Un foyer, enfin.

De toutes les informations qui semblaient vouloir saturer sa réflexion, la disparition complète de la souffrance était la plus notable et surtout la plus appréciable.

L'odeur putride de la clairière parfois balayée par le vent n'était plus de mise. D'ailleurs il lui semblait que rien ne vivait alentours. Pas un bruit. Pas un souffle. Pas un parfum. Du moins la première poignée de seconde. Ce fut comme une décharge vive le long de son échine qui provoqua l'ouverture et de ses paupières et de ses lèvres dans un cri muet. Hébétée, un paysage inconnu se dessinait devant elle. Ni végétation … ni couleurs rappelant les saisons... pas plus d'animal ou de son familiers. Il n'y avait de connu que le visage du tengu à sa droite. Il ne paraissait plus animé d'un souffle de vie impossible, simple pièce de métal trônant au sommet d'un amas du même matériau. Tout était trop surprenant pour qu'elle ne s'y attarde vraiment, baladant son regard dérangeant sur les alentours. Ce n'est qu'a cet instant qu'elle repéra enfin la cohorte des silhouettes se suivant l'une derrière l'autre en une masse compacte. Là bas, au devant des premiers marcheurs, le flux ralentissait face à ce qui devait être un bras d'eau. Sur ce passage que les silhouettes empruntaient, un seul et unique esquif assurait la traversée.

« Je n'imaginais pas l'autre monde de cette façon. » et surtout pas de se sentir aussi vivante après la mort.

Elle ne sursauta pas mais un léger malaise la surpris tandis qu’elle posait de nouveau son regard sur le tengu impassible.

Elle fronça les sourcils, ignorante des légendes autres que celles de son pays de toujours.

Comme engluée, elle s'assit en tailleur face au totem du tengu, écoutant avec sérieux ce qui lui semblait être un être conte exotique. Et pourtant durant le récit dans sa tête elle opinait du chef, attachée à tout comprendre.

Elle hésita un instant puis frôla le métal du bout des doigts. Il n'était ni réellement froid ni si différent d'un métal travaillé pourtant elle ressentait en elle comme une agitation contrastant avec le calme habituel.

Nulle réponse, pas même un frissonnement ne lui parvint.

Cette fois elle était bel et bien perdue dans un milieu inconnu, affublée d'une armure autrefois savante et désormais muette. Tout ce dont elle était sûre c'est qu'elle n'irait pas franchir le fleuve.

Elle en était encore à peser le pour et contre d'un départ de son point de chute et surtout quelle direction adoptée quand ce qu'elle prit pour "quelque chose" vaporisa littéralement le paysage qu'elle avait sous les yeux depuis son arrivée.

Le flot des morts ... les alentours ... ce qui faisait la traversée ... tout avait été détruit sans qu'elle n'en saisisse la raison.

Du moins jusqu'à ce que la raison de ce tumulte ne lui adresse la parole.

Elle n'aurait même pas su dire à quoi il ressemblait tant deux choses saturaient son attention. Ses ailes ... et l'aura écrasante qui émanait de lui. Elle n'avait pas forcément la certitude d'avoir tout compris de ce qu'il avait apporté comme information ni même la nature complète de ce qu'était ce fameux cosmos mais elle ne l'aurait jamais avoué devant lui.

" D'a... d'accord."

Détruire n'était pas forcément le but ultime de sa vision des choses quand bien même la finalité serait la même mais face à cette force irrespirable elle n'allait pas tergiverser.

" Je suis ... Hyujae."

Elle n'était pas terrorisée mais il s'en fallait de peu, voyant en cet homme un des Jeoseung Saja (un des trois Dieux de la mort) ayant habité les contes effrayant de son enfance.

Cet homme... Beaucoup de choses chez lui lui inspirait respect et crainte, notamment cette aura qu'il dégageait. Hyujae déglutit péniblement bien qu'elle put ressentir un fond de bienveillance derrière cette carapace violacée.

Il semblait chercher quelqu'un ou quelque chose et quoi qu'il en soit, il était surtout pressé. Il devait avoir bien mieux à faire qu'à biberonner une novice et ce constat lui mettait moins la pression qu'elle ne faisait naître en elle un sentiment de honte.

Agacée, elle se força à inspirer calmement, se concentrant comme il l'avait demandé.

Entrer en contact avec un surplis, puisque c'était ce nom, était une folie à ceci près qu'elle était bel et bien sûr que le tengu lui avait parlé au début de son séjour ici. Elle se focalisait sur la voix de ce souvenir, suivant son instinct pour s'y accrocher comme Thésée au fil d'Ariane. Toute à son cheminement intérieur elle n'avait pas conscience de la faible lueur épousant sa silhouette peu à peu.

Le juge avait parlé d'une force pour détruire et même si ce n'était pas ainsi qu'elle aurait décrit son objectif, elle commençait à en ressentir la brûlure courant dans ses veines. Derrière ses paupières elle continuait à suivre ce fil de plus en plus lumineux, de plus en plus tangible jusqu'à fusionner avec lui en en éclair fulgurent et irradiant.

Lorsqu'elle ouvrit les yeux, l'armure avec quitté sa forme de socle pour venir la recouvrir et ce simple constat lui aurait arracher un sourire de fierté si l'homme face à elle n'était pas si imposant.

"Et ... et maintenant ?"

Quand son supérieur le plus proche lui avait dit « allons y » elle n'avait pas tout de suite réalisé qu'il n'allait pas prendre le temps de faire le voyage comme un spectre du bas de l'échelle.

Ce type était un rustre. Elle n'était qu'un vulgaire paquet qu'il attrapa sans sommation, décollant dans la seconde. Au début être face au paysage et au vent lui semblait être plus sage vu que son estomac était très désireux de rendre son contenu mais pas seulement. L'échec lui était amer et la sensation de liberté apaisait son esprit bouillonnant de questions sans réponse.

Visiblement ils allaient devoir faire un compte rendu de ce qu'ils venaient d'affronter et de voir alors autant se concentrer sur la chronologie de ce qui s'était passé pour éviter d'être nébuleux à l'arrivée. Avoir perdu au profit de ces orgueilleux personnages qu'étaient les Saints n'avait rien de glorieux, moins encore que de s'être fait avoir par un rusé déguisé en enfant machiavélique. Et que dire de Poséidon...

Elle soupira, sentant son estomac se rebeller encore quant au mode de transport indépendant de sa volonté. Elle ferma les yeux, inspirant à plein poumons l'air pur débarrassé de l'odeur de l'homme ailé au dessus. Ce n'était pas une effluve inhabituelle mais ses plaies et les résidus de ses combats laissaient traîner autour de lui l'odeur reconnaissable et marquée du sang mêlé à la sueur.

Plus sereine, elle entrouvrit les paupières en espérant secrètement découvrir un paysage sans eau, histoire de changer de cet infecte labyrinthe puant les algues et la marée mais peut être aurait elle dû souhaiter surtout une altitude supportable pour un premier vol.

Lui devait être parfaitement habitué puisqu'il filait tout droit sans se soucier du fait qu'ils survolaient un dénivelé à pic, haut d'une centaine de mètre. Avant même qu'elle n'essaie ne serait ce que de se contenir, elle retint un cri en pivotant, s'accrochant à Ryu comme à son dernier espoir.

S'il avait remarqué son vertige, il n'en montra rien, à part peut être une légère descente plus près du sol. Jusqu'à ce qu'ils se posent, elle ne quitta pas le giron ensanglanté du Japonais tout en se jurant qu'elle lui ferait payer cette situation délicate.

Les retrouvailles avec les enfers lui rappelèrent combien s'être lancée à la suite de Kazuki avait était parfaitement inconscient. Sa vie d'humaine était plus proche que cette nouvelle chance et sans la sécurité assurée par les deux supérieurs ailés, malgré ses réflexions au cœur du labyrinthe, elle n'aurait jamais pu rester indemne.

Lorsqu'il lui présenta les lieux elle comprit mieux la raison de sa présence ici. Elle avait toujours été reliée à la mort et aux défunts de par son sacerdoce et les croyances rattachées à ses pupilles. D'ailleurs le nippon volant ne semblait pas attacher une grande importance à ce détail qui avait pourtant diriger une grande partie de sa vie.

Intriguée, elle détourna le visage du paysage pour détailler son supérieur. Il avait l'air de ne pas accuser la fatigue, bien que son surplis et les zones visibles de sa peau continuaient de présenter des plaies.

« Vous devriez peut être soigner ça avant de vous présenter devant Hades-nim non ? »

Elle avait tendu le doigt vers la plaie la plus ouverte, voyant là une opportunité de lui faire payer le malaise du voyage.