Maisons des Poissons, 1508- Tends le doigt Antéros, le rituel va débuter. - Le voici.Je pouvais clairement percevoir cette goutte de sueur suinter sur le visage de mon frère. Il avait peur et avait toutes ses raisons. En tant qu’ainé –d’un an, il devait commencer le rituel et face à Père, ce ne serait pas chose aisée. Il s’agissait de l’épreuve finale. Nous nous rendions bien compte qu’au terme de celle-ci, au moins une personne allait mourir.
Le champ de roses démoniaques frétillait d’impatience. De quel sang allait-il se délecter ? De celui de son vieux maître ou celui du jeune apprenti qu’il connait depuis quinze années ? Ce sang, cadeau que les dieux nous avaient offert. L’effet d’une brise fit virevolter les pétales écarlates autour des deux protagonistes. Décidément, elles étaient assoiffées. De même, j’étais également impatient. Je ne savais pas réellement quelle serait l’issu de cette cérémonie. Père nous avait entraîné chacun de notre côté sans nous laisser l’opportunité de voir qui était capable de quoi.
Vêtu de son armure d’Or, il se coupa finalement le doigt. Antéros fit de même. Le Lien Ecarlate allait débuter. Mon ainé en devenait presque pathétique, son doigt continuait de trembler alors même qu’il n’avait pas atteint celui du Chevalier d’Or des Poissons. Finalement, la connexion était accomplie. J’observais, devant, mon grand frère sur le point de fléchir. Alors c’était son niveau ? Le sang de Pisces Beggerian était hautement corrosif et de toute évidence, largement plus que celui d’Antéros. Cependant, il était de ma famille et se devait d’agir comme tel, c’est pourquoi, pas à un seul moment, il ne cria ou pleura. Mon paternel, quand à lui, ne sourcilla même pas. Fidèle à lui-même, il détruisait l’esprit de son adversaire de son simple regard. Même son entraînement tyrannique n’avait pas fait de son fils un homme. En effet, il ne fallut attendre que cinq petites minutes de plus avant qu’il ne s’écroule par terre. Certaines parties de son visage avaient même flétrie tant le poison de Beggerian était acerbe. C’était vraiment dommage, il avait été un bon frère. Il était celui qui m’avait soigné après les séances aux côtés de Père.
- Tu n’étais donc pas digne de cette armure Antéros, tu n’étais même pas digne de servir Athéna. Tu me déçois. Cependant, je te souhaite de trouver la paix aux Enfers. Peut-être y seras-tu vu à ta juste valeur, dit Pisces d’un ton froid comme le marbre qui l’entourait, Adonis ! Il est temps. Rends-moi fier, fils. Tends le doigt.- Vous avez ma parole, Père. Je saurai vous brûler de l’intérieur !Sans attendre, j’écrasais les fleurs qui jonchaient le sol me coupais le bout de l’index. Le liquide, normalement vital en sortait à petites goutes. Sa teinte, habituellement rouge, avait l’air maintenant pourpre. J’étais devenu un véritable poison pour la race humaine. Je n’hésitais pas. Je n’étais pas comme Antéros. Je suivais l’enseignement de Père à la lettre. Notre condition ne nous permettait pas de nous attacher à la race humaine. Seuls les divins devaient nous préoccuper. C’est pourquoi protéger Athéna était la seule priorité de mon paternel. En particulier alors même que la prochaine Guerre Sainte allait avoir lieu. Avoir un héritier était donc devenu sa priorité. Depuis petits, il nous avait fait baigner tous les deux dans ses roses démoniaques dans le seul but que l’un de nous puisse porter son armure un jour.
Mon sang s’accrocha finalement au sien. Ils s’entremêlaient dans un sordide ballet. Aussi brave était mon visage, je souffrais pourtant. Jamais je n’aurai pu imaginer que de tels maux coulaient dans les veines de ce père que je pensais connaître. Mais moi, jamais au grand jamais je ne tomberai, jamais je ne fléchirai, jamais je ne perdrai. Jamais je ne serai laid. Je pouvais clairement ressentir le sang de Beggerian se faufiler dans mon corps. À vrai dire, même de l’extérieur, la route était clairement visible tant mes vaisseaux sanguins avaient gonflés. Hélas, je ne pouvais juger s’il en était de même pour mon adversaire. Sa cuirasse d’Or le protégeait de tout jugement hâtif. Je ne pouvais me fier qu’à mon instinct à présent et il ne me souhaitait rien de bon. En effet, le temps passait à une allure colossale. La cérémonie semblait durer une éternité. Cela faisait peut-être une heure voire deux que nous échangions nos fluides vitaux. À vrai dire, je n’en savais trop rien. J’avais perdu toute notion du temps. Le poison était si corrosif que je le sentais ronger mes muscles par petits morceaux. Mes jambes tremblaient sous son effet, je ne m’étonnerai pas si je m’écroulais horriblement. Mes lèvres, originellement roses et pulpeuses s’étaient complètement desséchées. Le Roi aux Fleurs, lui continuait de ne fier que mes prunelles azur. Aucune expression n’était visible sur son visage de pierre. Le doute commençait à m’enfumer l’esprit à l’instar de ce sang sinuant aux alentours de mon cerveau. Je me sentais déjà partir et ne devenir qu’un cadavre des plus laids, jetés aux côtés d’Antéros. Etait-ce tout ce que j’étais finalement. Cette envie irrépressible de rompre le lien entre nos deux peaux devenait si intense qu’il allait se réaliser. Mais Père interrompit ma pensée juste avant. Avant même qu’il n’ouvre la bouche, je remarquais un fil trait cramoisi traversé sa lèvre jusqu’à gouter sur son menton.
- Vois-tu Adonis, tu seras seul ! Tu as tout perdu : Antéros et moi-même. Pourras-tu le supporter ? Je te le souhaite car je ne pourrai qu’être plus fier de toi ! Tu as accompli avec brio la Voie des Poissons. Tu as été la Rose la plus empoisonnée de nous deux. Te voilà nouveau Roi des Ronces, seul Seigneur du Sang. Jamais aucun homme ne pourra approcher notre perfection…TA perfection. Tu es voué à ne servir que notre déesse, ne l’oublie pas.- Père, alors vous…Je…J’ai atteint la plus grande majesté, je tremblais encore mais d’allégresse, mes yeux étaient exorbités alors qu’un rire sardonique déformait mon visage, tel un démon empli à la folie, Ah ah..Ah ah…Ah ah ah ah ah ah ! Je n’ai pas perdu ! Mon combat…J’ai gagné mon combat, j’ai atteint une beauté sans faille !- Adonis… Ton sang est ton arme mais ces roses seront tes alliées, tes seules amies ici. Maintenant prend là, tu la mérites plus que moi et reste seul jusqu’au restant de tes jours, voici ta bénédiction !Sur ces mots, Beggerian des Poissons mourut, allongé sur le dos, les yeux ouverts en compagnie de ses fils…et de ses filles, ses fleurs. Son sang s’écoulait à flot autour de lui, formant un cercle parfait, semblable aux roses sur lesquels il reposait.
- Père… Tu m’as tant déçu… Un homme de ta stature devenir aussi laid… Néanmoins, ton histoire restera comptée. Seul les héros immortels ont la plus belle des fins. Finalement, tu n’étais qu’un homme, n’est-ce pas ?Son armure même le quittait, ne le trouvant plus digne. Prenant sa sublime forme totémique, son visage se tourna vers moi, jeune homme de quatorze ans. Je posais ma main fébrile et ensanglantée sur elle. Elle était mienne. Je l’avais choisie. J’étais Adonis des Poissons.
Sanctuaire, 1510Cet entretien avec le Grand Pope ne menait à rien. Cet ancien chevalier du Lion se croyait tout permis depuis qu’il était serti de ce casque ridicule. Je n’avais que faire de ses ordres. Il n’était qu’un humain, tout comme moi. Je n’avais d’obligations qu’envers les immortels. J’avais beau n’être âgé que de seize ans, je savais déjà affirmer mes principes, aussi peu orthodoxes soient-ils aux yeux de certains. Cependant, il n’avait pas tord… Avec la mort des chevaliers de la Vierge, du Cancer et du Capricorne pendant la Guerre Sainte, le Sanctuaire était en grande difficulté. De plus, le Bélier répondait absent comme à son habitude et Gemini et le Taureau étaient tout deux en missions. Quel piètre choix stratégique de la part de Denobola. Lui qui avait prit ses fonctions depuis peu (laissant son ancien temple à l’abandon) n’était pas le plus futé de l’ordre mais il avait été reconnu pour son courage et son don dans l’art du commandement selon ses confrères d’or.
La Guerre touchait à sa fin. À présent que les troupes principales d’Hadès avaient été défaites dans son Royaume, le peu de survivants allaient sûrement attaquer d’un moment où un autre notre Terre. J’avais pour ordre de protéger l’Entrée du Domaine et d’ainsi quitter mon éternel poste dans la Douzième Maison. Il fallait tout de même prendre en compte le fait que le Garuda était toujours vivant –tout du moins, en partie. La mort de trois Chevaliers d’Or avait permis de sceller les dieux Jumeaux. Et j’avais de mon côté attaqué Pandore qui avait misérablement appelé en renfort son Griffon favori. Lui qui portait un énorme potentiel s’était avéré être d’une laideur sans pareil de par sa défaite. Cependant, notre combat aura été l’apothéose du sublime.
Quoi qu’il en soit, à peine arrivé sur les lieux, j’y dressais immédiatement un parterre de mes plus belles roses. Je devais ne laisser entrer personne…
Et pourtant, c’était bien des Silver Saints que je voyais arriver quelques heures plus tard. Ils agonisaient à l’horizon cherchant à fuir quelque chose : des Spectres. Les dernières escouades d’Etoiles Célestes étaient ici.
Trahison.
À leur vue, j’avais tracé mon destin.
Trois jours plus tard, j’étais exécuté. Trois jours. Ma tête avait roulé par terre et ce, de la main du Prêtre d’Athéna.
Trahison.
Je les avais tous tué : Spectres comme Saints. Aucun d’eux ne méritait la vie. Ils étaient tous faibles et il n’y a pas de place pour les faibles dans ce monde. Aucun. Je n’avais aucun remords. Ils avaient fuit, désertés leur poste et leur mission pour se réfugier sous les jupes de Denobola. Il ne méritait aucune clémence. Aussi cruel cela puisse paraître, la loi du plus fort règne en notre monde et du haut de nos « idéaux chevaleresques », nous ne pouvons le nier. Ce n’est pas pour rien si nous ne sommes bons qu’à servir les dieux. Mais ce jour là, Athéna m’avait trahi. Elle que j’avais toujours protégé m’avait laissé mourir. Ils me disaient être un traître ? Je voyais l’inverse.
Cocyte, 1743Deux cents plus tard, un bras cadavérique s’extirpait des glaces éternelles du Cocyte : ma main. J’avais passé deux siècles dans un coma sans nom où toutes sensations de souffrance du genre humain m’étaient infligées une à une et ce, dans un cycle sans fin. Il ne fallut pas longtemps avant que je ne vois que c’était le Monarque des Ombres qui m’avait ressuscité. Selon lui, les temps étaient à la guerre. Les Titans et Arès s’étaient éveillés et ceci ne présageait que de lourds combats dans une Guerre aussi longue que sanglante. Il devait être tombé bien bas pour demander l’aide d’un ancien ennemi pour grossir ses troupes.
Nous avions prêté serment. S’il me laissait vivre dans le corps de mes seize ans afin que je puisse exercer ma vengeance, je servirai également ses pathétiques desseins. Il s’imaginait sûrement avoir un nouveau chien à sa botte. Loin de là… Les actions qu’il avait perpétrées dans mon temps ne montraient en lui qu’un déplorable dirigeant. C’était à peine s’il méritait son titre divin. Toutefois, il avait en ce moment le pouvoir sur moi…Et il ne se dérangeait pas de me le faire sentir, il avait volontairement bridé mes pouvoirs, sachant que même un renégat pouvait être une menace.
Comment osait-il ?! Entraver ma puissance ! Celle-là même qui me permet de m’élever à une esthétique illimitée. La soif de victoire, de combat amène au pouvoir et c’est ce pouvoir qui, par conséquent permet de gravir la Beauté. Je ne tarderai pas à lui faire payer ce coup dur sur ma fierté mais j’avais également mes propres projets…
Tous mes ennemis se noieront dans mon sang.