Entretien entre la Peur et le Porteur de Lumière

Le long sentier qui menait jusqu'au domaine de Phobos était froid, sinistre et lugubre. Un silence glacial régnait ici, un silence brisé uniquement par des craquements inquiétants, troublant le calme apparent des sombres bois qui entouraient le château de la Peur. Ce dernier était semblable à son maître, froid, effrayant, macabre et malsain, mais néanmoins distingué et élégant. Cette forteresse aux pointes acérées et terribles semblaient mordre la nuit, et toiser de sa hauteur d'une impression oppressante les malheureux visiteurs qui auraient le malheur de s'égarer ou de s'aventurer sur ce domaine. Après avoir été escorté par les ombres, les gargouilles sordides semblaient épier les arrivants. Mais Lucifer ici était le bienvenu, et ne craignait rien, quand bien même un être tel que lui saurait craindre un tel environnement. Après tout, il était un des rares proches du fils d'Arès, et qui plus est avec qui il partageait bon nombre de points communs. Quant à Eridan... lui par contre devait ressentir toute l'horreur qui régnait ici et qui n'attendait qu'un instant d'inattention de sa part pour le frapper! 

Les lourdes portes de fer s'ouvrirent à l'approche des deux divinités, le majordome décharné restant discret et silencieux comme un mort. Phobos emmena directement son ami dans sa salle du trône. La pièce était sombre, les murs comme le sol étant fais d'un marbre somptueux et splendide, un marbre qui ne pouvait être que divin. L'impression de marcher dans les ténèbres des abysses les plus profondes était presque palpable. Un fine et froide brume rendait le lieu encore plus obscure. Seul un être tel que Phobos pourrait y trouver plaisir à vivre. De faibles feux follets étaient les seules sources de lumière de cette pièce et le trône de la Peur, semblant tout droit sortir des pires cauchemars de l'Humanité, était ainsi plus sinistre encore. Constitué de formes chimériques et difformes, les regards de ces choses semblaient témoigner que ce trône était vivant. Et les légers gémissements et autres bruits glauques qui en émanaient tendaient à confirmer ce fait. D'un claquement de doigt, le fils d'Arès fit tomber des ténèbres ambiantes une créature ailée superbe, mi humaine mi corbeau, et dont la figure humaine était dénuée de visage. Cette chose se posa face au trône de Phobos, et se figea en prenant la forme d'un siège pour son invité. 

Le regard et la voix de Phobos ne faisait aucun doute sur le plaisir qu'il avait à recevoir Lucifer dans son antre emplies d'horreurs. 

"Hormis le déplorable incident de la dernière fois, cela faisait longtemps que l'on ne s'était vu. Je dois admettre que nos échanges m'ont manqués. Quelle nouvelle apportez vous donc?" 

Le fils d'Arès ne portait pour le moment aucune attention sur le chevalier noir. Il savait que ce dernier ne ferait rien de désobligeant ou de ridicule. Et pour le moment, les raisons de la venue du Porteur de Lumière attisait sa curiosité.

Suivant les divinités, Eridan parvint aux portes du "Temple de Phobos", qui avait davantage l'air d'un domaine à lui tout seul, agrémenté d'un palais, tous deux à la hauteur de son habitant : froid, horrifiant, et pourtant habité d'une sorte de grandeur. La forêt était sombre, semblait morte et pourtant habitée d'êtres étranges, difformes et assoiffées de sang. A moins que ce ne soit les arbres eux-mêmes ? A moins que ce ne soit simplement son imagination ? Eridan suivit les traces du maître des lieux et ne tenta pas de s'écarter du chemin de pierre au-delà duquel régnait la noirceur, l'insondable. Cet endroit lui fichait la chair de poule et il se sentit comme un enfant, la nuit, alors qu'une porte grince et qu'il n'a plus de couverture pour se protéger des maléfices qui rôdent. C'était une peur illogique, irrationnelle et primale, et il dut bander sa volonté pour de pas ralentir sa marche ni se laisser attiré, comme une fascination morbide, par le couvert des arbres.

Arrivés devant la porte de fer, celle-ci s'ouvrit seule, sans mécanisme. Ici régnait aussi la magie. Des statues de monstres ailés semblaient braquer leur regard sur lui, le couvrant de malveillance sans agir, et du coin de l'oeil, il crut sincèrement en avoir vu une bouger. Mais les gargouilles n'existaient pas, pas dans la vraie vie. A moins que ...?

La porte du palais s'ouvrit et un être décharné les accueillit tous trois, les guidant jusque dans une grande salle emplie de noirceur. Le sol, les murs, le plafond - s'il y en avait un - étaient d'un noir de jais. Voire d'un noir cosmique. Étaient-ils seulement encore sur terre, ou bien était-ce un univers parallèle ? Pas d'étoile, rien que l'abîme, et cette brume étrange semblant poursuivre les hôtes, et quelques feu follets faiblards éclairant chichement la salle aux dimensions inconnues. Phobos s'installa naturellement sur un trône fait d'os sombre appartenant à des formes de vie qu'Eridan n'avait jamais soupçonné exister. Le trône semblait l'incarnation de la volonté de son possesseur : sa forme même semblait indéfinie alors qu'il était pourtant fixe, et il évoquait à Eridan quelque monstre antédiluvien, prêt à fondre sur l'impudent qui oserait poser la main sur son maître.

Une créature ailée avala la distance depuis le ciel sombre et le sol sur un claquement de doigt de Phobos. En touchant le sol, il ne restait qu'un riche fauteuil qui donnait l'impression d'aspirer la lumière des feux follets. Alors seulement, ne prenant aucune attention pour Eridan, Phobos entreprit de s'enquérir de son ami, Lucifer. Le chevalier, dans son armure noir, savait déjà qu'il ne serait jamais totalement à l'aise dans un lieu comme celui-ci, et les halètements et autres gémissements rauques appartenant à il ne savait quel monstruosité ne faisait rien pour l'y aider. Mais il croyait au pouvoir de la Peur, et quel meilleur moyen pour la comprendre et s'en servir que de la vivre totalement ? Il resterait, il la ferait sienne, et pour l'heure, il se plaça au côté du trône de Phobos. Son armure noir paraissait presque brillante, vulgaire, en ce lieu, puis se recula de quatre pas, jusqu'à n'être plus qu'une ombre. Il écouterait, il attendrait, ici, dans l'Antre de la Peur.

Phobos écouta avec attention les paroles de l'être divin, aussi déchu soit il. Ainsi, il apportait une information qu'il jugeait d'une grande importance. Sans doute celle ci allait lui être profitable. Et il n'était pas à exclure que Lucifer y trouverait également intérêt. D'autant que ce dernier allait jusqu'à demander une alliance officielle, ainsi que la reconnaissance d'Arès. Ce qui n'était pas rien. Le fils d'Arès était alors intrigué par la teneur de cette fameuse information. Et malgré sa froideur habituelle, il était aisé pour son divin interlocuteur de ressentir son intérêt.

"J'imagine qu'il s'agit véritablement d'une information précieuse que vous nous apportez là, mon cher ami, car vous connaissez les difficultés que rencontrent les autres dieux afin d'obtenir une reconnaissance bien moindre que celle que vous recherchez. Mais heureusement, cela fait bien des siècles que nous nous fréquentons, et je devrais pouvoir vous obtenir une audience auprès de mon Père. Concernant l'acte d'alliance, cela reste de son autorité. Quand bien même je suis la Peur personnifiée, il n'en reste pas moins que le clan est celui d'Arès, le Maître incontesté de la Guerre et des Carnages. Toutefois, j'ai également une nouvelle à vous annoncer, mon ami." 

Les mains de Phobos se croisèrent, avec fermeté, tandis que son regard devint plus acéré encore que la lame la plus fourbe et tranchante qui puisse exister, témoignant d'une grande contrariété longtemps et toujours contenue jusque là.

Sa voix restait froide et presque indifférente. 

Soudain, l'aura si familière de la guerre fit irruption dans le temple d'Arès, et sans attendre, Phobos se leva, l'air davantage ravi, fait effrayant pour le commun des mortels. Eridan observait ici un spectacle sans pareil. La peur incarnée qui semblait presque au comble de la joie, une joie calme, froide et qui ne présageait rien de bon. La voix du dieu était comme le souffle d'un vent froid qui passerait au dessus d'un cimetière au plus profond de la nuit noire.

Un proverbe disait que Prudence était mère de sûreté. Etant donné les mauvaises habitudes de ces chiens fous qu'étaient les berserkers et de ce pathétique Pégase noir, Phobos préférait prendre une précaution ou deux. Il ne souhaitait guère voir ce si intéressant mortel être expédié aux enfers à cause d'une lubie d'un de ces sauvages. D'un geste du doigt, il fit signe à Eridan de prendre congé et d'aller exécuter ses ordres, puis son attention se porta sur Lucifer. 

"Mon ami, c'est votre jour de chance. Mon Père venant de rentrer, je me dois d'aller le rejoindre afin de lui faire le résumé de bon nombre de nouvelles... Je vous invite donc à m'accompagner, car non seulement nous allons pouvoir discuter entre nous tous de cette alliance que vous souhaitez, et à laquelle je ne peut être que favorable, mais vous allez également pouvoir apprécier ce qu'il arrive aux humains qui osent nous manquer de respect. Vous disiez tout à l'heure que ce misérable Ryuken ne valait pas l'intérêt d'être mentionné, pour une fois nos opinions divergent car il représente un manquement de nos troupes concernant nos règles. Et cela, il ne l'a pas encore payé... une mort est loin d'être suffisante au vu de l'affront!" 

Un léger sourire passa sur le visage de la Peur tandis qu'il invitait Lucifer à le suivre.

Eridan était resté dans son coin d'ombre, et la discussion s'était engagée. La divinité déchue avait des informations à communiquer, et souhaitait en tirer avantage? Chose naturelle si il s'agissait bel et bien du Lucifer biblique ! C'était bouleversant de se retrouver ici, en ce lieu, à écouter ces personnes. ... Personnes ? des dieux !

Phobos accéda à sa demande et tout se déroula comme une conversation normale. Lucifer même ne s'était pas étonné de sa présence à lui, un chevalier noir, et ne s'était opposé à sa présence. Cela montrait bien là prestance et la confiance que devaient s'accorder les deux êtres, car les propos qui s'échangeaient là, nul n'aurait certainement dû les entendre.

Alors que le messager serpentaire jouait machinalement avec son doigt nouvellement serti, les yeux braqués sur la Peur incarnée, Phobos se releva et une aura terrible se dégagea soudain de tout son être ! L'obscurité sembla se raffermir et Eridan se sentait comme pris dans un étau invisible plus puissant que des liens psychiques. La peur le maintenait soudain, et une fois de plus il se compara mentalement à ces proies, lapin ou biche insignifiante, clouées sur place devant la menace repérée du chasseur aguerri, ne sachant si elle devait fuir ou rester pétrifiée.

Après les révélations sur Deimos et le camp des Marinas, l'attaque vengeresse contre Poséidon en représailles de ses méfaits, Phobos s'était levé d'un coup. Il fallut donc plusieurs secondes pour comprendre que le domaine avait changé. Tout était différent. Phobos et son univers rayonnaient, et une autre présence écrasante avait fait surface dans le monde des berserkers. Le dieu confirma : Arès était de retour ! et la joie de son fils était la cause de l'immobilisme d'Eridan. L'humain ne retrouva le contrôle de sa respiration que lorsque son maître lui adressa la parole, vissant son regard sombre dans le sien, et en en faisant son héraut.

Alors qu'il se retournait déjà vers son invité, Eridan trouva la force mentale d’obéir à l'ordre donné par son seigneur. Il s'avança jusqu'à se placer entre les deux divinités et s'inclina rapidement devant Phobos, le dos encore raidi par le charisme de ce dernier. "Seigneur Phobos, je vous remercie de faire de moi votre messager. Je pars de ce pas retrouver nos combattants et leur transmettre votre ordre". Ceci dit, il se redressa et pivota vers l'invité de son maître, le saluant également en inclinant le buste rapidement : "Seigneur Lucifer", et partit en direction du domaine qui lui était encore inconnu, rencontrer des compagnons d'armes inconnus, avec la boule au ventre : comment serait-il accueilli ?

>> Calamityyy

C’est avec plaisir que j’aurais pris le temps de m’entretenir avec votre Père. Toutefois, un évènement inattendu m’oblige à prendre congé. Je suis navré de ne pouvoir vous accompagner. J’ose croire que vous transmettrez mes amitiés et mon respect à votre puissant géniteur et à votre frère. Prenez soin de vous, cher Phobos.