Ahina et Damian venaient de se séparer. Lui partit à sa mission, en quête de Saints qui auraient pu rencontrer les mêmes aléas de comportement qu'eux, elle, se dirigeant vers les profondeurs de son temple.
" Qu'on me laisse seule. Je ne reçois personne jusqu'à nouvel ordre, pas même le Grand Pope. "
Comme souvent, les instructions avaient été dispensées avec amabilité mais non sans fermeté. Athéna avait été très claire, personne n'était autorisé à la déranger tant qu'elle n'en aurait pas levé l'interdiction. Ce qu'elle s'apprêtait à faire ne souffrait d'aucune interruption, aussi importante soit-elle. Pour une fois... les problèmes devraient attendre à la porte. Rien, absolument rien ni personne, ne saurait troubler ce moment.
L'air grave, solennel, Ahina poussa les larges portes qui séparaient ses appartements personnels de la vaste terrasse qui surplombait le Sanctuaire. Elle avait toujours beaucoup aimé cet endroit. La vue était splendide, le panorama des douze maisons s'étendant sous le regard, grandiose. Par temps clair, on pouvait même apercevoir la lumière du soleil se refléter sur la surface brillante de la mer méditerranée au loin.
C'était un endroit paisible, où la déesse aimait se recueillir, appréciait se retrouver seule quand elle en avait l'occasion.
Mais depuis quelques temps... cette terrasse était devenue synonyme de souffrances, de malheur. Depuis qu'elle y avait retrouvé le corps gisant et ensanglanté d'Hevruka... depuis qu'elle avait imposé un entraînement extrêmement cruel à Altia en ces mêmes lieux. Cette terrasse... autrefois son cocon protecteur, sa bulle de réconfort, avait depuis pris le visage d'un endroit maudit entre tous. Sa malédiction, le poids de ses péchés, de ses erreurs, logés au coeur même du Sanctuaire.
Peut être qu'un jour elle y retrouverait la quiétude qu'elle aimait tant. Mais cela ne se produirait pas avant un très long moment...
Une légère brise soufflait sur le sanctuaire, alors qu'elle sentait les doux rayons du soleil couchant réchauffer un peu son épiderme, à défaut de réchauffer la froideur qui enveloppait son coeur. Serrant une urne d'or contre sa poitrine, Ahina posa un genoux en terre, puis le second.
Elle déposa la précieuse urne sur le sol, avant que ses doigts ne viennent dénouer l'épais bandeau noir qui couvrait ses yeux. D'un mouvement léger, elle enroula le bandeau autour de son poignée pour qu'il ne s'envole pas.
Elle prit une grande inspiration, comme pour se donner du courage, puis souleva délicatement le couvercle de l'urne d'or. Presque instantanément, une fine poussière blanchâtre s'éleva de l'intérieur de l'urne. Formant plusieurs volutes de fumée opaque, les cendres se mirent à danser autour de la déesse des hommes, tels des voiles venus d'un autre monde, qui allaient se diriger vers un royaume encore bien différent.
Le cosmos d'or de la déesse auréola doucement son corps, se mêlant à la fine poussière en lévitation. Sous son impulsion, les cendres d'Hevruka se rassemblèrent en plusieurs sphères de poussière sur la terrasse, à quelques centimètres du sol. Elle tournèrent, virevoltantes au gré du cosmos divin qui les entourait, semblait les encourager à se rassembler. Au bout de quelques minutes, une forme se dessinait doucement dans les airs. Chaque sphère s'était doucement mise en place jusqu'à former la constellation des Gémeaux.
Ahina resta face à la constellation protectrice de la 3ème maison du Sanctuaire, comme si elles communiaient l'une avec l'autre. De fines larmes perlèrent le long de ses joues, s'écoulant des paupières closes qui reposaient sur des orbites dénués de vie.
" J'espère que, cette fois, tu auras trouvé la paix... Hevruka. "
Son coeur se serra si fort dans sa poitrine qu'elle en eut le vertige. Malheureusement... elle doutait fort qu'il eut trouvé la paix, car Athéna savait pertinemment ce qu'il arrivait à ceux qui commettent l'irréparable. Jusqu'à la dernière minute... jusqu'à son dernier souffle... Hevruka avait voulu se punir. Se punir de quoi, se punir pourquoi... était-il sans doute le seul à le savoir. L'âme des suicidés ne trouve jamais la paix, il devait en avoir conscience lorsqu'il porta la main contre lui-même.
La constellation s'éleva doucement vers le ciel couchant. Répondant à l'appel de leur soeur, toutes les constellations du Zodiaque se mirent à briller à l'unisson, comme pour accueillir leur compagne au sein du firmament, là où était sa juste place.
Les cendres d'Hevruka rejoignirent la constellation des Gémeaux qui s'illumina brièvement lorsqu'elles entrèrent en contact, avant de retomber dans l'anonymat d'une journée encore trop claire pour percevoir la clarté des étoiles.
Un trait de lumière illumina alors le Sanctuaire, plongeant des cieux jusqu'au coeur de la 3ème maison du Zodiaque. L'armure des Gémeaux apparut majestueusement au centre du temple, délicatement posée sur un socle de pierre pâle.
Irradiant d'une lueur violine, celui qui pénètrerait dans sa demeure et qui y prendrait garde, pourrait apercevoir la voie lactée, tourbillonnante, vibrante, éclatante de beauté, scintiller dans les profondeurs du casque des Gémeaux.
Elle était de retour en son domaine. Et elle le protègerait jusqu'à l'apparition d'un nouveau porteur.