[FB An -366] Choisis bien ta mise [PV Alessio]

A Constantinople, la fête des Vendanges faisait écho dans la plus parfaite harmonie. Citadins comme militaires, enfants comme adultes oubliaient les soucis et leurs morts au nom d'un avenir plus glorieux. Dans l'un des Palais principaux de la ville, une porte s'entrouvrit. Doucement. Bruyamment. Deux silhouettes s'avançaient dans cette petite foule, esquivant dames et armures en leur sillage. Parmi ces convives fortunés, quelques regards s'échangèrent, incrédules.

L'exotisme des deux jeunes gens arborait un magnétisme insolent maintenant que l'un des généraux de la dernière guerre s'avançait vers eux. Sa peau un peu plus sombre que la moyenne, et son regard azur contrastait avec la soie de sa robe lumineuse, mais typique du pays. Sur les tables, le vin coulait encore à flots et les sujets de conversations se faisaient nombreux dans les airs.

"Ah, Nephtys, vous voilà très chère !"

Interpellée, Nephtys reconnut sans mal la voix de son interlocuteur. C'était celle d'un des proches de Procope, chargé de la conquête de Thrace. Grand, bourru et fier comme un lion, il n'avait jamais été connu pour sa patience. Déjà, ses grandes mains s'emparèrent automatiquement des siennes. Son rire gras ne l'aidait d'ailleurs pas à montrer une meilleure facette de lui-même. Sa fonction militaire était de celle à prendre les choses avec parfois un peu de légèreté, quand il en avait l'occasion.

"Pendant un moment, j'ai bien cru que vous ne viendriez plus. Les embûches sur le chemin de Constantinople ne sont hélas plus si rares maintenant. Et...il aurait été dommage de ne pas être témoin d'un si grand talent. Général, voici Nephtys, la Voix d'Or de l'Empire oriental.  Nephtys, voici le Général Evgrius Bardanes.
- Oh, tout le plaisir est pour moi ! Un sourire naquit sur ses lèvres, avant de présenter l'homme à ses côtés. "Flavius, mon cousin.", mentit-elle sans ciller.

A quoi bon s'embêter ? Cette ville n’était pas importante. Elle ne relevait de rien ; une pincée de sel et de larmes dans cette tambouille qu’ils qualifiaient d’univers. N'en déplaise à ce général bien trop enthousiaste pour son propre bien...Savait-il seulement qu'il suivait aveuglément un usurpateur ?

"Enfin, ça m'aurait surpris de vous savoir bloquer. Même si Valens est parvenu à s'attirer les bonnes grâces du ministre Salluste, Procope est sur la bonne voix avec la prise de nos trois provinces. Bien évidemment, même si la guerre n'est pas encore totalement terminée, nous avons déjà une victoire à célébrer, dans le fond ! L'incapable va sauter bientôt, c'est moi qui vous le dit !
- Hmmm, oui, si vous le dîtes. J'espère que cela n'affectera pas Constantinople. Voilà qui aurait de quoi m'inquiéter...Si je ne me voyais pas dans l'obligation de vous féliciter tout d'abord pour la reprise des dernières régions. La popularité de Procope ne cessera pas de m'étonner."

Ou peut-être était-ce l'impopularité de son rival qui la faisait sourire ? Les fils de la politique étaient à l'image de cette conversation : des mots d'échanges, des compliments papillonnant, le tout saupoudré de quelques fausses promesses tisser sans lendemain. De quoi la faire frissonner intérieurement. Leur échange touchant à sa fin, la jeune femme le salua une dernière fois avant de s'éloigner vers l'une des tables du lieu.

"Bon... Ce n'est pas les hommes qui manquent ici-même. Je ne suis pas certaine que nous aurons l'occasion de nous reparler d'ici quelques minutes, Flavius. Les byzantins sont plutôt...bavards."

Mains jointes, l'étoile de la Bête fit volte face face à son second, mutine.  Ses lèvres se suspendirent aussitôt, pesant le poids de ses mots. Bien que l'immense salle du palais se faisait infiniment intimidante, la jeune femme conservait ses allures pétillantes dans sa stola byzantine. Au loin, quelques autres convives la saluèrent, un geste que la Belle leur rendit poliment. Sa présence était synonyme de festivité. Toutes ces femmes, tous ces hommes rêvaient seulement de se perdre dans sa voix, dans ses sons, dans ses paroles qu'ils croyaient leur être personnellement destinés depuis maintenant...Ô ! Plusieurs siècles au moins.

"Flavius ? Tu sais quoi ?, demanda-t-elle, sybilline.
- Non mais tu vas me le dire !, fit-il, sursautant un bref instant alors que ses lèvres venaient tout juste de se poser sur le bord d'une coupe qu'il venait de dérober elle-ne-savait-où.
- Je crois que nous sommes arrivés à un moment crucial et qu'il est un peu tard pour prendre ses jambes à son cou. Alors, autant réapprendre à vivre dans cette politique et à agir en conséquence." Une seconde de réflexion s'envola. Au mieux, le prix d'un récapitulatif soufflé sur le bout des lèvres. "Voyons voir...D'un côté, nous avons Valens l'impopulaire. Et de l'autre, Procope l'opportuniste. Oh, je sais, actuellement Procope semble l'emporter mais il est toujours bon d'avoir un avis différent...Sur qui placeras-tu ta mise ?

En un sourire épanouis, Nephtys ferma les yeux. La Spectre était dans son élément. Il suffisait qu'elle tende l'oreille. Ces petits murmures étaient un canevas fourmillant d'un million d'idées et de prouesses. Imaginez seulement être témoin d'une succession de petites vies dans une trop grande existence. Par chance, votre sujet débutera avec un peu d'ambition et de détermination.  Malgré les obstacles, son travail paiera et il détiendra entre ses mains une victoire. Mais pas n'importe laquelle : sa victoire. Le parfum de l'apogée ayant un charme authentique qu'on lui accorde volontiers -la rançon de la gloire pour des efforts inespérés-, on ne peut qu'accueillir à nouveau chez soi qu'un menton haut pour diriger une petite famille, une ville, une armée, voire un Empire. Pour inspirer confiance, aussi. Partager ses idées novatrices. Ces principes-là se vendent bien, intemporelles mais pourtant abrégées par la rivalité et l'échec. Tout se jouait alors à cet instant précis.

Certains se relevaient.
D'autres non.

Cela divertissait grandement Nephtys.

Oui, sur qui placerait-elle une pièce ?

"Enfin, peut-être as-tu besoin d'un peu de temps avant de prendre une décision. Songe à écrire pour moi deux, ou peut-être même trois lignes sur notre ami, ce soir. Je veux en garder une trace, maintenant que j'y suis."

Le ton impératif de sa voix n'y changea rien. Sa main fit un léger signe en direction du messager à ses côtés, son index se courbant avec une infinie légèreté. Flavius lui fit un clin d’œil entendu, continuant à jouer avec le manche de son sabre. Il se voyait déjà sur une table, à s'empresser de griffer un parchemin de sa plume, à mélanger l'encre en quelques lettres et expressions latines.  Seulement, quelques regards hostiles dardaient leurs deux petites silhouettes. Il ne pouvait pas se permettre de relâcher son attention. En ces temps tumultueux, il ne faisait pas bon d'être étrangers. La cantatrice qui l'accompagnait en avait-elle seulement conscience ?

"Mais nul doute que nous serons accompagnés, en bien comme en mal. Les jours suivants risquent d'être particulièrement agités, entre nous."

Son regard semblait toujours percevoir une forme d'inspiration dans ces futures drames. Alors, calice à la main, emmitouflée dans un voile de soie coûteux, Nephtys observait.