Semer des petits cailloux...

Temple du Cancer

Delio semblait être quelqu’un d’assez loquace, ou suffisamment à l’aise pour faire de l’humour dans une situation aussi tendue que celle de se retrouver dans la maison précédente. De toute façon, cette expérience était déjà derrière Li Bai, qui commençait à reprendre peu à peu ses moyens. Il est certain qu’il aura besoin d’une bonne nuit de sommeil, mais au moins il se sentait un peu plus alerte. Le jeune homme continuait sa descente du Sanctuaire avec le chevalier qui continuait de lui poser des questions. Loquace, donc. Li Bai aussi aurait plein de questions à poser, mais il avait suffisamment vécu d’expériences pour la journée, et il ne savait pas trop s’il pourrait encore supporter une nouvelle vérité. Cela dit, la question de Delio n’était pas inintéressante. Il est vrai que le garçon avait mentionné le nom de Milan sans vraiment présenter son mentor. En entrant dans le temple suivant, il commença son explication.

- Milan est mon maître. Il m’enseigne à manipuler le cosmos. Il a eu une affaire urgente à régler à l’église sous le village, et m’a demandé assistance. Nous nous sommes retrouvés avec le chevalier Hogo ainsi que sa disciple Kassandra. Notre groupe a cependant été séparé après que les chevaliers aient vaincu le démon Asmodée. Mon instructeur a malheureusement disparu avant cette bataille, et je m’inquiète pour lui. Je ne devrais pas, c’est un chevalier d’or après tout, mais il est de mon devoir de le retrouver.

Li Bai commençait à se dire que quelque chose clochait alors qu'il terminait sa phrase. Il ne voyait pas la sortie, et même s’il faisait sombre, ce n’était pas une raison suffisante. Qui plus est, même si sa tirade n’avait guère duré plus d’une minute, il avait l’impression d’être entré dans cette maison depuis bien plus longtemps. C’était comme si le temps s’était déformé, allongé. La particularité du lieu étant ses couloirs, le garçon commençait à se demander s’il n’était pas en réalité dans un labyrinthe. Pourtant, dans un tel endroit, on finit par tomber sur un cul-de-sac, et on est obligé de faire demi-tour. Ici, Bai pouvait avancer sans discontinuer.

- Savez-vous si nous sommes sur le bon chem…

Se retournant, le jeune apprenti se rendit compte qu’il était seul. Mais, depuis combien de temps ? Delio avait disparu sans rien dire ? Ou alors lui non plus n’avait pas remarqué qu’ils avaient été séparés ? Restons pragmatique. Comment sortir ? Une sorte de malédiction devait sévir ici, cherchant à perdre les intrus. Seulement ceux qui en étaient dignes devaient pouvoir s’en sortir. Il était néanmoins curieux que cette maison avait été complètement quelconque pour lui lors de ses deux précédents passages. Peut-être que Milan y était pour quelque chose ?

En tout cas, si le passage ne se révélait que pour les chevaliers, la solution était assez simple. Fermant les yeux, Li Bai se concentra pour ressentir le cosmos environnant. En effet, tout le lieu en était imprégné. En revanche, il sentit comme une ligne directrice, comme un fil qui lui permettrait de trouver son chemin. Toujours en aveugle, Li Bai avança dans le labyrinthe en se fiant uniquement à son ressenti. Bientôt, il retrouvait la sortie sans tomber sur le moindre danger. Il suffisait de faire confiance à ses capacités, et ne pas céder la pression ou la peur de se perdre.

Pas le moindre signe de Delio, mais comme il était lui-même chevalier, il ne devrait pas avoir de mal à trouver également la sortie. De toute manière, les chevaliers sont en sécurité au Sanctuaire, il n’allait probablement rien lui arriver, si ce n’est d’errer quelques minutes de plus.
Se sentant mieux, Li Bai prit donc l’initiative de continuer le chemin seul. Delio le rattrapera tôt ou tard, il en était certain.

Temple du Taureau

Spoiler:

Regardez-moi, maître ! Je suis enfin arrivé à point nommé, au Sanctuaire d’Athéna. C’est ce que je me disais dans ma tête. Après dix années passées sur une île, à me confronter à mon rival, mon némésis, mon antagoniste, mon jumeau maléfique, mon clone méchant, mon opposant, mon côté obscur incarné, Jacky la Mitaine. Si cet imbécile n’avait pas triché lors du combat qui décidait de qui serait le nouveau porteur de l’Armure de la Baleine, il serait ici-même à ma place. Au lieu de cela, il demeurait aux côtés de notre maître, Lulu le Merlu, l’ancien Chevalier de la Baleine. Par ailleurs, ce vieux crouton ne m’avait jamais donné son véritable nom. Peut-être était-il connu sous un autre patronyme en ces lieux mystiques …

En tout cas, j’avais prêté serment d’allégeance. Un serment envers Athéna. Une déesse que je n’avais jamais vu, mais tel était désormais mon destin. Lié à elle, je ne pouvais faire machine arrière. Ou alors il fallait renoncer à ce don de la création, cette armure unique et magnifique à la fois. Je ne l’avais pas encore revêtu, étant donné que jusqu’à présent, aucune situation ne l’avait exigé. J’étais entièrement vierge à ce sujet-là. Seul l’entraînement terrible de Lulu le Merlu me rassurait. Au moins si quelque chose d’hostile pointait le bout de son nez, je lui tomberais dessus ! Nul doute là-dessus.

Alors je gravissais les marches du Sanctuaire, dont chaque étape était jonchée d’un Temple gardé par un Chevalier d’Or, ou d’autres Chevaliers. Ces douze temples correspondaient aux douze constellations du zodiaque … Et de toutes les armures des Saints d’Athéna, celles en or étaient les plus puissantes, et réservées aux guerriers les plus exceptionnelles. Dans cette hiérarchie, mon armure me plaçait au-dessus des Chevaliers de Bronze, et en-dessous des Chevaliers d’Or. En théorie. J’étais persuadé que ceux du bronze avaient vu davantage de pays, et avaient vécu des expériences plus enrichissantes. Bref, je ne savais pas vraiment vers quoi je m’embarquais.

Après avoir croisé quelques-uns de mes homologues à l’entrée du Sanctuaire, on me conseilla de tenter de demander audience à la déesse elle-même ! J’écoutai alors à la fois mon courage et ma peur (excellent carburant soit dit au passage), et gravis les interminables escaliers. C’était une épreuve inhumaine, s’il en est, et après avoir traversé deux temples dans lesquels d’obscurs personnages m’accordèrent le passage en me voyant porter sur mon dos la grande boîte qui contenait mon armure, je me retrouvai enfin dans le troisième temple, ce lui des Gémeaux, qui me donnait une drôle d’impression, et qui dégageait un Cosmos puissant et malveillant.

– Passembleu, il fait drôlement froid ici.
– Je t’attendais, mon faux frère !

Cette voix, je ne la connaissais que trop bien. Mais je n’en croyais pas mes yeux. Devant moi, se tenait Jacky la Mitaine. Impossible … Il était à des lieues d’ici, en plein océan pacifique. Ou bien mon esprit me jouait des tours … C’était à n’y rien comprendre … Mais l’homme me faisait bel et bien face !

– Tu as l’air surpris de me voir, Gallion. Mais comme tu me la promis, je viens réclamer l’Armure de la Baleine ! Moi, Jacky la Mitaine, je succéderai à Lulu le Merlu et avant lui Aurélien le Mongolien. Tu n’es pas digne d’être un Chevalier, Gallion ! Pose cette armure et pars sans réclamer ton reste !
– Jamais je ne t’écouterai, forban ! Et même si tu utilises les techniques interdites du Nantô de Fourrure, sache que je n’utiliserai pas mon Cosmos pour te mettre à terre. Seules les techniques ancestrales du Hokuto de Cuisine viendront à bout de toi !

Ni une ni deux, nous fondîmes l’un sur l’autre, et dans un ballet de combat sanglant, nous mettions tout en œuvre pour avoir l’ascendant sur l’autre. Nos arts martiaux respectifs étaient notre seule arme, et pour cet affrontement notre pacte secret était limpide : pas d’utilisation de Cosmos. J’usai alors des techniques légendaires du Hokuto de Cuisine : le Téton Fire, le Fisto-poing ou encore la Fourchette Piquante … Mais rien n’y fit. Ce bougre tenait bon, alternant esquives et techniques défensives. Néanmoins quelques chose clochait … Cela faisait près de deux minutes que le duel avait commencé et Jacky n’avait toujours pas triché. Un fait inédit jusqu’à présent. Jamais Jacky ne s’était battu à la loyale, d’où son surnom de « Mitaine ». Immédiatement je m’arrêtai, et mon adversaire fit de même. Son corps s’assombrissait jusqu’à devenir une ombre …

– Je vois que comprends mon stratagème … Ta vie de Chevalier sera souvent parcourue d’embûches, Chevalier de la Baleine. Je ne suis que l’ersatz d’une infime partie du Cosmos du Temple du Gémeau … Sache que l’habit ne fait pas le moine, et vois le monde d’un autre œil, cela te permettra de te sortir de bon nombre de situations.
– Ainsi donc tu n’étais qu’une illusion d’optique 2000 … je comprends mieux. Eh bien sache, ersatz du Cosmos des Gémeaux, que j’ai bien saisi ton message.

Peu à peu, l’ombre se dissipa, levant un voile obscur autour de moi … Mon environnement était redevenu clair, et je voyais désormais tout l’intérieur de ce fameux temple si simpliste en apparence. Et non loin de moi, j’apercevais une silhouette … De qui donc s’agissait-il ?

La silhouette inconnue s’approcha de moi. Pour me préparer à la pire éventualité, je restai sur mes gardes, prêt à dégainer une technique du Hokuto à Beurre, si le besoin se faisait sentir. Et maintenant que la lumière faisait ce qu’on attendait d’elle, je voyais clairement l’olibrius qui avançait en ma direction d’un pas assuré mais serein. C’était un jeune homme à première vue, qui portait une armure. Ainsi donc, il s’agissait bien d’un de mes camarades. Il était un Chevalier tout comme moi. Rassuré, je relâchai ma garde et mes sphincters, prêt au dialogue. Peut-être que ce Chevalier allait pouvoir éclairer ma lanterne.

«Je suis navré, je ne voulais que passer par votre maison, mais je me suis perdu dans ce labyrinthe mystérieux. Je ne voulais pas importuner. Je m'appelle Delio, bronze du Phénix.»

Un peu étonné du ton très poli du Chevalier, je ne pus m’empêcher de constater que notre différence de taille était assez conséquente. Néanmoins, le bougre dégageait un Cosmos assez notable, tel que je n’en avais pas senti depuis mes années d’entrâinement auprès de Lulu le Merlu et Jacky la Mitaine. J’étais admiratif. Ce dénommé Delio m’inspirait l’admiration. Une autre chose me venait à l’esprit au sujet de son identité qui se précisait. Il était le détenteur de l’Armure de Bronze du Phénix ? Pasembleu, je n’en croyais pas mes esgourdes. Les paroles de mon vieux maître me revinrent en mémoire :

* Tu dois savoir une chose, Gallion mon élève, mon disciple, mon apprenti, mon commis de cuisine, mon stagiaire en Cosmos, mon suppléant, mon assistant, mon subalterne … De par le monde, il existe des armures plus ou moins puissantes. Concernant les Saints d’Athéna, même si les Armures d’Or sont largement supérieures à celles de Bronze et celles d’Argent, il en est une qui peut rivaliser avec elles … Il s’agit du Phénix de Bronze ! Comme le feu, ce Chevalier est bien souvent indomptable et libre comme un oiseau ! Mais le secret de cette armure dit-on, c’est qu’elle renaît de ses cendres ! Et le jour où tu seras en face du Phénix, dis-toi que tu seras face à un Chevalier éminemment hors-norme, même si son armure n’est que de bronze ! *

Les très sages paroles de Lulu le Merlu résonnaient en moi, et je savais qui j’avais en face de moi. Ses yeux pétillaient, comme la fougue de la jeunesse. En tout cas, Delio du Phénix me prenait visiblement pour le gardien des lieux, et suite à sa méprise, je lâchai un petit rire. Je posai ma boîte sur le sol (bon dieu ce qu’elle pouvait être encombrante!) et lui répondis :

« Bonjour, Delio, Phénix de Bronze ! Vous pouvez souffler un bon coup, mon ami, car je ne suis ni le gardien, ni le locataire, ni le propriétaire de ce mystérieux temple qui m’a gardé sous hypnose quelques secondes durant. En vérité je viens d’arriver au Sanctuaire depuis peu. Je viens d’achever mon apprentissage en Océan Atlantique, qui a duré plus de dix ans. Ainsi dire, on peut me considérer comme un Chevalier, oui. Je suis Gallion, le nouveau Chevalier d’Argent de la Baleine. Je suis enchanté de faire votre rencontre. J’ignore ce que je me dois d’accomplir en tant que Saint d’Athéna. Une déesse que je n’ai jamais rencontré, et dont j’ignore les desseins. Je suis vierge de toute chose ici, et si vous pouviez me faire l’honneur d’éclairer ma lanterne, ou de me laisser vous accompagner, si vous montez en direction de la demeure d’Athéna … »

Ainsi donc, d’après les dires de ce fringuant jeune homme, la déesse n’était pas au Sanctuaire, mais aux Enfers. Visiblement, il y avait du grabuge là-bas, et c’était bien ma veine. Peut-être une guerre se déroulait-elle d’ores et déjà ? Mais je n’avais nulle envie d’assaillir mon nouveau camarade d’un torrent de questions qui trouveraient tôt ou tard leur réponse. En tout cas l’affaire était assez grave puisque nous avions déjà pour ordre d’occire nos ennemis : les serviteurs d’Hadès, rien que ça. J’étais encore peu renseigné au sujet des différentes divinités, mais portait à croire qu’il était le dieu à abattre. Une fois l’information enregistrée, le Phénix me décrivit rapidement l’idéal chevaleresque qui inspirait notre joyeuse fratrie. La protection du genre humain … Cela me convenait parfaitement. J’acquiesçais pendant le petit discours de Delio. Puis, il me demanda de prononcer le serment des Chevaliers. Sans réfléchir je m’exécutai. Notre ordre était très certainement attaché aux protocoles. Je me mis ç genoux devant lui et joignis les mains comme pour une prière et répétai :

« En plein jour et dans la nuit noire,
Nul mal n’échappe à mon regard.
Suppôts du mal, craignez votre revers
À la lueur des Chevaliers du Sanctuaire ! »

Puis je me relevai, ému par cette cérémonie qui venait de se dérouler à huis-clos. Terrassé par l’émotion, je ne pus m’empêcher de pleurer, et une larmichette, vivace et scintillante, coula le long de ma joue. Quel moment solennel nous venions de vivre. Ainsi donc il existait un serment, et mon maître, Lulu le Merlu me l’avait caché visiblement. Profondément touché par l’attention du flamboyant Phénix, je posai ma main sur son épaule.

«  C’est bon, c’est beau, c’est Bosch, comme on dit par chez moi. Vous êtes digne de votre rang, Delio du Phénix, et je me réjouis de vous avoir à mes côtés. Ainsi donc notre déesse n’est pas ici mais bien aux enfers … »

Je pris une pause de réfléxion avant de bondir sur place.

«  Pasembleu ! Tonnerre de merde ! Par ma barbe que je n’ai pas, nous devons voler à son secours, si elle est en danger, entre les griffes de ce forban d’Hadès ! Qu’attendons nous ici, si le Grand Pope s’est dépêché sur place, accompagné de nos confrères ? Et puis le célèbre proverbe ne dit-il pas : « La Baleine et le Phénix aiment aider leur prochain ? » A moins que vous ne vous apprêtiez à vous rendre sur place ? »

Ainsi donc, nous nous tutoyions désormais ! Plus encore, nous étions des frères de sang. Je le sentais au plus profond de moi, un sentiment de camaraderie inébranlable allait naître entre nous, c’était indéniable. Malheureusement, Delio du Phénix ne tarda pas à calmer mes ardeurs. En effet, la situation était plus compliqué qu’elle ne paraissait pour lui : il était au plus bas de la hiérarchie des Saints, et il lui était donc impossible de prendre la décision d’aller aux Enfers.

En revanche, me concernant, il était possible que je me rendisse directement sur le champ de bataille. En effet, de par mon rang de Chevalier d’Argent, j’étais un cran au-dessus de mon nouvel ami, dans cette hiérarchie. Chose curieuse, par ailleurs. Dans les faits, je pouvais donc superviser des Chevaliers de Bronze, alors que moi-même j’étais complètement inexpérimenté. Une idiotie selon moi, mais je gardai ce commentaire pour moi-même.

Mais la bonne nouvelle dans tout ceci, c’était que je pouvais bouger, moi. J’étais nouveau, et n’ayant reçu aucun ordre, le choix m’appartenait. Je pouvais, dans le cas où je n’irais pas au combat, continuer ma traversée du Sanctuaire. Impensable ! On a jamais vu un soldat faire du tourisme alors que sa patrie est attaquée, n’est-ce pas ? Pas question de revenir sur ma décision.

« Delio du Phénix, mon ami, mon camarade, mon binôme, mon confident, mon collègue de Cosmos, mon copain, mon poto, tu m’tiens chaud …. Si j’ai bien compris ton explication, je suis plus à même de te donner des ordres n’est-ce pas ? Eh bien soit ! En tant que Chevalier d’Argent, je vais donner mon premier ordre ! Et il t’est adressé, Phénix de Bronze ! Nous ne nous la coulerons pas douce dans ce Sanctuaire sacré, tu peux me croire sur parole ! Notre déesse est en danger, et par le serment que tu m’as fait prononcé, je suis persuadé que notre place est aux Enfers, à ses côtés ! Alors tu vas me mener au Royaume des morts ! Et ensemble, nous irons massacrer les serviteurs du Dieu Noir, tels les braises du phénix qui brûlent tout, et le corps géant de la baleine se fracassant sur ses ennemis ! Allons, Delio ! Nous devons nous hâter ! »

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