompréhensibles, ne doutez pas que derrière chacun de ses choix il y a une raison. Elle vous échappe peut être, mais elle n’en est pas moins présente. Car même dans la mort, il y a une continuation.

Elle en était elle-même la preuve. La Mort était une étape nécessaire à la renaissance… et si jadis il l’avait, comme le prétendait la légende, enlevée à sa mère Déméter… cela ne voulait pas dire que seules des mauvaises choses en avaient découlé. Depuis qu’elle et son époux s’étaient mis d’accord sur le partage de sa compagnie la terre avait retrouvé son équilibre avec un partage des saisons qui la faisait fleurir encore plus qu’auparavant. En plus de ça les Enfers avaient désormais une Reine, ce qui donnait une présence supplémentaire aux côtés de Pluton. Parfois elle intervenait pour apporter un peu de douceur à ces lieux hostiles, et qui plus est cela permettait d’ajouter une voix de plus aux causes jugées perdues.
La galicienne cligna des yeux et observa les deux visiteurs, qui semblaient relativement détendus. Fort heureusement la situation s’y prêtait, et elle espérait qu’à défaut d’apporter tous les éclaircissements, au moins ses paroles aient le don de les faire un peu réfléchir. Il était trop facile de radicaliser les choses pour les rendre plus faciles, cependant cela revenait aussi à fausser la Vérité… ce qu’elle essayait de rétablir. Est-ce que la Balance, symbole de Justice, pourrait le comprendre et l’accepter ?

- Ai-je répondu à votre question, chevalier ? Ou pensez vous toujours que les spectres sont des rustres sanguinaires ne cherchant qu’à semer la destruction ?

Elle était curieuse de savoir quel discours il allait tenir, puisque les saints qu’elle avait pu rencontrer au long de sa longue existence étaient très souvent enclins à le penser. Etait-il un cas désespéré ou au contraire montrerait-il que l’espoir se faire comprendre était possible ? Belhys attendit sagement, tranquille et immobile malgré le léger vent qui agitait le bas de sa robe aux teintes infernales.

La discussion entre la reine des enfers et les visiteurs n'intéressait guère Aak'ab. Cependant, ce dernier commençait à être agacé que ces importuns ne décident point de partir.

Belhys parla à Aak'ab et ce dernier lui répondit toujours par la pensée.

Je comprends tout à fait que nous n'ayons le temps maintenant. De toute manière, comme je vous l'ai déjà dit, Hadès m'a chargé de défendre les enfers et tant que nos troupes ne seront pas rentrées, je ne ferais rien d'autre. Et sinon, pour répondre à votre question, j'avoue ne pas y avoir réfléchit. Je pense que je ferais n'importe quoi pour contrôler cette malédiction. Je ne suis pas fière d'avoir voulu attaquer Alessio même si ce n'était pas moi qui me contrôlait à ce moment là.

Aak'ab attendit quelques instants pour trouver les mots qu'il allait utiliser.

Par contre, je vous avoue que ces importuns m'agacent et que cela n'arrange pas mon mal. J'aimerais qu'il parte assez vite afin d'éviter de déclencher une guerre qui pourrait être sanglante et non voulut par sa Majesté.

- Les 5 Pics -

Cette discussion improbable que certains attendaient tant et dont d'autres retiraient tant d'irritation laissait Belhys de marbre. Si il est vrai qu'elle avait fut un temps voulu engager la discussion avec les défenseurs d'Athéna afin de comprendre ce qui animait leurs convictions, d'un autre elle avait vite fini par comprendre que tout cela était destiné à être vain. Qu'importe au final le langage utilisé par les uns et les autres puisque au final ils semblaient toujours en revenir au point de départ: leurs visions du monde étaient trop opposées pour être compatibles. Son infinie patience la perdrait certainement un jour, mais pour l'instant elle avait décidé de donner une chance de plus à ces deux athéniens d'entrevoir le revers de la médaille. Pourtant la Galicienne ne nourrissait pas de vrai espoir que l'un d'eux (encore moins les deux) puissent vraiment accepter l'existence d'une autre réalité que celle qu'ils s'étaient forgée.
Demeurant toujours aussi calme et digne, la suzeraine laissa ses yeux carmin se porter un instant sur l'immense portique de pierre qui symbolisait l'entrée du royaume, parcourant lettre par lettre l'avertissement au sujet de l'Espoir. La voix d'Aak'ab résonna dans sa tête, ce qui la laissa pensive un instant bien que l'on puisse aisément croire qu'elle était absorbée par ce qu'elle voyait, ce qui n'était pas totalement faux non plus. Elle lui répondit finalement de sa voix douce qui fit écho dans son esprit.

*Je me doute fort bien que cette perte de contrôle n'est pas volontaire, car dans le cas contraire tu serais certainement retourné parmi les défunts errant dans le Styx... De plus je ne t'apprends sûrement rien en te disant que notre Monarque prône l'équité. Pour obtenir un bien aussi précieux que celui que tu convoites il va de soi que tu devras payer le prix. Puisque c'est moi qui le remplace quoi qu'il advienne pendant son absence, c'est moi qui me chargerai de t'aider. *

Elle pesait bien ses mots, consciente du poids de son engagement. Accorder à un spectre l'accès à la fontaine de jouvence était une première mais plus que ça, cela comportait le danger non négligeable qu'il perde définitivement la raison. La tentation que représentait la jeunesse éternelle, la purification et la longévité de cette eau pourrait corrompre même le mieux intentionné des êtres, alors que dire du risque que représentait la présence de quelqu'un d'instable en ces lieux sacrés? Belhys joua avec le fin collier de pierres ébènes qui entourait sa nuque, un brin distraite.

* Les Athéniens ne resteront pas longtemps, ne t'en fais pas. Quelque chose me dit que la vérité de mes paroles ne leur plaira pas, et comme bien souvent l'être humain revient à ses instincts primaires lorsqu'il ne comprend pas quelque chose: il le répudie et s'enfuit. Ce que je leur ai révélé n'est qu'un ensemble de faits qu'ils pourraient constater par eux-mêmes si seulement ils en avaient la force, mais tel n'est pas le cas hélas. Enfin qu'importe... Je n'en attendais pas moins d'eux. - elle prit une pause, puis poursuivit sur ce qui les intéressait vraiment.
La seule détention de sang divin ne suffit pas à approcher de la fontaine, il te faut également l'accord indiscutable et volontaire d'un dieu. Tu devras par conséquent me prêter allégeance à titre personnel afin qu'un lien intrinsèque se noue entre nous. Nous concernant j'accepterai de verser mon sang pour ta cause si tu acceptes de verser le tien en échange. Je ne suis pas malhonnête, je ne te mentirai pas. Une fois en possession d'un seul échantillon de ton sang je détiendrai ta vie entre mes mains, je serai capable de t'infliger le plus intense des plaisirs comme la plus douloureuse des tortures. Cependant je te donne ma parole de ne pas interférer avec ton libre arbitre et de ne pas interférer sur la liberté de tes choix. Tu seras toujours le seul maître de ta destinée, je te demanderai uniquement de ne jamais contester aucun de mes ordres et de servir Hadès sans hésitations.

Belhys tourna un instant le regard vers lui et malgré le fait que la capuche dissimule ses traits, elle transperça la noirceur qui s'y nichait du regard. Elle ignorait encore ce qu'il allait penser de ce qu'elle venait de lui dire, cependant elle espérait qu'il mesurait l'ampleur de la chance qui lui était donnée. Il était pratiquement impossible d'obtenir du sang divin, et il était plus que probable que n'importe quel autre dieu l'aurait snobé et renvoyé ad patres pour avoir eu l'impudence de faire une pareille requête. Maintenant le choix était entre ses mains: accepter la servitude éternelle et l'équilibre ou garder la possibilité de se dérober à l'autorité et demeurer instable.
Se tournant finalement vers les deux athéniens qui semblaient particulièrement prendre leur temps pour ce qui était de formuler la moindre phrase, Belhys dodelina légèrement de la tête d'un air conciliant mais désapprobateur. C'était difficile de ne pas perdre patience avec autant d'incompréhension, toutefois il n'était pas question qu'elle perde son sang froid. Et puis que pouvait elle faire pour ces pauvres enfants égarés dans le cours de l'existence? Il y avait bien de choses à comprendre et leur temps était bien trop court. Ils étaient sans cesse trop occupés à parader dans leurs temples, à se pavaner dans leurs armures en répétant sans cesse les crédos d'Athéna sans même les comprendre pour pouvoir se pencher sur des choses plus essentielles. Souriant bienveillante elle s'adressa à la prêtresse qui semblait ne pas encore avoir compris que ses desseins n'étaient pas sournois. Maitrisés et prévoyants peut être, mais pas sournois.

- Si vous aviez eu moins de préjugés à mon encontre vous auriez entendu que je vous ai demandé si vous étiez de ces touristes; et que je ne vous ai nullement accusés d'en faire partie. De plus je n'ai pas remis en cause votre respect des lieux... Je vous ai tout simplement rappelé que ce royaume n'est pas sujet à la libre circulation pour les mortels, ni même un lieu que l'on peut visiter sans séquelles irréversibles. C'est bien dommage que vous ne sachiez estimer à sa juste valeur le fait que je vous protège du pire. N'est ce pas là l'essence même de votre pensée...? Protéger et défendre les plus faibles?

Son expression ne changea pas, et il n'y avait pas non plus d'ironie dans son ton de voix. C'était purement navrant qu'ils s'obstinent à la haïr alors qu'elle ne leur avait strictement rien fait... et même pire, alors qu'elle leur épargnait le pire. L'ingratitude humaine ne changerait donc jamais? Baissant les yeux un instant, la demoiselle se fit mélancolique. Cet entretient était décevant, définitivement décevant. En ce moment même Perséphone se demandait pourquoi elle perdait son temps. Parler de concepts philosophiques avec ces athéniens c'était un peu comme tenter d'expliquer la version détaillée et complète de la cosmogonie à un nouveau-né. Soupirant avec un sourire bienveillant de la mère qui pardonne leur inconscience à ses enfants, Belhys répondit calmement à Dohko malgré l'exaspération que lui évoquait cette réaction. Il était encore trop naïf, trop jeune pour comprendre ce que signifiait vraiment une guerre. Et puis qui était-il pour prétendre savoir ce qu'était la Justice? Athéna était la déesse de la Justice certes, mais la Justice humaine... celle du Droit Pénal et des juges, pas celle de la Justice objective qui était rendue sans distinctions inégales. La Balance avait encore énormément à apprendre, et si le fait qu'il s'abstienne de se prononcer était positif, cela ne voulait pas dire pour autant qu'il n'en pensait pas moins. Il manquait juste de cran pour assumer ce qu'il en était vraiment, il manquait de discernement pour pouvoir émettre un avis, pour aussi temporaire et brouillon qu'il puisse être. Sa voix se fit froide un instant, car elle n'aima pas du tout le sous entendu dans ce qu'il dit. Ses traits parfaits se raidirent et une étincelle de colère brilla dans ses prunelles. Il avait touché un point sensible en parlant de la terre...

- Je protège et respecte cette Terre plus que quiconque. Ce n'est pas un mortel qui m'apprendra le sens du sacrifice ni même ce qui est bon ou non pour cette Terre. Je SUIS cette Terre. Je suis le fruit de ses entrailles! Ne brandissez pas si haut des concepts dont vous ne saisissez pas la signification, chevalier. Cependant vous avez raison sur un point. Si menace il y a, la Justice suivra de près. Reste seulement à savoir laquelle.

Ses mots furent énigmatiques mais devraient être, elle l'espérait, largement assez accessibles même pour eux. Parler de Justice dans ces conditions était risible, idiot et irréfléchi. C'était précisément ce qui lui paraissait le plus irritant chez les saints: cette suffisance et cette sagesse prétendue qui n'était qu'un malheureux écran de fumée à leur vraie nature. Malgré leurs prétentions ils n'étaient guère plus que des hommes... et si il existait un seul chevalier qui fasse preuve de Sagesse, alors Perséphone l'attendrait de pied ferme... si tant est qu'il y en ait un seul... vif ou mort. Dohko pensait qu'ils étaient justes uniquement parce qu'ils avaient toujours justifié leurs actes comme étant nécessaires au Bien et à la Justice, mais même ces notions n'étaient que relatives dans la bouche des humains. Qu'était le Bien, qu'était le Mal? Simplement des noms différents pour qualifier une même situation ou un même choix... et encore ce n'était qu'une question de point de vue. L'absolu n'existait pas... et si les saints n'étaient pas aussi bons qu'ils le prétendaient, les spectres n'étaient pas non plus confinés dans l'autre opposé. Il était largement temps qu'ils le reconnaissent...
Soupirant afin de reprendre son calme, l'hispanique ferma les yeux un instant et retint ses accompagnatrices de la main. Elles avaient eu pour réflexe d'avancer en sentant l'ire et la révolte naître chez leur souveraine, comme elles l'avaient toujours fait depuis les millénaires de leur existence... mais leur intervention n'était ni nécessaire ni désirée. De toute façon la Libra allait partir, alors il serait stupide de le retenir. Autant que leur conversation s'arrête ici avant qu'elle ne dégénère... S'adressant à nouveau à la prêtresse, elle lui dit, plus posément. Elle n'était pas totalement contre l'idée de rattraper la bévue masculine, cependant elle n'attendait ni n'espérait plus rien de ce qui pouvait découler de cet entretien...

- Avez vous aussi des questions pour moi ou bien avez vous également campé sur vos positions à notre encontre?

Belhys avait un grand doute concernant les véritables raisons de la présence des deux athéniens, et à dire vrai la réaction disproportionnée et plutôt immature de la Balance n'était pas des plus propices à ce qu'elle les croie sur parole. Cependant on ne pouvait pas dire qu'ils aient grand chose à gagner avec ce déplacement, si ce n'est peut être d'établir des liens et des contacts qui leur avaient totalement impossibles jusque là à cause de l'opposition entre les deux camps. Voyant que la prêtresse essayait de faire amende honorable en assumant la bourde de son chevalier, Belhys acquiesça sobrement. Inutile d'en rajouter, d'autant plus que cette situation était suffisamment exceptionnelle comme ça. Un gold saint qui abandonnait une prêtresse à son sort c'était... contre nature!

- Vous allez faire quelque chose pour moi, puisque tel est votre proposition. Vous allez vous assurer que plus jamais ceux qui portent une telle armure n'oublient qu'il ne s'agit pas d'un droit. Leur tâche est de garder à tout instant à l'esprit le fait qu'ils ont l'honneur d'être arrivés jusque là mais que de ce fait même ils ont été amenés à renoncer à leurs états d'âme et leurs petits nombrils. Servir un Dieu quel qu'il soit comprend un sens du sacrifice et du respect qu'il semble avoir oublié... Rappelez lui quelle est sa place. Il est jeune... il a besoin de se faire taper sur les doigts avant de saisir amplement la dimension de son rôle.

Perséphone n'était pas une divinité comme les autres. Elle avait ce je ne sais quoi qui donnait toujours l'impression qu'elle concevait les choses différemment, comme si sa position délicate de clé de voûte entre la Terre et les Enfers lui permettait d'être plus éclairée, plus consciente du visible comme de l'invisible. Qui plus est tout en demeurant très courtoise voire bienveillante à l'égard de ses ennemis de toujours elle ne cédait pas un pouce de terrain pour ce qui était de ses convictions ou bien les intérêts des enfers. Disons qu'elle était plus que probablement ce qui se rapprochait le plus d'une position neutre quand bien même elle aurait préféré se donner la mort que de trahir les siens. D'ailleurs son ire n'avait été qu'un éclair menaçant déchirant le ciel sans couleur du royaume souterrain, puisqu'elle ne semblait pas s'étendre à toute personne l'entourant. Elle avait appris la justice aux côtés de son époux, et elle n'était pas sans savoir que si Dohko avait commis une erreur, personne d'autre que lui ne devrait en subir les conséquences. Sa voix redevenue calme et douce, elle répondit à Raphy.

- Si vous connaissez son histoire ainsi que sa tragique destinée, je suppose que vous comprenez mieux pourquoi je ne vous emmène pas plus loin. En faire autrement serait vous mener à votre perte, et je dois dire que pour l'instant je n'ai pas de raison suffisamment forte pour agir de la sorte. - elle prit une pause, comme pour rappeler à la prêtresse le fait qu'elle pouvait également se montrer létale puis continua. Prétendre détenir la réponse absolue à ces questions serait purement prétentieux, néanmoins j'ai dit que je vous répondrais dans la mesure de mes moyens, et je vais tenir parole. Pour autant que je sache, chaque âme est pesée par nos trois Juges, ces trois âmes ignorant tout sens de la subjectivité dans leur tâche, et en cela peu importe qu'elle soit humaine ou divine. La seule chose qui diffère entre les deux c'est le poids des pêchés... Et encore tout est relatif. En règle générale les humains payent leurs erreurs si cela est leur destin et ils vont en Elysion si leurs âmes sont pures et dénuées de corruption. Les Dieux subissent le même traitement, bien que l'Elysion semble être leur dernière demeure toute désignée.
Par contre je vous contredirai sur un point. La case Enfers laisse bien des traces et je vous assure qu'elles sont indélébiles. Mon hôte est indéniablement liée à la prison qui lui correspond, car bien qu'elle n'ait jamais connu le trépas au sens traditionnel du terme, elle ressent sans cesse l'appel de son châtiment. Par conséquent je le ressens également, ce qui semble enflammer sans cesse le sang qui coule dans mes veines, dans un rappel constant de celle qui n'est plus sa condition, mais... notre condition de criminelle. Et je ne suis pas la seule dans ce cas... D'autres spectres ont fait des longs séjours dans les prisons pour expier leurs fautes, et je vous assure que même si ils ont eu la chance d'avoir une nouvelle vie, celle-ci n'en est pas moins jalonnée de souffrance et de questionnement. Nous spectres sommes parvenus à surpasser la mort... mais nous en payons le lourd tribut.

Sa mine se fit grave tandis qu'elle leva un peu le voile sur ce qu'étaient les spectres et leur nature. Trop souvent ces derniers étaient jugés comme des brutes sanguinaires dénuées de sensations ou sentiments, ayant accepté de servir Hadès en échange de faveurs diverses, dont principalement une seconde vie, souvent à durée limitée. Cependant les choses n'étaient pas aussi simples. Ils n'étaient en rien favorisés, puisqu'ils étaient contraints de respecter un contrat aux clauses strictes... Qui bien souvent conduisaient à une immense souffrance en cas d'échec.
Finalement ses pensées se tournèrent un instant vers Zeus, le prétendu père des hommes qui finalement avait connu une fin indigne de ses ambitions démesurées. Triste que celui qui était le géniteur de la Dame des Enfers ait eu un si triste déclin.

- Zeus n'était pas physiquement faible. C'est son esprit qui a faibli et l'a conduit à faire des choix que jamais il n'aurait fait si il était en pleine possession de ses moyens. J'étais présente lors de sa disparition... Et bien qu'il soit mon père je persiste à croire que nous avons fait ce qu'il fallait. Par ailleurs ce que vous dites est faux. Nous n'avons tué que ceux qui se sont opposés à nous et nous n'avons nullement pillé les territoires sacrés. Les jardins d'Artémis par exemple demeurent totalement purs, vierges de toute trace de notre passage. aucun animal ni aucune créature n'a été abattue, Hadès et moi y avons veillé et je puis vous l'assurer puisque nous sommes les seuls à avoir traversé chacun des domaines. Les plus grandes pertes sont parmi les défenseurs d'Arès et les amazones, mais cela était prévisible puisqu'il leur est inconcevable de se rendre sans combattre, ce que je ne peux que respecter. Mais dites moi, prêtresse... Pourquoi nous accusez vous de crimes que vous n'avez pas constaté de vos yeux?

- Comment pourriez-vous ressentir les tourments qui dilacèrent l’âme des défunts si vous n’êtes pas morte vous-même, prêtresse ? Et non la proximité des Enfers n’augmente en rien ma peine, au contraire elle la diminue car elle apaise mon hôte. Les Enfers sont sa demeure autant qu’ils ne sont la mienne, bien que d’une autre façon je vous l’accorde.

Il y avait un brin d’ironie dans ses paroles mais ce n’était que légitime, après tout Raphy quand bien même elle ait une empathie avec les gens qui l’entouraient n’avait absolument pas la moindre idée de ce que signifiait être un errant puni pour l’éternité. Perséphone ne voyait pas de mal à ce qu’elle essaye de les comprendre, au contraire cela pouvait être une bonne chose qu’un membre du camp adverse daigne enfin considérer le côté humain de la chose, aussi relatif soit-il. Cependant elle aussi avait cette prétention implicite qui les poussait toujours à croire que la situation était telle qu’ils l’imaginaient et pas autrement. Une bien frustrante façon de fonctionner. Se voulant bien plus conciliante qu’un spectre ordinaire ou même Hadès ne l’aurait été, Cora parla de nouveau afin de semer dans l’esprit de Raphy la graine qui germerait peut être en tant qu’une nouvelle vision du sous-monde, plus éclairée. Elle baissa la voix et parla d’une voix douce, de sorte que seule son interlocutrice put entendre.

- Vous est-t-il venu à l’esprit que certains spectres n’ont pas accepté ce pacte uniquement dans des buts purement égoïstes ? Avez-vous ne fusse qu’une fois considéré l’hypothèse que certains d’entre eux avaient tout simplement payé le prix de leur dernières volontés ? Mon hôte a choisi de laver l’honneur de sa sœur défunte en rendant de ses mains la justice qu’aucun Dieu n’a rendue. Lorsque la Mort est venue pour elle son devoir était accompli et elle n’attendait pas de pardon, elle savait parfaitement que seule la damnation l’attendrait pour ce qu’elle avait fait. Alors dans le but de vérifier et garantir l’accès à l’Elysion qui revenait de droit à sa consanguine assassinée, elle a accepté de servir le Sombre Monarque.

C’était la première fois que cette histoire sortait d’entre ses lèvres, qui étaient également celles de Belhys de la Veuve Noire. Hélas pour elle Perséphone ne lui avait pas vraiment demandé son avis en la matière… car autrement jamais elle n’aurait révélé une telle chose. Ce n’était pas le genre de la galicienne de servir ainsi sur un plateau d’argent ce qui était un de ses points sensibles ! Ceci dit il était plutôt vrai qu’elle n’avait plus vraiment de raisons de craindre que cela puisse être utilisé contre elle. Le fait que leurs existences soient fusionnées lui donnait un gain de puissance mais surtout un gain de sagesse considérable, ce qui lui permettrait sans aucun doute de gérer les choses de manière plus efficace.

- Ces terres sont certes vides, mais au moins elles ne sont plus polluées par le vice et la décadence de dieux incapables d’oublier leurs petites personnes pour accomplir ce pourquoi ils existent. Nous n’avons fait que rendre à l’Olympe sa grâce et beauté originelles, sa pureté immaculée et inviolable, les raisons même pour lesquelles cette terre a toujours été respectée et considérée sacrée depuis sa sortie des entrailles de Gaia. Contrairement à ce que vous pensez il était bien important, voire vital de régler ce problème qui n’aurait jamais du voir le jour. Je suis sûre que tout comme nous votre déesse tant aimée n’a pas du supporter de contempler chaque jour l’arrogance dédaigneuse de notre père, de voir dans chacune de ses paroles la soif de pouvoir et de conquête qu’il a toujours condamnée. Il était en train de choir lentement, de sombrer comme une épave vide au bois pourri et puant dans les abysses d’une décadence toujours plus profonde. En tant que sa fille ce n’était que mon devoir de mettre fin à tout cela. Nous avons bien entendu laissé à feu Zeus le choix de la reddition, mais il l’a balayée d’un revers de main… Il nous a accusés d’être des meurtriers et de mettre l’Olympe à feu et à sang, alors que lui-même avait toujours désiré reprendre le royaume de ses frères sans jamais en avoir eu le courage et la force. C’est ainsi. Une ère nouvelle voit le jour et cette dernière naîtra sans lui.
Par ailleurs ce que mon époux compte faire du mont sacré n’est point du ressort d’une mortelle, ceci dit je rassure tout de suite votre esprit enclin à toujours penser le pire : Il ne détruira pas celle qui est aussi « notre » demeure.

Perséphone prit une pause et jeta un coup d’œil vers les ombres encapuchonnées qui la suivaient, sentant leur impatience et leur révolte aux paroles de la prêtresse. Leur impulsion première avait été de répondre à Raphy ce que pensaient les esprits survivants de l’Olympe, mais un dodelinement de la tête de la Suzeraine les en dissuada. Il était inutile de perdre du temps en explications supplémentaires, l’Athénienne n’était pas prête à les comprendre, pas encore. Il lui faudrait déjà du temps pour réfléchir et prendre en compte ce qui avait été dit, alors l’accabler d’autres remarques, aussi perçantes de vérité soient-elles, ne mènerait nulle part. De plus cette conversation touchait à sa fin, tant parce que le sujet s’égouttait que parce que des autres occupations l’attendaient, alors elle répondit une dernière fois à son hôte d’un ton bienveillant. Elle avait bien tôt appris avec Déméter ce qu’était de protéger et aimer maternellement… et étrangement son ton était justement celle d’un être maintes fois millénaire avertissant un enfant buté et encore innocent.

- Prenez garde mon enfant. Quand bien même Athéna est reconnue pour sa sagesse, elle a toujours eu cette arrogance paternelle qui la pousse à ne pas accepter qu’on lui tienne tête… Qu’Arachné entre tant d’autres m’en soit témoin. Quoi qu’il en soit prenez garde, les visions qu’elle vous envoie peuvent s’avérer correctes, mais ne doutez pas que ce ne sont pas de véritables visions de l’avenir. Elle n’a absolument aucun pouvoir la rendant capable d’entrevoir ce que tissent les Parques, pas plus que moi d’ailleurs. Si vous cherchez à entrevoir la vérité, entreprenez plutôt un voyage jusqu’à Delphes, ou consultez Thémis et Phoebé, les titanides déchues protectrices de son oracle. Méfiez vous toujours de ce que vous dit un dieu… c’est une des leurs qui vous le dit.

La Maîtresse d’Eleusis se redressa et regarda au loin vers les cercles infernaux successifs, son regard s’adoucissant paradoxalement. Il était temps qu’elle regagne un peu de tranquillité,… et surtout qu’elle réfléchisse au calme. Cet entretient était un sujet de réflexion pour elle également, et c’était peut être là que résidait la grande force de Chtonienne : l’humilité. S’adressant rapidement à Aak’ab par télépathie, elle lui dit :

* Ta tâche auprès de moi est terminée… Et puisque tu ne sembles pas avoir besoin de mon aide, je te redonne quartier libre. A présent j’ai à faire, alors si tu ne désires me suivre maintenant, tu sauras ou me trouver plus tard si tu as une requête à me soumettre.*

Son ton était calme mais plus froid, surtout qu’elle ne savait pas comment interpréter le long silence du doppelganger peut être avait il trouvé une autre alternative à sa mission...?
Perséphone inspira profondément, puis voyant que la jeune femme s’était à nouveau installée sur son balai pour partir, elle lui tourna le dos pour faire de même, suivie immédiatement des êtres encapuchonnés qui l’escortaient.

-Au revoir, jeune prêtresse. Puissent nos destinées se croiser à nouveau sans que nous n’ayons à nous opposer.

Et sans un mot de plus elle leva la main d’un geste élégant, ouvrant un portique de pierre à partir du néant. D’étranges runes brillaient sur la pierre et un solide rosier était entrelacé au marbre, illuminé sobrement par des roses de l’ébène le plus profond. Sans un seul autre bruit que le léger froissement des capes, Perséphone et ses courtisanes disparurent vers leur nouveau foyer.


==> Guidecca.

Avant que le chevalier d'or ne quitte les portes de l'enfer, il haussa la voix contre sa Majesté Belhys. Cela aurait pu faire qu'Aak'ab flanche et perde le contrôle mais ce n'avais pas été le cas. En effet, il était tellement concentré sur la lutte en lui qu'il n'entendait plus les discussions entre le chevalier d'or, la prétresse d'Athéna et dame Perséphone. Seule une chose il entendit, c'est lorsque la douce voix de cette dernière résonna une nouvelle fois dans sa tête.

Malheureusement, il ne pouvait lui répondre pour le moment, il devait attendre que cela passe et lorsqu'il reviendrait totalement à lui, il savait déjà ce qu'il allait faire. En effet, il avait déjà juré fidélité à Hadès de par le fait qu'il s'était donné la mort pour entrer à son service. Il pouvait bien évidemment jurer fidélité à sa femme mais les dernières paroles qu'elle avait eu, était tout de même intriguante.

D'après ces dires, elle pourrait le contrôler... Cela faisait froid dans le dos. Si jamais elle ne respectait pas sa parole, elle pourrait faire n'importe quoi du spectre. Mais, il n'était pas question de douter, il fallait que cette lutte intestine passe et cela rapidement car pendant ce temps, il n'était d'aucune aide pour sa Majesté.

Lorsqu'Aak'ab revient à lui, il se trouvait seul aux portes de l'enfer. Le chevalier d'or et la prétresse avaient disparus. Sa Majesté Perséphone aussi. Aak'ab se concentra alors tout de suite afin de détecter le cosmos de cette dernière et le sentit au loin, en direction du palais de son mari.

Ouf, elle n'avait pas été enlevé pendant le moment d'absence d'Aak'ab. Il devait la rejoindre afin de pactiser avec elle. Il devait absolument se procurer une goutte d'eau de la fontaine de jouvence.

le palais d'Hadès