Un nouveau forgeron pour Asgard

Les deux compagnons ne traînèrent pas plus longtemps en terres de Gamma et s'enfoncèrent droit au plus profond du royaume. La marche était soutenue, et Alfrid était visiblement pressé d'arriver à destination. Mais cela ne gênait en rien Beowulf qui, tout sourire, se contentait de suivre le pas sans souffrir du rythme, tout en admirant de part et d'autre la beauté sauvage qui l'entourait. Il foulait la terre de ses Dieux, et ce n'était pas rien à ses yeux. D'aucuns pourraient trouver ce paysage froid et hostile, lui le trouvait tout bonnement magnifique. Il ne manqua pas de répondre à son compagnon lorsque celui-ci l'alpagua pour voir si tout allait bien.

"- Ha ha ha penses-tu l'ami ! Chaque pas dans ce royaume est comme une bonne bouffée d'air frais. C'est heureux que tu me montres le chemin, j'aurais bien pu me perdre le temps d'une éternité dans les recoins d'Asgard."

Le duo finit par arriver au majestueux palais. Il triomphait sur les hauteur, lui permettant de surplomber une bonne partie du royaume. De près il était encore plus impressionnant, ce qui ne manqua pas de provoquer une réaction chez le roi des Geths.

"- Par ma barbe, que voilà une demeure à la mesure ce ceux qui y résident !"

Alfrid l'emmena vers une petite porte plutôt discrète, avant de lui indiquer qu'il s'agissait de l'entrée plutôt jalousement gardée de la forge. Les choses sérieuses pouvaient commencer, et Beowulf se frotta les mains en pénétrant dans l'enceinte du bâtiment. Immédiatement, une vieille odeur d'alliage fondu le ramena à la douceur de ce métier des plus nobles. Son père, l'ancien roi des Geths et également Beowulf avant lui, avait pris grand soin à enseigner à son fils un maximum d'arts techniques comme artistiques, ce afin de parfaire ses capacités tant sur un champ de bataille qu'au cœur d'un royaume en paix. Le Beowulf n'était pas qu'un guerrier, il était aussi un travailleur accompli et à l'écoute des siens. C'était ça être un bon roi, pas au dessus du peuple, mais forgé en son sain. L'art de la forge était semblable, à savoir parvenir à intégrer les éléments précieux et forts et es marier parfaitement avec les alliages moins nobles. Ainsi la symbiose du matériau pouvait opérer, et celui qui savait cela savait déjà beaucoup. Il laissa Alfrid commencer à lui introduire l'art de la forge des armures divines avant de répliquer, le sourire aux lèvres :

"- Hum, du sang et du cosmos....effectivement ces ingrédients semblent exclusifs à la forge divine, mais ça me va. Pour le reste, je connais les règles d'association des matériaux, les températures de fonte, et je pratique le matriçage au marteau comme personne. Si le feu que nous voyons ici m'est favorable, alors rien ne pourra m'empêcher de vous forger les plus belles armures qui n'aient jamais été, ha ha ha ha."

Peu après le Beowulf accepta le marteau avec procession et humilité, en décalage avec ce qu'il avait dit juste avant. En vérité, le guerrier divin avait senti une émotion venant d'Alfrid lorsque ce dernier lui avait tendu l'outil sacré, et il tenait à ne pas le froisser en affichant trop d'assurance ou trop de légèreté dans cette passation. Un roi devait aussi toujours analyser les dispositions de ses interlocuteurs, un exercice qu'il manquait parfois mais qu'il veillait tout de même à perfectionner lorsqu'il y pensait.

"- J'accepte ce marteau avec honneur."

Puis le soulevant et lui faisant faire quelques moulinets dans l'air, il reprit :

"- Hmmm c'est un très bon outil. Il est parfaitement équilibré et son état de surface est parfait. Nul doute qu'il m'aidera précieusement dans cette tâche. Tu as parlé d'ouvrages c'est ça ? Dans ce cas il faudrait que je prenne le temps de les étudier à tête reposée. Nous pourrions aussi faire un essai sur une éprouvette pour voir ce que ça donne. Là-bas, il y a un morceau d'armure...c'est du conventionnel mais peut-être qu'en essayant d'y mettre un peu de sang et en concentrant mon cosmos dans mes coups de marteau cela pourrait donner quelque chose, qu'en dis-tu ?"

Beowulf était prêt à tenter un premier essai sur un morceau qui traînait non loin du foyer. C'était selon lui une étape essentielle avant de s'attaquer à toute armure réelle.

Apparemment le morceau d'armure désigné par Beowulf n'était autre que le casque à motif de loup-garou faisant partie de l'armure d'Oméga, une protection divine dont le porteur avait été Alfrid lui-même. A en juger par son attitude et l'attention extrême qu'il demandait à Beowulf d'avoir envers son ancienne protection, le lien nostalgique était puissant entre le guerrier et son ancienne protection. Bien sûr, Beowulf ne pouvait qu'approuver cette attitude, et il répondit à l'inquiétude d'Alfrid avec un franc sourire et une voix réconfortante :

"- Ne t'en fais pas, je prendrai grand soin de m'appliquer dans cet exercice."

Puis, sans plus se faire prier, il saisit la lourde tenaille qui reposait à côté du foyer de la forge pour s'emparer du casque fragmenté d'Oméga du loup-garou. Tandis qu'il s'approchait du foyer incandescent de la forge, il concentra son cosmos tout autour de lui, et plus particulièrement le long de son bras tenant le casque à bout de tenaille. Le marteau était dans son autre main, mais ce dernier ne devait pas intervenir tout de suite, et il le savait. Lorsqu'il plongea le casque dans le foyer brûlant, il sentit comme une légère vibration le long de son bras... l'armure répondait timidement à son action, le peu d'énergie qu'il restait en elle venait d'établir un lien très étroit avec sa propre armure : celle du Bifröst. Ainsi les armures divines pouvaient-elle entrer en résonance les unes avec les autres. La sensation était étrange bien que plaisante, comme apaisante pour le vieux roi. La chaleur se propageait également le long de son bras à travers la tenaille devenue rouge. Encore quelques secondes et il pourrait sortir le casque conditionné pour être martelé et réparé dans les règles d'un art perdu. Tout en tournant sa tête vers Alfrid, Beowulf lui demanda de se préparer pour la suite :

"- Je vais sortir le casque du foyer et commencer à le marteler. Tu as parlé de sang tout à l'heure. Pourrais-tu en donner quelques gouttes pour voir ce que cela peut donner ? Si tu as porté cette armure par le passé, je présume qu'elle sera plus sensible à ton sang qu'au mien. Quant à moi, je déverserai mon cosmos à travers mes coups de marteau pour accomplir ce qui doit être accompli."

La fumée émanant du foyer s'intensifia brusquement, comme pour signifier que le casque était dorénavant prêt à être travaillé. Le Beowulf ne se fit pas attendre et d'un geste assez ample il dégagea le casque toujours maintenu par la tenaille pour aller le déposer sur une large enclume. Il y avait vraiment tout ce qu'il fallait dans cette forge pour travailler dans les meilleures conditions, et déjà le guerrier divin se sentait à l'aise comme dans sa propre forge au village. Tout en serrant fort le marteau de forgeron et en le brandissant au dessus de sa tête en préparation du premier coup, Beowulf regarda Alfrid et dit :

"- Maintenant, verse ton sang sur le casque, mon ami. Si les dieux d'Asgard le veulent, il renaîtra lorsque je le martèlerai."

Il n'y avait plus qu'à.

"- Mon ami, donne moi quelques heures dans la salle chaude de cette forge et cette armure sera comme neuve !"

Telle avait été la réponse de Beowulf à l'invitation d'Alfrid concernant la réparation de toute l'armure d'Oméga. Le test du casque avait été réellement concluant, et en quelques coups de marteau bien placés, le sang d'Alfrid s'était fusionné au cosmos de Beowulf et à la volonté de l'armure pour colmater puis faire disparaître les fissures du casque. Même la couleur originelle de l'armure semblait avoir changé sous les coups mystiques du marteau de la forge des Ases... nul doute que les Nains avaient accompli là un véritable exploit en bâtissant ce lieu et en forgeant ces outils. Beowulf lui-même était surpris par une telle magie. Il s'agissait là d'une alchimie des plus étranges et mystiques, et lui qui n'était pas homme à aimer les choses de la magie, il devait pour autant bien admettre que le résultat était prodigieux.

Mais pour travailler toute l'armure en une seule passe, c'était une autre paire de manche, et il lui fallait travailler dans ce que l'on appelait la salle chaude : une immense pièce isolée à peine aérée et au sein de laquelle la chaleur du four de la forge apportait un environnement tout juste supportable à tout homme, mais nécessaire pour prendre le temps de travailler sur de grosses pièces comme une armure complète. Pour ce faire, Beowulf avait au préalable retiré sa propre armure pour alléger son poids et aider ses mouvements, et recueilli plus de sang auprès d'Alfrid, de quoi remplir un bol prévu à cet effet. Le dessous du bol était lui-même pourvu d'un mini-foyer pour maintenir le sang à des conditions de température idéales une fois le marteau trempé dedans. Tout était prévu dans cette forge divine. Une fois tous les éléments en sa possession et après avoir chauffé chaque pièce d'armure au coeur du foyer comme il l'avait fait avec le casque, le Beowulf s'enferma dans la salle chaude, laissant Alfrid sur l'attente.

Plusieurs heures de travail acharné s'écoulèrent. Depuis la pièce principale de la forge où attendait Alfrid, on entendait les coups de marteau ininterrompus, parfois accompagnés des soufflets chargés de raviver le foyer et d'augmenter la température de la salle chaude. A l'intérieur, c'était une guerre perpétuelle entre les besoins constants des pièces d'armure à réparer, et l'endurance du forgeron, qui était mise à rude épreuve. Oh oui Beowulf avait connu de nombreuses aventures et était revenu d'endroits et de situations terribles. Mais cette épreuve de la forge offrait elle aussi son lot d'adversité : cela plaisait au roi des Geths, qui retrouvait ici son élément : à savoir l'aventure épique devant conduire jusqu'au bout de soi. Lorsqu'un autre guerrier pénétra dans l'enceinte de la forge, Beowulf était toujours en train d'accomplir son office, travaillant sans relâche la moindre parcelle fatiguée de l'armure d'Oméga. Puis les coups de marteau finirent par s'interrompre, pour céder la place à un étrange silence.

Lorsque enfin la porte de la salle chaude s'ouvrit, une épaisse fumée de vapeurs chaudes s'en échappa, pour finir par laisser transparaître la large silhouette du guerrier divin. Il avait les traits fatigués et sans dire un mot il se dirigea vers un bac d'eau tempérée pour la projeter sur son visage et son cou. Cela lui procura un bien fou. Puis, se tournant enfin vers les deux personnes présentes, il afficha un large sourire, fatigué lui-aussi, avant de clamer :

"- Bien, je crois que c'est terminé, voyons le résultat !"

Immédiatement, comme si l'armure elle-même avait entendu cet appel, elle se déplaça d'elle même dans la grande salle de la forge sous la forme de multiples rayons d'une énergie nouvelle : elle rayonnait comme jamais et le spectacle était grandiose. Puis les pièces formèrent le totem de l'armure d'Oméga, qui s'offrait sous son plus beau jour aux personnes présentes. Elle était réparée, resplendissante, et emplie d'une énergie nouvelle. Ses vibrations se faisaient ressentir dans toute la pièce, et même les autres armures des guerriers se mirent à raisonner d'une étrange lueur, comme si elles affichaient leur propre joie d'accueillir de nouveau leur amie : l'armure divine d'Oméga revivait ! Tout en allant s'asseoir dans un coin et en buvant d'une traite un gobelet rempli de l'eau tempérée du bac, Beowulf finit par reprendre, visiblement éprouvé par ce qu'il venait de faire :

"- Je dois me reposer un petit peu, les amis. Je vous rejoindrai au cœur du palais un peu plus tard, le temps de......FIOUUUUUUUUUUUU... souffler, ha ha ha !"

Il était fier d'avoir réussi ce défi, mais cela l'avait vidé, et il lui fallait à présent récupérer de ses efforts.

Frapper, frapper, rien ne comptait plus en cet instant que cela. Il lui fallait secouer Sphaigne et reprendre la réalité de son monde, reprendre pied sur Asgard. Repousser les images, les sensations que son propriétaire lui envoyait sans le moindre répit. Tout n’était que mélange que perte de repères.

Déjà le sang s’écoulait le long de son avant-bras tandis que les blessures menaçaient de devenir plus que sérieuses si cela venait à s’éterniser. Et à mesure, la douleur irradiait. Pas encore assez visiblement…

Sphaigne !!! Secoue--toi !

C’était de plus en plus fort et à moins de rompre le lien se renforçant à chaque nouvelle illusion, il finirait par se mettre réelle en danger.

Soudain, des sons lui parvinrent avant qu’un choc soudain ne le fasse se plier en deux, lui coupant la respiration, juste avant qu’un autre coup ne lui fasse perdre connaissance pour de bon. Un voile s’écroula soudain sur lui avant que le calme ne revienne soudain.

Combien de temps s’était écoulé depuis sa perte de connaissance ? Pas tellement que cela visiblement. Sentant sa tête le faire encore souffrir, il leva des yeux douloureux vers celui qui l’avait aussi virilement envoyé dans les pommes avant de le ramener visiblement dans ce qui était une place aux alentours de la forge ou au moins toute proche. De son point de vue encore trop troublé, il ne pouvait savoir avec certitude. Tout juste entendait-il des mouvements avant de reconnaître enfin son sauveur.

" Alfrid ? "

Et prenant le remontant qu’il lui tendait, il en absorba une partie avant d’éclater soudain de rire en voyant le pauvre état de son avant-bras et son poignet enveloppé de manière plus que spéciale.

" Excuse-moi… En effet, il faudra que tu me rappelles de t’apprendre à faire les soins minimum et surtout des pansements dignes de ce nom. Mais, merci, Alfrid, merci... "

Puis avalant quelques lampées de plus, il baissa la tête, rassemblant ses souvenirs. C’était encore très confus, aussi mit-il un certain temps avant de répondre à la demande somme toute légitime de son frère d’armes.

" C’est une bien longue histoire. En fait, il se trouve que j’ai payé très cher les connaissances que j’ai acquises et certains maux sont encore bien présents et l’un d’eux semble être particulièrement incompatible avec certaines eaux réputées curatives…"

Se doutant de ce que ne manquerait pas de déclencher ses paroles, il laissa son compagnon assimiler le tout avant de ressentir un appel.

" Thor ? Il nous appelle ? Toi, moi et notre nouveau frère d’armes ? "

Et relevant la tête vers lui, tout en glissant un regard vers celui était vraisemblablement devenu le nouveau forgeron d’Asgard. Un homme dont il ignorait encore tout et venait de faire ses preuves face au guerrier d’Epsilon.

" Mieux vaudrait répondre à son appel. Cela me donnerait le temps de reprendre un peu plus pied et surtout d’éclaircir mes idées. Tout est encore un peu trop confus pour l’instant… "

Sphaigne…

Un appel au secours bien plus qu’un reproche. Il lui avait tellement retourné la tête qu’il faudrait au blond guerrier quelques heures pour totalement reprendre la totalité de ses esprits.


=> Vers Thor en compagnie d'Alfrid