FLASH-BACK A la recherche d'une sirène (pv Marja Celestyna)

Ainsi, la colère des Puissants frappa le Monde de sa faux illusionnée ; l’Empire Céleste grondait, la Terre s’enflammait et les Océans tourmentaient. Adagio, des étendues teintées d’un insondable obscur, tant est si bien que nul Ordinaire ne discernait les enjeux de cette nouvelle partie d’échecs ; mussé dans les ténèbres, le fou prenait place sur le plateau, semant la haine dans son sillage.

Museau vagabond furetait, deçà-delà, humait les fragrances entrelacées, s’interrompit lorsqu’il parvint à l’horizon ; le sol tremblait, engendrait les prémices d’une variation destructrice. Quelque chose se produisait, assurément, mais, forte de toute son impuissance, l’Éveillée ne pouvait qu’espérer. Espérer, continuer, progresser. Et, pour unique rassurance, conserver la conviction que chacune des âmes qui logeaient ici-bas ne quitterait aucun de leurs corps.

Un soupir surmontant la barrière des lippes contractées ; d’ores et déjà les orbes azurés quittèrent leur point d’ancrage pour mieux reprendre leur trajet. Rebrousser chemin si tôt réduirait, sans l’ombre d’un doute, ses maigres efforts à néant. C’est pourquoi, pour l’heure, les certitudes ébranlées n’avaient guère leur place au sein de cette quête. Évanouies les craintes, enfermées les réticences, dissimulés les doutes : l’ambition et la confiance s’avéraient essentielles pour arriver, peut-être, à parfaire cet interminable entraînement. Et qu’importait la réalité de telles notions, tout cela ne représentait que de chimériques croyances.

Un silence, une blancheur presque pure et la beauté ; les contrées glaciales de l’Est, régions d’une enfance avortée, se trouvaient désormais à portée de mains. Vraisemblablement aurait-elle souhaité crier vengeance, maudire comme l’on répandrait la mort. Toutefois, nulle haine ne berçait ses pensées ; il n’en subsistait que des regrets. Une destination qui n’était guère la sienne, mais dont l’important ne résidait pas uniquement à l’arrivée : à contre-gré, un pèlerinage s’effectuait par le biais de ce voyage, remémorant par la même occasion ces paroles autrefois écoutées.

« Savez-vous ce qu’est la mémoire ? C’est la liberté qui permet aux Hommes d’effacer la malveillance et d’amplifier les tendresses, il ne reste nulle trace de leurs échecs. C’est ainsi que l’on reconstitue le passé. »

Une liberté pour certains, une prison aux barreaux inébranlables pour d’autres ; une notion somme toute biaisée, dont la réponse n’avait guère changée, en dépit des années.

— Pauvre con !

Parce que l’on oubliait jamais.

Les fils Coquelicot dès lors camouflés, la demoiselle pénétra dans ce village de pêcheurs aux innombrables souvenirs ; ses pieds n’avaient pourtant jamais foulés cette terre, mais les arômes salés la ramenaient vers sa tendre Łeba. Aimée, et pourtant si détestée. Un paradoxe envoûtant, certes, mais qui ne l’autorisait toutefois pas à rêver.

À pas comptés, elle parcourut le port, les allées, poursuivant vers la forêt teintée de poudrins opalin : pas de témoins, pas d’accidents, pas de contraintes et, surtout, la tranquillité. Une sérénité malgré tout relative.
Un cri, une complainte, comme un écho ; une approche lente débuta alors, tandis que les Aigues-marines scrutaient chaque recoin à la recherche de l’être déboussolé. Englouti par les amas glacés, le mammifère se débattait, essayait tant bien que mal de dégager sa patte du piège posé plus bas. Petit animal apeuré se rebiffait à chaque tentative, chaque approche, chaque main tendue ; il ne comptait pas se laisser dépecer. Épuisé de cette bataille perdue, il cessa cependant tout mouvement, se s'enroula pour ultime protection. Derechef, la paume se dirigea vers son museau recouvert, se posa sur cette fourrure convoitée par ces autres qui détruisent, sans même arquer un sourcil, pour garantir leur propre survie ; dégagé de sa prison de fer, il fût emmitouflé dans un capuchon, puis emmené en ville.

Vidée de sa population, à l’instar d’une ville fantôme, seules les lumières indiquaient que la vie logeaient encore en ces lieux. Cela, et les multitudes de voix criardes qui traversaient la porte de l’auberge. Cette fois encore, un souffle désabusé, preque feutré, avant qu’elle ne l’ouvre d’un coup d’épaule.

— Excusez-moi, est-ce qu’il vous resterait une place pour cette nuit ? Ah, et il me faudrait des vieux tissus et de l’alcool, aussi. Le plus fort que vous ayez...

Pour premier échange, un regard silencieux, dardant tantôt la silhouette pressée, tantôt la chose qui sommeillait dans les bras Ivoire.

— C’est qu'on accepte pas les bestioles, ici. Foutez-donc ça dehors !
— On reste pas longtemps, juste le temps de se réchauffer, de manger quelque chose, et on repart. Si vous aviez des œufs, ou des baies, peut-être...
— Partez.

L'illusion d'une progression, d'un avenir, d'une acceptation.

Spoiler:

Spoiler:

— J’ai eu la chance de naître dans une caravane voyageant sur les terres de magies et de mystères de la grande Perse… Je suis né dans le désert malgré ce que ma porcelaine laisse croire et j’ai passé la moitié de ma vie dans les terres glacées du vieux continent en tant que voyageur afin de découvrir le monde qui s’agrandissait de jour en jour sous mes pieds. Et ne vous en faites pas pour vos manières : c’est moi qui ai oublié les miennes en venant fourrer mon nez dans vos affaires.

Bercé dans le silence, l’esprit tiquait aux mentions ainsi prononcées, ne laissait cependant naître sur les traits humains que les traces d’une vague de neutralité ; l’enfant se dévoilait à la fois conteur et poète ignoré, un Inconnu peut-être en quête d’une oreille. Ou peut-être ne l’était-il pas. Son regard ne se décrochait pour autant pas de son interlocuteur, tant est si bien que l’animal en mordillait sa manche. Un nouveau né en désir d’attention, plus simplement ; restait à déterminer lequel de l’enfant et de l’animal y ressemblait davantage. Malgré tout, en joueuse honnête, Marja fut incapable de retenir un rire, face à cette situation des plus absurdes. Forte de sa maigre autorité, la main se dégagea de la prise de la fouine qui, d’ores et déjà, montrait les dents à la Jacinthe d’Orient, reniflant le morceau qui lui était tendu.

— Oh, non, ne vous inquiétez pas. Sans votre intervention, nous serions encore coincés dans le froid ! Je vois, donc vous venez d’une contrée qui a connu bon nombre de conflits au cours de ces dernières années… J’imagine que le désert apporte son lot de surprises et de splendeurs !

Les lippes cessèrent leur activité, se pincèrent, un instant durant, les orbes célestes se posèrent sur la bestiole qui, plus bas, continuait d’agiter les pattes et les crocs pour agripper le sombre tissu de l’étrangère ;  elle était dotée d’une âme décidément bien capricieuse, cette petite chose. Le bras se releva alors, tapotant du bout du doigt le museau de la créature à maintes reprises.

— Je comprends ce que vous voulez dire, les habitants n’ont l’air que très peu accueillants pour la grande majorité… J’espère que vos proches restés en Perse sont en sécurité et que les Djinns écouteront vos prières.

Un souffle, une attente.

— Pour ma part, je ne suis pas certaine de pouvoir prier quelconque Dieu que ce soit pour qui que ce soit, voyez-vous.

Un grommellement l’interrompit alors ; l’aubergiste s’approchait de la table pour y déposer un peu d’alcool et, sans même un regard, retourna à l’arrière d'un pas appuyé. Le silence s’était, ainsi, imposé de lui-même, estimant que les indésirables n’avaient en rien à connaître les tenants et les aboutissants de leur conversation. De bonne foi, la Polonaise décrocha toutefois un signe de la tête, délaissé de toute réponse. D’un geste, elle déchira sa manche libre pour la tremper dans le liquide ; la prise sur la bête s’intensifia, sans grand espoir cependant.

C’est qu’il était têtu, celui-là.

— C’est exact, par bateau. Vous savez, les mers de Sibérie sont toujours aussi froides et agitées, je pense qu’elles n’ont pas beaucoup changé durant ces dernières années. Cependant, en y repensant, elle me semblait peut-être, comment dire, un peu plus sombre qu’auparavant. Mais bon, les océans sont tellement capricieux qu'il n'y aurait rien d'anormal à cela, j'imagine. Pensez-vous que cela soit en lien avec ce dont vous parliez plus tôt ? À vrai dire, je ne suis pas sûre de comprendre de quel phénomène il est question, mais peut-être pourriez-vous m’en dire plus sur vos observations ?

Cette région, dessinée par l’énergie du garçon, n’était plus un secret. Durant ses jeunes années, en compagnie de l’équipage, Celestyna avait traversé d’innombrables eaux, contemplé de nombreux rivages. Cette maigre représentation, l’animal s’empressa de l’engloutir avec gourmandise. C’est qu’il mordrait, en effet, comme l’on s’y attendrait de la part d’un petit sauvage. S’il faisait preuve de patience, de calme et qu’il se laissait un tant soit peu approché, il ne fallait pour autant pas en abuser. De toute manière, l’heure sonnait au départ. Ils quittèrent ainsi la taverne, déposant la monnaie et sans un regard en arrière, en direction des quais.

Entre marins, ils se comprendraient, se soutiendraient, se rendraient certainement ce service au profit d’un retour, plus tard, lorsque le temps viendra. La Zibeline emmitouflée dans ses bras, la Polonaise guettait l’horizon avec attention, puis releva le menton pour apercevoir l’enfant qui sautait de cordes en cordes, jusqu’à parvenir devant elle. La rescapée grogna aussitôt, surprise de cette apparition, agrippa la main de la jeune femme avec ses crocs. La paupière plissée sous le coup, elle adressa toutefois un sourire plein de chaleur à son compère d’une fois.

Une sorcière des mers, peut-être pourrait-on la percevoir de cette manière, si l’on s’attardait sur les évènements de naguère. Ceux-là même qu’elle tentait désespérément d’oublier, alors même qu’elle se torturait pour de nouveau les rencontrer. Non, de s’assurer qu’ils allaient bien. Tout cela n’avait aucun sens, Marja en avait conscience.

— Je ne pense pas que les diablotins et les sorcières soient si malveillants, s’ils existent. Dans tous les cas, cela ne les empêcheraient pas de recevoir de l’aide, s’ils en ressentaient le besoin au point de se confondre parmi les hommes.

En vérité, cela n’aurait, sans doute, rien changé. Par ce biais, elle le questionnait également sur leurs existences supposées. Qui plus est, elle avait appris à conserver précieusement les secrets, ce qu’elle lui fit comprendre de manière tacite.

— Qu’en pensez-vous ?

Aussi, son regard descendit pour surveiller brièvement l’animal, puis remonta vers son interlocuteur, visiblement mal à l’aise face à tant de paroles douces. Cela faisait bien longtemps que Marja n’avait rien entendu de similaire, peut-être jamais, à bien y réfléchir. Erreur : il appert que l’équipage s’en amusait souvent, à l’époque, mais cela faisait bien longtemps que leurs bougies se sont éteintes.

— C’est que… Pourquoi délaisser ceux que l’on pourrait soutenir… ?

Un murmure qui, toutefois, disparût lorsqu’elle le vit se diriger vers la pointe du bateau, signe qu’ils arrivaient à destination. Furtivement, ses orbes d’azur cherchèrent le capitaine, absorbèrent le mouvement négatif de la tête, puis retournèrent sur la silhouette rousse du jeune homme.

— Le bateau n’ira pas plus loin. Ils ont l’air frileux à l’idée de perdre une barque, mais ils acceptent de nous en prêter une, exceptionnellement… Êtes-vous certain de vouloir vous y rendre seul ?

L’inconnu qui se dessinait devant eux, les risques que le jeunot prendrait, tout cela la taraudait.