Réapprendre à vivre [Poséidon]

En sécurité entre les tentacules de son protégé, Aarhyel laissait son regard émerveillé caresser tout ce qu’elle voyait. Tout lui paraissait irréel, être là, entourée de créatures marines, en route pour un endroit inconnu où elle pourrait réapprendre à vivre. Elle n’était pas une déesse, mais elle ne pouvait plus faire semblant et obstinément vivre telle celle qu’elle était à bord du Serpent. Il lui faudrait apprendre à apprivoiser ses nouveaux souvenirs et découvrir qui elle est réellement. Ni complètement déesse, ni complètement mortelle, elle devrait apprendre à vivre avec sa condition. Découvrir un nouveau monde dont elle n’avait jamais soupçonné l’existence, côtoyer des êtres qui attendent d’elle plus que ce qu’elle peut donner et y trouver sa place. Cette mission démesurée lui demanderait bien des efforts, car il n’y pas place à parler de sacrifices. En acceptant de plonger, Aarhyel avait renoncé à sa vie, du moins au semblant d’existence qui lui restait. Elle ne pourrait jamais oublier sa vie de mercenaire, ses années à bord du Serpent font partie d’elle et le mot nomade serait gravé à jamais dans sa chair. Cependant, l’amour si puissant et inconditionnel qu’elle se découvre de seconde en seconde à travers ses nouveaux souvenirs lui donne raison. Raison de vouloir faire des efforts, aussi insensés ses choix puissent-ils être, de vouloir découvrir cette nouvelle vie qui se disait la sienne.

L’idée qu’elle n’ait pas tous les souvenirs propres à cette nouvelle vie ne la dérangeait pas. Seule la douleur qui accompagnerait leur retour la terrifiait, car elle avait toujours vécu avec un passé incomplet alors elle pouvait y faire face. Cette nouvelle vie était déjà tellement remplie! Tellement de visages, tellement d’endroits, tellement de souvenirs… Et pourtant, elle ne se sentait pas différente. Elle n’avait pas l’impression que son comportement ait changé… Aarhyel ne découvrait aucun sentiment inconnu ou improbable et ne se surprenait dans aucune de ses actions depuis qu’elle avait demandé à être immergée. C’était comme si ses nouveaux souvenirs avaient déjà pris le dessus, dictant sa conduite comme s’ils l’avaient toujours fait, comme s’ils avaient toujours été là. À quel point devait-elle toujours avoir ressemblé à Amphitrite pour qu’elle ne se sente aucunement changée?

« Amphitrite!! » L’appela soudainement une voix, précédent l’arrivée d’un magnifique mammifère marin. Au loin, on discernait aisément l’approche d’un dauphin enjoué et aussitôt la poigne du kraken se resserra. Son protecteur et protégé ne semblait pas prêt à la laisser à un autre… Aarhyel s’empressa donc de passer ses bras autour du tentacule la tenant et de l’étreindre. La chaleur de son cosmos se propagea malgré elle, attirant aussitôt l’attention de toutes les créatures les accompagnant. « Ne vous en faites pas, nous nous reverrons très vite! Mais je dois découvrir mon nouveau chez moi… » Dit-elle en levant les yeux vers les immenses orbes jaunes, le tentacule l’attirant vers eux. « Merci d’être venu me chercher. » Le gratifia la nomade en appuyant son visage contre son immense tête, rejouant le souvenir qui lui était apparu lors de son emprisonnement…

Je vous aime…

Pensa-t-elle très fort avant que la créature ne la relâche, la confiant au dauphin qui n’était plus qu’à quelques grands coups de nageoires. Aarhyel regarda son gigantesque ami regagner les profondeurs et congédia quelques compagnons de route… Mais l’arrivée de Delphinos renvoya les autres chez eux. Quelque chose de très puissant semblait voyager entre la jeune femme et le dauphin, quelque chose d’harmonieux, un lien profond… Quelque chose de bien mystérieux qui les unit tandis qu’ils se retrouvent pour la première fois. La jeune femme ne peut que sourire, n’osant amorcer aucun geste, craignant de briser l’équilibre de son premier contact avec sa nouvelle vie. Un ami, le plus fidèle qui soit, venait lui ouvrir les portes de sa nouvelle existence.

« Ô, déesse, nous vous attendions depuis tellement longtemps!  N’est-ce pas merveilleux, mais également amusant d’être ainsi de nouveau réuni? Vous et moi, feront route ensemble comme la première fois, tandis que je vous conduis à votre époux… » S’enthousiasma le dauphin en jetant un regard tendre à la déité. « Poséidon… » Murmura pensivement la nomade en baissant les yeux, arrachant un chant de sonar des plus joyeux. Delphinos nagea autour d’elle, la chatouillant de son museau, mais s’arrêtant bien vite en voyant que l’air torturé de sa déesse. Soucieux, le messager du maître des océans s’arrêta devant elle et glissa son museau sous son menton pour capter son regard. « C’est affreux, Delphinos. Je... Je n’ai aucun souvenir de lui! Je sais qui est Poséidon, car j’ai vécu en mer… Mais je ne sais rien de lui, sinon le très peu que j’ai pu apprendre dans les livres et de par les légendes des mortels… » Avoua péniblement la nomade, constatant qu’au final, apprivoiser sa nouvelle existence s’annonçait plus difficile qu’elle ne se l’imaginait déjà. « Je comprends… » Souffla le dauphin en lui relevant la tête. « Mais ne vous en faites pas, ô, déesse. Tout ira mieux et tout sera bien plus facile une fois que vous serez à Edges. » Lui assura Delphinos avant de l’inviter à s’accrocher à lui.

Les deux amis en avaient long à se dire, se remémorant leurs souvenirs communs tandis que leur corps ondulaient sous le courant en direction du pilier le plus proche. La jeune femme en avait presque oublié ses inquiétudes lorsque leur première destination fut en vue et comme la première fois où Delphinos lui avait servi de guide, elle fut complètement subjuguée par la splendeur de ce qui se présentait à elle. Le dauphin lui fit bien évidemment la remarque, mais la nomade n’eut pas le temps de lui répondre. Son rire amusé venait d’être interrompu par un sentiment étrange. Un bien-être inexplicable venait de s’emparer d’elle et l’absence de raison apparente avait troublé la nomade. Une chaleur ou plutôt une sorte de rayonnement familier stimulait ses sens. Une présence imposante se faisait sentir; il y avait quelqu’un au pilier de l’Atlantique Nord… Et ce n’était pas n’importe qui. Troublée, Aarhyel jeta un regard à son ami et la lueur qu’elle lut dans ses yeux ne laissait aucun doute quant à l’identité de cet être. Une aura si forte, si puissance et pourtant si douce… Un rayonnement si chaleureux qu’il en faisait s’emballer son cœur…

« Le maître des océans »

Près du dauphin, la jeune femme sentit le changement avant de le voir. Le courant prit le contrôle de leur avancée en se saisissant d’eux de sa force surnaturelle. Aarhyel aurait pu profiter de cette démonstration, mais son regard n’avait d’yeux que pour la silhouette de celui qu’on disait être son époux. Plutôt celui de celle dont on lui avait implanté de nombreux souvenirs… Mais bien qu’aucun de ses nouveaux souvenirs ne lui présente le dieu qu’elle avait toujours admiré, elle savait ce qu’il était, ce que tout le monde croyait qui les liait et ce à quoi il devait s’attendre d’elle… Plus son corps s’approchait du pilier, plus son cœur se démenait, luttant contre un rythme désordonné. Son regard perçut un étrange phénomène à ses côtés, lui faisant momentanément quitter le dieu des mers et océans des yeux. Là, à ses côtés, son cher ami changea. Sa peau lisse et incroyablement douce, son museau allongé, ses puissantes nageoires de même que son remarquable aileront n’étaient plus. Chaque fibre de son corps marin avait fait place aux traits humains auxquels elle était plus familière… Enfin… C’était en faisant abstraction des plus fascinants tatouages qu’il lui ait été donné de voir. Fascination, cela était exactement le mot pour décrire ce qu’elle ressentait vis-à-vis l’être se trouvant près d’elle et la nomade aurait pu le contemplé bien longtemps encore si un changement ne s’était pas amorcé en son sein.  

Quelque chose d’étrange s’opérait en elle et alors qu’elle se laissait guider par le dauphin qui ne ressemblait plus aux siens pour rejoindre le seigneur des lieux, la nomade comprit. Son corps était à l’écoute, le moindre de ses sens était en éveil, son être entrant dans ce même genre de transe que lorsqu’elle croise le fer. À chaque pas vers Lui, cependant, la nomade pouvait déceler une sérénité ainsi qu’une passion tout autre que celle qui l’habitait lors d’un combat. Non, là son corps ne cherchait pas à prévoir les actions du seigneur des océans pour le contrecarrer… C’était autre chose… Oui, c’était comme si tout son être cherchait à s’accorder au sien, pour lui répondre, être l’extension de chacune de ses volontés.

Qu’il est beau…

Fut la seule pensée qu’Aarhyel fut en mesure d’avoir lors des derniers mètres de son approche. Le visage du dieu éveillait en elle des sensations qu’elle ne s’expliquait pas, après tout, elle n’avait aucun souvenir de lui, d’eux, pour les justifier. Son regard d’océan le parcourait, le détaillait, s’imprégnant de son image pour la jumeler avec ce qu’elle ressentait et tout ce qu’on avait pu lui dire à propos de ce seigneur du monde marin. Incapable de prononcer nom, chamboulée par les sentiments qui se bousculaient en elle et de la pression qu’exerçait sur elle son désir de réussir son entrée dans cette nouvelle vie. Sans oublier le mal que la nomade avait à assimiler l’idée que l’être sublime devant ne soit non seulement un dieu, mais l’homme qui partagerait sa vie. Serait-elle seulement à la hauteur de tout ce qu’on attend d’elle? À la hauteur des souvenirs de Poséidon, des besoins de ses protégés… Et des attentes de tous ceux au service du maître des océans?

Le cœur battant toujours violemment dans sa poitrine, elle ne suivit même pas le trident du regard lorsqu’il sortit de son champ de vision, ne se concentrant que sur celui qui se tenait devant elle. Aarhyel ne gougea pas d’un cil lorsque le dieu s’approcha davantage, mais ses yeux se fermèrent en douceur lorsque les mains chaudes de Poséidon prirent possession de son visage. Sentir la pulpe de ses doigts courir sur sa peau, redessinant ses traits, alluma un feu au plus profond de son être. Le sang coulant dans ses veines donnait l’impression de bouillir, répandant un je-ne-sais-quoi de brûlant dans chacune de ses fibres. Elle ne pouvait pas voir le dieu, ne pouvait pas lire dans son regard, mais elle ne les ouvrirait pour rien au monde. L’impression de sécurité que lui donnait ce moment était tout bonnement savoureuse. Une confiance aveugle habitait littéralement la nomade tandis qu’elle laissait son corps répondre à celui d’un homme dont elle n’avait aucun souvenir. Pas même la caresse de ses lèvres sur les siennes ne la brusqua, ou plutôt pas même ce baiser ne lui donna envie de s’éloigner.

Une fois libre cependant, lorsqu’il ne resta plus que son souffle chaud pour caresser ses lèvres enflammées pour lui assurer de la réalité de ce baiser, la nomade ne put s’empêcher d’ouvrir les yeux. Il fallait qu’elle lui dise. Il fallait qu’elle le prévienne, quitta à briser, fissurer et rendre imparfait le bonheur auquel il croyait avoir de nouveau accès… Il fallait que ce soit dit avant que la chute ne soit trop douloureuse. Glissant ses agiles petites mains sur les épaules du maître des flots, laissant l’une d’elles aller caresser sa nuque tandis que la seconde allait se loger contre sa tempe, son pouce trônant sur sa pommette, Aarhyel rassembla son courage. Son corps agissait de lui-même, allant au-devant des gestes du dieu, répondant à son propre besoin inexpliqué de contact. Ses perles bleues plongées dans les siennes, celle qui l’aimait prit enfin parole.

« Je sais qui vous êtes Poséidon, ainsi que ce que je dois être pour vous et pour l’océan, mais je regrette… » Murmura-t-elle en regardant brièvement ces lèvres avant de revenir à son regard si envoutant. « Si vous saviez comme je regrette… Bon nombre de souvenirs m’ont été donnés… Mais pas un seul ne me parle de vous. » Avoua-t-elle finalement sans s’éloigner, en étant incapable pour l’heure.

Pardonnez-moi…

C’était dit… La vérité qui dérange avait été mise sur table, mais la nomade espérait de tout cœur que l’être autour duquel graviterait très certainement sa nouvelle vie comprendrait qu’elle n’y était pour rien. Elle n’avait pas choisi les souvenirs, qui lui étaient… Revenus?  Oui, il fallait que Poséidon comprenne qu’elle était revenue auprès de lui et des leurs parce qu’elle acceptait d’apprendre à redevenir celle qu’ils croyaient tous qu’elle était. Celle dont ceux qu’elle aimait avaient besoin.

La nomade perdait le fil, la façon dont Poséidon s’adressait à elle lui semblait décousue. Comme s’il oubliait ou n’était pas sûr de la personne à qui il s’adressait… Mais Aarhyel elle-même n’était plus sûr de rien. Avec tous ces souvenirs nouveaux, l’enfant de la mer ne pouvait plus réellement dire qu’elle était la même jeune femme ayant survécu à la dernière traversée du Serpent de Brume. Se souviendrait-elle seulement de sa vie en son bord une fois tous les souvenirs de la déesse imprégner en elle? La nomade ne devait décidément pas s’attarder à cette inquiétude, sinon elle ne pourrait avancer. Elle devait avoir confiance en l’avenir et prendre chaque chose telle qu’elle lui serait présentée, sinon… Jamais la nomade ne saurait s’accoutumer à sa nouvelle vie. Il va s’en dire que lorsque le dieu fit allusion à son « hôte », Aarhyel y perçut de l’espoir. On lui présentait finalement une piste, une lueur de possibilité dans cette bifurcation inattendue de son existence. Le soulagement eut presque le temps de prendre pleinement possession d’elle et la nomade aurait presque recouvré sa joie si Poséidon n’avait pas parlé de la plus grande joie du mariage : le sexe.  

Les pensées de la nomade se bousculèrent tandis que celle-ci se trouvait  sotte de s’en faire quant à l’optique de partager un moment plein de passion avec son époux. Qu’importe qu’elle n’ait pas de souvenirs à son sujet, lui et bon nombre d’autres la connaissaient comme étant sa femme. Cependant, une pensée parmi tant d’autres parvint à attirer l’attention de la nomade. Dès lors que le seigneur des océans s’était fait sentir, les souvenirs divins de la nomade avaient pris le dessus. Comme si la puissance du passé de la déesse avait pris le contrôle de son être pour parachever un désir si intense que les reliques de sa vie mortelle n’avaient eu d’autres choix que de s’y plier. Mais, maintenant que Poséidon lui-même avait délibérément mis de la distance entre eux, l’enfant de la mer pouvait sentir ses doutes et ses appréhensions reprendre les rênes. En serait-il de même lorsqu’elle croiserait la route des autres amis animant ses nouveaux souvenirs?  Tout ce que la jeune femme pouvait espérer, c’était qu’aucun d’eux ne ravive des émotions négatives ou ne lui fasse commettre des actes irréparables… Quoi qu’il en soit…

« Vous avez raison, vous voir vous adresser à moi d’une telle façon me trouble. Mais je compte bien m’y habituer, bien que j’espère ne pas en avoir le temps… Plus vite je deviendrai celle dont vous et certains de mes amis avez besoin, mieux je me porterai. » Commença la demoiselle en jetant un regard au jeune homme qui, il y a encore quelques instants à peine, était un magnifique dauphin. Son visage ne lui était certes pas familier, mais l’esprit qu’il abritait lui était très cher. « Je vous en prie, appelez-moi Aarhyel. Ce prénom est la seule chose qui m’est été laissée dans cette vie, il est la seule information que j’ai toujours connue concernant la vie du corps que j’habite actuellement. » Avoua-t-elle en palpant le fin bracelet doré n’ayant jamais quitté son poignet. Là où trônait fièrement son prénom, dans une langue qu’elle arrivait à déchiffrer sans jamais être parvenue à trouver quelconque endroit où ces écritures étaient connues.

Jouant toujours avec son bijou, la nomade releva les yeux vers l’empereur des océans, le regard hésitant. « Je crois qu’il serait préférable pour moi… De poursuivre en compagnie de votre hôte. Comme vous l’avez mentionné, il saura sans doute m’accompagner et me guider davantage lors de mes premiers pas dans cette nouvelle vie. » Répondit finalement Aarhyel, espérant ne pas avoir froissé le Dieu. « Il me tarde d’apprendre à vous aimer, mais je crois que d’autres aspects de ma nouvelle condition ont besoin d’être connus et compris avant que je puisse me laisser aller aux plaisirs. » Expliqua-t-elle ensuite en ponctuant son discours d’un sourire tout aussi sincère que ses mots.  

La nomade se détourna ensuite, jetant un œil aux eaux salines les ayant conduits jusqu’ici. Ses cheveux, ainsi que ses vêtements de mercenaires, étaient imbibés d’eau de mer et sa peau, bien que colorée par cette énergie nouvelle, était parsemée de perles aqueuses. Une douleur passagère lui rappela sa chute dans les ruines et la nomade du faire un effort pour balayer et repousser au loin certains souvenirs cumulés sur une île dont elle ne profiterait probablement plus jamais… Cette vie de simple mortelle n’existait plus… Ceux qu’elle y avait connus n’avaient plus leur place dans ses pensées ou son cœur. Surtout si elle voulait rapidement se complaire de sa nouvelle existence…

Lorsqu’elle se retourna pour faire face à ses compagnons, la nomade perçut les derniers changements révélant la physionomie originelle de l’hôte. Des crins d’océans ne restait plus qu’une chevelure d’un blond chatoyant… La transformation n’était pas aussi impressionnante que celle du dauphin… Mais malgré ses nouveaux souvenirs, Aarhyel ne se sentait pas familière avec de telles manifestations divines. Un grand trouble et même plus, un inconfort profond, s’empara de l’enfant de la mer. Le regard rubis qu’elle rencontra lui fit même faire un pas de recule tandis qu’un frisson parcourait ses membres. L’esprit mortel de la nomade chercha instinctivement réconfort en portant ses mains à sa ceinture… Malheureusement, ses armes n’y étaient plus, ce qui lui permit de constater sa réaction. Laissant retomber ses bras le long de son corps, la jeune femme chercha à rationaliser la situation pour retrouver son calme. Elle n’avait succombé qu’à un réflexe profondément ancré en elle après une vie de piraterie. Une inquiétude passagère l’avait poussée à chercher le contact de sa lame, pour s’assurer qu’elle saurait faire face, mais… Mais dans cette nouvelle vie, ceux que lui imposent ses nouveaux souvenirs… Son don inné à l’épée ne serait pas suffisant.

« J’ai toute confiance en vous, Simbad, vous saurez m’aider à… » Aarhyel hésitait, elle ne parvenait pas à trouver les mots justes. Ceux qui refléteraient pleinement ses pensées et qui permettraient à son interlocuteur de la comprendre. « Disons seulement que je ne vois pas qui saurait mieux que vous me permettre d’apprivoiser la vie de divinité. » Expliqua brièvement la nomade en jetant un regard derrière elle. « Je suis impatiente de devenir celle dont Poséidon et les créatures de la mer ont besoin. » Songea à voix haute la demoiselle, ressentant une excitation autre que la sienne lui parvenir depuis le large. Elle se souvint de toutes ces fois où elle avait ressenti la mer et perçu ses messages, maintenant Aarhyel en connaissait la raison et les recueillait avec un esprit bien plus attentif et sensible…

« S’il vous plait, faites-moi une faveur, ne soyez pas révérencieux avec moi. » Demanda Aarhyel en revenant enfin auprès des deux hommes. « Delphinos m’apparait comme un ami très cher dans chacun de mes souvenirs » Commença-t-elle en adressant un sourire au concerné, avant de revenir à l’hôte du seigneur des océans. « Mais vous, Simbad, vous êtes l’hôte de mon époux. Tôt ou tard, nos corps deviendront intimes, alors facilitons les choses pour que nous le vivions bien tous les deux. Soyons amis, voulez-vous? » Lui sourit la nomade en jetant un regard autour d’eux, espérant que l’hôte de Poséidon comprenne ce qui la tracassait. L’idée d’avoir une relation tendue ou fausse avec l’être abritant celui avec qui elle partagerait sa nouvelle vie l’angoissait énormément. Quoi de plus normal?

« Je ne sais pas qui vous êtes, ni d’où vous venez Simbad, mais ma vie de mortelle n’a rien d’impressionnant. J’ai vécu avec des hommes brutaux et au sens de l’honneur plus que douteux, alors nul besoin de me traiter comme une princesse. Sans compter que je ne suis pas encore la déesse que l’on aimerait que je sois. » Déclara la nomade en haussant les épaules, s’amusant presque de la manière dont elle avait présenté les lignes directrices de son existence… « Mais je ne demande qu’à apprendre, alors aidez-moi. »

Qu’était cette dérangeante émotion que la jeune femme arrivait à lire dans le regard de Simbad? Qu’avait-elle dit? Pourquoi se permettait-il de poser sur elle un tel regard?  Ne venait-il pas d’accepter d’être son ami? Ainsi la première impression que lui donnait l’hôte de Poséidon était bien loin d’être la meilleure qui soit. Non… Loin de là. Était-il de ces hommes plus faux les uns que les autres, qui se jouent des êtres qu’ils rencontrent à leur seul avantage? À peine lui avait-il décoché un regard noyé d’amertume qu’il se laissait entrainer dans le récit sommaire de son existence…  C’est d’ailleurs en serrant les dents que la jeune femme écouta son histoire, essayant de diluer la mauvaise impression que venait de lui donner son vis-à-vis.

Bien assez tôt, un détail de son récit ébranla la nomade. Ou plutôt, perturba ses émotions au point où il était impossible de savoir s’il n’y avait que l’esprit mortel de la jeune femme de troublée par cette révélation.  Apprendre que Simbad avait connu un naufrage à un si jeune âge et que sa vie avait pris un tournant décisif à son réveil… Il n’y avait rien de mieux pour renvoyer Aarhyel dans le passé, lui rappelant douloureusement sa situation de mortelle.  Un sentiment d’affection étrange relia alors la nomade et l’hôte grec, l’enfant de la mer sentait qu’ils partageaient bon nombre de choses en portant attention aux paroles qui lui avaient été confiées.  Elle n’avait jamais réellement parlé aux créatures marines par le passé, mais elle avait bu chaque pensée que les vagues lui avaient apportée. Elle n’avait jamais peint ni écrit de poèmes, mais elle avait inventé bon nombre de chansons et si sa mémoire était bonne, la majeure partie d’entre elles louangeaient l’océan et son protecteur… La passion de la mer était définitivement quelque chose que l’enfant de la mer et Simbad partageaient…

Mais pourquoi lui parvenait-il à conserver ses souvenirs de mortel? Comment réussissait-il à se souvenir de son passé, de son enfance, de son histoire… Pourquoi avait-il droit à un regard sur l’« Avant » tandis qu’elle peinait à ne serait-ce qu’a retrouvé un bref épisode de sa vie avant le Serpent? Et le peu de ce qui lui avait été redonné de sa vie d’enfant, elle ne trouvait rien au sujet de ses parents, de ses origines ni de quoi que ce soit qui pourraient lui donner un quelconque indice pour orienter ses recherches…  Mais depuis que certains souvenirs de la déesse lui avaient été greffés, il serait surprenant qu’un autre souvenir lui appartenant ne lui soit dévoilé. N’existait-il pas des limites auxquels un esprit doit se contraindre?  

« En ruines… » Répéta la jeune femme comme si elle n’avait rien retenu d’autre que ses derniers mots. « Et aujourd’hui? Qu’en est-il de l’Empire au moment où l’on se parle? » S’enquit-elle en fronçant les sourcils, profondément soucieuse tandis que certains souvenirs défilent dans son esprit, tous plus récents les uns que les autres.

Ce ne fut que lorsqu’un souvenir inédit réclama son attention, s’immisçant dans l’un de ceux lui présentant sa vie de déesse, que la nomade se demanda depuis combien de temps on la prenait pour Amphitrite. Elle se souvenait d’avoir déjà recouvert un bref souvenir de son enfance où lui disait déjà qu’elle était cette divinité… Qui sait, peut-être qu’en retrouvant certaines de ces personnes, elle en apprendrait plus sur elle-même et peut-être… Oui, peut-être qu’on lui donnerait des explications sur ses liens avec l’esprit de l’épouse de l’océan? Tout serait tellement plus simple s’il n’y avait jamais eu cet incident responsable de son entrée dans le monde du mercenariat…

« Pouvez-vous m’y amener? J’aimerais beaucoup y aller. » Finit par demander la nomade, impatiente de découvrir cet endroit qui éveillait tant de curiosité en elle. Sans doute les souvenirs de la déesse lui faisaient ressentir le besoin de s’y rendre et de découvrir le peuple y évoluant, les souvenirs de la dernière population vivant sous les grâces du seigneur lui apportaient tellement de joie…

Soudain, un long frisson parcourut l’échine de la nomade, la faisant trembler en ramenant ses bras contre elle, ses mains se posant inconsciemment sur ses coudes.  La jeune femme pouvait sentir son corps se rebeller au nouveau climat qui se présentait à elle, n’ayant erré que dans les eaux douces et chaudes ces derniers mois. Les climats chauds et humides lui manquaient déjà…