Part I : Le Conte des Jumelles
Il était une fois un royaume entre la Mer et la Montagne.
Haut dans la Montagne Blanche, un Seigneur désespérait. Ses terres étaient pauvres, et son peuple se mourrait. Ses ennemis des basses-terres l'assaillaient de toute part, et sa femme, malade, ne pouvait lui donner d'enfants.
Le Dieu de la Montagne, sortant de son sommeil, murmura à l'oreille du Seigneur.
"Ô, mon Seigneur, donne moi chaque nuit de pleine lune le sang d'un homme pour mon royaume, et je te donnerai richesse, puissance et descendance.", lui dit-il. Le Seigneur accepta, et pendant neuf lune choisit un innocent dans son peuple pour offrir son sang au Dieu de la Montagne. Ses terres devinrent fertiles. Les envahisseurs se perdirent dans la Montagne. Son royaume renaissait.
Au bout du neuvième mois, la femme du Seigneur s'apprêta à donner naissance. Lors d'une nuit de tempête, elle rendit l'âme en mettant au monde deux jumelles. Le Seigneur prit peur, car selon d'anciennes légendes, les jumeaux attiraient le courroux du Dieu de la Montagne. Plutôt que de perdre les faveurs du Dieu, le Seigneur confia l'une des filles à des serviteurs, et l'envoya vivre au bas de la montagne, proche de la Mer. Il déclara au Dieu de la Montagne la naissance de sa fille et mentit en disant que sa jumelle était morte avec sa mère.
Ainsi naquirent la Fille de la Mer et la Fille de la Montagne.
La fille de la Mer était libre dans les rues du port, mais sans connaitre la chaleur d'un foyer ni la douceur d'un repas chaud.
La fille de la Montagne grandit entourée et choyée dans la cour du Seigneur, mais en rêvant de voir un jour le monde au-delà.
Un jour, alors que la Fille de la Mer pleurait sa solitude au bord de l'eau, le Dieu de la Mer fut attiré par ses larmes, et lui murmura :
"Ô ma Fille, donne-moi toutes les larmes de ton corps pour mes océans, et je te donnerai un être à aimer et un endroit où tu ne seras plus jamais seule". Et la Fille de la Mer accepta. Cependant, elle eu beau pleurer, encore et encore, elle ne parvenait pas à verser tous les larmes de son corps.
"Tu me donneras alors tes larmes jour après jour, et lorsque la dernière sera versée je te conduirai en mon royaume", déclara le patient Dieu de la Mer. La Fille de la Mer continua donc à pleurer, ajoutant jour après jours ses larmes à l'immensité de l'océan.
Un jour, la Fille de la Montagne demanda à son père pourquoi il disparaissait seul, chaque soir de pleine lune, et si elle pouvait l'accompagner. Le Seigneur refusa, et parti en quête du sacrifice pour le Dieu de la Montagne. La Fille de la Montagne s'échappa et le suivit. Lorsque le Seigneur procéda au sacrifice, sa fille poussa un cri perçant qui réveilla le Dieu de la Montagne.
"Ô mon Seigneur, donne-moi le sang de ta fille pour mon royaume, et je te pardonnerai cette offense", lui dit-il. Lorsque le père plaida pour qu'elle soit épargnée, le Dieu de la Montagne fit gronder le sol et dit:
"Pour cet affront, tu me livreras désormais le sang d'un homme chaque semaine, et ta fille t'assistera". Ainsi le Seigneur et sa fille s'attelèrent à leur triste condamnation, le sang tachant leurs mains et durcissant leurs cœurs. La cage dorée se resserra autour la Fille de la Montagne.
Un jour, la Fille de la Mer parvint à faire avouer au serviteur qui s'occupait d'elle depuis son enfance qu'elle venait de la Montagne, et que son Père en était le Seigneur. Elle grimpa pendant trois jours et trois nuits avant d'arriver au palais de son père, et s'introduit à l'intérieur pour le retrouver. Mais elle ne trouva dans les quartiers royaux qu'une jeune fille avec le même visage qu'elle.
Une nuit, la Fille de la Montagne pleurait à sa fenêtre le funeste sort que le Dieu avait imposé à elle et à son père. Elle surprit du mouvement dans les ombres des jardins, et pensant qu'il s'agissait d'un voleur, partit à sa poursuite. Elle espérait trouver un criminel pour le sacrifier au Dieu de la Montagne, mais elle ne trouva qu'une jeune fille avec le même visage qu'elle.
Les deux Jumelles de la Mer et de la Montagne, découvrirent ainsi le secret de leur naissance.
"Séparées, nous étions seules au monde.", déclara l'une.
"Mais réunies, nous sommes notre propre monde.", répondit l'autre.
Cette nuit, et toutes les nuits suivantes, les Jumelles restèrent ensembles. Le lendemain, et tous les jours suivants, les Jumelles échangèrent leurs places.
La Fille de la Mer goûta à la chaleur du foyer et à l'amour de son père.
La Fille de la Montagne goûta à la liberté du monde et à la vie de la rue.
Mais la Fille de la Montagne jamais ne parla de la promesse faite avec le Dieu de la Montagne, car seule ses mains devaient être tachées de sang.
Mais la Fille de la Mer jamais ne parla de la promesse faite avec le Dieu de la Mer, car ses yeux ne pouvaient plus à présent verser de larmes.
Les années passèrent. Les Jumelles grandirent. Elles atteignirent l'âge de l'amour et de la rébellion.
Pour la première fois, la Fille de la Mer tomba amoureuse. Il s'agissait d'un homme venu du Nord, de l'empire de l'envahisseur qui avait volé les basses-terres de leurs ancêtres. Mais les rancœurs du passée sont bien peu de chose face à l’allégresse d'un cœur aimant. Son visage était plaisant et son verbe juste et doux. Il n'en fallait pas plus pour que la Fille de la Mer délaisse sa famille au profit des cris de son cœur.
Pour la première fois, la Fille de la Montagne connu la morsure de la jalousie. Car l'amour était la seule liberté que sa sœur ne pouvait partager avec elle. Et elle l'enviait. Son fiancé avait déjà été choisi par son père depuis des année : le fils d'un autre Seigneur de la Montagne dont elle ne connaissait ni le nom, ni le visage. Mais plus que cela encore, elle jalousait l'amant de sa jumelle, car elle craignait de le voir emporter au loin le seul être qui comptait à ses yeux.
L'amour rend aveugle, mais aussi inconscient. Bientôt, des rumeurs arrivèrent au Seigneur de la montagne. On lui disait que l'on avait vu sa fille batifoler avec l'ennemi alors qu'elle aurait dû étudier au palais. La Fille de la Montagne fut traînée devant son Père, accusée d'avoir été souillée par l'ennemi, d'avoir insulté son fiancé, d'avoir trahis son sang. Alors que les conseillers du Seigneur réclamaient un châtiment, la Fille de la Mer émergea de la foule, révélant à tous la vérité.
Dans le silence qui s'ensuivi, le Seigneur de la Montagne entendit le murmure du Dieu de la Montagne à son oreille.
"Ô mon Seigneur, tu m'as menti et caché ta seconde fille. Pour cet affront, tu me livreras désormais le sang d'un homme chaque jour, et tes filles t'assisteront", lui dit-il. Le Seigneur, accablé, ne savait plus que faire, car continuer à payer le tribut du Dieu finirait par dépeupler son Royaume. Il banni la Fille de la Mer, lui interdisant de revenir dans la Montagne, et s'enferma dans ses appartements. Cependant, le lendemain, la Fille de la Montagne lui porta conseil :
"Ô mon Père, si le sang des nôtres ne peut apaiser le Dieu, qu'il s'abreuve du sang de ceux qui nous ont causé du tort. Descendons de la Montagne, et offrons-lui le sang de nos ennemis", lui susurra-t-elle, sans qu'il reconnaisse la voix du Dieu de la Montagne qui parlait à travers elle.
Le Seigneur de la Montagne et sa Fille réunirent leur armée. Attaquant par surprise, ils brûlèrent, tuèrent et enlevèrent les habitants des royaumes voisins, avant de se retirer à l'abri dans la Montagne. Répétant sans cesse leurs attaques, ce conflit fit couler tant de sang que la Montagne Blanche devint Montagne Rouge, et le Dieu qui y résidant bu tant de sang qu'il en fut rassasié. Le sang des hommes déborda de sa gorge, se déversant dans les vallées du pays, et emportant les corps des sacrifiés dans l'océan de son frère.
Durant ce conflit, l'amant de la Fille de la Mer partit au combat pour venger ses frères et sœurs, mais jamais ne revint auprès de son aimée. A nouveau seule et privée de ses deux moitiés, la Fille de la Mer retourna pleurer sur la rive de l'Océan. Lorsque finalement ses larmes ses tarirent, le Dieu de la Mer revint vers elle.
"Ô ma Fille, il te reste une dernière larme à verser pour respecter notre promesse. Mais il te faudra la verser sur la Montagne qui t'a vu naître, là où mon frère et ta sœur attendent", lui dit-il de sa voix froide et calme.
Et une dernière fois, la Fille de la Mer gravit la Montagne.
Lorsqu'elle arriva au Palais de son père, les lieux étaient en liesse. On célébrait le mariage de la Fille de la Montagne avec son fiancé. Ivres de leurs victoires et du sang de leurs ennemis, nul garde ne stoppa la Fille de la Mer qui arriva jusqu'aux quartiers de son Père.
"Ô mon Père, par deux fois tu m'as chassé de mon foyer. Par deux fois, tu m'as volé ceux que j'aimais. A présent, je suis venue prendre ta vie et verser ma dernière larme. Je récupérerai mes être chers, et retournerai à la Mer avec eux", le menaça-t-elle en pointant une lance à sa gorge.
"Ô ma Fille", lui répondit le Dieu de la Montagne par la voix de son Père,
"Tu ne peux reprendre ce qui m'a déjà été donné par ta sœur" Au pied de la Fille de la Mer, le sang et la tête de son amant furent déversés. A ce sang ne tarda pas à s'ajouter celui de son Père, et de chaque invité du Palais. Le rire du Dieu de la Montagne s'éleva des profondeurs, faisant naître une tempête à la surface alors qu'il se gorgeait du sang de la lignée qu'il désirait depuis les temps anciens.
La Fille de la Montagne entra dans le palais avec son fiancé, mais une Démone au corps et à la lance ensanglantés surgit des profondeurs nauséabondes des lieux, massacrant le fiancé et son escorte.
"Séparées, nous étions seule au monde.", déclara la Fille de la Montagne, reconnaissant sa jumelle aux larmes de sang.
"Mais ensemble, nous sommes notre propre monde.", lui répondit l'autre, se souvenant de leurs anciennes paroles, avant d'ajouter
"Et a présent, je veux voir notre monde bruler, pour pouvoir verser ma dernière larme".
Lorsque le matin de leva, le lendemain de la tempête, le Palais était vide. Des Filles de la Mer et de la Montagne, il ne restait que le sang versé lors de leur combat.
L'une était tombée dans les profondeurs de la Montagne, la dernière goutte de sang offerte.
L'autre s'était enfoncée dans les abysses de la Mer, la dernière larme de sel versée.
Et les deux Dieux rires.
Car ils avaient obtenu ce qu'ils avaient toujours convoité.
Part II : La Guerre contre les Titans
Printemps 1750
Rapport du Capitaine Hecton
J'avais été envoyé quelques jours plus tôt au Sanctuaire d'Athéna pour entretenir nos relations diplomatiques. Les Saints s'étaient montrés polis et accueillants à mon égard, mais je n'avais malheureusement pu rencontrer le Grand Pope comme l'Impératrice Amphitrite l'avait souhaité. La plupart des forces de la Déesse de la Sagesse étaient étaient embourbées dans une campagne contre les Spectres d'Hadès depuis plusieurs mois à présent. Avec l'aide de plusieurs de nos Généraux, les Saints avaient remporté une victoire, et chaque camp était retourné dans sa place forte pour panser ses plaies.
Plusieurs rumeurs courraient alors. On parlait d'une sombre puissance que les chevaliers d'Or avaient ressenti dans les entrailles de la terre et de sombres présages qui avaient poussé le Grand Pope à se retirer dans les hauteurs du Sanctuaire pour se livrer à ses prophéties. Mon principal interlocuteur, le Chevalier d'Or du Bélier, était d'une conversation agréable mais campait sur ses positions, m'interdisant de monter plus haut dans leur domaine. C'est au milieu de ce statu quo que des Chevaliers de Bronze amenèrent un Marina blessé, retrouvé sur le rivage du Cap Sounion.
Il m'informa de la situation dans le Royaume Sous-Marin de notre Empereur. Selon ses dires, les Titans, ces anciens Dieux géniteurs des seigneurs de l'Olympe, s'étaient libéré de leur prison et avaient attaqué le Sanctuaire Sous-Marin. Le garde faisait partie d'un détachement qui avait été envoyé pour demander de l'aide au Sanctuaire d'Athéna, mais la plupart de son escouade avait été éliminée en cherchant à passer un dôme que les dieux déchus avaient posé comme une prison sur notre domaine.
Me joignant à mon frère d'armes pour demander de l'aide aux Saints d'Athéna, le Chevalier du Bélier resta cependant sourd à mes suppliques. Ce sont les Chevaliers de Bronze alors présents qui se portèrent volontaires pour nous porter secours, et qui parvinrent à le convaincre de les laisser partir avec nous. C'est ainsi que, usant de mon médaillon me permettant d'ouvrir la mer pour accéder au domaine de notre Empereur Poséidon, j'ai servi de guide aux renforts venus du Sanctuaire.
Quand nous sommes arrivés à la barrière de corail qui marque la limite du Sanctuaire Sous-Marin, les combats faisaient déjà rage depuis plusieurs heures à l'intérieur. Les murs des coraux avaient été rasés en plusieurs endroits, là où d'immenses cratères avaient été créés à l'aide d'une force qui me dépassait complètement. Plus inquiétants encore, une immense arche de Cosmos obscur entourait notre place forte, convergeant en un vortex qui se déchaînait au-dessus du Pilier Central.
Lorsque nous avons pénétré dans l'une des brèches, plusieurs combats avaient lieu dans le goulot d'étranglement. D'étranges guerriers en armures noires, différentes des funestes Surplis des Spectres, tentaient de franchir les lignes de défenses des Marinas qui tant bien que mal parvenaient à tenir. C'est là que nous avons pu retrouver le Général du Chrysaor, qui semblait tenir le front au milieu de ce carnage.
J'avais rencontré le Général Frozia en plusieurs occasions, mais j'ignorais à l'époque tout d'elle. Elle était par elle-même parvenue à atteindre le Sanctuaire Sous-Marin, une nuit de tempête, alors qu'elle semblait en ignorer l'existence. Depuis, la Scale du Chrysaor l'avait reconnu comme porteuse, et elle avait passé la plupart de son temps à s’entraîner auprès du Général du Dragon des Mers, le Seigneur Antée. Son caractère violent et son franc-parlé avaient rapidement fait naître nombre de sinistres rumeurs à son sujet. On lui imputait dans la garde la disparition de plusieurs patrouilles, et son manque de sociabilité n'aidait pas à dissiper les soupçons.
Je n'étais pas du genre à prêter attention aux racontars des gardes, en particulier lorsqu'il était question de nos illustres Généraux, mais au milieu de cette bataille j'étais bien obligé de leurs donner raison. La femme borgne semblait se délecter du sang qu'elle faisait couler, et c'était avec une sauvagerie effrayante qu'elle fauchait les envahisseurs de notre Royaume. Dans le cas présent, cela était une bonne chose, mais il s'en fallut tout de même de peu pour qu'elle ne nous attaque en même temps que les troupes des Titans.
Quelques instants plus tard, sa rage meurtrière calmée, Frozia du Chrysaor prit le temps de nous expliquer la situation. Alors qu'une cérémonie avait lieu au Pilier Central pour permettre à notre Empereur Poséidon de se réincarner, la Déesse Eris était arrivée dans notre domaine. En se moquant ouvertement de l'Impératrice Amphitrite, elle s'était attiré la colère de plusieurs de nos Généraux. La situation avait dégénéré en combat, mais alors que la Déesse de la Discorde était en mauvaise posture, un portail s'était ouvert et une avant-garde des Titans de Cronos était apparue pour "sauver" Eris.
Ces trois Titans, Japet, Crios, et Tethys, avaient créé ce dôme d'énergie qui empêchait la résurrection de notre Empereur Poséidon. D'après Frozia, il fallait vaincre les Titans présents dans notre Sanctuaire pour briser ce dôme, mais la force que ceux-ci tiraient de leur Dunamis était immense. Pour de rien arranger, certains de leurs serviteurs maniaient le Cosmos avec la puissance de nos Marinas, voir pour certains de nos Généraux.
Crios avaient été vaincu une heure auparavant, dans une autre zone de la barrière de Corail, grâce au Sacrifice de la Sirène Maléfique et des Lyumnades. Japet et Tethys avaient cependant passé les défenses du cercle extérieur pour s'enfoncer dans notre Sanctuaire et s'attaquer aux Piliers des différents Océans. Le Général Frozia semblait inquiète en nous racontant cela, mais plutôt que vers le Pilier Central où son Altesse Impériale était scellée, c'était vers le Pilier de l'Arctique que son attention semblait se porter. Je soupçonne que, malgré notre situation critique, c'était vers quelqu'un d'autre que son esprit était concentré.
Nous laissant la charge de protéger les brèches dans la barrière de Corail, Frozia du Chrysaor retourna à l'intérieur du Sanctuaire. Elle nous donna également comme instructions de nous replier vers sa position lorsque le rayon d'Or de sa lance percerait le ciel. A ma grande surprise, celle que l'on surnommait la "Démone des Abysses" semblait, derrière son gout pour la violence, avoir un certain don pour la stratégie, comme en témoignait les lignes de défense qu'elle semblait avoir ici mis en place avec nos gardes. Cela nous facilita la tâche par la suite, lorsqu'un seconde vague d'assaut se présenta.
Les combats ne furent cependant pas chose aisée. Les serviteurs des Titans étaient puissants, et je porte encore à mon bras les blessures infligé par l'un des leurs, qui s'était identifié comme Surara. Les Chevaliers de Bronze nous furent d'une aide inestimable, en particulier les Saints du Dragon, qui portaient des armures jumelles, l'une de jade, l'autre noire comme la suie. Nous parvînmes à endiguer l'attaque des Titans, mais plusieurs explosions et sons des Cosmos s'affrontant à l'arrière des lignes, dans les zones des Piliers, m'inquiétaient.
Le signal de la retraite sonna lorsque, comme annoncé, le rayon d'Or de la lance de Chrysaor s'éleva dans le ciel, au niveau du Pilier du Pacifique Sud. Lorsque nos troupes y parvinrent, nous y retrouvâmes le Général Frozia du Chrysaor, mais également Ditfrid du Kraken et l'Impératrice Amphitrite elle-même. Tous observaient une bulle sombre d'énergie, qui recouvrait toute une zone au pied du Pilier. D'après ce que le Général Frozia nous exposa, Tethys avait été vaincue par le Général Ditfrid, mais Japet des Dimensions, le dernier Titan présent, avait tué le Général Malo de Scylla, et affrontait à présent le Général Antée du Dragon des Mers à l'intérieur de cette prison.
La bulle se brisa peu après, et le Titan Japet jeta à nos pieds les corps sans vie de Scylla et du Dragon des Mers. Même Antée, que l'on surnommait "le Fils de Poséidon" pour sa force, n'était parvenu qu'à craqueler l'armure du Titan. Au même instant, une nouvelle présence divine, si imposante que moi-même pouvais la sentir, éclata au niveau de la barrière de corail que nous venions d'abandonner. Un nouveau Titan, nommé Hypérion, venait d'arriver et sa voix, par télépathie, réclamait la tête de Ditfrid du Kraken pour avoir tué sa sœur.
Frozia du Chrysaor implora Dame Amphitrite de se retirer vers le Pilier central pour y tenir une dernière ligne de défense, si le pire devait arriver, et défia Japet en combat singulier. Le Général du Kraken affirma qu'il allait, d'une manière ou d'une autre, bloquer Hyperion à la barrière de Corail. Il confia au Général du Chrysaor l'Armure d'Achilles, qu'il avait porté et qui lui avait permis de vaincre Tethys. Alors que les parlaient, je remarquait que leur gestuelle et leur intonation laissait penser que les deux avaient une relation plus ancienne et profonde que celle que je croyais, même pour deux Généraux. Alors que les Chevaliers de Bronzes accompagnaient Ditfrid à la brèche et que l'essentiel de ce qu'il restait de nos forces retournait au Pilier central, je décidais avec une unité de rester au pilier de l'Atlantique Sud pour surveiller le combat du Général Frozia, et l'assister dans la mesure du possible.
Ce duel du bref, mais étrange. Équipée de la lance de Chrysaor et de l'Armure d'Achilles, fusionnée à son écaille, Frozia parvenait à échanger des coups d'égal à égal avec le Dieu déchu. Cependant, répondant à la provocation de Japet, le Général du Chrysaor se jeta corps et âme dans la mêlée, parvenant à couper l'un des membres du Titan des Dimensions, mais non pas sans elle-même perdre son bras droit.
Se déroula alors quelque chose que je ne m'explique pas, et qui me conduit à remplir ce rapport avec tant de détails. Un Cosmos noir, semblable au Dunamis des Titans, entoura le corps du Général Frozia, soignant ses blessures, et rattachant même son bras tranché là où il se trouvait. Japet changea alors d'attitude du tout au tout, et sembla déclarer quelque chose au Chrysaor qui la mit dans une rage sans nom. Elle parvint sous cette impulsion à transpercer le poitrail du Titan de sa lance, mais il me semble que Japet avait accepté de recevoir le coup. Avant de rendre l'âme, il lui remit la lame noire de son armure, celle issue du bras qu'elle lui avait arraché.
Suite à ce duel, Frozia du Chrysaor était mal en point, mais le dernier Titan qui nous avait attaqué avait été défait. Dans le ciel, le dôme de ténèbres commençait à vaciller. Me portant auprès de notre Général, je pris le temps de soigner ses blessures du mieux que je pouvais. Celle-ci me laissa faire, gardant le silence et semblant ruminer les paroles du Titans. Avant que je puisse tout à fait bander ses plaies cependant, une nouvelle menace fit son apparition. Une menace telle que, alors que nous venions à peine d'entrevoir une lueur d'espoir dans ce combat, nous fûmes renvoyés dans les profondeur du désespoir.
Cronos, le Roi des Titans, venait d'arriver au Sanctuaire sous-marin.
Alors que le dôme d'énergie qui enfermait le Sanctuaire Sous-Marin avait semblé, quelques instants plus tôt, sur le point de se briser, la présence du Maitre des Titans l'avait en un instant renforcé de plus belle. La voix du Dieu avait résonné sous la mer, nous déclarant comme hérétiques dénué de toute chance de victoire, et exigeant notre reddition et le désaveu de notre seigneur Poséidon. Nous fûmes tout d'abord paralysés par cette annonce, mais le Général Frozia s'était déjà relevée. Il y avait quelque chose de différent dans son regard. Loin de la rage qui l'avait habité tout au long de cette bataille, c'était à présent un calme étrange qui l'habitait, comme si quelqu'un d'autre avait pendant un instant pris possession d'elle. Sa voix me sembla tout aussi différente lorsqu'elle nous demanda de rester ici et de nous occuper des derniers serviteurs des Titans.
Ce qui lui arriva par la suite, je l'ignore. Elle s'élança vers la barrière de corail, là où la présence de Cronos était apparue. Moins d'une heure plus tard, alors que nous rejoignons les autres survivants au Pilier Central, le dôme de Cosmos créé par les Titans s'effondra, permettant à notre seigneur Poséidon de se réincarner et nous gracier de sa présence.
J'ai passé les jours suivants à coordonner les recherches des survivants dans les alentours de la barrière de corail. Si nous avons pu retrouver certains de nos Généraux encore vivants, tel que Gastone des Lyumnades, plus de la moitié des 7 gardiens des Piliers ont été tués ou portés disparus suite à ce conflit. Malgré le retour de son Seigneur, le Royaume Sous-Marin est plus faible que jamais, et nous sommes nombreux à craindre pour l'avenir.
J'ignore ce qu'il est advenu de Ditfrid ou d'Hyperion, ou de Frozia et du Dieu Cronos. Une semaine après ce dernier combat, la Scale de Chrysaor est réapparue sur son socle devant le Pilier de l'Océan Indien. le Général Frozia a été déclarée tuée au combat, en faisant honneur à son rang. Pour avoir accompli le sacrifice ultime et repoussé un Dieu de l'ancien temps, son nom fut gravé sur le mur des mémoires, dans la cité d'Atlantis.
Même si l'on ignore tout de son sort, même si l'on ignore comment elle a pu disparaitre ainsi avec le plus puissants de nos ennemis, il est indéniable que notre Royaume n'aurait surement pas tenu sans sa présence.
Je m'assurerai que les noms des Généraux tombés au combat ce jour-là ne seront pas oubliés.
Part III : Souvenirs Perdus
Mais qu'est-ce que je foutais là, au final?
Cette question était apparue dans ma tête un bon paquet de fois, ce jour-là. Cet écho qui se répétait à l'infini alors que je combattais dans le Royaume Sous-Marin s'était amplifié à chaque mort, à chaque adversaire qui me faisait face, jusqu'à devenir cette voix qui me donnait en permanence mal au crâne. Ou était-ce là un effet de la douleur de cette chose qui s'était logée dans mon œil gauche, lors du combat avec Japet, et qui me faisait souffrir le martyr depuis? Quoi qu'il en soit, à ce moment, j'étais bien incapable d'y répondre. Puisque mon esprit ne pouvait penser de manière rationnelle, mon corps bougeait tout seul pour se tailler un chemin vers mon objectif, ma cible. C'était la seule chose qui faisait du sens à cet instant pour moi: je devais me débattre, lutter, blesser, tuer. C'était cela, où disparaître.
Ce que je foutais là? Aucune putain d'idée. J'essayais de survivre. Et à ce jeu-là, j'étais visiblement assez nulle.
Agissant par instinct, en suivant cette voix qui me disait où aller, j'avais suivi les pas de Ditfrid lorsqu'il était allé combattre Hyperion. C'était non loin de là où je sentais toujours son énergie se déchaîner face au Cosmos d'Hyperion que je me retrouvais face à lui, Cronos, le Roi des Titans. Même sans ce Cosmos écrasant qui me fit poser genoux à terre, j'aurais su qu'il s'agissant de lui. Sans que je sache encore comment, je connaissais son visage, sa présence, comme s'il avait été une vieille connaissance, un ami longtemps disparu.
Son regard se porta sur moi.
« Mnemosyne. Lorsque nous avons appelé à nous nos frères et sœurs après notre réveil, tu as brillé par ton absence. Abandonne cette enveloppe brisée qui ne sied guère à ta personne. Nous avons... »
« Ta gueule... »
« Nous ne nous adressions pas à toi, insecte. Notre soeur, Mnemosyne de... »
« Ta gueule putain! Ce n'est pas mon... Notre nom! »
La douleur dans mon œil gauche se faisait plus violente à chaque mot prononcé par Cronos. Ce qui était logé dans mon crâne s'agitait, étendant progressivement les racines de la douleur au reste de mon corps, me faisant trembler comme prise d'une violente fièvre. Cette souffrance eu néanmoins l'avantage de me tirer de ma paralysie. Je me jetais sur Cronos, dans une tentative désespérée de garder mes esprits et de ne pas disparaître dans cette masse de noirceur et de douleur que je sentais grandir en moi.
Mais aucune de mes attaques ne porta. Ni la lance de Chrysaor, ne le vent du Khamsin, ne parvinrent à seulement faire bouger Cronos de sa place. Plus humiliant encore, il ne ripostait pas, se contentant de me repousser à coups d'onde de choc issues de son Dunamis qui, si je n'avais pas porté la fusion de ma Scale et de l'Armure d'Achilles, m'aurait surement mis à mal. Je sentais, à chaque assaut, mes os et mon armure sur le point de se morceler. Et le Dieu, imperturbable, continuait à me parler comme si j'étais sa soeur, cette Mnemosyne. Etait-ce donc elle, la Déesse que Japet avait senti en moi lors de notre combat, cette présence qui était en train de la grignoter de l'intérieur? Des saloperies de parasites ces Dieux, tous autant qu'ils sont...
Ma dernière tentative, alors que je cherchais à percer la protection de Cosmos de Cronos à l'aide de ma lance d'or, se solda par un échec qui envoya mon arme loin de moi, et brisa une partie de mon armure. Alors que je reprenais mon souffle, le Dieu des Titans commença à s'avancer vers moi. Lorsque sa main se porta sur mon front, je senti de nouveau cette obscurité profonde m'entourer et m'engloutir, comme lorsque Japet m'avait arraché le bras. Cette fois cependant, je sentis quelque chose me retenir, comme une bouchée d'air qui m'offrit un moment de répit.
A ma hanche, la lame que Japet m'avait confié résonnait avec le Dunamis qui s'éveillait en moi. La saisissant par instinct, je tentais d'attaquer Cronos avec, presque à l'aveugle. Mais plutôt de le trancher lui, la lame sembla couper l'espace dimensionnel entre lui et moi, faisant naître une brèche qui nous absorba tous els deux. L'instant suivant, nous n'étions plus au Sanctuaire Sous-Marin, ni même dans la même dimension que celui-ci.
L'énergie de Mnemosyne continuait de me ravager le corps et l'esprit. Je sentais la voix dans ma tête qui me répétait d'abandonner, de lui laisser le contrôle, mais ma poigne qui se refermait sur la lame de Japet, serrant jusqu'à faire couler mon sang, permettait à ma conscience de garder pied. Autour de moi, tout n'était que formes et couleurs changeantes que je ne parvenais pas à saisir. Le seul point fixe était Cronos, d'un calme impérial, qui continuait de m'observer, du même regard plein de pitié qu'on accorde au cadavre froid d'un animal renversé sur le bord de la route.
« Ta volonté d'échapper à l'inéluctable est commandable, mais ultimement futile. Tu ne pourras pas maintenir cet espace dimensionnel bien longtemps, et nous retournerons dans le monde de mes fils pour y délivrer notre jugement. »
« Tu vas... Rester ici... »
« Tu n'as pas la puissance nécessaire pour de telles fanfaronnades. »
« Moi? Non... Mais ta soeur par contre... Il est temps de prélever son loyer. »
A ce stade, c'était de nouveau mon instinct qui parlait. Cependant, contrairement à ces petites voix qui m'avaient guidé à Cronos, surement soufflées par cette Titanide qui me squattait la tête, cette fois-ci je me sentais réellement en confiante de mes gestes. Les voix de Mnemosyne me mettaient en garde, me hurlaient d'arrêter et rebrousser chemin... Mais je comprenais ainsi que j'étais sur la bonne voie. Utilisant le Dunamis de la Déesse de la Mémoire avant que celle-ci ne prenne complètement le contrôle de mon corps, je me jetais sur Cronos, passant ses protections à l'aide de la lame de Japet, et m'offrant surement la seule et unique chance de stopper la Guerre des Titans avant que celle-ci ne commence réellement.
Ma main parvint à se porter sur le visage de Cronos, qui pour la première fois dégagea une émotion : l'incompréhension.
« Bonne nuit. »
Je ne comprenais pas exactement ce qu'il se passait, mais j'avais en plantant mon œil unique dans ceux de Cronos accès à sa mémoire. Ce fut un flot incontrôlable qui se déversa alors dans mon esprit, des millénaires de pensées, sentiments et expériences qui causèrent des dommages à mon esprit dont je n'ai aujourd'hui toujours pas complètement récupéré. Mais au milieu de ce flot confus et ininterrompu, il y avait des moments de clarté : les souvenirs du Titan depuis son éveil. Je savais quoi faire.
En effaçant les souvenirs de Cronos depuis qu'il possédait cette enveloppe, je pouvais le renvoyer au moins temporairement dans son sommeil, peut-être même le forcer à chercher un nouveau corps. Il ne se souviendrait jamais de cette altercation, mais au moins cela laisserait aux autres Dieux le temps de se préparer à son retour.
Le Roi des Titans murmura quelque chose avant de sombrer dans le sommeil et de s'éloigner de moi, dérivant dans cet espace entre les dimensions. Cependant, je ne l'entendis pas. Utiliser les pouvoirs de Mnemosyne avait visiblement été l'élément final qui avait permis son réveil. Je sentais progressivement sa conscience supplanter la mienne, effacer mon existence du corps qui ne m'appartenait presque plus. Usant de mes dernières force, je pointais la Khaos Blade de Japet vers mon torse, renvoyais ma Scale vers la dimension d'où nous venions, et tentais de terminer cela une bonne fois pour toute.
« Le sang qui coule dans les veines de ta lignée possède réellement un pouvoir effrayant. Choisir vos corps pour ma réincarnation était une bonne décision. Je ne te laisserai pas mettre un terme à ta vie alors que mes ambitions sont enfin sur le point de se réaliser... »
Le reste de l'histoire? Si je pouvais la raconter, je le ferais.
Mais il ne me reste que quelques images, des souvenirs fragmentés d'une lutte avec Mnemosyne pour le contrôle de ce corps. Je ne parviens pas à déterminer lesquels de ces fragments mémoriels sont des illusions et lesquels sont réels. Avec les pouvoirs de la Déesse de la Mémoire dans l'équation, qui pourrait le déterminer?
Je me souviens d'un labyrinthe, d'une descente sans fin vers des profondeurs insondables. Je me souviens de multitudes de visages, identiques au mien mais pourtant différents. De multiples vies de multiples couleurs qui se répétaient sans jamais se ressembler. Des combats, du sang, le bras que je me suis moi-même coupé dans cette folie. La rage de la Titanide, et sa cruauté lorsqu'enfin je parvins à l'expulser de mon être.
Il n'y a qu'un seul moment dont je parviens à me souvenir avec une certitude absolue, mais qui ne fait pourtant aucun sens.
C'est un horizon cosmique, une frontière invisible devant laquelle je me tiens. Au-delà, je vois une lumière qui se devine aux confins de l'espace qui m'entoure. Des formes, serpentines, tournant autour de cette source de lumière, m'interpellent, m’invitent à approcher. Mais je sens que si je dépasse cette limite, si je fais un pas de plus pour m'approcher et mieux observer -tout observer-, alors il me sera impossible de faire demi-tour et de retourner d'où je viens. Mes doigts se tendent pourtant, j'effleure la frontière de cette conscience, sentant que là est la vérité à toutes les questions que je me suis jamais posé.
Mais je sens un autre appel. Un appel connu, que j'ai autrefois ressenti dans mon enfance. L'appel de la Mer, des profondeurs, de la quiétude qui m'a autrefois été promise.
Et je me souviens choisir l'ignorance plutôt que la vérité, tourner les talons et me détourner de cet horizon.
Cela ne fait pas beaucoup se sens. Ni pour vous, ni pour moi. Mais mon intuition me dicte qu'en vérité, c'est la seule chose qui fait réellement sens dans cette histoire chaotique.
Libérée de la présence de Mnemosyne et de l'attrait de cette vision, j'ai ressenti ce Cosmos familier qui me rappelait à ses côtés. J'ai refermé ma main, retrouvant le contact désormais familier de la lame des Dimensions, et dans un dernier sursaut de mes forces faiblissantes, je coupais le voile pour retourner à la réalité. Avant que je perde conscience, je me souviens simplement avoir reconnu la vision rassurante et connue d'un ciel sous-marin au-dessus de moi.