Domaine de l'Étoile Céleste de la Valeur.

Après avoir pivoté d'un bloc, faisant volte-face, Alessio s'en était allé d'un pas pressé. Ses nouvelles attributions de Juge étaient une chose, prendre connaissance de tout ce qu'elles impliquaient en était une autre. Mais l'un des bénéfices majeurs de cette promotion était sans conteste qu'il avait maintenant un domicile de fonction, une demeure étant réservée à sa seule personne et où nul ne pourrait pénétrer sans son consentement. À moins, bien sûr, qu'il ne s'agisse du sombre monarque ou de l'un de ses fidèles lieutenants, à savoir les dieux du sommeil et de la mort en plus de ses confrères Juges dont les quartiers ne devaient guère être éloignés des siens non plus... Lorsqu'on lui avait expliqué les modalités de cet héritage, il avait été fait mention du fait que plusieurs autres spectres puissent avoir connaissance de l'existence de ce logis et rôdent parfois dans les parages aux dernières nouvelles, cela étant dû à l'absence de tout propriétaire pour cette opulente propriété depuis fort longtemps à ce qu'on lui en avait dit. Faire un brin de ménage ne serait pas de trop : avant même de les avoir vu, il avait déjà en horreur ces personnes qui croyaient pouvoir tourner librement autour de ce qui lui appartenait sans en subir les conséquences. C'était intolérable et il aurait tôt fait de le leur faire comprendre, s'ils ne voulaient pas déguerpir dans la fraction de seconde où il les verrait et leur en donnerait l'ordre sur le ton impérieux qu'il pouvait désormais s'autoriser sans hésitation. Cette autorité nouvelle avait du bon, aussi n'allait-il pas se gêner pour en user et en abuser afin de faire de ce nid douillet un havre de paix où il pourrait giter en toute quiétude sans avoir à se soucier des vermines traînant autour de ce qui était, à compter de ce jour, ses terres. Et uniquement les siennes.

Quant à ceux qui oseraient émettre le moindre doute là-dessus, que ce soit par leurs paroles ou leur présence... Il saurait les faire taire à tout jamais. Il en avait le pouvoir. Celui d'un être supérieur, d'une entité qui avait su montrer sa Valeur et renaitre sous une nouvelle forme pour s'approprier un pouvoir approchant de celui des dieux. Il était un seigneur infernal au même titre que ceux qui régentaient sur ces sombres étendues et nul ne pourrait remettre sa parole en doute s'il le targuait, car c'était maintenant une évidence – l'ample surplis aux riches ornements qu'il avait endossé quelques heures plus tôt en était la meilleure des preuves, et elle ne pouvait qu'être irréfutable. Allumant une cigarette d'une flammèche cosmique éphémère qui ne tarda pas à se perdre dans l'atmosphère terne et pesante du monde noir dont il était maintenant l'une des figures de proue. Une sorte de meneur, quand bien même sa récente arrivée parmi les hauts dirigeants locaux le plaçait comme le moins important d'entre eux. Mais il n'avait d'autre préoccupation que celle de se faire respecter et d'accroître l'influence qu'il pouvait avoir sur ceux qui étaient devenus, avec cette élévation, ses subalternes. Ils n'auraient pas été ses égaux bien longtemps et le romain ne pouvait que s'en réjouir. Il s'était assez fondu dans la masse de son vivant, à n'être qu'une unité, une valeur négligeable perdue dans les rangs fourmillants d'une armée n'en finissant plus de grandir et de prendre en importance. Mais tout cela était révolu. Car maintenant, enfin, il pouvait briller... Même si ce devait être de l'éclat maléfique de son étoile protectrice. Peu importait. Le résultat était identique.

Une main habile passa dans sa chevelure noire, en replaçant quelques boucles avec adresse pour libérer son regard suintant de troubles projets et le laisser porter jusqu'au vaste territoire qui s'offrait à lui comme un cadeau de Noël fait à un enfant en bas-âge. Et bien qu'il n'ait plus assez de candeur pour pouvoir s'en émerveiller de la sorte, sa fébrilité n'en était pas moindre pour autant : être maître incontesté de ce domaine était le premier pas vers la domination à laquelle il aspirait et il ne manquait pas d'en être satisfait. Tant d'avoir pu faire ses preuves que d'être arrivé là si rapidement, ou même encore d'avoir su attirer l'attention du maître des lieux au point d'être propulsé en un tour de main à cette hauteur... Celle où se réunissent les Puissants, dont il était destiné à faire partie, comme le prouvait son surplis flambant neuf brillant de mille feux dans son infinie noirceur si dense qu'elle en était presque fantasmagorique. À croire que les ténèbres elles-même avaient pris forme pour être son habit, son apanage, et le recouvrir de leur toute-puissance faite sienne pour l'occasion. Plus que jamais, il se sentait en passe de pouvoir tout écraser et de prendre sa revanche sur la lamentable vie qu'il avait connue alors qu'il n'était encore qu'un pathétique être humain fait de chair, d'os, de sang et d'espoir. Un mélange qu'il avait tôt fait de briser de lui-même et dont il sentait encore la futile chaleur sous ses doigts, après avoir étranglé cette facette passée de lui-même pour mériter l'obtention de cette armure à la splendeur riche de sens.

Le décor environnant était on ne peut plus déchiré, comme représentatif d'une multitude de tourments. À faire froid dans le dos, voir à faire pâlir un mort – et il y avait de quoi se livrer à cette amusante expérience dans les parages, sans nul doute, même si ce n'était pas sa première préoccupation de l'instant. Loin de là. Il se plaisait plutôt à contempler les pointes menaçantes qui se découpaient de ce paysage morbide avec une joie malsaine, ses lèvres se fendant d'un rictus mauvais à la vue de ce décor d'épouvante qui lui appartenait – son pouvoir en pleine éclosion était la meilleure des clés pour s'en ouvrir les portes. Sans même avoir pu les frôler, il sentait le tranchant acéré des pointes émergeant de toutes parts à ses côtés et se hérissant vers la voûte tendue au-dessus de ce palais n'attendant que de le voir y siéger en maître et ce sans partage. À croire que ce château lui-même n'avait d'autre conviction que celle de devoir menacer les cieux, tant pour rivaliser avec eux et leur faire craindre de périr que pour s'y hisser, être leur égal... Et même les surpasser. Ce qui n'était au final qu'une ressemblance frappante avec ce qui ressortait de la personnalité du nouvel habitant qui allait s'empresser de prendre possession de ses appartements pour que nul ne puisse remettre en doute leur détention à l'avenir. On était ici chez lui, et gare à celui qui croirait pouvoir enfreindre librement ce large périmètre en toute insouciance car sur lui s'abattrait une fureur à nulle autre pareille : celle du terrible Griffon dont ici se ferait l'avènement, sur un trône l'appelant depuis trop longtemps. Et la fin de cette complainte silencieuse sonnait aujourd'hui sur un glas aussi sinistre que les environs.

Le panache de fumée derrière lequel se terrait l'ancien Djinn masquait ses mauvaises intentions et l'air néfaste qui se propageait sur ses traits comme un mal infectieux, le rongeant de l'intérieur pour le changer en parfait démon – quoi de mieux pour quelqu'un souhaitant se faire une place dans ce royaume souterrain qu'était celui des morts ? Respirant à plein poumons, il s'emplit les bronches de cette grisaille, brouillard nocif. L'avantage d'être semblable à un revenant était de ne pouvoir décéder à nouveau d'une cause si stupide, le corps conféré par noir empereur étant à l'épreuve de ces afflictions n'étant dignes que d'êtres faibles, profondément minables. Des âmes ne pouvant qu'être broyées sous sa semelle quand il n'aurait guère mieux à faire que de se pencher sur leur cas pour les réduire en poussière si ce n'est à néant. Cette enveloppe charnelle était bien plus forte et résistance que l'ancienne et n'avait en commun avec celle-ci que son aspect, le reste étant diamétralement différent à tous points de vue, à commencer par celui des aptitudes exponentiellement améliorées et ce même s'il était déjà un farouche combattant de son vivant, lancier par excellence se distinguant de la troupe par sa maitrise sans égal. Ses phalanges craquèrent discrètement avant qu'il ne s'avance sur l'un des sentiers escarpés, pavés d'une curieuse pierre que même sa culture générale n'arrivait pas à identifier de par son étrange nature paraissant exceptionnellement résistante en comparaison de tout ce qu'il avait pu connaître. À croire que tout avait été prévu pour que la beauté de cet habitat demeure dans l'éternité.

L'architecture dépassait de très loin tout ce qu'il avait pu connaître alors qu'il évoluait encore dans une Rome antique en pleins troubles de par les nombreux conflits dans lesquels la lançait sans vergogne un despote avide de conquêtes. Ce n'était pas plus mal, car vivre ici ne ferait qu'affirmer sa scission avec celui qu'il avait été et finir de le détacher totalement de cette ère ne devant plus que sombrer dans l'oubli maintenant qu'il avait atteint un tout autre niveau d'existence pour n'être plus un homme, mais une créature des abysses. Un monstre satanique surgi des abîmes de la noirceur, des confins de cet endroit où toute vie s'achève et se perd dans un cercle de souffrances et de supplices n'ayant de limites que celle où seront brisées les âmes damnées comme si elles étaient faites de verre après avoir été inlassablement affaiblies au cours de leurs mauvais traitements incessants. L'ambiance était sombre, identique à celle d'un gigantesque cimetière à ciel ouvert, et il ne pouvait qu'en être ravi, se sentant parfaitement dans son élément. Il n'aurait plus manqué que quelques corps sans vie gisant dans son sillage pour qu'il soit le plus heureux des spectres. Mais cette touche manquante à cet idyllique contexte était sur le point d'être mise en place par l'intermédiaire de ses pouvoirs, dont la portée avait cru mieux qu'un ruisseau qui se changerait en torrent. En se parant de ce nouvel habit d'ébène, c'était comme si en ses veines coulait un sang nouveau, mêlé à celui de son souverain en ce que ses compétences en étaient sublimées plus qu'il n'aurait pu l'imaginer dans ses rêves les plus fous, dépassant les frontières du fantasme pour défier celle des plus grands... Un vrai rêve, à croire que son ancien apparat le suivait à la trace et continuait de le baigner de sa sombre lueur pour joncher la route qu'il emprunte du liquide vital de ses ennemis et de ses désirs les plus secrets.

Marchant inexorablement vers le siège qui l'attendait au cœur de cette gargantuesque structure n'étant pas sans lui rappeler le Tartare dont il s'était récemment évadé, suite d'une pesante et traînante visite diplomatique, le Griffon serra les poings, mesurant par la pression exercée sur ses mains la violence qu'il pouvait désormais exhaler. Un sourire en coin se dessina sur ses traits avant que, d'un geste brusque, il ne lève la main à hauteur de son buste, tendant le bras à l'horizontale d'un coup sec. De ses doigts filèrent un nombre incalculables de luisants filaments issus de son cosmos qui jaillirent en tous sens comme autant d'étoiles échappées du ciel et s'enfuyant dans une course incontrôlée. Mais contrairement à cette apparence première, leur destination à toutes ne faisait aucun doute et elles eurent tôt fait de la trouver. Que ce soient les damnés s'efforçant de remonter à la surface de cette terre brûlée depuis les profondeurs des limbes, empestant le souffre à plein nez, ou des spectres tellement mineurs qu'effacer leur existence ne pourrait être réprimandé ou tellement peu que c'en était motif à la nonchalance... Chacun de ces liens alla enlacer tendrement les membres de ces intrus, qui avaient crû pouvoir rester impunément à proximité de cet endroit où ils n'avaient que faire... Sinon périr. Et ce fut le cas, car dès qu'une brève traction fut exercée, la douce pression des câbles énergétiques se fit plus oppressante, jusqu'à en être insoutenable... Et même tranchante. Mieux encore que ne l'aurait fait un tonnerre d'applaudissement, une multitude de cris s'élevèrent de part et d'autre du chemin qu'il sillonnait sans crainte, des gerbes sanglantes décrivant autant d'arc vermeils sur son passage et ce en tous sens, à tel point qu'il ne savait plus ou donner de la tête. Quel plus joli spectacle que celui de ce carnage mené avec brio ?

Du bout du pied, il repoussa dans les infinies profondeurs un bras s'étant égaré sur la trajectoire de sa marche, le renvoyant avec ce qu'il restait d'essence vitale à son propriétaire vers le sentier de la disparition future qu'il n'aurait jamais dû quitter. Il n'y avait qu'un roi ici et ce n'était ni plus ni moins que lui : tous ceux qui croiraient pouvoir s'y introduire sans en payer le prix de leurs mornes vies connaitraient le même sort que cette poignées de malheureux, exécutés sommairement sans même que leur détracteur n'ait à sourciller. Ils n'étaient, à ses yeux, même pas à la hauteur d'être nommés proie tant les annihiler était facile avec l'altitude qu'il avait prise grâce à son rôle, allant jusqu'à effleurer du bout des doigts l'Olympe où il prévoyait d'élire domicile lorsque le jour de son triomphe total viendrait. Peut-être plus tôt qu'il ne l'aurait crû possible, qui sait. Reprenant son port altier sans même un regard pour les fragments humains qu'il avait disséminés en tous sens en l'espace d'une fraction de seconde, il atteignit l'entrée de ce qui serait dorénavant son endroit où rentrer, celui où nul ne pourrait contester son statut à moins de vouloir disparaître tout comme venaient de le faire ces impies, renvoyés brûler sans autre forme de procès ni plus de fioritures. Étant là dans son foyer, il ne se fit pas prier pour entrer et pénétra à l'intérieur, curieux de découvrir chaque recoin de cette résidence qu'on lui avait confiée de même que le poste qu'il occuperait jusqu'à ce que mort s'ensuive – ce qui, l'étant déjà, ne serait pas pour tout de suite, laissant penser que sa possession du titre de propriété était partie pour durer. Ôtant dès lors les gants qui lui recouvraient les mains pour se mettre à l'aise, il entreprit d'ôter sa cuirasse, qui à cette unique pensée s'ôta spontanément de son corps pour aller trouver refuge aux confins des nombreuses pièces qu'abritait cette immense bâtisse.

Les tréfonds de ce castel étaient on ne peut plus nombreux : il lui faudrait des heures pour tout visiter. Et il n'avait pas la tête à s'y affairer présentement. Aussi se contenta-t-il de profiter d'être soulagé du poids de sa tenue de travail pour s'avancer sur le tapis rouge déroulé à ses pieds qui semblait n'attendre que lui, et le foula dans une nouvelle once de contentement. Tout ici était fait pour être à sa convenance ; à croire que l'on avait bâti cet endroit en fonction de ses goûts. En tout cas, tout le laissait penser. Ragaillardi par cet allègement soudain, il gravit sans se presser les marches qui s'étendaient devant lui en deux escaliers distincts, chacun menant à l'étage supérieur où s'était réfugié son bien le plus précieux une fois désassemblé de son maître, celui qu'il devait protéger de toute sa robustesse d'armure sacrée... Ou plutôt corrompue, dans le présent cas. Légèrement usé par les péripéties de ce jour, le légionnaire d'antan n'aspirait qu'à se reposer en profitant de tout le confort mis à sa disposition par le don de ces appartements où il se sentait déjà comme chez lui malgré sa très récente entrée. Aussi, son soulagement fut perceptible lorsqu'il découvrit un siège majestueux l'attendant depuis toujours au côté de la place où son armure avait pris place, sagement, bien que semblable à une gigantesque statue d'obsidienne érigée en gardienne de cette place. Sans même attendre ou se poser de question, celui qui fut l'Astre du Rêve alla s'y vautrer dans le but avoué d'y paresser. Fermant les yeux, il se laissa aller à sa fatigue croissante en un soupir d'allégresse après avoir effleuré du bout des doigts la surface de sa protection rutilante, bien que ne l'étant pas encore assez à son goût. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais il ne pouvait pas s'attendre à ce que...

Vous, là ! Que faites-vous là ?! Vous n'avez rien à faire sur le trône de Maître Mi...

Cet ennuyeux vermisseau fut arrêté dans sa tirade par l'extension d'un fil de plus, qui alla directement couper court à son discours en lui sectionnant la gorge d'un coup sec, le tuant sur le coup. Affalé sur le marbre dont était fait le sol, il se vida de son hémoglobine dans une risible série de borborygmes, laissé à l'agonie par l'être cruel et sans pitié qui venait de prendre place. Plus que la dépouille, ce que regarda Alessio furent ses doigts, auxquels il fit exercer quelques flexions. Supprimer une personne était donc si facile ? Il était vrai qu'il en avait déjà eu bon aperçu par le passé, tant en tant que Djinn que lorsqu'il sillonnait les champs de bataille les plus sanglants auprès de ses frères d'armes sous les ordres de centurions anonymes... Mais cela dépassait maintenant l'entendement. Sans lui faire peur, sa force n'en était pas moins imposante, l'impressionnant lui-même. Il avait cru pouvoir en deviner toute la taille mais s'était manifestement trompé et le découvrait avec stupeur, en plus d'un délice qu'il peinait à dissimuler en regardant se rétracter la ficelle de cosmos qu'il avait utilisée pour se débarrasser de ce gêneur. Néanmoins, les quelques mots qu'il avait eu le temps de prononcer avant qu'on ne l'arrête à son insu lui firent arquer un sourcil, bien que celui-ci accompagne immédiatement après son semblable en un froncement distinct alors qu'une seconde apparition était anticipée par le maître des lieux. Sans attendre, il déploya à nouveau cette arme faite sienne par l'héritage de ce brillant équipement et se saisit du bras droit du deuxième à venir, sans pour autant le couper. Peut-être se montrerait-il plus malin que son comparse et saurait-il justifier son introduction au sein du palace. Le Juge saurait se montrer d'humeur clémente si ce déchet daignait lui quémander d'épargner sa vie... Quoique.

C'est impossible ! Tonitrua le captif, visiblement outré tant d'être fait comme un rat que de voir le romain à cet emplacement. Seul le Roi Minos est autorisé à s'asseoir en ces lieux ! Comment se fait-il qu'une âme errante telle que vous puisse...!

Le doigt que tendit Alessio en direction du lourd surplis dont il s'était débarrassé à son arrivée fit ravaler ses paroles à celui qui, d'après son allure, n'était au final qu'un domestique bien qu'il porte lui aussi les couleurs d'Hadès et de son obscure armée. Ainsi, outre le fait de pouvoir donner des ordres à la très grande majorité des soudards démoniaques, certains devaient même lui jurer allégeance en toute loyauté et être à son service en permanence ? Que voilà une intéressante nouvelle. Laissant le semblant de majordome qu'il avait happé reprendre ses esprits – et une posture moins grotesque que celle qu'il l'obligeait à tenir grâce à sa prise – en ôtant sa pression indirecte, le Griffon ne prit même pas la peine de le détailler. Il aurait tout à loisir de le faire quand cela l'indifférerait moins qu'actuellement. Fermement posé sur l'accoudoir en or massif de son royal fauteuil, il soutint sa tête d'une paume tendue vers le haut n'attendant qu'elle alors qu'un fin sourire bardé de malice se dessinait sur son visage juvénile, faisant enfler en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire le malaise suffocant qui avait pris possession de cette main d'œuvre inespérée. Au diable ses envies de solitude. Puisque ce zélé serviteur était là et comprenait enfin à qui il avait affaire, mieux valait l'exploiter que l'oblitérer comme cela avait été le cas de son collègue – c'était déjà un stupide gâchis, mais réparer ce malentendu paraissait bien ardu maintenant qu'il baignait dans une flaque carmin on ne peut plus significative de son état. Tant pis, il faudrait faire avec, et ce même si cela devait vouloir dire confier deux fois plus de travail au survivant.

Me suis-je bien fait comprendre ?

Le Spectre de compagnie qui lui avait été consigné acquiesça, parcouru d'un frisson en entendant cette voix plus glacées que les confins des terres gelées de l'Arctique. Que tout cela allait être amusant... Effleurant sa joue du pouce, le nouvellement promu approfondit sa connaissance du physique relativement ingrat de ce vassal au visage taillé à la serpe. Le comble du ridicule était sans doute la moustache grisonnante qui avait pris place sous son nez, allant à merveille avec la paire de lorgnons posée sur son nez aquilin. Le moins que l'on puisse en dire était qu'il avait le physique de l'emploi. Et alors qu'il le tenait en joue d'un simple regard, lui inspirait à l'évidence une terreur sans borne, le lancier de jadis faisait monter son amusement personnel en énumérant mentalement les nombreux devoirs qu'il allait s'empresser de lui assigner afin de finir de l'assujettir dans le labeur et la douleur – sans trop tomber dans l'excès, même si c'était trop en demander à un psychopathe en puissance tel qu'il pouvait l'être maintenant qu'il avait succombé à l'ivresse ressentie en voyant ce territoire qui ne faisait que raviver les braises d'une folie des grandeurs qui, maintenant, ne pourrait guère plus s'éteindre alors qu'elle brûlait plus que jamais auparavant. Pour le meilleur comme pour le pire. Mais alors qu'il s'apprêtait à envisager les pires supplices, l'ex-Djinn se souvint des paroles du Dieu de la Mort lors de son départ de la Porte et retint un grognement de mécontentement. Son repos ne serait pas pour tout de suite, à l'évidence, et ce n'était pas pour lui plaire : la contrariété lisible sur ses traits le démontrait on ne peut mieux. Se levant pratiquement d'un bond, il appela à lui son vêtement n'attendant que son ordre pour le protéger une fois de plus, alors qu'il lâchait quelques dernières paroles tout en se dirigeant hâtivement vers la sortie qu'il venait pourtant à peine de franchir. Sa découverte serait pour plus tard... À son plus grand dam. Passant à côté du sbire, il désigna la flaque à l'odeur cuivrée teintant le sol de sa taille croissante, avec une moue emplie de dégoût.

Ah. En guise de première corvée, vous serez prié de nettoyer ceci. J'ai horreur de voir des ordures traîner chez moi !

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••• Cinquième Prison : Prison des Tombes de Feu.