Sujet: Les pieds dans la cendre [Mü - Alessio] Ven 4 Oct - 11:51
Jamir.
Cela faisait longtemps que personne au sein de l'armée des morts n'y avait plus mis les pieds. Quelle raison auraient-ils eu de le faire ? Il n'y avait plus rien à y faire, plus rien à y voir. Rien à part des ruines et des cendres. Lié de près au Sanctuaire, ce lieu sacré avait été parmi les premiers à recevoir la visite des Spectres après leur victoire. Il convenait de s'assurer qu'il ne reste aucune poche de résistance - aucun endroit sûr depuis lequel les survivants et les rescapés pourraient s'organiser, présenter à nouveau un quelconque risque pour l'hégémonie nouvelle du Dieu des Enfers. De même s'étaient-ils ainsi assurés qu'aucune Cloth ne pourrait plus être reconstruite. Que les matières premières nécessaires à leur réparation soient réduites à néant en même temps que ceux qui auraient su quoi en faire.
Les Armures d'Athéna avaient perdu la vie en même temps que la déesse pour devenir d'inertes monceaux de métal, mais cela ne voulait pas dire qu'ils en étaient définitivement débarrassés ; ils ne le seraient qu'après les avoir mises en pièces - et s'être assurés qu'elles le restent. Par conséquent, le peuple de Jamir, seul dépositaire de cet antique savoir-faire, avait été scrupuleusement traqué et tué ; « jusqu'au dernier », avaient affirmé les Spectres en charge de l'opération, bien qu'ils n'aient pu en apporter la preuve. Néanmoins, force était d'admettre qu'en deux siècles et demi, rien n'avait permis de démentir cette version... Jusqu'à ce jour, peut-être.
il se disait que ces forgerons étaient, par leur simple existence, passible d'une condamnation au Cocyte même si jamais de leur vie ils n'avaient pris les armes, tant leur rôle pouvait s'avérer décisif pendant une Guerre Sainte, et ainsi porter atteinte aux dieux eux-mêmes. Et même si ce n'était pas le cas... S'il s'avérait effectivement que l'un d'entre eux avait réussi à passer entre les mailles du filet et était actuellement en train de réparer des Armures à leur nez et à leur barbe - avait réussi à les réanimer d'une quelconque façon malgré l'absence de la déesse -, il n'était pas à exclure qu'Hadès lui-même intervienne pour le jeter aux confins de la Huitième Prison. Le Dieu des Enfers ne saurait tolérer que qui que ce soit - aussi insignifiant soit-il - menace son règne sans partage, et ne manquerait pas de s'en prendre à quiconque l'aurait permis par sa négligence.
En ce jour, un jeune homme - encore qu'il eut été plus juste de parler d'adolescent, au vu de son âge apparent - s'était rendu sur les lieux, luttant contre le relief accidenté et les chemins escarpés pour gagner les sommets. Si la tâche était rude d'ordinaire pour quiconque l'entreprenait, elle l'était plus encore pour lui ; outre son jeune âge, il portait sur son corps des blessures que l'on pouvait attribuer à un combat récent, soignées de façon rudimentaire. Et bien sûr, il y avait la lourde boite en métal qu'il portait sur son dos, encombrant bagage au flanc frappé d'un emblème animalier - l'œil exercé reconnaîtrait une Colombe - dont il ne semblait pas vouloir se défaire. Les vêtements sales et les mains écorchées après avoir dû gravir une falaise seul et sans équipement - la plupart des anciennes routes n'étaient plus accessibles car trop endommagées -, il finit donc par arriver péniblement au bout du parcours ; aux abords de la tour de Jamir - ou de ce qu'il en restait. Peut-être tenait-elle encore debout, mais c'était bien tout ce qu'il lui restait ; toute la vie qui avait pu la parcourir lorsqu'elle était encore habitée n'était plus depuis longtemps. La découvrir ainsi, aussi immense que sinistre, n'avait rien de rassurant, surtout pour qui venait y chercher de l'aide. Était-il vraiment trop tard ? Après avoir pris le temps de l'observer, semblant douter - non sans raison - de l'intérêt d'avoir fait tout ce chemin, le garçon finit par poser au sol le pesant caisson de transport, roulant des épaules pour leur rendre leur mobilité. À l'évidence, il ne repartirait pas avant d'avoir inspecté les lieux d'un peu plus près.
Ohé ? Il y a quelqu'un ? lança-t-il à la cantonade après s'être raclé la gorge, la voix rendue râpeuse par la soif, en quête d'un signe de vie - n'importe lequel.
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Marionnettes et fils malsains... Il n'y a aucun avenir au creux de ma main.
Mû
Chevalier d'or du Bélier
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Sujet: Re: Les pieds dans la cendre [Mü - Alessio] Mer 30 Oct - 19:01
Les pieds dans la cendre
Assis en tailleur dans l'immense salle silencieuse de la tour de Jamir, je laissais mes paupières retomber, maîtrisant lentement, ma respiration. Je m’adonnais aux exercices de méditation que j'ai appris autrefois au temple du Cheval Blanc. Malgré mes efforts, je n'avais jamais pleinement adhéré à leur enseignement. Pourtant, une chose était certaine : certaines pratiques que l'on m'y a transmises m’avaient profondément enrichi, et pas seulement dans le domaine spirituel. Elles m’avaient appris à atteindre des profondeurs de moi-même, à explorer des espaces intérieurs encore insoupçonnés.
En cet instant, je cherchais à faire le vide dans mon esprit, à évacuer les pensées parasites lentes et lourdes, qui s’insinuaient. Mais il me semblait toujours difficile de parvenir à un calme absolu ; le flot des pensées, impérieux, revenait sans cesse m’assaillir. Et parmi elles, un élan de nostalgie me submergea, me ramenant malgré moi à ce jour fatidique où la Cloth du Bélier était apparue pour la première fois dans cette salle, au milieu de la nuit. Elle était venue à moi, sous un manteau doré, guidée par une volonté ancienne, à la recherche de son nouveau porteur. Je revoyais ce moment avec une immense clarté, chaque détail gravé dans ma mémoire. C'était un signe des plus clairs : la Déesse des hommes, protectrice de l’humanité, était de retour dans ce monde, marquant le début d’une nouvelle ère. Depuis lors, cinq années s’étaient écoulées. Cinq années durant lesquelles je m’efforçais d’être digne de cette armure sacrée, d’être le gardien que la déesse avait choisi.
Le monde avait subi de profonds bouleversements depuis cette victoire apparente des armées des Enfers, une victoire dont les stigmates marquaient chaque recoin du monde. À présent, l'Empereur Monarque régnait sans partage, étendant son ombre et sa poigne de fer sur des terres autrefois libres. Sa domination, écrasante et indiscutable, persistait malgré le passage des années. J'observais ce règne tyrannique avec une patience teintée d'irritation, chaque jour plus difficile à contenir. Cependant, je me contraignais au silence, m’interdisant tout affrontement qui pourrait trahir le retour discret de ma déesse et provoquer inévitablement un affrontement avec les spectres d'Hadès.
Le sombre Monarque, enivré par son pouvoir, ignorait encore que son éternelle ennemie, la déesse Athéna, était bel et bien de retour, prête à défier son empire. Et, bien que cette vérité brûlait en moi comme une braise incandescente, je gardais cette précieuse information au plus profond de mon cœur, conscient que la moindre imprudence pourrait raviver une guerre aux conséquences dévastatrices. Je devais toutefois admettre que cette dissimulation me semblait presque naturelle. Autrefois, mon maître et moi étions exercés à l’art du camouflage, invisibles aux yeux et à la barbe de l’armée des morts. Nous vivions dans l’ombre, en retrait, perpétuant une tradition de silence et de retenue, un enseignement qui, aujourd’hui, prenait tout son sens. C’était notre fardeau, notre devoir, de demeurer cachés jusqu’au jour où l’équilibre du monde nécessiterait notre intervention.
La quiétude de ma méditation fut bientôt troublée par un souffle précipité, que j'identifiai rapidement comme étant celui de Kiki. Mon disciple, avec son impulsivité juvénile, vint briser la sérénité de la salle, et, avant même que je n’ouvre les yeux, il m’annonça qu’une présence étrangère approchait de la tour. Sa voix, teintée d’une excitation à peine contenue, m'informa qu'il avait perçu aucune hostilité émanant de cet inconnu et, sur cette seule impression, avait décidé de lever les défenses de Jamir, rendant ainsi la tour visible aux yeux du visiteur. Je rouvris les yeux, masquant un soupir. Son excès de confiance trahissait une précipitation que je m’efforçais de corriger depuis longtemps.
D'un ton ferme mais calme, je lui reprochai ce manque de prudence, lui rappelant qu’en de tels temps, chaque geste devait être mûrement réfléchi. Ses épaules s’affaissèrent légèrement sous le poids de mes paroles, mais il acquiesça sans un mot, le regard baissé, signe qu’il avait compris son erreur. À cet instant, une voix inconnue, un appel étouffé mais déterminé, résonna au pied de la tour. La voix, bien qu'affaiblie, portait une note de détresse qui me poussa, malgré ma méfiance naturelle, à sortir à sa rencontre. Avant de quitter la salle, je posai une main légère sur l'épaule de Kiki, lui signifiant qu’il devait rester à l’intérieur et veiller à ce que rien d’autre ne perturbe la sécurité du lieu. Je m’avançai avec précaution vers le visiteur, conservant une distance prudente. C’est sous des traits différents que je me présentai devant le jeune garçon. Je revêtis une illusion subtile, dissimulant mon apparence, conscient que ma déesse m’avait un jour fait remarquer ma ressemblance frappante avec l’ancien porteur de la Gold Cloth du Bélier. Ne souhaitant pas que ce visage puisse trahir mon allégeance au Sanctuaire, je modifiai mes traits pour effacer toute trace de mon appartenance au peuple de Jamir.
Mon regard se posa sur le jeune homme qui se tenait là, à bout de forces, ses vêtements en loques, révélant un corps marqué par les épreuves récentes. Mais ce qui attira surtout mon attention fut la Cloth qu’il portait avec lui. À la vue de cet étranger en piteux état, je compris aisément la décision de Kiki ; ce dernier avait été touché par cette apparition, sans doute attendri par le spectacle de ce jeune homme abattu. Je laissai planer un instant de silence, évaluant encore chaque détail de son apparence. Un mauvais pressentiment montait en moi, comme si ce que j’observais n'était pas exactement ce qu'il paraissait être. Pourtant, je continuai, feignant la même tranquillité, d'une voix calme et posée.
-Bienvenue au temple du Cheval Blanc, jeune homme, dis-je lentement, mon ton empreint d’une bienveillance détachée, bien que je sache parfaitement qu’il n’avait devant lui qu’une tour, et non ce lieu bouddhiste où j'avais autrefois été initié aux arts martiaux. Il n’avait nul besoin de connaître la véritable nature des lieux, et cette confusion me permettait d’évaluer ses intentions sans lui offrir d’informations inutiles. Je marquai une pause, puis me présentai, appuyant mes mots d’un regard qui perçait au-delà de son apparence.
-On me nomme Maître Shura ! Mon regard parcourut une dernière fois son apparence, puis, sans détours, je poursuivis, dis-moi, qu’est-ce qui t’a mené jusqu’ici dans un tel état et que puis-je faire pour toi ?
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Les pieds dans la cendre [Mü - Alessio]
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