Un jardin où se cultive la culpabilité

La clarté du soleil levant me tira de ma semi-torpeur. Le matin, déjà ?
Un jour de plus, quelle importance ?
Nonchalamment, sans vigueur, ni motivation autres que celles de l'habitude, je sortis ma tête du livre dans lequel j'avais fini par m'endormir, et me frottais les yeux. J'avais dû somnoler deux heures, pas davantage. Plongé dans mes recherches sur la mythologie et les guerres ancestrales, je ne ménageais ni mon corps, ni mon esprit depuis des mois. Qui s'en soucierait ? Je pouvais bien périr d'épuisement.
Durant cette période sans joie, ni espoir, j'avais mis en place un emploi du temps ritualisé qui m'empêchait de devenir fou, ou de sombrer dans la mélancolie la plus obscure.
Lever aux aurores, méditation, repas frugal, sortie au marché du village le plus proche une fois par semaine pour me ravitailler, renouvellement de l'eau potable à la source de Jamir à chaque zénith, et étude rigoureuse des textes uniques cachés dans les bibliothèques secrètes ou non. Les anciens résidents étaient de véritables cachotiers, et suivre leurs traces et leurs cachettes nécessitaient un effort régulier. Cette chasse aux écrits demeurait ma seule réelle distraction, tant je m'évertuais à fuir la civilisation et le contact de mon prochain.
Seule exception, à chacune de mes visites, j'aidais les paysans à leurs tâches, en usant au besoin de mes capacités cosmiques. Et en échange, ils m'offraient des victuailles issus des étals du marché.
A la nuit tombante, un livre d'astronomie à la main, j'étudiais les étoiles et leurs courses dans l'espoir de lire l'avenir. Mais même dans ce domaine, mon échec psychologique semblait m'empêcher de me satisfaire de mes progrès.
Lâche, couard, voilà les pensées qui flottaient sans répit dans mon esprit à chaque tentative pour retrouver un semblant d'estime de moi.
Combien de fois avais-je eu la tentation de me jeter du haut de l'à pic de Jamir ou de l'étage le plus élevé de la tour ? Mais, je m'y étais refusé à chaque fois. Non par envie de vivre, mais plutôt pour ne pas fuir mon châtiment. La culpabilité me rongeait, m'aiguillait l'esprit, le coeur sans repos, ni pause. J'avais jadis fui mes compagnons, mes amis, mes responsabilités et la femme que j'aimais. Je devais en payer le prix avant de me présenter devant les juges des enfers, qui à n'en point douter, se feraient un plaisir de me faire vivre une éternité de tourments. Or, je n'étais pas pressé de revoir Alessio et ses turpitudes.

Les pieds pendus au dessus du vide béant, j'observais le ciel étoilé, pour m'appliquer en en dévoiler les annonces et les signes.
Un travail souvent inutile, régulièrement frustrant, mais dont je consignais scrupuleusement les résultats dans un carnet dédié. Un ouvrage que je mettrais en vue le jour où... Ma dernière once de courage s'envolerait.
Amusé par ma propre bêtise, je finis par me rendre compte qu'inconsciemment mon regard se porte vers l'horizon qui mène au Sanctuaire. Le foyer que j'ai trahi mais qui demeurait si cher à mon cœur.
Soudain, une étoile filante attire mon attention.
Les yeux exorbités de surprise, une moue de dépit se dessine lentement sur mes traits alors que je comprends qu'une constellation du Zodiaque vient de perdre l'un de ses représentants.
Le Verseau, l'échanson des dieux, le maitre du froid absolu.
Mes souvenirs me ramènent aussitôt vers Shiyo, mon ami fidèle d'infortune. Un guerrier noble et droit enrôlé de force par Arès, comme moi.
Que penserait-il de moi en cet instant ? Me condamnerait-il lui aussi ? J'en doutais, tant son corps savait être bon sous ses dehors de glace.
Mais l'heure semble grave. La perte d'un chevalier signifie un gardien de moins pour protéger Ahina. Et cette crainte me fait alors prendre conscience d'une erreur de ma part. Une nouvelle, une énième...
Les minutes puis les heures s'égrènent car cette décision est de loin la plus douloureuse. Mais aussi la plus logique. Mon déni est un crime, et je me maudits d'avoir une fois encore manqué à mon devoir le plus élémentaire.
A mesure que ma mélancolie prend le dessus, ma volonté devient fer.
Dans un mouvement de la main, j'invoque alors ma dernière et plus fidèle amie. Cette dernière apparait dans un éclat doré et je fixe un long moment sa splendeur, tout en essayant d'ignorer sa complainte.

Il est temps que je te libère, toi aussi. Pardon de ne pas l'avoir fait plus tôt. Sans toi, je ne serais plus de ce monde depuis longtemps... Ce fut un honneur d'avoir eu le privilège de te porter, même si je me suis montrer indigne de toi.

Une unique larme coule de ma joue glabre lorsque j'oblige mon armure d'or à s'envoler vers mon ancien temple, d'une poussée cosmique. Si un porteur de l'habit sacré du Bélier se présente, je n'ai aucun droit de m'accaparer plus longtemps cette protection que je ne mérite plus.
Je reste alors assis sur le parapet, le regard tourné vers les cieux étoilés, les jambes dans le vide. Et je me rassure, comme tous les soirs, en me répétant que mon châtiment est juste, avant d'adresser une unique prière à celle que hante encore mon coeur.

-> Temple d'Athéna

Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait fait appel au puissant cheval ailé.
Pégase... le sauvage et mythique compagnon au service de Zeus, avait répondu à sa requête immédiatement. Fier et intelligent, sa sagesse dépasse de loin la majorité des Dieux de l'Olympe. Fort, il sait être aussi doux qu'un agneau lorsque l'on sait s'y prendre avec lui.

Lorsqu'elle était enfant, Athéna passait de très longues heures à jouer avec l'animal divin. Elle s'en était fait un précieux ami, et jamais... non jamais... elle ne l'appelait pour rien.
Aujourd'hui, Pégase avait ressenti son trouble. Il avait perçu la peine qui déchirait son coeur, jusqu'au plus profond de son âme. Alors... il était venu. Sans rechigner, sans demander pourquoi... il s'était contenté de lui offrir sa rapidité, la menant là où elle le désirait.

Il vola longtemps... sans ressentir la moindre once de fatigue, sans éprouver la plus petite lassitude.
L'empressement d'Ahina était tel, qu'il semblait les porter tous deux vers l'horizon auquel la jeune femme aspirait plus que tout au monde. Alors... filant aussi vite que le vent, la prodigieuse tour de Jamir fut bientôt en vue au petit matin.

Délicatement, Pégase se pose sur le sol, ses fins sabots clairs foulant la poussière dans un nuage virevoltant autour d'eux.
Ahina fixe longuement la tour d'ivoire, la tour dans laquelle il s'est enfermé tel un paria. Ses lèvres se pincent, ses doigts se referment sur l'épaisse crinière de neige, comme si... comme si elle allait le prier de faire demi-tour, de repartir là d'où ils venaient.
Pourtant elle n'en fera rien, et c'est lourdement, que la jeune femme pose les pieds sur le sol terreux.

Ahina caresse tendrement l'encolure du puissant animal, le remerciant à voix basse de sa gentillesse et de son altruisme. Poussant un hennissement à en réveiller le village voisin, Pégase se cabre majestueusement, comme pour lui souhaiter bonne chance, et s'envole dans le ciel azuré.

Le vent se lève, balayant presque rageusement les pans de la robe immaculée que porte la Divinité des hommes. Ses longs cheveux fouettent son visage, alors que son regard clair fixe obstinément la tour qui se tient à quelques mètres d'elle.

Ses paupières se ferment quelques instants. Une minute... peut être deux...
Puis, lorsqu'elle les rouvre, Ahina prend une profonde inspiration. Sa voix se dégage de sa poitrine avec force et un soupçon de colère. Elle résonne dans le silence pesant de cette aube naissante.

Demeurer ici, hors du temps. Sans malheur, ni joie.
Ou se battre dans un présent incertain mais avec la chance de vivre des moments uniques !

https://www.youtube.com/watch?v=UD-_UHvqf6g&list=RD8nUU39_yvXw&index=8

J'ai perçu son arrivée, et pourtant je reste figé, assis sur mon promontoire. Incapable de penser, d'agir, de trouver la force de l'affronter.
Impossible, c'est un rêve. Un de plus. Combien de fois me suis-je éveillé, les joues baignées de larmes, la main tendue vers un visage qui demeurait prisonnier de mes songes ?
Mais là je suis éveillé, je le sais. Et je veux fuir, partir loin, au delà de ce cosmos si doux, si pur qui me brûle l'âme plus férocement que le soleil d'Apollon à son Zénith ne le ferait sur un corps de chair.
L'espace d'un instant, je prie pour qu'elle vienne me porter un coup fatal. Mais Ahina n'est pas ainsi. Cette compassion, qui n'en est pas une, n'entre pas dans son comportement et son raisonnement.
Alors que j'hésite à lui tourner le dos, le visage masqué par l'ombre de la honte, ses mots résonnent au delà des hauteurs. J'entends chaque syllabe comme si son cosmos les portait, comme si elle les prononçait à mes oreilles. Et là, je sais que l'heure de cette confrontation tant redoutée est venue.
Je me relève alors, le dos droit et le visage fermé. Une inspiration et un vague "merci" à cet horizon qui m'avait jusqu'alors servi de vaillant ami lors de mes nuits d'insomnie.
Je finis par me jeter dans le vide et atterrit au sol avec la grâce de l'ancien chevalier que j'étais. Vêtu de ma seule tunique et de mon écharpe vermeille, je dois faire face au plus grand défi que je n'ai jamais affronté. Même Thanatos n'aurait pu faire peser sur mes épaules une telle pression.
Mes yeux restent figés sur le sol, incapable d'embrasser cette silhouette dont je connais si bien la forme parfaite à mon cœur. Mais Orion du Bélier... Non, Orion le paria, le traitre, doit désormais faire face à son jugement. Et par respect pour celui que je fus jadis, je finis par lever deux iris impassibles vers elle. Et je manque de défaillir.
Tel un vent ardent, je perçois sa vitalité, sa colère, son émotion. Tant de sentiments que je redoute et implore à le fois. D'un œil morne, je constate qu'Athéna se présente sans son sceptre. Dommage, j'aurais tant espéré une telle fin... Fauché, endormi à jamais par la déesse de la Victoire.
Encore bouleversé par les paroles qu'elle m'a adressé, mais incapable de le montrer, je m'avance d'un pas, puis d'un autre. Je me fige alors, et tel le cadavre que je suis intérieurement devenu, m'adresse à elle d'un ton sans vie.

De bien sages paroles... Mais l'homme qui les a proféré jadis est bel et bien mort. Il n'existe plus depuis longtemps.

J'attends alors de voir sa fureur, son outrage légitime se manifester. Je connais Ahina et sa passion. Mes mots doivent lui sembler un mur infranchissable.

De grâce, achève moi... Ne vois plus en moi le héros, le gardien... Pitié... Que mon tourment prenne fin.

Je m'efforce de voir sur ce visage ma déesse. Une immortelle qui n'a que faire d'un fétu de paille tel que moi. Une entité assez pragmatique pour comprendre mon crime et me châtier en conséquence. Mais cette torture semble la pire. Et faible que je suis, je ne distingue qu'Ahina. Et sur mes joues coulent des larmes de sang invisibles.

Les prunelles d'émeraude suivent le bond souple et agile, alors qu'il atterrit à quelques mètres à peine. Sa gorge se serre, son coeur bat à s'en rompre, comme si ses artères allaient céder les unes après les autres, déversant leur flux chaud et rougeâtre sur le sol de Jamir.

Ses longs cheveux... le port de son visage, la blancheur de sa peau... rien n'a changé... Ou plutôt si. Quelque chose a changé. Orion... est brisé. Brisé de l'intérieur. Il n'ose pas, il n'ose plus la regarder. Ses iris qui étaient si beaux, si brillants d'intelligence, fixent la poussière du sol avec honte. Il n'est plus que l'ombre de lui-même...

Les doigts d'Ahina se referment les uns après les autres, jusqu'à former deux poings tremblant de rage, vibrant d'incompréhension.
Il finit néanmoins par relever le visage et ose enfin la regarder dans les yeux. Et ce qu'elle y lit à cet instant... manque de la faire défaillir. Qu'a-t-il bien pu se passer pour qu'il soit dans un tel état...

Ces premiers mots s'échappent de ses lèvres dans un murmure. Lassitude... si las...
Les paupières divines se froissent presque imperceptiblement. Un pas après l'autre, lentement, semblant encore retenue par on ne sait quel étrange sentiment, Ahina finit par briser la distance qui les sépare.

Face à lui, à quelques centimètres à peine, son bras s'élève dans les airs et lui assène une gifle sèche dont les pierres mornes de Jamir se font l'écho. Des pierres aussi éteintes que l'est leur gardien.

Ça c'est pour te rappeler que tu es encore bien vivant.

Son bras retombe lourdement contre son flanc alors qu'elle le dévisage. Ses lèvres tremblent, manifestation silencieuse du grand trouble qui envahit son âme.
Elle reste là, à l'observer, de longues minutes sans mots dire. Ses doigts s'enroulent autour du pendentif d'émeraude qu'elle porte autour du cou et qui ne l'a jamais quittée du jour où il le lui avait offert.

Ses yeux brillants s'embuent de larmes alors que sa main libre vient se poser avec douceur sur la rougeur laissée par la gifle qu'elle lui a assénée quelques minutes auparavant.
Son contact est doux, chaleureux, empli de tout l'amour qu'elle lui porte. Et personne ne peut imaginer... personne ne peut savoir... non... personne ne peut envisager la force de cet amour là. Pas même lui.

Sa main reste posée sur la joue de son Amour, alors que son visage s'affaisse légèrement vers le sol. Ses larmes perlent le long de ses joues, se bousculant en une course effrénée jusqu'à mourir dans la poussière du sol.

Orion... ça suffit maintenant...
Tout cela n'a que trop duré...
Je... je ne sais pas ce que tu cherches à prouver...
Mais... reviens maintenant...
Rentres... rentres à la maison avec moi...

https://www.youtube.com/watch?v=8nUU39_yvXw&index=2&list=PLZtyMLZNA7Rya-ZlDvHf-vNomwkiLkkEJ

J’ignore ce qui me blessa le plus. Sa gifle ou la peine que j’entendais résonner dans sa voix. Son seul contact me semblait la pire des tortures. Mais je refusais de me dérober.
Le peu de courage qu’il me restait s’envola lorsque ses doigts se posèrent sur ma joue meurtrie et que je vis les larmes coulaient sur ce visage tant aimé. Chaque mot, chaque syllabe me frappait aussi durement qu’une volée de dagues. Pourquoi ne comprenait-elle pas ?...
Par réflexe, ma main vint à la rencontre de la sienne, et ce simple contact me fit frissonner. L’espace d’un court instant, je m’autorisais à savourer cette proximité, dont l’absence m’avait sembler une perte plus vitale encore que celle de mon cœur ou de ma capacité à respirer. Je n’avais besoin que d’elle pour vivre, croitre, apprécier chaque moment. C’était jadis vrai, et cela n’avait pas changer. Sous les cendres de mon âme, cet amour ardent, dévoué rejaillit tel un brasier frustré d’avoir été si longtemps contenu, et me consuma de l’intérieur, avivant mes plaies et ma culpabilité.

Je… Je ne peux pas, Ahina.

Que faire ? Fuir ? Non. Alors ne restait plus qu’à espérer trouver les mots pour qu’elle comprenne, qu’elle accepte. Athéna le pourrait peut-être.

Je suis un guerrier. Le défenseur, le gardien du Sanctuaire et de ceux qui y vivent. J’ai pris ma mission à cœur durant des années, et par amour pour eux… et pour toi, j’aurais défié Zeus en personne sans me dérober. Mais quand je suis devenu Grand Pope, tout a changé…

Evoquer ainsi mon trouble et mon sentiment véritable menaçait de me plonger dans une détresse dont je craignais de ne pouvoir jamais ressortir. Mais je devais le faire, le moment était venu d’avouer mon crime à celle que j’aimais plus que tout autre au monde.

Du haut de mon trône doré, j’ai envoyé des Saints à la mort. Des innocents qui se sont heurtés aux pires dangers, pendant que je restais tranquillement en retrait, sous leur protection. La fonction imposait cette situation, mais rapidement j’ai cessé de dormir, j’ai pensé à chacun d’entre eux sans répit. Et j’ai fini par me haïr. Alors j’ai fui, je me suis exilé ici, à Jamir. Et ce faisant, je t’ai trahi… J’ai été indigne de toi et de ta force.

Voilà la vérité crue, enfin extirpée de mon cœur à vif. Moi le puissant chevalier d’or du Bélier, le redouté tueur de dieu, je n’ai pas su accepter que d’autres se confrontent aux dangers dont j’aurais dû les protéger. Quel droit avais-je de décider de leur sort ? Etais-je meilleur qu’eux ? Plus précieux ? Non ! Non ! Je ne suis qu’un homme indigne de décider du destin des autres ! Pourquoi des chevaliers sont-ils morts, alors que je restais vautrer du haut de mon piédestal ?! Je remarquais alors qu’un filet de sang s’était mis à couler de mon poing fermé. Une douleur bien insignifiante.
Comme terrassé par ma propre culpabilité, je tombais à genou, mes larmes se mêlant à celles de mon aimée, dont je n’arrivais pas même à la cheville. Cette volonté que je percevais en elle me renvoyait à ma propre impuissance.

Si je revenais, je ne pourrais jamais regarder les autres chevaliers en face… Pour les anciens, je ne suis qu’un misérable, un lâche et un faible… Et quel modèle pour les nouvelles générations ? Seule ma déchéance actuelle peut leur servir d’exemple à ne pas suivre… Les regrets et les remords ne pourront jamais effacer mes actes inqualifiables… Je… J’ai été incapable de porter ton fardeau… Pardonne-moi…

Le destin d’Athéna était d’envoyer ses chevaliers au-devant des pires dangers, pour une cause noble et pour garantir, au prix de leurs vies, l’avenir des innocents et de l’humanité toute entière. En adoptant le même rôle, j’avais manqué perdre la raison. Face à ma déesse, face à mon seul et unique amour, mon échec à supporter cette culpabilité qu’elle vivait au quotidien n’en devenait que plus féroce. Et je voulus mourir plus que toute autre chose en cet instant. Tel un effet miroir, ma dévotion pour elle semblait me renvoyer une lumière cuisante uniquement capable de souligner mes failles.

Il aura fallu ce simple et bref contact. Juste cela... Sa main se posant doucement sur la sienne.
Ahina extirpe un bref soupir. Bref... mais si libérateur qu'il passera difficilement inaperçu, surtout vu leur proximité de l'instant.

Cela faisait des mois qu'il avait quitté le Sanctuaire Sacré. Des mois interminables... sans nouvelles... sans le moindre signe... si ce n'est cette fleur de neige... un beau matin, mais dont elle ignorait vraiment si elle venait ou non de lui.
De longs jours de silence. Pas une explication. Pas un mot. Rien... le néant absolu.

Alors... Ahina en était-elle arrivée au point où la seule raison qui s'imposait à elle, était que ses sentiments s'étaient étiolés. Pour complètement mourir peut être...
Cela aurait expliqué bien des choses. Cela aurait peut être justifié sa longue absence. Et... en cette explication aurait pu se trouver la raison de son refus de rentrer.
Mais tout cela... toutes ses sombres pensées, volèrent en éclat dès que sa paume se posa sur le dos de sa main.

Elle relève les yeux vers lui, le dévisageant comme si c'était la première fois qu'elle posait le regard sur lui. Comme si... comme si son Amour renaissait une fois encore. Plus fort, plus puissant que jamais.

Orion...

Elle le fixe d'un regard attentif, alors que les larmes qui dévalaient ses joues se tarissent peu à peu. Ce poids enfin évacué de sa poitrine, elle ne se sent pour autant pas mieux, ni plus légère.
La peine laisse la place à l'inquiétude.
Si elle n'est pas en cause... si ça n'est pas de sa faute s'il était parti aussi soudainement... à cause de qui... ou de quoi ?

Quand les mots finissent par s'échapper avec difficulté de sa poitrine, et qu'il entreprend de dévoiler enfin pourquoi, les lèvres de la jeune femme s'entrouvrent de surprise.
Du temps où il était Grand-pope...? Mais quel rapport avec...

Les pensées qui défilent dans son esprit en même temps qu'il s'explique, sont interrompues comme si, à son tour, il venait de lui administrer une puissante gifle.
Sa main délaisse la joue de l'ancien Bélier, son bras retombant lourdement contre son flanc.

Un pas de recul, sans qu'elle ne s'en rende réellement compte.
Son regard semble terrifié. Elle le dévisage comme s'il était le diable incarné. Comme s'il représentait le pire des cauchemars devenu soudainement aussi réel que le sol qu'ils foulent de leurs pieds.

Comment... comment ose-t-il dire ça... lui dire ça... à elle ?!
En une fraction de secondes, son sceptre d'or apparaît au creux de sa main. La lueur qui se dégage alors de la jeune femme ne laisse que peu la place au doute. Elle s'apprête à frapper.

C'est impossible... Cet homme... ne peut pas être Orion. Jamais... non... jamais, il ne serait aussi cruel envers elle. Jamais il n'oserait prononcer les mots qui viennent d'être formulés. Jamais Orion ne pourrait lui jeter le plus grand, le plus infâme de tous ses griefs en plein visage de la sorte.

Jamais... le Bélier d'or ne pourrait envisager une seule seconde de lui rappeler qu'elle assiste, bien trop souvent, à la disparition de ses chevaliers, les uns après les autres, inéluctablement... au gré des années qui s'écoulent. Jamais... Orion n'aurait fait preuve d'autant de méchanceté, d'autant de sadisme, à peine 24h après que le Verseau n'ait perdu la vie... Non... jamais !!!

Elle reste pourtant interdite, sceptre en main, son aura brillante toujours aussi présente.
Lorsqu'il tombe à genoux, les larmes dévalant son visage diaphane, et alors qu'il reprend une nouvelle fois la parole d'un air accablé, le cosmos de la Divinité s'amenuise doucement.
Il finit par disparaitre au même moment que le sceptre d'or.

Un lâche... un faible...

Ces mots sont prononcés d'une voix sombre alors qu'elle le dévisage.
Que les dieux soient remerciés de la présence de la Divine en cet instant. Car ce qu'Ahina serait bien incapable de retenir si elle était seule, elle le peut aujourd'hui après les nombreuses années passées aux côtés de la Divinité des hommes.

Tu as la mémoire bien courte Orion. Ou peut être préfères-tu ne te souvenir que de ce qui t'arrange, afin d'éviter de trouver des raisons, de bonnes raisons, de rentrer...

Elle brise la distance qu'elle avait instaurée malgré elle. Debout, elle baisse les yeux vers Orion.
Son regard se fait plus doux, sa colère... s'amenuise.
Dans un mouvement lent, elle s'agenouille face à lui et saisit son doux visage entre ses paumes. L'obligeant à le relever, elle pose un regard empli de compassion sur son aimé.

As-tu oublié Orion... Tout ce que tu as fait pour le Sanctuaire... Pour l'humanité... pour les autres chevaliers... Grâce à toi, de nombreuses vies ont été sauvées.
Le rôle de Grand-Pope est ingrat... mais aucun être qui choisit de se mettre au service des humains, n'a de position facile, ou enviable.

Avec une infinie délicatesse, ses bras enlacent l'homme qui est et restera à jamais un Chevalier d'or.
Posant sa tête tout contre elle, Ahina caresse doucement ses cheveux du bout des doigts alors qu'elle murmure à son oreille.

Le rôle de Grand-Pope ne convient pas à tout le monde...
Ta plus grande force est aussi ta plus grande faiblesse.
Ton empathie... ton empathie est un don du ciel Orion...
Tu dois continuer de la cultiver... de la faire grandir... elle doit s'épanouir et ne pas devenir le fardeau de ton existence.
Je sais que c'est difficile... mais... je sais aussi que tu peux y arriver.

https://www.youtube.com/watch?v=35zk4MxbZjk&list=PL363F6E174E9059FC&index=19

A mesure que je dévoilais l'étendue du mal qui me rongeait, je la sentis s'éloigner. Je relevais alors des yeux emplis d'incompréhension et lorsque le sceptre sacré apparait, dans sa main gracile, je me résignais à attendre le coup fatal. Je l'ai blessé, je le sais, mais c'était un mal nécessaire. Pour souligner mon échec et sa réussite.
Mais la colère passe. Et elle avale de nouveau la distance qui nous sépare pour me convaincre de revenir prêt d'elle. Au Sanctuaire. Notre proximité me plonge dans un état second, où mon cœur s'illumine malgré moi, sans pour autant dissiper ma souffrance et ma culpabilité.
Ses paroles sont sincères, et je tremble lorsque je comprends enfin qu'Ahina n'avait trouvé comme explication qu'un vulgaire rejet de ma part... Mes excuses, ce complexe que j'ai envers elle... Mon aimée semble ne pas l'avoir entendu. Car c'est bien là le fond du problème.
Oubliant mon émoi et ma peine, je me recule légèrement pour venir placer mon visage à quelques centimètres du sien. Je plonge alors un regard sans voile dans le sien, pour qu'elle puisse lire en moi.

J'ai perdu mon combat contre le seul adversaire qui en valait la peine... Le destin, le tien. Si seulement, tu pouvais comprendre à quel point je t'aime... Mais je ne suis qu'un mortel, faible et couard. J'aurais tant voulu porter ton fardeau, Ahina. Te protéger de tout, pour que tu sois enfin heureuse... Je pensais y arriver en tant que Grand Pope... Mais j'ai échoué.

Lentement, je porte alors mes mains vers son visage pour le rapprocher du mien. Nos lèvres se frôlent, et mon cosmos se met à resplendir de cet amour dont les mots seuls ne sauraient rendre l'hommage.

Tu es Athéna, la déesse de la guerre et de la sagesse. Mais je ne vois en toi qu'Ahina, depuis toujours. Et lorsque la culpabilité a rongé mon âme et que je me suis retrouvé face à mon impuissance à te soutenir, j'ai pris conscience que je te faisais courir un risque... Combien de tes ennemis abuseraient de mes failles pour te frapper, toi ? Je préfère mille fois l'exil plutôt que de craindre de te nuire d'une quelconque façon. Tu... Tu mérites tellement mieux...

Les yeux écarquillés de surprise, je réalise alors que dans ma perte de contrôle, mon cosmos venait de faire naitre un véritable Eden autour de nous. Nous étions désormais au centre de mille fleurs, dans un camaïeu de couleurs et de senteurs délicieuses. Depuis ma venue à Jamir, jamais je n'ai autant créer de vie, moi qui en était l'un des maitres.
C'est alors que mon cosmos se déploie de nouveau, et sur le passage de mon aura grandissante, les pétales deviennent gel, les plantes de véritables diamants de givre. Mais la chaleur de nos sentiments nous protège du froid ambiant. Et je réalise aussitôt, mes yeux dans les siens, la véritable raison de ma fuite.
La culpabilité, oui.
Le sentiment d'être un imposteur, qui aurait dû être au front et n'avait aucun droit d'envoyer d'autre à sa place face au mal, oui.
Mais ma plus grande terreur venait d'une prise de conscience lors de mes affrontements, de mes rencontres face à Thanatos, Lucifer, Kazuki, Arès et tant d'autres. J'étais devenu le point faible d'Athéna. Et à la moindre faiblesse, chacun d'eux pourrait se servir de moi pour lui nuire. Et cela, m'étais insupportable.

En demeurant caché ici, je pouvais bien disparaitre, tu n'en aurais rien su... Mais s'il avait dû m'arriver malheur devant toi, que n'aurais-tu pas fait pour me sauver, Ahina ? J'ai toujours voulu être ta force, ton bouclier, ton appui dans les moments difficiles, et ton soleil dans les meilleurs, comme tu es celle qui illumines mon cœur. Mais face à mes propres turpitudes, j'ai fini par comprendre que je te faisais courir un risque... Et j'ai pris la seule décision qui s'imposait...

La visite récente de Perséphone semblait le révélateur de mes propos. Penser à ce nom me fit grimacer et son image terrifiante se dessina brièvement dans mon esprit, avant que je ne la rejette. Si proche d'Athéna, je devenais son point faible, et un otage idéal. J'avais parfaitement conscience du mal que j'avais fait à mon aimée, mais pour la protéger, j'aurais encore fait bien pire. Terrorisé à l'idée de la perdre, j'avais préféré m'éloigner, sinon de cœur, au moins physiquement. Le comprendrait-elle ou me traiterait-elle d'égoïste et d'imbécile ?

Ses paupières se froissent l'espace d'un instant, alors qu'Orion recule. Et bien qu'ils soient indirectement plus éloignés qu'il y a quelques secondes, la proximité de leurs visages, ses iris de jade plantés dans les siens, la mettent presque mal à l'aise.
Mal à l'aise car elle ressent d'autant plus tout ce qui pèse sur son coeur et tout ce dans quoi il s'enferme. Proximité et éloignement en même temps... Comme si... comme si, depuis son arrivée à jamir, ils passaient leur temps à avancer puis reculer l'instant d'après.

Les sourcils s'arquent, les mâchoires se crispent, alors qu'il achève le premier pamphlet d'une litanie qui promet d'être bien déplaisante. Ses lèvres s'entrouvrent mais aucun son n'en sortira. Lorsque ses paumes se posent sur ses joues, les mots restent coincés au fond de sa gorge.
Son coeur bat à s'en rend rompre, alors que leurs lèvres se frôlent et que le chaleureux et merveilleux cosmos de l'ancien Bélier se propage tendrement autour du couple.

Le regard pers de la Déesse dévie de son Amour sur le jardin d'Eden qui resplendit tout autour d'eux. Un voile de tristesse accable alors ses traits, l'espace de quelques instants.
La pulpe de ses doigts effleure un pétale jaune d'or figé au coeur d'une minuscule pellicule de glace.

Quand les derniers mots passent la barrière des lèvres du jeune homme, c'en est trop. La coupe est pleine.

Dans une infinie lenteur, les mains d'Ahina s'élèvent, ses bras se détachant de ses flancs, et se posent sur le plat des mains d'Orion. D'un mouvement tout aussi lent, à peine moins figé que les fleurs qui les entourent sur des dizaines de mètres à la ronde, elle se crispe sur ses mains, renfermant ses doigts autour d'elles, et les détachent de ses joues.

Le contact se brise.

Tout aussi lentement, elle se relève. Droite, rigide, crispée, ses poings se referment sur eux-même alors que sa longue frange occulte en partie son visage.

Ah tu crois ça...
Orion, tu penses vraiment ce que tu dis ? Tu imagines vraiment que je n'en aurais rien su ?
Et quoi ça s'arrête là ? Tu disparais, tu restes bien à l'abri dans ta tour d'ivoire, avec ton petit égo meurtri, tu laisses les autres se débrouiller sans toi et tout va bien dans le meilleur des mondes ?
Est-ce que tu penses à Milan ? A Altia ? A Angèle ? A tous tes frères d'armes qui n'ont pas compris, qui se sont inquiétés, qui t'ont cherché...? Est-ce que tu penses un peu à... moi ?

Une colère emplie d'incompréhension vibre au creux de sa poitrine.
Bien sûr qu'elle comprend qu'il ait été pris de culpabilité. Bien sûr qu'elle peut parfaitement envisager que tout cela soit très difficile à porter. Mais là où il se trompe... un point essentiel sur lequel il se fourvoie complètement...

Tu n'avais pas, n'as pas et n'auras jamais plus à prendre ma place.
J'endosse ce rôle parce que je le veux bien. C'est ma mission et mon devoir.
Le tien est tout autre, n'est pas celui-ci et ne le sera jamais. Je ne t'ai jamais demandé de porter mon fardeau Orion ! Ne fais pas peser tes décisions et la culpabilité qu'elles entraînent sur mes épaules !
Te nommer Grand-Pope a été une erreur. Pas parce que tu n'en étais pas capable, mais parce que cette place ne te correspond pas. Tu n'étais pas destiné à porter cet habit.
Et ne dis pas que tu n'es qu'un simple mortel. Les humains sont capables de bien des prodiges, encore plus impressionnants et plus beaux que les dieux eux-mêmes. Tu le sais pertinemment sinon tu n'aurais jamais embrassé cette cause.

Ce n'est qu'à ses ultimes mots, qu'Ahina relève enfin le visage vers lui, plongeant ses prunelles brillantes dans les siennes.
Pendant une fraction de secondes elle hésite. Doit-elle prononcer ces mots fatidiques...? Il est probable que ce soit l'enclume qui achève de briser la lame déjà bien fragile. Mais... peut être qu'au contraire cela aura-t-il le mérite de le secouer un peu.
Car l'Orion qui se trouve en face d'elle, n'a rien... non rien... de l'homme qu'elle connaissait auparavant.

Ne sois pas prétentieux Orion.
Oui je t'aime, je t'aime d'une manière inconsidérée, sans doute bien plus fort que ce que tu ne pourras jamais imaginer.
Cependant... ce que je ferai pour toi, je le ferai pour chaque chevalier, chaque être humain que compte cette planète. Et ça, mes ennemis en ont parfaitement conscience.
Me faire du chantage est un plaisir enfantin tellement aisé pour la majeure partie d'entre eux.
Alors... Arrêtes de te trouver des excuses pour ne pas revenir et dis clairement que tu ne le souhaites pas !

Au moment même où elle prononce ces mots, elle les regrette déjà amèrement. Mais peut être étaient-ils nécessaires...
Ahina se détourne de lui, faisant volte face. Lorsqu'elle lui tourne le dos, des larmes perlent le long de ses joues, alors que cela ne se ressentira pour autant pas au fond de sa voix.
Elle n'est ni douce ni sèche. Ni aimable ni colérique. Elle est... morne.

Maintenant excuses-moi mais je dois rentrer au Sanctuaire.
Nous avons eu la visite de Lucifer et lorsque je suis partie Kazuki était à nos portes. Je ne sais pas ce qu'il veut et tu sais comme moi qu'il peut être imprévisible.
Le choix t'appartient, Orion. Si tu tournes le dos définitivement au Sanctuaire, je l'accepterai et je ne chercherai plus jamais à te revoir.

Ces mots... font sans conteste partie des paroles les plus difficiles qu'elle eut à prononcer dans son existence toute entière. Mais elle a des devoirs envers les siens. Quitter la Grèce avec ce qu'il se passait en ce moment, était déjà du pur égoïsme... Elle n'en ferait pas subir d'avantage à ses Chevaliers.

-> Sanctuaire si pas d'interruption.

https://www.youtube.com/watch?v=pS7BE29gB-I

Est-ce que... Je pense à toi ?...

La question me figea aussi surement que le regard de Méduse en personne l'aurait fait. Ahina ne comprenait-elle donc pas que toutes mes pensées, mes envies, craintes, mes désirs tournaient autour d'elle ?
Quand à mes anciens compagnons d'armes, pas un seul jour ne passait sans que je songe à chacun d'entre eux... C'était aussi pour eux, par respect pour eux et par culpabilité pour mon échec à les guider que je m'étais exilé. Mais mon aimée semblait ne pas saisir le fond de mon coeur.
Bien au contraire.
Froide, tranchante, s'il s'était s'agit d'une autre, j'aurais dit cruelle, la déesse Athéna me transperça de mots au sens inaltérable : prétentieux, égocentrique, lâche... Voilà ce que la femme que j'aimais pensait désormais de moi.
Cette révélation, chimère de mes pires cauchemars, me laissa étrangement calme. Je me sentais définitivement vaincu, terrassé, au delà des larmes, de la souffrance et des protestations.

Oui... Tu dois avoir raison...

Des mots à peine murmurés, comme une prière de remerciement pour avoir confirmer tout le mal que je pensais de moi. Le jugement de la sagesse venait de tomber bien plus douloureusement qu'un couperet. Au fond de moi, j'avais secrètement rêvé d'une main tendue pour m'aider à me souvenir de qui j'étais. Et ce fut une gifle que j’obtins en fin de compte.
D'une ultime phrase lancée les yeux dans les yeux, elle m'acheva. Balayant sans pitié les sentiments que j'avais eu tant de mal à dévoiler, Ahina résuma le problème à... un simple caprice d'égo. Ne pas vouloir revenir... Voilà le fond de sa pensée. C'était un vulgaire choix de ma part, indépendant de vulgaires et si pathétiques états d'âme. Et trop brisé pour répondre, je ne pus que garder un silence choqué lorsqu'elle me tourna le dos. La symbolique si forte de ce geste fit céder le barrage de ma retenue, et un sourire mélancolique, vaincu sur mes lèvres, je laissais mes larmes se mettre à couler tel un torrent de sang et de vitalité perdue.
Disparue Ahina, ne restait plus que la déesse. Détachée, pragmatique, sans affect. Elle m'annonça la situation au Sanctuaire et me déclara, sans une once d'émotion, que si je choisissais de demeurer en ce lieu d'exil, cette entrevue serait la dernière.
Soit.
Une dernière révélation me brula les lèvres, mais je la retins. Chaque mot, chaque tentative d'expliquer mes doutes, de dévoiler cette humanité, cette empathie dont je subissais de plein fouet le revers me revenait comme autant d'impitoyables critiques. Un lien vital venait de se briser entre nous et la solitude, l'unique, m'enserra d'une étreinte qui gela mon cœur, et me fit basculer dans une étrange fatalité.
Rester en tant que pénitent en ce lieu, devenu le cercueil de mes espoirs, ne rimerait plus à rien. Cette punition pour mes crimes ne serait pas comprise, c'était désormais une évidence. Brièvement mon regard se porta sur le rebord de la falaise, et sans plus tenir compte de la présence d'Ahina, je m'y dirigeais comme hypnotisé par cette promesse d'une fin rapide de mes tourments. Je restais là, penché vers le vide. Et rien ne vint.
Je ne voulais pas mourir. Pas encore. Servir de jouet à Alessio pour l'éternité pouvait encore attendre. Après avoir perdu mon estime de moi même et ma confiance quelques mois auparavant, je venais de voir s'étioler cet amour dont j'espérais peut être un peu trop. Rien ni personne ne pourrait m'aider, me comprendre.
Ne restait donc qu'à me montrer... utile.
Un outil, une arme ou un bouclier. Si Ahina me jugeait futile, égoïste et prétentieux, autant laisser passer le temps, en espérant qu'il guérisse cette blessure purulente. D'un désespoir trop profond peut jaillir un simple besoin de survivre. Ne rien attendre, juste avancer.
Je ne voulais plus souffrir.
Machinalement, je me tournais une dernière fois vers cette femme tant aimée, mais qui venait de me porter un coup fatal. Je l'avais blessé, c'était évident. Ce serait là mon crime le plus abject et le plus impardonnable.
A ses yeux, je n'étais plus qu'un... humain parmi tant d'autres. Ce serait là le châtiment idéal pour l'avoir déçue et avoir été incapable de me faire comprendre.
Lancer un dernier mot reviendrait à lui fournir une arme de plus avec laquelle me pourfendre. Je gardais donc un silence douloureux, avant de disparaitre dans un éclat d'éclats de glace et de fleurs fanées. Je ne pus toutefois masquer un ultime rictus de désespoir et d'incompréhension et un flot ininterrompu de larmes de sang invisibles sur mes joues.

Le Sanctuaire

Sujet: Re: Un jardin où se cultive la culpabilité

» Retour au jardin
» Bienvenue au Jardin des Enfers !