I – OÙ L’ON DÉCOUVRE YNGVILD ERRANT DANS LES TRÉFONDS OBSCURS DE SVARTALFAHEIMCela faisait plusieurs heures que la jeune fille parcourait les galeries souterraines de Svartalfaheim, le monde des Nains. Ces derniers vivaient dans les entrailles de la terre, là où plongeaient les racines d’Yggdrasil, l’Arbre-Monde. Petits par la taille, grands par le talent, ils étaient mineurs, sculpteurs et forgeurs : ce furent eux qui avaient créé le marteau de Thor, le navire d’Odin et tant d’autres merveilles détenues par les Asgardiens.
Mais alors, que faisait donc Yngvild, issue du monde des Hommes, en ces lieux, où habituellement aucun habitant de la surface un tant soit peu sensé n’aurait osé poser le pied ? La réponse était simple : elle poursuivait une quête.
Tout avait commencé il y a quelques semaines de cela quand Yngvild, originaire du village d’Ingolsfell, situé dans le Northland, avait découvert une étrange marque en forme de marteau sur la nuque, marque qui n’y était pas auparavant. Parallèlement, elle avait commencé à développer des capacités extraordinaires : elle pouvait ployer sans effort un vieux fer à cheval qui traînait dans un coin de la forge de son père entre ses doigts et ressentir certains évènements alors qu’elle n’était pas sur place.
Perplexes, ses parents avaient demandé conseil au doyen du village qui avait recommandé que l’adolescente se rende auprès d’Yri, une sorcière qui vivait à une journée de marche d’Ingolsfell et qui était, selon l’ancêtre, « déjà vieille alors que ma propre grand-mère était une gamine ».
Cette dernière lui avait révélé qu’elle avait été choisie par les Dieux, tout particulièrement Thor, pour être l’un des mythiques Guerriers Divins. Elle lui avait dit de se rendre dans le monde des Nains, ces derniers détenant l’Armure qui lui était destinée, lui donnant quelques indications pour s’y rendre. Enfin, Yri lui avait fait don d’une lubiole, une boule lumineuse qui flottait autour de son possesseur et qui dispensait suffisamment de lumière pour éclairer les alentours sur quelques mètres ; nul doute que cet objet serait utile à Yngvild pour progresser au sein de Svartalfaheim, constamment plongé dans les ténèbres.
A un moment donné, elle entendit un chœur de voix rocailleuses chanter un air, toujours le même refrain :
Eh oh, eh oh, on rentre du boulot !
Intriguée, elle s’approcha et arriva à l’entrée d’une galerie d’où sortirent un groupe de sept personnes armées de pioches et portant chacun un gros sac passé en bandoulière. Ces êtres étaient petits, trapus, larges d’épaules et pourvus de membres puissants ; leurs visages semblaient avoir été taillés dans la pierre et tous, sans exception, avaient une barbe broussailleuse.
L’un d’eux vit Yngvild et poussa une exclamation de surprise. Aussitôt ses compagnons l’imitèrent et se mirent à encercler la jeune femme qui maudit son étourderie : elle avait oublié que la lubiole la rendait aussi repérable qu’un Géant dans une kermesse.
Un Nain qui avait l’air plus âgé que les autres s’avança :
- Une habitante de Midgard, ici ?! Que viens-tu faire chez nous petite ? demanda-t-il d’une voix où se mêlaient la curiosité et la méfiance.
- Euh… z’êtes bien des Nains ? Fit-elle avant de se rendre compte de la stupidité de sa question.
Oups, merde !Cette question provoqua l’hilarité générale chez le groupe de Nains, leurs rires se répercutant en écho dans les galeries.
- M’a l’air bien futée elle ! s’exclama un Nain
- R'marque, c’est moins pire qu'l’Elfe qu’avait rencontré mon cousin y'a longtemps ! dit un autre, entre deux hoquets.
- Ah oui c’est vrai ! « Mais qui est ce petit personnage ? » fit son comparse, contrefaisant une voix féminine.
Rouge jusqu’à la racine des cheveux, Yngvild se sentit confuse par l’hilarité qu’elle avait provoquée malgré elle et quand le Nain le plus âgé, qui avait l’air d’être le chef de cette expédition, réclama enfin le silence, elle répondit à sa question, lui expliquant le pourquoi de sa présence dans le monde des Nains. Quand elle eut fini, le groupe s’éloigna d’elle, discutant entre eux à voix basse tout jetant de temps à autre un regard sur Yngvild qui avait tendu l’oreille dans l’espoir d’entendre leur conversation, mais en vain.
- Très bien, suis-nous ! Nous allons te présenter à notre roi ! fit le chef, une fois que lui et ses compagnons eurent fini leur conciliabule.
II – OÙ L’ON VOIT YNGVILD AVOIR UNE AUDIENCE AVEC LE ROI DES NAINSIvaldir, le roi des Nains, avait la plus longue barbe qu'Yngvild ait vue chez un Nain, tellement longue qu'elle trainait jusqu'au sol et la jeune fille se demandait comment il faisait pour ne pas se prendre les pieds dedans quand il marchait.
Ceci dit, pour le moment, Ivaldir était assis sur son trône de granit, écoutant avec grand intérêt le récit d'Yngvild sur les raisons de sa présence à Svartalfaheim. Lorsqu'elle eut terminé, le souverain garda le silence pendant quelques secondes avant de hocher la tête et de répondre d'une voix qui évoquait deux rochers qu'on aurait frotté l'un contre l'autre :
- Je te crois, Yngvild, fille du Monde des Hommes. Il y a fort longtemps de cela, le Dieu Thor nous avait annoncé la venue d'un guerrier qui combattrait en son honneur et nous avait demandé de forger une Robe Divine qu'il pourrait porter durant les batailles, ainsi qu'un marteau qui lui permettrait de terrasser ses ennemis.
- Donc, la vieille sorcière avait raison : c'te armure s'trouve bien dans vot'royaume !- Oui, euh... sauf qu'il y a un petit problème...
- Un problème ?- Oui, le Dieu Loki a eu vent de l'existence de cette Armure et a voulu s'en emparer. Il a réussi à s'infiltrer dans mon royaume et atteindre l'endroit où était gardée la Robe Divine. A peine l'eut-il endossée, que cette dernière se euh... rebella : les pièces la composant explosèrent, se détachant brutalement et furent dispersées aux quatre coins des Neuf Mondes. Seuls les gantelets restèrent à Svartalfaheim. Quant à Loki, il fut blessé et rentra à Asgard la queue entre les jambes.
- Splendide... Et l'marteau ? Il a réussi à l'voler ?- Pas du tout. Il se trouve toujours là où était l'Armure. Maintenant que tu es là, il est temps que tu prennes ce qui te revient de droit.
Ivaldir se leva de son trône et invita Yngvild à le suivre, en compagnie de son conseiller qui avait une barbe presque aussi longue que son suzerain. Ils empruntèrent des tours et des détours dans les galeries et les couloirs du palais royal et la jeune fille eut l'impression qu'ils étaient déjà passés plusieurs fois aux mêmes endroits. Finalement, ils arrivèrent sur le seuil d'une caverne dont l'entrée était barrée par une paroi de pierre.
Le roi sortit de sous ses vêtements une clef d'or et l'inséra dans un trou de serrure qui était invisible à l’œil nu (du moins pour un habitant de Midgard). Il y a un grincement et la paroi de pierre coulissa lentement. Ce qui se trouvait au-delà arracha une exclamation de surprise et de stupeur à Yngvild. De dimensions titanesques, la caverne abritait un trésor qu'on eût dit sorti d'un rêve insensé : des montagnes de pièces d'or, des pierres précieuses, des objets d'art, des armes d'apparat... Tout cela brillait de mille feux sous les lueurs des torchères suspendues au plafond.
Le trio marcha au milieu de ces merveilles et la jeune fille ne savait plus où donner de la tête tandis que les deux Nains affichaient un air impassible. Finalement ils arrivèrent à un piédestal circulaire sur lequel se trouvait au milieu une colonne de pierre brute de trois pieds de hauteur et sur laquelle était enfoncé un magnifique marteau gravé de runes (1).
- Voici Mjölner ! Le marteau qui doit revenir au Guerrier Divin au service de Thor !
- Mjölnir ! L'marteau d'Thor lui-même ?!- Non, Mjölner. Il est en quelque sorte le hum... "jumeau" de l'arme de Thor. Si tu es bien l'élue du Dieu, tu devrais pouvoir le soulever.
- Ça m'rappelle une histoire avec un roi et une épée, dans un autre pays...- Oui, ça n'est pas très original mais c'est toujours aussi efficace.
Yngvild s'approcha du marteau, posa la main sur le manche et ressentit un léger picotement parcourir son corps. Elle empoigna l'arme et l'arracha de sa gangue de terre sans effort. Surprise par la légèreté du marteau, qui s'était mis à luire doucement, elle le brandit fièrement vers le haut, sentant une merveilleuse énergie parcourir chaque fibre de son être.
- Mjölner possède les mêmes pouvoirs que Mjölnir : il est efficace contre les Géants, peut appeler la foudre, faire trembler le sol et revient dans la main de son porteur s'il s'en sert comme arme de jet. Tu en découvriras peut être d'autres au fur et à mesure de tes pérégrinations.
- Fantastique ! Et l'Armure ? Vous m'aviez dit qu'il restait qu'les gant'lets ?- Là, fit Ivaldir, désignant de l'index une paire de gantelets métalliques, reposant dans une grande niche creusée à même la roche et dont le pourtour était gravé de runes.
Yngvild s'en empara et fut frappée par leur légèreté et leur beauté : faits d'un métal blanc qui émettait une douce lueur, ils ne pesaient pas plus lourd qu'une plume mais la jeune fille sentait qu'ils étaient infiniment plus résistants que des gantelets ordinaires.
Elle s'en équipa et revint vers les Nains :
- Et maintenant j'fais quoi ? Je pars à la r'cherche des aut' pièces c'est ça ? L'souci est qu'les Neuf Mondes, ben c'est vaste ! L'temps que j'retrouve les aut' pièces d'Armure, j'aurais des ch'veux blancs !- Ne t'inquiète pas pour ça, nous allons procéder à un rituel spécial qui te révèlera où elles se trouvent exactement, cela t'évitera de longues recherches ; pour ce qui est du temps, sache qu'il s'écoule différemment d'un Monde à l'autre : quelques jours dans le Monde des Hommes peuvent représenter quelques années dans un autre des Neuf Mondes. Enfin, tu pourras ressentir la présence des autres pièces d'Armure quand tu t'en approcheras au fur et à mesure que tu développeras ton Cosmos.
- Ouais... Mais c'est quoi l'Cosmos au fait ?Le roi se tourna vers son conseiller et ce fut ce dernier qui répondit à la question d'Yngvild :
- Pour faire simple, le Cosmos est une force présente en chaque être et chaque chose de l'univers. Elle est en toi mais également autour de toi : moi, mon souverain, ces colifichets (il désigna d'un large geste de la main les richesses)
, cette caverne, les autres Nains peuplant Svartalfaheim, les arbres du monde de la surface, les étoiles, les Dieux...- Les Dieux aussi ?!- Oui, surtout les Dieux : ils arrivent à ressentir avec plus d'intensité le Cosmos ce qui leur permet d'accomplir des exploits qui passent, aux yeux de mortels, pour des miracles. Les Guerriers Divins, dans une moindre mesure, sont également capables d'accomplir des prouesses extraordinaires.- Et comment j'fais pour euh... ressentir l'Cosmos ?- Tu es née avec une plus forte affinité avec le Cosmos que la plupart des gens, il te reste à développer cette affinité.- Et comment j'dois faire ?- Hum, l'idéal serait d'apprendre auprès d'un mentor. Cependant, une quête, des aventures, des épreuves, des combats peuvent également t'aider à mieux t'aider à progresser. Sans compter que cela conviendrait mieux à ta personnalité...A ce moment là, le ventre d'Yngvild se mit à gargouiller et la jeune fille se rendit compte à quel point tous ces évènements lui avaient fait oublier qu'elle avait une faim de loup !
- Laissons tout ça de côté pour le moment, reprit le roi. Tu es affamée, certainement épuisée par ton long voyage et ces derniers évènements, et j'en ai oublié l'hospitalité. Je vais donner l'ordre de préparer un festin en ton honneur.
- C'est gentil ça ! Et c'est vrai que j'meurs de faim ! Mon dernier repas était un lapin et ça remonte à deux jours...- Certes. Par contre, je te préviens, ça va être un peu frugal...
III – OÙ L'ON ABORDE QUELQUES CONSIDERATIONS SUR LA CULTURE NAINE- Un peu frugal ?! pensa Yngvild. Se trouvant assise à la droite du conseiller, lui-même assis à la droite du roi, la jeune fille contemplait d'un air incrédule les victuailles posées sur les tables : larges cuissots de bœuf, tranches de porc, sangliers entiers cuits à la broche, viandes marinées ou trempées dans de la graisse d'uru, meules de fromage de la taille d'une roue de chariot... Elle n'en avait jamais vu autant, même à la fête annuelle du village des moissons, à la fin de l'été.
Et ne parlons pas de l'hydromel et de la bière : provenant de barriques aussi grandes qu'une maison, il coulait à flots, étanchant la soif des Nains qui, entre deux bouchées, entonnaient des chants ayant pour thème la mine, la forge et les exploits de certains de leurs ancêtres prestigieux.
Un jour, mon ancêtre Gurdil...
Pour sa part, Yngvild faisait honneur au festin sans toutefois égaler les prouesses gastronomiques de ses hôtes qui mangeaient à s'en faire éclater la panse. Elle en était à déguster sa troisième cuisse de chevreuil quand elle réalisa quelque chose. Se tournant vers le conseiller, elle lui demanda :
- Scusez-moi mais que'que chose m'turlupine : depuis mon arrivée j'ai pas vu d'femmes parmi vot'peuple...- C'est simple, on n'en a pas !- Pas d'femmes ?! Mais alors vous faites comment pour les mômes vu que j'en ai vu plusieurs ?!Ces derniers étaient facilement reconnaissables au fait qu'ils avaient un fin duvet sur le menton alors que leurs aînés arboraient des magnifiques barbes descendant jusqu'à la ceinture, voire même encore plus bas, comme leur roi.
- Ah ça, fit un Nain se trouvant à côté d'Yngvild,
on a l'Nanotron !- Le quoi ?!- La machine à fabriquer les Nains ! Elle s'trouve au plus profond de not' royaume et est gardée par des castors qui crachent d'l'acide par les yeux.- L'écoute pas, il dit des conneries ! fit un autre Nain qui avait l'air sacrément éméché.
En fait not' bon roi a crée tous les Nains, il y a fort longtemps, en une seule fois, avec de l'argile et de l'hydromel et les a cachés un peu partout sous la surface de la terre. Parfois il arrive qu'un Nain en trouve un quand il creuse. Alors il le sort de sa gangue et l'adopte, devenant ainsi son fils.- Qu'est ce qu'il faut pas entendre j'te jure ! Les enfants nains poussent dans nos barbes, voila la vérité ! Quand elle est suffisamment longue, on l'arrose régulièrement avec de la bière et de l'hydromel et au bout d'un moment un bourgeon se met à pousser qui devient petit à petit un bébé Nain.- N'importe quoi ! Arrête de dire des fadaises ! En fait, à la nuit tombée, les Nains remontent à la surface et capturent les bébés humains de sexe masculin afin d'en faire des Nains en les nourrissant avec des Champignons des Profondeurs...- T'es vraiment con, tu vas foutre les pétoches à notre invité avec tes histoires ! En fait il existe une seule Naine, qui est notre mère à tous. Elle vit au plus profond d'une grotte et tout jeune Nain doit, s'il veut être reconnu comme un adulte, s'accoupler avec elle...Yngvild comprit qu'elle ne saurait jamais le fin mot de l'histoire. Aussi choisit-elle de changer de sujet :
- Et qu'est ce que vous faites quand vous ne creusez pas la terre ou forgez ?- Ben, on picole et on mange !- On fait aussi des concours de boissons !- Je vois... Et vous êtes tous mineurs et forgerons ?- Pas que, certains d'entre nous sont taverniers ! C'est également une profession trèèèèèès honorable !- T'as également des Nains qui font rien de tout ça : ils arpentent les chemins des Neuf Mondes et vivent des aventures.- Comme Gurdil !- Ah purée, on en fait plus des Nains comme lui !- Il avait pas froid aux yeux !- Qu'est ce qu'il a accompli comme exploits ? demanda Yngvild dont la curiosité avait été éveillée.
- Oh tout un tas ! fit le roi, qui s'était joint à la conversation. Déjà, c'est lui qui a forgé le Marteau de Thor et celui que tu détiens. Il a également découpé le gros orteil d'Ymir, le chef des Géants du Froid avec sa hache...
- C'est également lui qui a écrit sur le mur de la demeure de Loki : "Loqui, ma hache dans ton fion !" ! D'ailleurs, ce fut son dernier exploit...- Ouais, pauvre Gurdil...- Faut dire que les Dieux plaisantent pas avec ça !- C'est sûr, mal orthographier leurs noms, ça peut les mettre en rogne... conclut le roi d'un air pensif.
(1) Voir l'arme dans ma signature