Le ressac des vagues se brisant contre la coque d'un bateau ; le chant des oiseaux surplombant les mers et oscillant entre les falaises indécentes d'une île bordée par la mer ; le cri des marins pariant leurs âmes sur les quais de sa ville chérie ; et puis cette incroyable odeur de vin qui flattait ses narines… Tout ceci était autant d’indices révélant les heures sombres qui attendaient le Maître d'arme. Nul besoin d'être un génie, Sohan avait deviné.
Son cul était en territoire ennemi. Et dans une putain de cale.
L'Epéiste réprima un haut le cœur ainsi que quelques mots interdits. S'il s'était senti secoué, un pic d'adrénaline l'avait aussitôt remit sur pied et sans plus attendre, sa paume saisit le manche de son épée. Prêt à en découdre. Ou prêt à trancher. Son souffle rythma ses sens, alors à l’affût. L'homme attendit. Longuement. Et même patiemment. Sa lame menaçait le vent sans pour autant en abîmer ses couleurs, précises et inébranlables, comme il en avait l'habitude.
De toute évidence, le ton qu'il prit se chargea bien assez tôt de couper court à ce maudit silence !
« Est-ce qu’un pleutre aurait l’amabilité de se présenter face à moi ? J’attends de pied ferme, je suis patient. »Ses yeux cheminèrent de gauche à droite, à la recherche d’un intrus à accueillir ; à pourfendre. Personne. Où donc se trouvait-il ? Il n’aurait su le dire. Tout était trop flou. Depuis son réveil, il lui semblait impossible de regagner la terre ferme sans que la mer ne l'éloigne encore une fois de son foyer...
Il était tel Ulysse : voué à braver une mer houleuse et à crever comme un chien.
Après quelques secondes de réflexion, l’homme baissa les armes et se massa la tête avec nonchalance. Puis il soupira. Et, non sans prier Arès de lui permettre de goûter à nouveau le plaisir de croiser le fer, l'amnésique enjamba les marches de l'escalier et regagna le pont du bâtiment. A la lumière du jour, il regagna ses esprits. Et tout devint alors plus clair.
Il n'y avait plus rien ici, sauf des cadavres...Partout.
Partout, car c'était une affaire réglée depuis déjà bien longtemps.
Première partie : Que dit-on au Dieu de la Mort ?
D'aussi loin qu'il puisse s'en souvenir, ça avait toujours été ainsi, même dans sa ville. Avant de se réveiller et de vouer son âme au dieu de la guerre, il avait eu froid. Un sentiment étrange, entre bravoure et couardise. Les soldats ne la ressentaient que sur un champ de bataille mais le petit garçon qu'il était l'avait déjà expérimenté dès les premières années de sa vie. Protéger sa ville n'était pas mince affaire mais quand le cœur des hommes résonnait suffisamment fort pour briser le fer d'une lame émoussée, alors on pouvait espérer voir la Citadelle continuée à se dresser face à ceux qui lui voulaient du mal.
Mais quand il s'agissait d'un enfant itinérant, ayant cédé la sédentarité occulte de sa mère au profit d'une vie placée sous le signe du voyage et des dangers, une phase d'observation s'imposait. Sa déduction à lui, Sohan, l'avait mené à cette subtile fascination qu'il éprouvait de guerrier en guerrier, de soldat à soldat. C'était comme inscrit dans son sang, et jamais il n'avait douté de sa vocation. Quand il tombait, il se relevait pour reprendre son arme en bois pour, de nouveau, croiser le fer avec son premier maître d'arme. Cela dura quelques années où il avait pu profiter d'un moment de stabilité. Même si sa curiosité l'amenait à apprécier chacun de ses nouveaux voyages, vivre comme un enfant normal avait été une merveilleuse expérience. Mais à chaque fois, à chaque moment de bonheur, une seule et même Fatalité finissait par revenir en boucle : la ville sombrerait. Bientôt, elle ne redeviendrait plus que l'ombre d'elle-même. Et ces enfants, ces adolescents et ses ouvriers qui œuvraient pour une lutte bien différente ne pouvaient être qu'avaler par cette spirale infernale. Odieux Ouroboros...Son maître épéiste céda son dernier souffle durant cette grande guerre pour protéger ses élèves de cette première invasion. Tous avait pleuré pour ces guerriers, mais pas un seul n'avait vu la beauté de leurs gestes.
Une cicatrice sur son torse : c'était sa première, pour sa première victoire. Pour la Vie et contre la Mort.
Sanguins de nature, Sohan avait fini par rejoindre le terrain à l'adolescence, comme tout autre homme. La première fois qu'il tua un homme, ce fut en tant que chair à canon en Espagne. La dernière, ce fut en tant que Sohan, la Virevolte de Rome. Il avait fait du chemin. Un long chemin. Le genre de chemin qui suscitait une telle jalousie que cela ne pouvait que balayer une légende certainement trop honnête. Qui aurait pu accepter qu'un foutu connard revenu à l'âge d'une vingtaine d'années depuis un long voyage puisse protéger une ville sans arrières pensées de gloire ? Cet étranger, barbare et martial, ne pouvait que désirer les évincer de leur place... Qu'il laisse donc la place aux politiciens qui en savait mieux que lui !
A leur plus grand étonnement, ce fut la dernière action de Sohan. Par précaution et ne désirant pas bouleverser l'Italie qui souffrait de ce siècle de décadence, il se retira de ces affaires trop illustres pour se préoccuper de ses propres élèves, qu'il chérissait tant. Mais, qu'importe ce qu'il aurait pu faire, tout ce qui l'attendait, c'était les mains glaciales de la Mort qui menaçait d'emporter la menace tactique qu'il représentait...Avec les armes à feu qu'il employait avec une intelligence désintéressée, il y avait un quelque chose de sale dans les guerres qu'il préparait...
Douce ataraxie, ne percevait-il pas que son vin était plus âcre par le venin d'un serpent ?
Ce qui tacha son corps, fut la noirceur d'une chair atrophiée et la douleur de la vieillesse...
Il n'y aurait plus d'épéiste douteux, désormais. Bon à rien, voué au Sommeil, Sohan avait eu la Chance de profiter de sa bonne étoile pour continuer à ouvrir les yeux. Mais celle-ci continua à l'éclairer une fois de plus, sans qu'il n'en garde souvenir. Il y avait eu un homme, ou une femme à son réveil. Il ne savait plus trop. Toutefois, ce dont il était sûr, c'était qu'une chaleur avait enveloppé son corps d'une telle manière que pour la première fois de sa vie, le Général, stratège barbare de son état, s'était senti vivre. Son cosmos s'était alors réveillé lorsqu'Arès fit son appel, saluant la bravoure désintéressée d'un homme qui ne pouvait plus que rêver de regagner son art et son talent à tout prix...Un dieu de la guerre, le vrai, avait exaucé son vœu et l'avait remis sur pied en lui offrant sa Cuirasse. Sans doute avait-il une quelconque valeur à ses yeux...
A ses yeux, les Hommes ne pouvaient prouver leur véritable nature qu'en se confrontant aux plus horribles misères de la guerre. Certains se fanaient tristement. Mais d'autres brillaient, et ceux-là étaient méritants.
Au service d'Arès, Sohan s'était dit qu'il pouvait bien dire non à la Mort.
Oh ! Si seulement il avait su qu'il se serait réveillé à l'autre bout du monde...
Deuxième partie : Départ depuis le port
Il n’eut pas le temps d’y songer davantage qu’un grattement contre la porte de la cabine se fit entendre. Par curiosité, Sohan s’approcha d’elle et l’entrouvrit.
Un museau agressif surgit de l’entrebâillement, suivi d’un coulis de bave. Cerbère de cette porte, démon de cette nuit, la Bête avait faim, faim de liberté. Et ce fut d’un geste de la tête particulièrement dynamique qu'elle brisa les dernières chaînes qui la retenait enfermée, tant et si bien qu'elle regagna le jour. Foutue petite masse menaçante mais pleine de gaieté, ses pattes se jetèrent sur lui. Avec soulagement, le brun constata qu’il s’agissait de Menos, son jeune chien. Voir ce gros molosse secouer ainsi de la queue ne put qu’hisser un sourire plutôt charmant sur le visage de Sohan. Fermant les yeux, le métis huma cet air iodé, cette douce brise méditerranéenne qui caressait ses joues...
Alors, il était enfin revenu en Italie ? Vivant ? En entier ? Complètement et parfaitement assouvie de toutes ces luttes ? Voilà qui réjouissait l'épéiste. Il se souvenait de nouveau d'une partie de son passé ! Teramo était sa ville, Rome sa capitale, mais leurs politiques avaient fini par évincer leur soldat, devenu trop menaçant pour ces hommes qui peinaient à rendre la gloire d'un pays en perdition. Mais que s'était-il passé durant ces années de convalescence ? Qui l'avait donc soigné ? Qui avait eu pitié d'un épéiste ayant été la victime d'un terrible empoisonnement, d'une sanction ayant bien failli le priver de son art ? Même avec un fusil en main, il était devenu inutile. Et peu à même d'aller sur le terrain. Arès lui avait redonné l'opportunité de regagner le combat. De le vivre pleinement. De protéger ce qui devait l'être, de faire crever le reste. Durant son sommeil, beaucoup avaient rendu l'âme alors qu'il aurait dû les protéger. Sa main ne pouvait alors que saisir ce cadeau qui lui était offert sur un plateau d'argent. Et, plus il croisait le fer, plus il découvrait de nouveau les mystères de son passé...
De quoi le motiver à se dresser face à ses adversaires !