Tabris, Prêtre des Titans !

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L’Histoire pénétrait dans ce qu’on appelle «l’Âge d’Or» pour certains, une époque de possibilités, de conciles mais surtout… d’intolérance. Ce n’est d’ailleurs pas comme si cela était une nouveauté, de tous temps, les hommes n’ont semblé vivre que pour se faire la guerre. À noter que les persécutions du Saint-Office de l’Inquisition faisaient toujours rage dans le cadre de la chasse aux hérétiques. Dans un des bourgs italiens, une jeune étrangère japonaise traversait les rues anciennes pavées d’un village délabré où les bouseux menaient leur vie dans la ségrégation et le travail manuel. Elle avait bien piètre allure, plusieurs bonnes femmes colportaient des commérages à son sujet !

-“Malheureuse bougresse, c’est une païenne venue d’une île que l’on appelle Cipangu, elle a émigré aux côtés d’un prêcheur qui pensait l’avoir converti et l’a amené au couvent… mais cette catin n’avait d’yeux que pour son désir charnel envers lui alors il l’a chassé !”

N’entendant pas les gloussements des ménages, la jeune femme avançait indifféremment, pieds nus et vêtue de loques dans ce quartier déshérité. Elle sentait qu’au bout de trois mois, son ventre commencait à s’arrondir depuis sa tragique fugue du couvent, ayant été contrainte de satisfaire le désir de celui qu’elle avait suivi par conviction… il a suffi d’une nuit pour la faire renoncer à sa foi. Maintenant la voilà, désespérément seule et enceinte de surcroît, à quoi pouvait-elle encore accorder de l’espérance ? Au fond d’elle, elle voulait lutter et vivre cependant sa condition lui ruinait toute possibilité autre que celle de sauver l’être qui vivait en elle. C’est ainsi qu’au terme de neuf mois à mendier sans relâche, les villageois furent contraints de l’emporter à l’orphelinat le plus proche afin qu’elle mette finalement bas. L’enfantement fut un véritable supplice, les quelques sages femmes se rendirent compte qu’elle nécessitait une césarienne et lui confièrent qu’aucun médecin ne se trouvait à proximité. Anéantie, Rei lâcha son rosaire de sa main moite et annonça selon ses derniers mots qu’elle voulait que son enfant, fille ou garçon, se nomme Kaworu Nagisa. Les vagissements du nouveau-né brisèrent le silence glacé d’un décès, l’orphelin fut séparé du corps de sa mère solennellement emporté à la morgue.

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Quelques années plus tard, au milieu d’un choeur en pleine liturgie, le jeune Kaworu interprétait avec dextérité le «Kyrie Eleison» sur l’orgue de la messe. Son talent n’était plus à démontrer et nombre de prêtres appréciaient ses dons qu’ils disaient: «…venus de Dieu». Si cela ne venait que de lui, Kaworu reflétait toutes les qualités du parfait croyant à la foi aveugle, comme tous les autres orphelins éduqués ici. Il priait et se confessait, respectait l’enseignement catholique et adorait le Seigneur Christ avec une conviction inébranlable. De l’enfance vers le milieu de l’adolescence, il avait pratiqué inlassablement son talent à l’orgue tout en s’initiant au catéchisme et à la vertu chrétienne… cependant au fond de lui, il avait soif de savoir et de connaissance. Kaworu ignorait presque tout de sa vraie identité ainsi que ses origines, tout ce qu’il savait de sa mère était qu’elle fut d’origine asiatique et décéda en accouchant.

-“Suivons la voie du Seigneur Jésus-Christ, fils de Dieu. Lui seul pourra nous sauver de la mort et des ténèbres.”

Beaucoup enviaient sa voix d’orateur, sa sensibilité et sa constance dans ses actes, tous disaient de lui qu’il serait capable de devenir évêque plus tard. Cependant, il en était tout autre pour le principal intéressé, en son for intérieur ce qu’il désirait était de changer de vie et faire tomber les masques. Un désir le poussant rapidement à vouloir s’instruire plus que de raison, pour ceux qui le voyaient il semblait agir selon une attitude de pure sainteté. Mais qu’en pense t-il lui-même ?


Longtemps, il chercha la solution à ce vide pesant entre sa conscience et ses rêves, tout ce qu’il parvint à obtenir au fil des ans ce fut la reconnaissance du clergé ainsi qu’une place aisée au diocèse de Turin. Mettant secrètement de côté tout ce en quoi il était forcé de croire, il se forgea un pseudonyme qui servirait ses intérêts afin de s’instruire et instruire les autres du vrai monde. Sous le nom de plume de «Tabris», l’Ange du Libre-Arbitre dans la Kabbale, il publia sur le marché noir plusieurs essais sur les avancées scientifiques de l’époque, des traités philosophiques et historiques, sans oublier le plus grand pourcentage de récits mythologiques de par le monde. Il continua longtemps cette activité, qui en plus de lui être bénéfique l’était aussi pour les autres, mais ce que Tabris ignorait était jusqu’où l’homme fut capable de pousser l’inhumanité. Ses livres et lecteurs furent traqués par l’Inquisition, les autodafés et avis de recherche menacèrent son nom, quant à lui aussi rongé fut-il par la colère il s’en alla défier ceux qui outrepassaient leurs droits. Pénétrant vêtu et paré de son plus bel ensemble de tout frais Évêque dans les salles d’audience inquisitoriales, il se tint devant les juges en proclamant avec véhémence son apostasie.

-“Vous et vos dogmes maudits ne me ferez plus mentir dorénavant. Je suis Tabris, l’auteur de tous ces ouvrages impies et je maudis votre sacerdoce !”

Une sombre descente vers la mort lui fut appliquée pour cet affront, Kaworu Nagisa alias Tabris devint le symbole de l’infâmie des pays païens dans ce territoire d’Italie. Enchaîné et condamné à un calvaire sans la moindre miséricorde, il fut brûlé vif au pied de la chapelle de Turin.

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-“Nous y voilà très cher Dante, les limbes qui précèdent l'Hadès !” dit Tabris alors qu’il surplombait un immense gouffre béant dans un lieu sinistre où seules des files de morts avancaient.

Il s’en allait de ce monde sans le moindre regret, personne n’eut jamais besoin de lui et lui-même n’avait rien obtenu de la vie qu’un savoir tabou et éphémère… alors tombons ! Une longue chute à travers des ténèbres insondables jusqu’à l’Achéron, son habit d’ancien évêque déchu lui donnait toujours meilleure allure que ses malheureux défunts qu’il plaignait mais n’y pouvait rien, il se devait d’avancer pour enfin trouver la quiétude du néant.

-“Pour la traversée, c’est une obole…”

Relevant son regard vide et épuisé vers le passeur des morts dont il avait maintes fois accordé des passages dans ses écrits, il passa son chemin comme si de rien n’était avec un simple hochement de compréhension envers Charon… étant incapable de le payer. Longeant sans fin la rive des limbes, Tabris désespéra de passer enfin le fleuve du chagrin, n’ayant pas plus de volonté qu’un enfant avec cette opressante aura lugubre du monde souterrain. Ce qu’il voulait était d’atteindre le Léthé afin d’en finir avec ses tourments, sans vraiment réfléchir il plongea alors dans les eaux de l’Achéron en pensant le traverser à la nage. Les cris de terreur emplirent sa gorge quelques mètres loin de la rive, des morts cherchaient à l’entraîner dans leur noyade et ils s’amassaient en centaines sur l’inconscient, qui se débattait au prix de son repos éternel pour leur échapper.

-“Au secours…” s’étrangla t-il faiblement, disparaissant dans l’écume des lamentations.

Et la lumière émergea… de puissantes formes lumineuses octogonales fendirent les eaux, et Tabris remonta au milieu des tourbillons dévastateurs et des morts pris dans la vague torrentielle. Une fois totalement émergé, il demeura incrédule devant une telle sensation de vie et de puissance. Tout son corps émettait un halo de lumière blanche insufflant vitalité et volonté en son être, de plus, le maintenait debout sur la surface de l’Achéron, faisant un pas où chaque contact avec l’eau cristallisait la barrière octogonale protectrice. Son expression retrouva un sourire d’espoir et il courut jusqu’à en perdre haleine vers l’interminable horizon qu’il ne rallia qu’au prix d’une course de plusieurs heures.

Accostant tout prêt de vallées et de fosses, Tabris se dissimula plus d’une fois au milieu de morts en marche pour échapper aux gardiens en armure noire qui ne lui inspiraient pas confiance. La traversée infernale pour le Léthé n’en finissait pas, mais ce sentiment immense qui l’emplissait d’une source d’énergie intarissable semblable au cosmos le galvanisait tant qu’il franchit tous les obstacles sans abandonner ni se faire repérer… il commencait à se douter d’ailleurs que ce bouclier fut bien plus qu’une simple protection, mais quasiment une défense vivante née de son âme elle-même. Rendant sa présence totalement hermétique au monde, le coupant de la réalité si on peut dire et terrorisant les morts qui la ressentait à proximité.

-“Si je ne me trompe pas, ce doit être le fleuve de feu, Pyriphlégéton…”

Le torrent ardent en fusion avait de quoi terrifier, avec un pied hésitant Tabris s’y engagea comme précédemment et fit presque noyer encore plus les morts tourmentés dans cet enfer. Fermant les yeux à cette vue insupportable, il tenta de courir mais sentit son cosmos vaciller d’alerte… puis ce fut la plongée et la réminiscence de son bûcher. Les trois Érinyes firent leur apparition, riant aux éclats de leur acte de cruauté, Tisiphone, la première vint à enfoncer de son pied le supplicié dans le fleuve ardent.

-“Oser interférer ainsi avec l’ordre chthonien n’est point tolérable… JE RÉCLAME VENGEANCE !”

La seconde, Mégère, remonta alors Tabris dont le corps se consumait et se tordait littéralement de douleur et ils se téléportèrent tous vers le Styx, où elle l’envoya s'écraser dans le torrent boueux.

-“Faire passer son salut avant celui des autres est un acte suffisamment égoiste pour mériter… LA HAINE !”

Tabris ne comprit pas un traître mot alors que dans les eaux du Styx, afin que plus jamais le destin ne lui accorde un instant de paix. La dernière, Alecto, vint à l'emporter vers les rives de l’Oubli… le Léthé qui était sa destination initiale et l'étrangla bien haut au-dessus du rivage.

-“Mon jugement ne souffrira d’aucune miséricorde, tu oublieras… ET SERAS ENVOYÉ DANS LE TARTARE !”

Le dernier plongeon avant le retour au néant, Mnémosyne se tut et Hébé s’abreuva… Alecto se dit que cela suffisait et vint à le repêcher mais une force inconnue l’empêcha d’atteindre les eaux. Les trois Érinyes folles furieuses reculèrent devant la menace émergeant du Léthé, le Champ de Terreur Absolue s’étendait plus puissant que jamais telle une vie s’éveillant des entrailles maternelles. Elles voulurent charger l’insolent miraculé remontant sur la rive, auréolé d’un cosmos au summum de ses possibilités mais l’impulsion les expulsa de l’espace vivant.

-“Soyez brisées, furies sans pitié !!”

Tisiphone, Mégère et Alecto ressentirent l’expansion du cosmos inconnu, ainsi qu’une force impressionnante leur vriller les tympans sous la forme d’une symphonie merveilleuse mais emplie d’émotions invoquant Thanatos et Chaos. En proie à une douleur psychique intense, les trois furies en question prirent la fuite en vomissant de rage leurs malédictions et injures envers leur vainqueur. Immuablement figé au milieu des dimensions octogonales, Tabris reposa délicatement le pied au sol, son expression vide de toute émotion, son regard pétrifié témoignaient de l'irrémédiabilité de son sort. Des heures, des jours ou des semaines qui sait... son esprit demeura inerte et désincarné aux rives du Léthé, son Champ de Terreur Absolue le maintenait en permanente sécurité jusqu'au nouveau signe qui annoncera sa vraie renaissance. Les portes du Tartare s'ouvriront pour tous ceux qui ont levé le bras jusqu'aux cieux, mortels ou titans !

Il serait vain de nier la place qu'occupe la dichotomie du bien et du mal dans nos mythes, cette dualité ne pourrait être réfutée bien qu'il y ait toujours des exceptions à la règle. Tout comme l'Ange au pseudonyme qu'il s'est choisi, Tabris a défendu son libre-arbitre jusqu'au point de pouvoir éveiller son cosmos en plein coeur des enfers. Transcender le bien ou le mal n'est pas impossible, tant qu'aucune némésis olympienne ne nous restreint, nous demeurons avant tout les créatures du Titan Prométhée. Des divinités aussi ancestrales que les Titans engrangent certes toutes les émotions vivantes mais les dominent aussi, du fait de l'effet cathartique et psychopurgatif du fleuve Léthé, Tabris se retrouve nimbé d'une félicité naturelle de nouveau-né. Si lui ne peut dire ni quand ni comment il s'est retrouvé sous le prestige sacerdotal de servir les dieux titanesques alors je ne le narrerai pas non plus !