[FB : Orion & Kazuki] Le dernier jour ?

Des semaines à parcourir les grimoires accumulés dans la bibliothèque de Jamir... A les classer, les archiver, à préserver les documents les plus anciens, menacés par le passage du temps.
Une tâche ingrate et pénible mais gratifiante, et surtout vitale pour les générations à venir. Et cela m'empêchait de penser à mes frères d'armes, à mes amis, à Ahina...
Tout ceci était derrière moi, désormais, mais je continuais à me noyer dans mes cauchemars, emplis de culpabilité lancinante et de reproches toujours plus amers.
La modestie de cette nouvelle existence me convenait parfaitement, et pouvait passer pour un purgatoire nécessaire envers mes manquements. Au moins, l'un de mes parchemins servirait peut être les générations futures, ou apporterait une solution quelconque, un éclairage à mes actuels amis.
Malgré moi, avant de m'endormir au petit matin, ou au plus tard de la nuit, mes pensées se tournaient sournoisement vers eux. Et mes regrets s'en retrouvaient avivés. Mais j'avais failli à les guider, et je n'étais donc plus digne de me tenir auprès d'eux.
Au plus fort de l'un de ces sommeils inutiles et lourds de tourments, l'émergence d'un étrange cosmos, au pied de Jamir, me tira de ma torpeur. Cette énergie n'était assurément pas celle d'un Saint. Bah les pièges naturels de l’ascension suffiraient probablement à repousser l'importun.
Une explosion doucha rapidement mes espoirs de tranquillité et de solitude.
Quel individu toquait à une porte de la sorte ?! Quelle sauvagerie...
Plus curieux qu'inquiet, je me téléportais sur la terrasse située au plus haut de la tour, pour jeter un œil à la silhouette du visiteur. Et ma surprise fut de taille à la vue de Kazuki, juge du Garuda et ancien cavalier de l'apocalypse, au même rang que moi ! Que venait donc faire-ici l'amant d'Irène ?
Sans attendre qu'il ne cause davantage de dégâts par son manque de délicatesse habituel, ma voix résonna sur la plaine de Jamir, à son intention.


Un bond aidé par son cosmos, et il serait vite devant moi. Que pouvait-il bien vouloir ?

A peine parvenu dans la même pièce que moi, et déjà l'agressivité... Kazuki était décidément irrécupérable, dans son genre. Si Irène ne l'avait pas tant aimé de son vivant, j'aurais pu le croire monstrueux, sans-âme. Mais ce n'était pas le cas.
Sa pique envers Athéna me fit hausser un sourcil agacé, mais je balayais la contrariété d'une pensée. Mieux valait ne pas être susceptible avec ce genre de personnage bourru.

Tu ne changeras jamais, juge du Garuda... Les livres sont porteurs des souvenirs, des mémoires et des expériences de celles et ceux qui nous ont précédés. Leur savoir est nécessaire, surtout en des temps troublés.

Une pointe de nostalgie, de compassion peut être dans la voix et le regard que je posais sur cet étrange personnage, tourmenté au possible par un sombre passé. Ne pouvait-il donc pas demander les choses naturellement, sans passer par la menace ?
Nous n'étions pas amis.
Mais depuis notre épreuve commune au service d'Arès et de nos maintes rencontres, j'avais appris à l'apprécier sous ses dehors de tueur sanguinaire. Kazuki n'était pas Alessio.
Curieux face à sa demande, je me saisis de l'arme tendue pour la soupeser et commencer une analyse visuelle.

Tu sais, Kazuki... Il te suffisait de me faire cette demande aimablement, sans passer par la menace de mort à peine voilée... Tant que cette arme n'est pas utilisée pour nuire au Sanctuaire, je serais heureux de t'aider, en souvenir d'une amie commune...

Irène...
Déjà attentif à l'état déplorable de cette lame, j'évaluais rapidement le temps nécessaire à sa réparation. C'était là un vrai défi... Mais rien d'impossible.

Il va me falloir quelques jours pour la réparer... Qu'est ce qui a pu la mettre dans un tel état ? Elle pourrait se briser au moindre impact.

Une arme liée à une silver cloth ? Entre les mains du terrible juge du Garuda, cela m'étonnait grandement, mais un coup d'oeil à l'arme me suffit à confirmer les dires de mon interlocuteur. Décidément, qu'il le veuille ou non, Kazuki demeurait régulièrement lié aux saints...
Amusé, je levais un regard taquin vers le spectre.

Ton sang ? Oui, il sera utile en fin de processus. Mais ne crains-tu pas que j'en abuse pour t'éliminer, quand tu seras le plus affaibli  ?

La supposition était tellement absurde qu'elle en devenait risible. Ce type de manœuvre ne me ressemblait tellement pas...

Elle est en aussi piteux état que moi, mais je vais la remettre à neuf !

Cela faisait des mois que je n'avais pas été soumis à un tel défi, et en mon for intérieur, cela ne me déplaisait pas. L'ancien Orion, profondément enfoui sous ma carapace de culpabilité, émergea même dans mon regard, prêt à relever le challenge proposé par Kazuki.
Sans attendre, je vis apparaître une dizaine d'outils autour de moi avant de me saisir d'une loupe spécifique et entamer une évaluation des dégâts.

Comment une arme liée à une Silver Cloth a pu atterrir entre tes mains ? Un meurtre de plus dans ta longue carrière ?

Pas une once de reproche dans ma voix. Mais connaissant le bougre, plus rien ne pouvait m'étonner.
Tout concentré à ma tâche, je finis par remarquer à quel point ce travail avait suffi à réveiller une part d'âme en moi, que je pensais éteinte. Et étrangement, j'en fus gré à mon ancien compagnon cavalier de l’apocalypse. Une fois mon analyse achevée, j'entamais la seconde phase d'observation. Mon énergie doré, empreint d'une vie encore vivace sous mon apparence maladive se mit à rayonner, imprégnait l'arme pour en déceler toutes les failles cosmiques.

Si on m'avait dit que ce serait toi qui parviendrait à faire ressurgir l'ancien Gold qui dors en moi... Je ne l'aurais jamais crû. Comme quoi, le meilleur sommeille parfois là où on ne l'attends pas.

Kazuki, égal à lui même...
La menace aux bords des lèvres, et pourtant, je ne le croyais pas un instant. En outre, depuis quelques mois, la peur de mourir s'était rapidement évaporée pour devenir presque un espoir de paix.
Occupé à analyser les failles de l'arme pour mieux les résorber, je finis par m'adresser à mon commanditaire, sans l’observer pour autant. Calme, serein, comme si je causais à un quidam ou un compagnon familier.

Je ne sais effectivement pas grand chose de toi... Tu es issu de la lignée d'Ivalice, royaume détruit sur ordre de Zeus, ton grand-père. Tu as une sœur adoptive, Lenalee, qui est la seule spectre bienvenue dans mon ancien temple du Bélier. Tu fus l'unique amour d'Irène du Lion, l'une de mes plus fidèles amies. Et tu as un enfant, dont je suis le parrain.

Un détail que le juge du Garuda ne connaissait peut être pas.
Jadis, Irène m'avait effectivement fait cette demande pour protéger le bébé de ceux qui voudraient s'en prendre à lui, en raison de sa paternité. Et j'avais accepté cette tâche, jusqu'à ce que mon amie disparaisse...

Je suis l'un des plus puissants chevaliers d'or, et pourtant même au meilleur de ma forme, j'aurais été incapable de te vaincre. Donc que tu veuilles me tuer ou non, à quoi bon te craindre ? Tu feras comme bon te semble. Mais si j'en crois ce que me disais Irène à ton sujet... Tu n'es pas aussi sanguinaire que tu veux bien l'afficher.

J'achevais alors mon analyse, dans un soupir devant la tâche à accomplir. Le délai d'une semaine ne serait pas exagéré.
D'une pensée, je fis se matérialiser une dizaine d'outils et commençais à utiliser les plus simples pour faciliter le travail.

Personne ne devrait perdre sa famille dans de telles conditions. J'en suis navré pour toi. Sincèrement. Je ne peux pas comprendre ce que tu ressens, vu que nos histoires sont différentes, mais j'imagine ce que tu as dû éprouver.

Tout en travaillant sur la lame, j'écoutais les propos du juge, devinant une sorte de détresse, ou du moins de fatalisme latent.
Kazuki nourrissait une rancœur terrible envers les dieux, mais assurément ses émotions parlaient davantage que sa raison.

Ce n'est pas totalement vrai... Lenalee est encore là. Tu sais, je ne crois pas vraiment au destin ou à la fatalité. Nous possédons tous notre libre arbitre, donc nous sommes les seuls à définir nos choix. Dame chance nous sourit parfois, ou nous tourne le dos... Mais au fond, rien n'est immuable, ni écrit dans le marbre. Ton passé, aussi douloureux soit-il, ne devrait pas t'interdire d'aimer de nouveau.

Qu'il était facile de donner de belles leçons, en étant moi même l'anti-thèse de mes conseils. J'avais fui le Sanctuaire pour éviter que mon influence, mes erreurs n'affectent les gens que j'aimais. Un exil volontaire, loin de tous.
D'un geste aguerri, je saisis un petit marteau pour tester la solidité du matériau et évaluer les zones à réparer en priorité. Vraiment, cette pauvre arme était dans un état déplorable. Machinalement, je concentrais mon cosmos dans mes mains pour imprégner au maximum l'objet, le liant à ma propre vitalité pour entamer sa renaissance.

N'as-tu jamais eu envie d'abandonner ta vengeance et de tenter d'avoir une vie heureuse ? Pourquoi cela te serait-il interdit ? Quand je vois les guerres incessantes que mènent les dieux entre eux, je me dis que nous sommes si peu de choses à leurs yeux... Peut-être finiraient-ils par t'oublier. Et d'ailleurs... Puisque tu les exècres tant, pourquoi es-tu si fidèle envers Hadès ?

Tout en manœuvrant le marteau, je remarquais avec ironie que l'arme donnée par Kazuki me paraissait une sorte de reflet de son âme : brisée, meurtrie mais réparable.

La haine. Le doute, l'envie de briser l'influence des dieux en espérant que rien ne viendrait entacher son futur.
Je pouvais comprendre les arguments de Kazuki, mais un élément me laissait assurément perplexe.

En quoi Hadès est-il différent ? Selon toi, n'a t-il pas commis des "méfaits" depuis des siècles ? J'ai du mal à comprendre d'où te vient ta confiance envers l sombre monarque... Son seul objectif est tout de même de détruire l'humanité. Seras-tu épargné, une fois les Olympiens hors du jeu ?

La rationalité du raisonnement du juge touchait là sa limite. Ou du moins je n'arrivais pas à en saisir le sens. Quel dommage qu'un homme comme Kazuki ne soit pas parvenu à être touché par l'infinie bienveillance d'Athéna... Il aurait alors pu espérer trouver enfin son bonheur, au bout du chemin.
Et cette pensée étira un sourire triste sur mon visage. Quel ironie de penser cela venant d'un paria tel que moi... Sans cesser mon travail de fourmi, je finis par répondre au juge, d'un ton neutre.

J'ai fini par me rendre compte que j'attirais la mort... Depuis des années, autour de moi, mes compagnons de route se sont éteints les uns après les autres. Je n'ai fait qu'apporter le malheur par ma seule présence au Sanctuaire. C'est en devenant Grand Pope que j'en ai pris conscience.

Un oiseau de malheur, oui. Une malédiction ambulante pour ceux que j'aimais.

Ma place est donc ici. En exil. Là où je ne pourrais plus nuire à mes proches et à l'humanité.

Machinalement, je coulais un regard étrange en direction de Kazuki. Révélant ainsi un secret enfui au plus profond de mon âme : l'obscurité qui gagnait peu à peu du terrain sur la bienveillance que j'avais toujours brandi comme un étendard.

Voilà bien des années... J'ai tué mon père de mes mains. Et depuis je m'efforce de dominer cette rage qui dort en moi. Et avec les pertes... Les deuils successifs... Je dois concentrer toute mon énergie à rester tel que je suis. Quelqu'un de bon. J'ignore qui je suis mais je sais qui je veux rester. Et pour cela, rien ne vaut la solitude.