[Flashback Setesh - Marja Celestyna] Pirates, vous avez dit pirates!

Marchant d'un pas décidé, Setesh marchait sur le pont de la frégate. Le soleil était haut dans le ciel, chaud et doré comme il l'aimait, tandis que le vent soufflait juste ce qu'il fallait. Ses marins vaquaient à leurs tâches respectives sans broncher, et bien leur en prenait. Depuis leur départ de Tortuga, il avait dû gérer une mutinerie, un nouvel arrivant dans son équipage ayant cru bon d'influencer son équipage pour le renverser. Mais ils ne savaient pas à qui ils avaient à faire, à savoir un puissant spectre du dieu des Enfers, Hadès. Setesh, après avoir démonté avec une certaine brutalité la totalité de ces stupides mutins, avait exécuté pour l'exemple le malotru qui cherchait à prendre sa place. Une bonne balle dans le buffet, et les choses avaient repris leur cours. Le spectre toisait d'un air mécontent les marins. L'ambiance s'était depuis alourdi et il n'aimait pas ça!

"Allez mes braves! Trouvons nous une proie digne du Black Jackal, et quand nous aurons mis la main sur un butin satisfaisant, nous retournerons festoyer à Tortuga jusqu'à n'en plus soif!"

Leur promettant une bonne beuverie, entre autre chose, après avoir mis à sac un ou deux navires marchands, Setesh requinquait le moral de ses hommes. Il n'avait pas laissé derrière lui des Enfers vides pour se retrouver avec un équipage au bord de la déprime. Ses dieux étant endormis, à l'instar de la plupart des autres serviteurs d'Hadès, il en avait profité pour s'éclipser quelques temps. Après tout, à quoi bon rester moisir dans un royaume sous terrain lorsqu'il pouvait profiter d'une belle aventure en mer, où il pourrait pour une fois faire davantage couler le rhum que le sang.

Son équipage était rempli d'hommes provenant de divers horizons, de tout âge et d'horizons. Et en dehors de quelques brebis galeuses qu'il a rapidement fait taire, certains commençaient à devenir de bons compagnons, comme ce bon vieux Cotton. Il aimait partagé de vieilles histoires avec celui ci, ne remettant jamais en doute sa parole, et dieu sait qu'en tant que simple mortel, il avait de quoi douter. Et étant muet, ce n'était pas lui qui allait les répéter, mais plutôt son perroquet. Le spectre était vêtu d'une ample chemise qui avait connue des jours meilleurs, affichait un anneau d'or en guise de boucle d'or mais surtout un tricorne qu'il ne quittait jamais. A sa ceinture, il portait sans relâche un sabre long et un pistolet à silex. Non pas qu'il en avait besoin, mais Setesh trouvait ça tellement amusant qu'il jouait au pirate à fond. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas eu l'occasion d'écumer les mers, et cela lui manquait, appréciant grandement ce genre de vie. Mais il sentait que cela ne pourrait durer encore bien longtemps, de par sa longue expérience, il le voyait, la piraterie déclinait, et si elle avait encore de beaux jours devant elle, son âge d'or était en train de rendre l'âme. Entre les équipages qui périssaient face aux forces désormais plus puissantes des armées royales, et ceux qui changeaient de vie après avoir accepté une amnistie, qu'elle soit anglaise ou espagnole, les pirates commençaient à se faire rares. C'était sans doute la dernière odyssée de son "Black Jackal".

S'approchant de la proue, pour admirer le féroce chacal qui ornait l'avant de son navire, Setesh aperçu un point noir au loin.

"Monsieur Gibbs, allez cherchez ma longue vue!"

Le bonhomme en question ne se fit pas attendre. Un peu rondelet, d'une bonne quarantaine passé, il s'agissait d'un ancien officier qui avait mal tourné, la vie lui ayant joué des sales coups, s'était retrouvé par la force des choses dans la piraterie. Après avoir été quelques temps au service d'autres pirates, tel que le célèbre Jack Rackham dit Calico Jack, il avait fini par atterrir dans son propre équipage. Excellent cartographe, il était encore meilleur compagnon, ce qui lui avait valu d'être son second. Setesh aurait d'ailleurs apprécié d'avoir de tels compagnons parmi les spectres, mais tel n'était pas le cas.

"Vous pensez avoir trouvé quelque chose, Capitaine!"

"Cela se pourrait bien, mon cher Gibbs!"

Remerciant son second, il observa alors ce qui se profilait à l'horizon. Un sourire amusé s'afficha alors sur son visage.

"Oyez compagnon! Hissez la grande voile! Une proie bien juteuse semble à portée de nous!"

Rendant la longue vue à Maître Gibbs, Setesh enchaîna alors les directives à ses marins tandis qu'il reprenait la main sur la barre. Le plaisir de sentir le vent passer sur lui tandis qu'il fonçait sur un navire. Fendant les flots avec aisance, la frégate du capitaine bravait la houle avec panache. Le Black Jackal était un navire rapide, l'un des plus rapides qui restait sur les mers qu'il écumait en tout cas. Jusqu'ici, pas un des navires qu'il avait pris en chasse n'avaient réussi à lui échapper.

"Mes amis! Il est temps! Hissez le pavillon noir!"

Le drapeau noir, à l'effigie d'un crâne de chacal sur une croix formée par deux os s'éleva alors en haut du mât. Voilà de quoi annoncer la couleur aux malheureux qui s'apprêtait à subir un assaut en bonne et due forme... ou presque. Car comme dit plus haut, le capitaine du Black Jackal n'était pas un homme ordinaire, et il avait une approche somme toute originale pour permettre l'accostage de ses hommes.

S'approchant de plus en plus de leur proie, celle ci étant bientôt à portée d'abordage, il interpella alors son second.

"Maître Gibbs, la barre est à vous! Vous savez quoi faire!"

"Oui Capitaine!"

Laissant son compagnon prendre la barre du navire, Setesh marcha alors vers l'avant du navire, au milieu de ses hommes. Saisissant son tricorne, il regarda les marinas puis appela l'un des jeunes mousses.

"Eh petit! Approche!"

Le gamin, qu'il avait ramassé dans les rues, approcha sans discuter. Esquissant un sourire, il lui confia alors son fameux tricorne avant de se diriger vers la proue.

"Garde moi ça pour moi!"

"Mais... Capitaine! Vous êtes fou" fit le garçon en voyant son capitaine monter sur la figure de proue.

Il lui jeta un regard empli de malice.

"Et j'en remercie le ciel parce qu'autrement je ne pourrais pas faire ça!"

Et après cette tirade empli d'ironie, le spectre bondit dans les airs. Comptant sur ses capacités hors norme, il réalisa un bond d'une cinquantaine de mètres. Planant tel un albatros, il s'accrocha au mat du navire, puis d'un autre saut, fit son entrée en scène sur le pont de ce navire encore inconnu. Sortant immédiatement son pistolet, il le pointa alors vers celui qu'il pensait être le capitaine.

"Cette balle ne vous était pas destiné alors je vous serais gré de laisser mes hommes aborder votre bâtiment sans faire d'histoire... sinon..."

Le spectre ne rigolait pas. En plus de ça, "l'exploit" qu'il venait de réaliser devant eux devait les calmer. La confiance qui émanait de lui et ce à quoi ils venaient d'assister allait il convaincre le capitaine et son équipage de se rendre, ou bien allaient ils tout de même tenter de résister. Peu importait pour Setesh, qui se tâtait d'ailleurs à chercher la bagarre pour défouler un peu ses hommes.

Faibles vagues affluaient, caressaient la maisonnée de bois dormant au-delà des terres ; la souche de l’abri résistait, pour l’heure, à ses nombreux voyages entre mers et océans, conservant son allure et perpétuant les activités qui, aujourd’hui encore, leur permettaient de subsister en tant que Vivant. Parmi eux, des êtres à l’aube de l’exclusion, des âmes dont nul avenir n’attendait leur retour, pas plus que les souvenirs d’antan. Les proches se métamorphosaient, s’effaçaient pour prendre de nouveaux visages, tombaient dans les profondeurs pour n’être, désormais, plus que des ombres ; des ombres qui pourchassaient, pleuraient, haïssaient autant qu’elles ont aimé. Ne restait ainsi plus que la croyance de l’oubli, l’illusion du pardon et, enfin, le choc d’une tangible réalité jusqu’à présent ignorée.

Des spectres assassins.

— Il y a de quoi faire pour les deux prochaines semaines...

Des orbes mutins se portèrent un instant sur le bourgeon, imprégnés d’une inspection presque fraternelle. Tout d’abord insistants, ils s’absentèrent néanmoins lorsque l’heure du rapport sonna de ses clochettes invisibles, laissant derrière eux les dernières instructions et la paume d’une main glissant dans les fils de celle qui n’était encore qu’une enfant.

— Capitaine, il nous reste de quoi tenir environ deux semaines, c’est trop peu pour nous lancer dans cette traversée.
— Y’a suffisamment de marge pour dénicher un coin où poser nos planches ! On fait comme d’habitude.

L’Iris des Marais acquiesça, dubitatif mais guère inquiet pour autant : en l’attitude du patriarche résidait, certes, une part de mystères, mais cela ne le surprenait plus depuis de nombreuses années déjà. Aucun membre de l’équipage ne trouverait sans doute rien à redire à ces décisions, tantôt incompréhensibles et tantôt prudentes à l’excès ; Léandre était leur guide, celui qui leur offrait l’opportunité d’obtenir des liens et des sensations. En cela, chacun le reconnaissait, conservait une confiance sans faille envers celui qui, comme le tronc rassemblent les branches, réunissaient les existences pour en faire un tout.

Une œillade lancée sur la silhouette Coquelicot ; le regard pers toisait, jugeait celle dont la présence s’imposait parfois avec maladresse. Nulle malveillance toutefois dans les actions, pas plus que dans les mots ; lui-même se remémorait ses tares de jeunesse, une jeunesse pourtant pas si lointaine. Un jour viendra où le bourgeon deviendra une fleur, peut-être.
Un peut-être qui dérangeait.

— Besoin de quelque chose ?

Une lueur abasourdie se retourna vers le dirigeant blanc, intimant un court moment de battement. Malgré tout, Sergueï se reprit bien assez vite ; le vieillard semblait ne pas avoir perdu ses aptitudes d’Aigle en dépit de l’âge et ne tenait prêt à en découdre à chaque instant. Nulle tentative de fuite, verbale autant que gestuelle ; il n’accepterait en aucun cas le retrait.

— Celestyna m’inquiète, par moment. Elle est bien trop jeune pour rester avec nous. Tu le sais, alors pourquoi tu l’as accepté parmi nous ? J’sais qu’elle veut bien faire, mais elle prend des risques inutiles. Concrètement, on fait quoi si quelque chose arrive ?
— On avise. T’étais comme elle, plus jeune. Et regarde toi maintenant, méconnaissable. Ne t’inquiète pas, elle apprendra. Et, si elle n’apprend pas seule, on l’éduquera nous-même.
— J’espère que tu sais ce que tu fais, Léandre.

Une voix fluette s’envola, annihilant aussitôt toute trace de cette conversation. À vau-de-route, elle approchait, traversait le pont pour essayer de rejoindre les décisionnaires du navire ; époumonée, Petit Poisson se faufilait, détalait quitte à en tomber.
Quelque chose arrivait.

— Les gars, un navire approche de notre position !
— Sergueï.

Un silence observateur ; un silence qui cherchait, détaillait, décortiquait les indices éventuels. S’ensuivit, pour première remarque, un souffle s’échappant des lippes ; un sifflement théâtral s’installa, durant un couple de seconde, digne du grand Loup Doré. Le tissu qui dormait sur le mât adverse ne laissant planer aucun doute et, aussi lassante que pouvait l’être la situation, le Russe d’origine n’avait pas d’autre choix que d’en informer la figure paternelle.

— Il manquait plus que ça, tiens. Capitaine, on va avoir de la visite, et pas du genre très agréable, si tu veux mon avis.
— Diminuez la vitesse, la pire connerie qu’on puisse faire, c’est d’essayer de les semer.

Cette fois encore, il préférait la sécurité.
La sécurité des siens.

L’heure pour l’attente, passée dans l’incompréhension, la crainte et, pour d’autres, l’indifférence. Pour le moment, tout le monde retournait à ses occupations, le temps que les mécréants forcent, revendiquent pour, peut-être soumettre. Qu’importait, Sergueï ne resterait pas les bras croisés, pas plus qu'elle ne le ferait. Un problème, assurément l’était-elle.

Une attente pour le moins courte, car déjà rattrapaient-ils le navire ; l’un d’entre eux parvint ainsi sur le pont en quelques mouvements, sous les regards surpris de certains habitants. Des messes-basses, des questions presque muettes, des étonnements et, parfois, de la peur ; une crainte qui s’accéléra lorsque le pistolet s’imposa à proximité du Loup qui, dépourvu de toute réaction, attrapa abruptement Marja Celestyna par le col, ce petit Coquelicot qui, d’ores et déjà, s’était interposée entre les deux Hommes, dardant du regard l’agresseur d’Ivoire.
Il ne suffit que d’un mouvement, un seul pour qu’elle parte ainsi en arrière, guettant alors son aîné aux Jades brûlantes.

— Qu’est ce que vous voulez ? Y'a rien pour vous.

Secret, le Vieillard s’approcha à son tour, prudemment mais assuré dans sa démarche, jusqu’à parvenir à la hauteur des trois protagonistes. D’une manière similaire, il repoussa Sergueï en arrière, prenant place en avant pour ; en un clin d'oeil, il réduisait à néant tout quiproquo.

— Je suis le Capitaine. Faîtes comme bon vous semble, mais vous ne trouverez ni or ni trésor ; nous n’avons qu’un peu de nourriture et de quoi tromper l’ennui d’un trajet.

La famille était assurément nombreuse, nombreuse et si jeune ; cette jeunesse démontrait vraisemblablement la réalité de cette équipe, de leurs activités. Partiellement, tout du moins. Des éléments qu'il ne mentionna guère ; cet homme pointait son arme sur des enfants, la mention de cet élément ne changerait pour ainsi dire rien.

En dépit des apparences, Léandre était un père, et un père protégeait sa famille. Ainsi, lui, protégerai ses rejetons, coûte que coûte. Et, si le prix à payer était d’accepter l’abordage des pirates, soit. Après tout, leurs âmes même se teintaient de cette sombre couleur Anthracite.

Entre Imposteurs, peut-être pourraient-ils se comprendre.

Setesh leva un sourcil, perplexe, face au cirque qui se déroulait devant ses yeux. A peine avait il pointé son arme vers un grand gaillard dont la posture trahissait, du moins au regard du spectre, une position d'autorité, qu'une jeune fille tenta de s'interposer avant d'être vivement repoussée en arrière par le dit blondinet qu'il ciblait. Tandis qu'il bravait la menace du pirate, lui crachant verbalement qu'il n'y avait rien pour eux ici, un troisième homme plus âgé fit alors son entrée. Avançant avec calme, il se présenta alors comme étant le capitaine, sans avoir auparavant dégagé le jeune loup doré de la manière que ce dernier avait éloigné sa protégée. Setesh lâcha alors un rire amusé.

"Hé hé hé! On dirait que la valeur du plomb vient de monter en flèche ma parole!"

Guère habitué à ce qu'on se batte pour lui servir de cible, Setesh jeta un oeil à l'équipage qu'il était sur le point de soulager de moults marchandises. Bien jeune étaient la plupart des matelots, en tout cas, ils n'avaient l'air ni de pirates, ni de soldats et encore moins de pêcheurs. Ce qui l'intriguait d'autant plus désormais. Tandis qu'il pointait désormais le canon de son pistolet vers le vieil homme à la barbe blanche comme l'écume, Setesh surveillait d'un oeil son propre navire qui approchait et commençait la manoeuvre dans le but d'accoster ce bâtiment en bonne et dû forme!

"Permettez moi déjà de répondre à votre jeune et turbulent compagnon!" fit il en tournant le regard vers son premier interlocuteur.

"Sache mon jeune ami, que tout les trésors ne sont pas d'or et d'argent! Ne t'en fais pas va, nous trouverons bien quelque chose à notre goût ici!"

Tandis qu'il commençait à entendre les bruits des grappins et la clameur de son propre équipage, son regard retourna alors vers le Capitaine.

"Comment vous appelez vous, mon cher? Je dois dire que vous me surprenez! Je ne rencontre que rarement des gens aussi raisonnables que vous!"

C'est alors que ses hommes firent irruption, les grappins et les planches tombant alors sur le bâtiment, permettant aux pirates de sauter à bord comme des sauvageons. Tandis que le groupe était mené par son second, Setesh lui fit signe de calmer ses troupes, troupes qui semblaient pour le moins décontenancées par la passivité de leurs proies.

"Tout doux, Monsieur Gibbs! Ce noble capitaine que voilà semble disposer à la négociation. Bien qu'il ne me paraisse guère connaître le code..." fit Setesh en haussant les épaules.

"Attendez?! Il a demandé... mince comment qu'on disait déjà? Des pour..des pour.."

"Pouuuur Parleeeeers!" fit le perroquet de Cotton, qui venait d'arriver, l'air aussi éberlué qu'à la sortie d'une nuit trop arrosée à Tortuga en découvrant les marins aussi passifs les uns que les autres.

"Oui voilà, on dirait bien en effet!" répondit il avec légèreté.

"Pourparlers? Au diable les misérables qui ont inventé le pourparler!" pesta Gibbs.

"C'est sans doute les français!"

Tandis que Gibbs acquiesça à la dernière remarque de son capitaine, maugréant dans sa barbe des propos inintelligibles, Setesh se tourna vers le vieil homme.

"Veuillez excusez maître Gibbs! Comme la plupart de mes hommes, il s'attendait à une bonne bagarre en arrivant ici. Mais j'imagine qu'il se satisferont surtout de vous allégez de vos réserves de rhum.... vous avez bien du rhum, ici, non? Du vin ferait l'affaire également... "

Le capitaine, autant que ses matelots, devait être désarçonné par l'attitude légère et pour le moins désinvolte du pirate. Ce dernier adoptait un comportement étrange , tranchant loin du sérieux de la situation dans laquelle il plongeait l'équipage et son capitaine. Des pirates, il avait dû en voir, mais ceux semblaient tenir davantage d'une bande de vauriens ou d'ivrognes qu'autre chose, contrastant beaucoup avec celui du navire qu'ils cherchaient à dépouiller. D'un petit geste de la main, il indiqua la direction de la cale au maître du navire.

"J'apprécierais que vous me fassiez visiter, Capitaine! J'aimerais estimer la valeur de ce que vous possédez!"

Entre autre chose en tout cas. Car même si cela ne le préoccupait pas plus que cela, il était curieux d'en apprendre davantage sur cet équipage. Son instinct flairait un truc pas forcément net, du moins peu ordinaire. Et il ne comptait pas forcément en discuter devant tout les matelots.

— On dirait que la valeur du plomb vient de monter en flèche ma parole !

Des gorges assurément amusées, toutefois empreintes d’une probable incertitude ; les paroles prenaient de multiples couleurs, mais les yeux et les attitudes ne trompaient que très rarement les rares prunelles aguerries. En outre, l’Inconnu observait, passait en revue les différentes âmes qui constituaient l’équipage, porta le canon de son pistolet en directement de la figure paternelle. Une seule vision, et déjà la bouche s’ouvrit, la jambe fît un pas, aussitôt stoppé dans son élan. Le Loup Doré se tenait à ses côté, l’attrapa par le bras sans lui accorder le moindre regard, d’ores et déjà ancré sur la silhouette du Pirate : lui aussi rongeait son frein, sans l’ombre d’un doute.

— Qui parle de trésors d’or et d’argent ? Ne comprenez pas uniquement ce qui-
— Au risque de me répéter : Y’a rien pour vous.
— Ça suffit.

Deux mots.
En un instant, la flamboyante et le glacial louveteau cessèrent d’émettre toute mélodie ; le Capitaine connaissait le meilleur des moyens pour les faire taire, les interrompre sans le moindre mal : user de son statut d’aîné. Sur le navire, tous le respectaient. Là encore, il n’y eut aucun regard pour ses presque enfants. Le vieil homme avait l’expérience, il savait que ce genre d’hommes devait rester sous contrôle. Les autres s’occuperaient assez bien de surveiller le reste.

À leur proximité directe, les troupes adverses commençaient à remuer, furent cependant calmées par d’autres. Et voilà qu’ils enchaînaient leurs histoires de pourparlers, sans que le maître des lieux
ne puisse prononcer quel que mot que ce soit.

— C’est pas bientôt fini ?!
— Ça suffit.

Derechef, Léandre calma toutes les ardeurs de la plus jeune, vraisemblablement encore peu consciente des risques. Ou plutôt, la question ne résidait pas tant que cela dans la conscience, mais dans la perception et la gestion de l’événement. Celestyna n’était pas si stupide, mais elle ne connaissait aucune limite lorsque l’un deux s’avéraient être concernés.

— Léandre, le Capitaine. Pour répondre à votre question, il suffit d’ regarder les visages autour d’ vous : pensez-vous que je garde du Rhum dans un coin alors que ce rafiot est plein de gosses ?

Léandre retint un soupir, fit un signe de la tête en direction de l’Iris des Marais et prit finalement place, invitant l’autre à le rejoindre.

— Je viens aussi.
— Non, Sergueï m’accompagne. Toi, tu restes avec les autres.

Ils avancèrent alors, délaissant l’enfant à la moue. Le pont fût, également, oublié lui aussi, estimant que cela n’était guère nécessaire, compte tenu du fait que tout semblait visible, ou presque. Les âmes naviguaient entre les pièces ; la salle servant à la préparation de la nourriture, sommaire, les cabines où se regroupaient les enfants, sommaires. Comme annoncé, il ne semblait rien y avoir de grande valeur en ces lieux.

— J’imagine que vous attendez de voir les cales et ma cabine.

En silence, Sergueï continuait de rouspéter. Hélas, il ne pouvait nullement agir, pas plus qu’il ne pouvait parler librement : le Père ne l’accepterait en aucun cas. Ainsi, ils avancèrent jusqu’à la porte menant à la cabine du capitaine, lorsqu’il s’arrêta net.

— Ça suffit, sors de la maintenant.

Une hésitation, courte, puis l’enfant sortit de sa cachette située à quelques mètres de là, au bout du couloir.

— Je t’avais donné un ordre.
— Mais…
— Bon. Ça vous va si elle reste et participe à la fin de la « visite » ?

Et voilà qu'il soupirait de nouveau, toisant la fillette du regard, alors même qu'il questionnait ces autres. Pas trop le choix, de toute manière, vu la bête.

Setesh était amusé par l'attitude de certains de ces jeunes marins, que le Capitaine s'évertuait à rappeler à l'ordre. Le spectre, qui avait momentanément délaissé sa carrière de serviteur des enfers et d'émissaire de la mort au profit de celle plus agréables et amusantes de flibustier, lâcha un sourire amusé tandis qu'il toisait la demoiselle. Celle ci ne semblait apprécier le comportement, disons le pour ce qu'il est, singulier et chaotique de leurs visiteurs imprévus. Tandis que le dit Léandre interrompit la jeune rebelle une nouvelle fois, Setesh lança alors une moue goguenarde à son second, partageant son amusement avec celui ci.

"Allez petite! Soit gentille et laisse donc les grands parlez entre eux!"

Son regard passa alors vers le Capitaine, puis sur les jeunes marins que ce dernier lui indiquait, pour revenir à Léandre. Celui ci semblait sous entendre, qu'au vu de la jeunesse de son équipage, ils ne possédaient point de réserves d'alcools. Haussant un sourcil, il lui répondit alors du tac au tac.

"Capitaine, vous seriez surpris d'apprendre à quel âge j'ai découvert les plaisirs de l'alcool! Alors allons y, inspectons donc ensemble ce que vous possédez!"

D'un regard entendu, il fit bien comprendre au vieux loup de mer qu'il n'y avait pas à discuter et qu'il serait seul juge de la valeur de ce qui se trouvait sur ce navire.

"Vous verrez, je ne suis pas un homme bien difficile!" lui lança t il d'un ton pour le moins nonchalant. "Gibbs! Garde un oeil sur tout ce petit monde veux tu?!"

"Bien Capitaine!"

Suivant Léandre et le jeune loup aux cheveux d'or dénommé Sergueï, les yeux de l'espiègle et étrange pirate semblaient observer rapidement tout ce qui passait devant eux. Les rouges prunelles étaient comme celles affamées d'un loup qui guettait une proie. Ecoutant distraitement Léandre commenter avec sobriété l'état du navire, qui semblait en apparence tout aussi sobre, Setesh attrapa d'une main leste une pomme tandis qu'ils passaient par ce qui servait alors de cuisine à bord.

"Voilà qui tombe bien, je commençais à avoir faim!"

Jetant un regard à Sergueï, qui semblait bien plus sur les nerfs que son aîné, il lui adressa alors une parole des plus désinvoltes en souriant.

"Tu vois, il y avait au moins une pomme pour moi!" fit il en croquant dans le fruit.

Pour tout dire, les réserves d'alcools sur son navire prenait, quand elles étaient pleines, pas mal de places. Et bien sûr, cela ne durait jamais bien longtemps. Résultat, ils se contentaient toujours du minimum vital pour les vivres, vivant principalement de ce qu'ils dépouillaient à droite à gauche, et lorsqu'ils posaient l'ancre quelques parts.

Léandre mentionna alors la visite de sa cabine, ainsi que de ses cales. Setesh, mastiquant la pomme fraîchement appropriée, acquiesça sans tarder. Tandis qu'ils semblaient se diriger vers la cabine de Léandre, le vieil homme s'arrêta alors brusquement. Interpellant la jeune fille, celle ci s'était dissimulée non loin mais n'avait pas réussi à tromper la vigilance de son capitaine. Sortant de la pénombre, celle ci semblait toujours réticente à lui obéir. Léandre demandant alors à son "invité" si cette dernière pouvait rester, tout en lâchant un soupire qui témoignait de sa lassitude. Avalant le dernier morceau de pomme, Setesh ne semblait pas désarçonné le moins du monde, continuant de se comporter avec légèreté comme il l'avait fait jusqu'ici.

"Vous savez ce qu'on dit Capitaine... ça porte malheur d'avoir une femme à bord.... même une femme minature!" fit tandis qu'il se tournait vers elle en prononçant ses derniers mots.

Les yeux de Setesh semblaient comme briller d'une lueur malicieuse et provocante dans la pénombre.

"Toutefois, m'est avis qu'il serait encore pire de ne pas l'avoir parmi nous!... Continuons donc notre visite je vous prie!"

Contrairement à ce que les apparences laissaient supposer, les adultes ne parlaient pas ; le vieillard œuvrait dans le but de limiter les dégâts collatéraux, entraînant par la même occasion la déception dans les prunelles de la jouvencelle. Une déception teintée d’amertume s’installait intrinsèque, blessée par cette doucereuse incompréhension. Les ressentiments grandissaient, bercés par les non-dits et les ordres énoncés. Sergueï, mais pas elle.

Ensemble, ils parcouraient les pièces, poursuivis par une silhouette mussée dans l’ombre. Des bruits de pas, des remarques ; sa mâchoire se resserrait à chacune des interactions réalisées par l’Intrus, tandis que le Loup fermait le poing. Tant bien que mal, il se maîtrisait et, en silence, l’orage grondait : l’indésirable se promenait dans sa maison, menaçait cette famille et, en un sens, Léandre l’invitait à y entrer. Si tôt parvenu à la cabine, le capitaine s’arrêta, intima à la demoiselle de sortir de cette piètre cachette. Désormais, il était trop tard pour retourner sur ses pas.

Lentement, un museau se dévoila à l’encadrement du couloir, rejoignant, somme toute, le groupe situé à l’autre bout. Une approche, une silhouette dardant du regard celui qui recherchait la gloire et l’argent; cette fois encore, des paroles acerbes s’échappaient de ses lèvres salies par l’horreur qu’il représentait et, comme à l’accoutumée, elle sautait, se noyait dans les provocations.

— Pas plus qu’un imbécile.

Les mots s’envolèrent d’un naturel déconcertant ; en guise de toute représailles, l’Iris des Marais réprima un rire, enfonçant toutefois son coude dans les côtes frêles. Dans ses billes, une lueur que Marja connaissait mieux que quiconque, tant il lui avait été adressé.

Ferme-la.

— Sergueï, je compte sur toi.

Un soupir, las, et déjà Léandre ouvrait-il la porte de son antre pour y faire entrer les pirates. Aussi sobre que le reste, car l’homme n’appréciait guère les fioritures. Toutefois, de rares objets traînaient de part et d’autre, sommeillant sur les quelques meubles qui ornaient la pièce.

— Comme vous pouvez le voir, il n’y a pas grand-chose ici.

Sans attendre, le petit Poisson s’infiltra à son tour, bousculant l’albâtre indésirable au passage. Sa place était aux côtés des siens, et non pas à proximité d’un imbécile. Plus il insistait, plus les traits se durcissaient ; les pensées à son égard menaçaient d’outrepasser la barrière de sa gorge, tant cette seule présence l’insupportait. D’un geste machinal, ses doigts se portèrent jusqu’à cette boucle offerte par Sergueï, quelques semaines auparavant. Une habitude, dirait-on, prise avec rapidité, signe qu’elle s’impatientait, s’agaçait de cette sombre mascarade.

— Bon, et maintenant que vous avez fait le tour, dégagez le plancher.

"Oh oh! Je dois dire qu'elle me plaît de plus en plus, votre petite! Aussi fougueuse que la mer, elle me rappelle une femme que j'ai fréquenté il y a quelques temps, une pirate aussi, certes, mais bien pire que moi! Ah si vous saviez..."

Croquant dans ce qu'il restait de la pomme, Setesh prenait plaisir à cette petite visite improvisée. Il sentait qu'avec elle dans le coin, les choses allaient devenir intéressantes, surtout au vu de la façon dont le vieux Léandre avait tenté de la mettre à l'écart pour finir par baisser les bras. Finalement, la jeunette insouciante, qui n'avait semblait-il aucune expérience d'avec les pirates, avait obtenu sa place dans le petit groupe. L'étrange pirate qu'il était en cet instant se moquait des insultes, moqueries et autres sobriquets qui pouvaient lui être adressés, bien au contraire, cela lui changeait de la crainte qu'il inspirait en général. Après, il est vrai qu'ils étaient encore à des lieux de connaître sa véritable nature. Si c'était le cas, l'ambiance serait tellement plus lourde, tellement plus grave, qu'il n'y trouverait plus aucun plaisir.

Faisant signe de poursuivre la visite, ses hôtes improvisées n'étant pas là pour l'entendre sortir diverses histoires et anecdotes de sa vie de piraterie - quoi que le fait de titiller la jeune fougueuse le démangeait affreusement - il était temps de voir ce qu'il y avait à tirer de leur abordage. Bousculé par la jeune femme qui avait décidé de rentrer dans la cabine avant lui, Setesh réprima un rire cynique. Si elle voulait du contact, il lui proposerait bien volontiers d'autres bousculades avec grand plaisir, mais dans ses propres quartiers. Quoi qu'il en soit, il était temps pour lui de voir ce que recelait la cabine du Capitaine.

Léandre n'avait pas menti. Il ne possédait, à première vue, rien de valeurs. Setesh explora alors la pièce, lorgnant sur les rares objets qui se trouvaient de-ci de-là. Mais rien qui n'était d'une réelle valeur pour le pirate qu'il était.

"En effet... et dire que je pensais être un pirate somme tout modeste en comparaison de certains autres... vous me faites presque de la peine, mon ami!" Lança-t'il d'un ton léger et désinvolte.

Qu'allait-il donc bien pouvoir leur extorquer? Son équipage serait déçu de repartir les mains vides. Quant à les massacrer... l'équipage était bien jeune et peu de ses gosses donneraient une résistante appréciable. Tandis qu'il évaluait cette idée, qui en était une comme une autre dans sa tête, il détailla du regard le jeune Sergueï. Lui pourrait faire l'affaire, à la rigueur, mais cela restait insuffisant. Si d'aventures il avait déjà pris plaisir à commettre meurtres, massacres et autres atrocités, il aspirait dans cette vie à autre chose. Dépouiller les gens avait également un petit côté amusant, mais ici... encore fallait-il trouver quoi.

La jeunette interpella encore une fois, le pirate, lui sommant de prendre le large maintenant qu'il avait fait le tour du navire. Il allait lui répondre, quand il remarqua une chose enfin intéressante, du moins du point de vu pécuniaire.

"Tu ne sembles pas imaginer à quel point le métier de pirate est devenu compliqué, ma chère! En tant que Capitaine, j'ai tout un tas de charges à gérer, et il me faut bien trouver de quoi satisfaire mon équipage! Ton Capitaine, ou paternel, allez savoir, en sait quelque chose j'imagine?"

Il s'approcha doucement de la jeune fille, levant la main de sorte à intimer le silence à Léandre et Sergueï.

"Léandre ne semble posséder rien de suffisamment intéressant à mes yeux. Mais toi, ma jolie, ce qui tu portes à l'oreille me paraît être une compensation suffisante!"

Plaquant la jeune fille contre un mur, ses yeux carmins cherchèrent les siens. Il venait d'avoir une idée très amusante, pour lui du moins, car si elle n'avait pas apprécié tout ce qu'il avait pu dire et faire jusqu'ici, elle allait alors somme toute relativiser le comportement qu'il avait adopté jusqu'ici. Il lui chuchota alors une demande des plus ignobles, il en était certain, pour elle.

"Tu as le choix, ma mignonne! Tu peux me donner tes boucles, ou bien l'on peut passer un moment dans ma cabine, juste toi et moi... si tu vois ce que je veux dire!"

Lâchant un rire bruyant, il recula étonnement avant qu'elle ne puisse répondre.

"Le temps que tu réfléchisses, j'aimerais bien boire un peu. Sergueï, c'est bien ça? Tu peux me faire plaisir et m'apporter un verre? Ah et un autre pour ton capitaine aussi!"

Jetant un regard entendu vers Léandre, il lui fit signe de la tête. Jusque là, il se montrait raisonnable, et n'avait, jusque là, tué personne. Et il ne tenait qu'à eux que cela continue ainsi.

"Croyez moi, il n'est pas dans votre intérêt de me contrarier. Alors pendant que la jolie sirène réfléchit au dilemme qui s'offre à elle, parlons un peu tout les deux!"

Attrapant un siège, il s'y installa avec aise. Croisant les bras, il questionna alors Léandre, car plus il y réfléchissait, plus il lui apparaissait qu'un truc clochait sur ce navire.

"Dites moi, mon cher Léandre... votre équipage est somme toute étonnant. Beaucoup de jeunes, pour ne pas dire des enfants. C'est plutôt rare. Et vous ne me paraissez guère être des marchands... ou alors de bien piètres commerçants au vu de votre cale qui est presque aussi vide que la mienne! Alors ..."

Soudain, la face du spectre devint sérieuse. Son ton, délaissant celui de la rigolade, était alors presque sinistre, laissant poindre un soupçon de menace dans ses quelques mots.

"...je ne le demanderais qu'une fois! Que faites vous sur les mers?"

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