Âmes solitaires (FB Perséphone-Orion)

Des semaines à étudier ces maudits manuscrits sans en tirer le moindre bénéfice ! Une fois ma joie initiale d'avoir trouvé un énième grimoire caché dans Jamir envolée, je m'étais attelé à la tâche de traduire les hiéroglyphes qui codaient l'ouvrage, mais ma réussite n'avait fait qu'accroitre ma frustration.
Rien, rien, rien ! Des récits inutiles d'histoires passées sans intérêt... Tant de temps gâché pour rien... Encore.
Suite à ce nouvel échec, mes idées moroses m'avaient conduites à un état dépressif avancé. Sans cesse, le visage de Ahina revenait me hanter, comme le reproche muet mais si vivace de mon inutilité et de ma lâcheté.
Assis sur le rebord de la plus haute terrasse de la tour de Jamir, je contemplais le ciel étoilé, le cœur en sang et des larmes inondant mes joues, sans même que je m'en rende compte. Me jeter du haut de ce surplomb serait si simple, si rapide... Pour moi qui avait affronté et survécu au dieu de la Mort en personne, la brève douleur du trépas ne pouvait qu'être une vague caresse.
Mais mon châtiment était bien loin d'être suffisant. Mourir reviendrait à confier ma punition à d'autres. Or, mon amour pour une déesse et pour mes anciens compagnons d'armes m'obligeaient à m'infliger moi même les tourments de l'exil. Attendre, inlassablement, sans espoir de la revoir un jour.
Peut être un jeune chevalier viendrait-il à moi, dans une quête de réponse ou d'entrainement. Et sans lui dévoiler mon identité et mes crimes, je l'aiderais avant de le renvoyer sauver le monde comme j'avais parfois contribué à le faire ? Même si ma personne ne valait rien, mes connaissances pouvaient encore sauver des vies.
Machinalement, j'étendis mon cosmos dans une aura qui fit naitre un véritable jardin à mesure de son amplitude. Sans un sourire, je cueillis un lys blanc immaculé et le jetais du haut de la tour. Un vent né de ma volonté l'emporta alors dans le lointain, vers le Sanctuaire.
Personne ne la trouverais sur le parvis de mon temple, et même si c'était le cas, comme faire le lien avec moi ?
Je poussais alors un soupir à cœur fendre, et repris mon observation de la voute céleste, au sein de laquelle ma constellation sembla pleurer des larmes de poussière d'étoile. Je sentis alors mon armure d'or apparaitre à mes cotés, et je m'y appuyais comme je l'aurais fait auprès d'une amie fidèle.

 
 

Une sombre présence attira soudainement mon attention.
Placide, mais désormais sur la défensive et pleinement concentré sur cette potentielle menace, je restais de marbre à la vue de la jeune femme qui s'envola jusqu'à moi pour m'apostropher de mon nom.
La vie est faite de surprises, mais là... Elle était de taille.
L'épouse du seigneur des enfers en personne à Jamir ? Je n'aimais vraiment pas cela. Que Perséphone apparaisse ici pour le lieu, ou en raison de ma présence, je devais me montrer prudent.
Le fait qu'une telle divinité se souvienne de moi avait certes un coté flatteur, mais plus encore terrifiant. Toutefois, le visage neutre au possible, je finis par lui répondre avec courtoisie.

Quelques années, en effet, dame Perséphone. Un autre lieu pour une toute autre époque...

Une ère durant laquelle je jouais encore un rôle dans l'avancée de ce monde et dans sa protection. Un temps où j'avais hébergé la conscience et le cosmos d'Athéna, en attendant qu'elle trouve un hôte à se mesure. Ma mélancolie reprit si vite sa légitime place dans mon coeur, que je ne tiquais même pas sous la pique de la fille de Déméter.

Vous savez qu'Athéna serait incapable de se montrer si ingrate. Mon exil est volontaire et nécessaire. Le temps de mes faits d'armes est derrière moi, et votre sœur est aujourd'hui protégée par des Saints de grande valeur.

Simple constat. Fatalité assumée et dénuée de tout regret.
Je m'étais moi même infligé cette solitude douloureuse, et mon ultime fierté restait de savoir ma douce déesse tant aimée sous la protection d'une nouvelle génération prometteuse, ou d'anciens bien plus fiables que moi. De temps à autre, je cédais à la curiosité de promener mes perceptions sur le Sanctuaire, et savoir Ahina en sécurité suffisait à m'apporter mes uniques instants de répit.

Que me vaut le... plaisir de votre visite, reine des enfers ? Ce territoire est sous la tutelle des Saints et j'en suis désormais le gardien.

Point de menace, mais un simple exposé des faits. Je ne chercherais nul conflit avec Perséphone tant qu'elle ne chercherait pas à piller les connaissances présentes dans ce lieu saint. Mais une étrange intuition me soufflait que ce n'était pas là son but premier.

 
 

Les traits d’une parfaite neutralité, je l’écoutais sans interruption, occupé à analyser le moindre de ses mots et intonations. Perséphone respirait la sincérité, mais un vague pressentiment m’empêcha de succomber à ses sirènes. Probablement une antipathie naturelle pour ce qu’elle représentait, car rien dans son comportement n’indiquait une ruse quelconque.
Inutile de me montrer agressif, ou insultant. Si la dame des enfers m’offrait une posture amicale, je n’allais pas la contrarier… Bien au contraire.
Toutefois, ma réserve naturelle s’accrut à l’écoute de sa demande. Voilà donc la raison de sa venue…

Dame Perséphone, même si je ne suis qu’un vulgaire mortel, j’ai tendance à adopter une certaine hauteur de vue et le pragmatisme guide mes décisions, la plupart du temps. Je suis sensible à votre empathie, et croyez bien que je suis même honoré de votre prévenance à mon égard et de votre confiance. Toutefois, vous offrir ce que vous êtes venu chercher, reviendrait à renforcer les enfers, même indirectement. Or, je n’oublie pas que nous sommes en guerre et qu’une fois Lucifer réduit à l’impuissance, vos armées tourneront le regard vers le Sanctuaire. Le savoir de Jamir doit rester à l’abri, j’en suis navré…

Je tournais par réflexe un regard d’excuse sincère vers la divinité. Je n’avais rien contre elle, de personne à personne, mais je n’oubliais pas que sous ses ordres et ceux de son époux, des monstres comme Alessio du Griffon ou Kazuki Silfrid n’attendaient qu’un mot pour frapper celles et ceux qui demeuraient chers à mon cœur.

L’ange déchu est une entité vile et rusée… Je n’ose imaginer les difficultés qu’il vous pose. Mais c’est un être isolé. Tout puissant qu’il soit, vos juges des enfers sont bien assez redoutables pour le contraindre à éviter une confrontation directe. Quant à ses visées, je ne doute pas que Alessio du Griffon et vous-même êtes bien assez intelligents pour l’empêcher de faire trop de mal.

Par ses mots, j’étais sincère. Les forces des enfers m’étaient bien connues, et je pouvais deviner que même Lucifer trouverait fort à faire face au cumul de tant d’atouts. Peut-être que dans un élan de doute, Perséphone prenait-elle la situation avec un peu trop d’inquiétude ? Je me voyais mal la conseiller, de peur de lui apporter un soutien quelconque trop appuyé, mais je pouvais au moins tenter d’apaiser ses craintes. Par respect pour sa gentillesse à mon égard.

Si j’en crois la mythologie, Hadès voue à votre personne un amour au-delà de toute raison. Vous enlevez en défiant votre mère n’était pas un acte anodin, même pour une divinité si puissante que votre époux. En tant que modeste mortel, je m’autorise à vous donner un conseil… Parlez-lui. Ne lui cachez rien, car s’il le découvre cela sera encore pire. Garder un secret peut vite devenir un fardeau terrible, et je ne souhaite cela à personne.

Bien que respectueux, je ressentais une sincère compassion pour cette femme divine, dont je ne pouvais que deviner les affres. Peut-être ne jugerait-elle mon avis que comme du vent, mais au moins j’aurais essayé de lui apporter mon aide en toute bonne foi.

 
 

Ce que je veux ? m’étonnais-je. Rien d’autre que respecter mon serment.

J’avais écouté avec attention le discours de la reine des enfers, et entendu ses arguments et sa détresse, qui semblait sincère. Les motivations réelles de Lucifer m’échappaient toutefois, et défiait à mon sens toute logique. Frapper d’une malédiction quelconque une entité comme Perséphone pouvait non seulement lui mettre à dos Hadès, mais également Déméter, voire Zeus en personne. Pourquoi l’ange déchu prendrait-il un tel risque ? Voir dépérir le printemps était tout sauf un acte discret, et reviendrait au final à favoriser les visées du dieu des enfers, tout en mettant à mal ce que défendait Athéna. Une réflexion que je me hâtais de partager.

Sauf votre respect, dame Perséphone, à vous entendre les humains risquent de devenir les premières victimes des manigances de Lucifer. Que l’ange déchu soit en mesure de vous meurtrir de la sorte me terrorise, mais Hadès ne trouverait-il pas un avantage certain à ce que ce projet s’accomplisse ? J’ai du mal à saisir les motivations et l’intérêt de Lucifer à accomplir un tel plan… En outre, je doute que votre mère puisse tolérer qu’un tel destin ne vous ôte à elle. Car si vous deviez changer à ce point, dame Déméter risquerait d’en souffrir autant que l’humanité…

Oui, plus j’y songeais et moins la logique m’échappait. Mais le risque restait réel, et je ne pouvais l’ignorer. Toutefois, le problème essentiel ne se situait pas là, et je crus bon de couper court aux tentatives de Perséphone de me convaincre de lui offrir un passe-droit qui n’entrait pas dans le champ de mes attributions. Un sourire mélancolique aux lèvres, je tournais un regard navré et compatissant sur la divinité aux abois.

Les règles qui régissent Jamir et les connaissances que la tour recèle datent de la nuit des temps, et mon rôle de gardien consiste à protéger ces savoirs, non à autoriser quiconque à les consulter. Je regrette, mais si je devais outrepasser mes droits, c’est mon serment envers Athéna que je foulerais des pieds. Je n’ai aucune légitimité à décider qui est digne ou non de bénéficier des richesses de ce lieu… Peut-être pourriez-vous convaincre Athéna de vous offrir cet accès ? La situation serait alors tout à fait différente.

La déesse aux yeux pers n’était qu’amour, tolérance et compréhension. J’étais persuadé que si Perséphone lui présentait sa requête comme elle venait de le faire auprès de moi, ma douce Ahina ne pourrait qu’accepter cette exception. Quant à moi, je n’étais qu’un pauvre mortel, un exilé dont l’un des derniers objectifs restait de tenir au mieux son rôle de gardien dévoué. Malgré mon envie sincère d’aider la reine des enfers à soulager ses maux, trahir Ahina m’était parfaitement impossible. Toutefois, une autre possibilité se présenta à mon esprit.

Eventuellement, si vous m’exposez clairement l’information que vous recherchez si ardemment, je pourrais personnellement mener quelques recherches, le temps que vous demandiez une audience à Athéna. Qu’en dites-vous ? Si votre sœur accède à votre demande, je me ferais un plaisir de vous donner les informations convoitées sans que vous n’ayez à pénétrer dans la tour.

Un compromis idéal. A voir ce que la reine des enfers allait décider.

 
 

Silencieux, observateur, je la vis quitter Jamir dans son carrosse, sans réagir.
Face à la pluie de paroles acerbes, de menaces à peine voilées, de jugement à l'emporte pièce, je ne parvins pas à regretter mes propos précédents, empreints de retenue.
Je n'avais pas cédé à ses suppliques, sans pour autant lui fermer la porte au nez. Mais les compromis ne semblaient pas acceptables pour l'épouse d'Hadès. Qu'il en soit ainsi. Selon moi, si Perséphone s'était véritablement trouvée dans une position intenable, elle aurait saisie ma main tendue, au lieu de laisser parler son égo divin.
Depuis que j'avais endossé l'armure d'argent Cristal, des années auparavant, j'avais amplement fréquenté les dieux, bons et mauvais, jusqu'à héberger 'âme divine d'Athéna. Et je commençais à être familiariser avec les turpitudes de leurs égos surdimensionnés.
Ma seule et dernière fierté restait d'être le gardien de ce lieu de sagesse, accumulée par le sang des chevaliers d'Athéna. Souiller leurs sacrifices par naïveté ou excès de confiance aveugle n'aurait pas été acceptable. Que Perséphone me mette tout ce qu'elle voulait sur le dos, je n'en avais cure. J'assumerais, comme je l'avais toujours fait.
Le calme et la quiétude reprirent bien vite leurs droits sur la haute tour de Jamir, et autour de moi chaque fleur avait pris un aspect gelé. La vie venait de céder face au froid de mon cosmos.
Un signe annonciateur ?