Léthé - Dactyle d'Améthyste [Terminée]

Léthé

« Cronos »

VOTRE HISTOIRE

Le sang continue de couler. Sur ma peau. Dans ma gorge. De mes plaies.

Il me brûle, me consume, m’étouffe. Il me reconstruit, me redonne la vie. Puis me brule à nouveau, dans un cycle sans fin.

Parfois, je parviens à remonter à la surface. L’air du monde des morts brise ma peau et glace mes poumons. Cela ne dure qu’un instant. De leurs piques cruelles, mes geôliers me font replonger dans le lac, où est ma place.

Je ne résiste pas. J’en ai perdu le droit, comme la faculté. Ceci est mon châtiment.

Je rêve, parfois, pour fuir mes tourments. Des fragments de mon passé défilent devant mes yeux. Ils sont brisés, éparpillés, vidés depuis longtemps de toute signifiance. Pourtant, ils m’apportent ce qui s’approche le plus d’un répit, un moment de paix dans les tourments de l’Enfer.

La montagne et la mer. Les arbres et le vent. Un château creusé dans la roche. Un ciel étoilé, vu au travers des barreaux d’une cage doré. Un rire enfantin. Un regard terne. Je ressens un vide, un détachement déchirant de chacune de ses visions, qui autrefois devaient m’être chers. Un seul visage, encore intact au cœur de ce vitrail brisé, diffère. Un visage identique au mien, lié à moi tant par le sang que par le destin. La seule chose que, par-delà la mort, je persiste à vouloir protéger, à vouloir chérir. Mais même cela m’est refusé en ce lieu. A chaque geste que j’esquisse pour l’effleurer, mon trésor se disperse. J’oublie, à nouveau. Et la tourmente reprend de plus belle.

Un pacte forgé avec le seigneur des profondeurs. Le désespoir. Le sacrifice de mon corps, de mon âme, de ma vie, pour protéger celle qui m’est chère. Pour protéger son sourire, sa liberté, mes mains se teignent de rouge. Je tue pour remplir le marché du sang. Les corps s’empilent, toujours plus nombreux, toujours plus cruels. Les supplices que j’inflige sont nécessaires. Leur sacrifice comme le mien la préserve. J’y prends gout. Je me perds dans mon mensonge. J’ai aimé faire souffrir mes victimes. Comment ne le pouvais-je pas ? Son bonheur est tout ce que je souhaite.

Une séparation. Un voleur. On cherche à l’éloigner de moi. Je fais ce qui est nécessaire. Et les cris de cet étranger me ravissent. Le sang. J’en fais couler davantage. Encore et encore. Jusqu’à ce que le paysage de mon enfance se noie dans le carmin. Mais de cette mare de sang, un monstre finit par surgir. Porteur de mort et de vengeance. Il porte mon visage. Deux lames. Un œil. Ma gorge. Mon sang s’échappe, et je rends mon dernier souffle.

Je reviens à moi. Le sang me brûle, me consume, m’étouffe. Il me reconstruit, me redonne vie.

Tout ce sang, c’est moi qui l’ai fait couler. J’ai alimenté ce lac jusqu’à ce qu’il me submerge. Ce tourment, cette douleur, est mon œuvre, est mienne. Je me fonds dans mon héritage, la marque que j’ai laissé sur le monde. Cela est juste. Cela est bon. Pourtant, je ne parviens pas à m’en satisfaire. A chaque fois que je refais surface, mon cœur se languis. De mon soleil. De son sourire.

Mon regret éternel, celui de ne pouvoir lui dire tout ce que je lui avais caché, subsiste. Je voudrais lui parler, encore une fois. Partager tout avec elle, encore une fois. Renouer le lien de nos âmes, encore une fois.

Je refais surface. L’air du monde des morts brise ma peau glace mes poumons. À tout moment, je m’attends à ce qu’on me fasse replonger, à ce que le sang m’arrache à cet éphémère moment de clarté. Mais ce n’est pas le cas.

Un nouveau pacte a été forgé, dont je suis l’objet. La Dame sombre se tient devant moi. Elle me tend une main. Elle me promet que je pourrai la revoir, si je me mets tout entière à son service.

Ma main est déjà dans la sienne.

MES INFOS +

Comment donner des précisions sur ce qui n’a pas de contours ? Comment apprendre à connaitre une créature qui a tout perdu, jusqu’aux souvenirs de l’être qu’elle était autrefois ?

Léthé est une ombre hantant les recoins sombres et oubliées du Cronos Labyrinthos, ne se dévoilant que lorsque ses maitres murmurent son pseudonyme. Même lorsqu’elle prend l’initiative de faire un pas dans la lumière, son souffle ne porte jamais plus de mots qu’il n’est nécessaire. Peu, de toute façon, se risquent à entretenir une conversation avec elle. Léthé est après tout une créature difforme, de l’espèce que seuls les rêves et les cauchemars peuvent tisser. Pourriez-vous discuter nonchalamment avec un être dont la seule présence fera hurler vos sens au sacrilège ? Si tel est le cas, votre courage et votre fortitude doivent être salués.

La silhouette de Léthé n’est qu’ombre et or. Un visage lisse et sombre, sans le moindre trait, n’est marqué que par trois yeux asymétriques, luisant uniformément d’une lueur dorée. Des volutes de brumes sombres s’échappant de son crâne évoquent une chevelure, mais ces fumeroles n’ont en réalité aucune substance matérielle. Plus dérangeant encore, cette tête n’est pas reliée au reste de son corps. Elle lévite, laissant un espace vide entre son torse et sa nuque, d’où parfois s’échappe un liquide ayant la même brillance que ses yeux.

Si vous espériez que son apparence bizarre se limiterait à cela, détrompez-vous. Ses proportions inhumaines -des membres trop longs, une taille trop fine- ne laissent aucun doute sur la nature spectrale de Léthé. Ses membres, d’ailleurs… Très vite, si vous avez l’œil vif, vous réaliserez que dans les ombres qui constituent l’enveloppe de la créature, plus de deux bras se dessinent. Elle en possède effectivement quatre, les utilisant de manière aussi naturelle et fluide que les deux que votre espèce utilise.

Si son corps abrite d’autres étrangetés, celles-ci sont cachées sous la robe sombre qu’elle porte. Il s’agit d’une robe au tissu éthéré, plus obscur encore qu’une nuit sans lune. Mais s’agit-il réellement d’un vêtement ? Parfois, sur son torse ou au bout de sa jupe, de grands yeux dorés aux pupilles noires s’ouvrent, observant le monde autour d’eux avec une curiosité dérangeante. Il s’agit en réalité de la forme camouflée de l’Habit d’Améthyste des Dactyles, qui peut reprendre sa forme originelle et recouvrir son corps si jamais Léthé serait amenée à se battre. L’armure aux teintes violacées se teindra alors de milles étoiles, reflétant la vérité qui se cache au-delà du voile.
Mais ce n’est pas là quelque chose qui se contemple sans en payer le prix.