Le monde est petit [FB Ryu/Hyu]

Le regard dans le vague, perdu sur la crête d’écume des formes du même nom, elle avait les mains plongées dans le bol de bambou tressé où les balaou se faisait vider les entrailles.

Ses gestes nonchalants imprimaient à ses mains des postures dignes d'un ballet gracieux. Même les traces de sang poisseux dégoulinant de ses doigts quand elle jetait les viscères a la mer ne ternissaient pas la beauté de l'instant.

Il faisait nuit depuis longtemps maintenant et l'eau perdait peu à peu la chaleur volée au soleil durant sa course du jour. Ses doigts devenaient gourds alors que la rigidité cadavérique des poissons les métamorphosait en petites dagues miroitantes bordées de bourrelets carmins.

Brisant la surface de la mer par de rapides et furtives percées, les charognards de l'océan venaient se repaître, gueule grande ouverte, du festin facile et journalier sans comprendre l'ironie de leur aubaine.

Demain ils seraient peut-être de ceux au ventre fouillés par les doigts pâles de la poissonnière.

Le musique des vagues mourant sur le rivage ne couvrait pas le grondement apaisant de celui accompagnant leur naissance plus loin dans la nuit noire. Hyujae adorait les sons puissants et calmes de ce fracas immuable. Les vagues n'étaient que des ondes portées par le courant, fortes et implacables mais à peine visibles, puis leur existence se révélait alors qu'elles s'écroulaient sur la côte comme un prédateur se jetant sur sa proie.  

Les tâches dansantes des torches plantées dans le sable plus loin ajoutait une touche orangée au tableau bleu et noir de son lieu de travail. En retrait du village, après avoir passé la plage de sable et les premiers cailloux, elle avait choisi un point rocheux surplombant la masse d'eau où l'écume n'était pas encore connue. D'ici, les déchets ne seraient pas repoussés vers les abords du village, évitant les charognards terrestres et les odeurs nauséabondes pour les premières maisons proche de la mer, autrement dit la sienne.

Absorbée par son ouvrage, la quasi totalité du village endormi ne pouvant l'entendre, elle se prit a fredonner une vieille chanson que sa mère avait pour habitude de chantonner en se balançant, un nouveau né au sein.

« Muiiya ? Muiiya ? Sesange mudnoni. Saengsareul gareume jeongchiwa kari dareul ge mueonya. Cheonjungui ireum eopneun saeya, wae keurido guseulpeuge uneunya ? Eochapi deulkkochi jin jarineun, chajeul su eopji anhneunya. »

( « Il y a-t-il une différence ? Je demande au monde de décider de la vie ou de la mort. Il y a-t-il une différence entre les politiques et les lames ? Toi l'oiseau sans nom dans le ciel, pourquoi siffles tu si tristement ? Tu ne peux pas trouver où sont tomber les fleurs sauvages de toutes façons... »)

chanson:

Les paroles moururent sur ses lèvres, la laissant fredonner vaguement l'air connu quand un tronc cogna sur la roche en contrebas, attirant son regard et lui intimant le silence.

Quelque chose par dessus tout lui fit plisser les yeux et s'attarder sur la masse sombre. Elle avait un visage et du sang se mêlait à l'océan par une plaie d'une nature inconnue.

Nul besoin d'avoir étudié les langues étrangères pour savoir que les mots rudes prononcés dans son dos n'étaient pas Coréens mais Japonais. Ces chiens avaient l'âme trop conquérante pour ne pas avoir déjà tenté leur chance – et parfois réussi – à piller ou annexer certains villages. Pas besoin non plus d'être particulièrement intelligente pour être capable de déduire que l'instant était critique. Une voix d'homme Japonais plutôt dans l'ordre que dans la bienveillance... un cadavre se balançant au grès de la houle... si elle n'avait pas entendu des cris sur sa droite, en provenance du village, elle aurait sûrement sauté à la mer en espérant etre capable de rejoindre un des ilots de roches méconnus des non-natifs.

Le réflexe de détourner la tête vers les cris lui offrit le loisir de découvrir le paysage orangé et rouge d'un coucher de soleil mais dans le mauvais sens. L'angoisse lui enserra le cœur... ses ongles glacés s'enfonçant subitement dans sa gorge.

« SuRyeon'ah ! »

Sans se retourner, en ne comptant que sur sa seule plus-value de la connaissance du terrain, elle balança bol et contenu en direction de la voix, courant aussi vite qu'elle le pouvait en esquivant les endroits dangereux tout en priant pour que ce type se casse une jambe le long de la ravine escarpée.

« Andwae andwae andwae... » (non non non)

A mesure qu'elle approchait des maisons les cris de terreurs et le hurlements des assaillants se faisaient aussi perceptibles que l'incendie commençant à gagner les cœur du village. Visiblement Mapo était au centre d'une querelle avec des nippons mais pourquoi ?

« SuRyeon'ah ! SuRyeon'ah ? »

Âgée de neuf ans, elle était la seule personne à qui elle était réellement attachée. Père, mère... des mots qui sonnaient creux ou pire, comme un fardeau mais ce n'était pas le cas de la petite fille qu'elle espérait en sécurité.

Dans sa course, elle dépassa deux ou trois cadavres, elle n'était pas certaine qu'ils soient morts ou seulement sans conscience à cause de la fumée et peut être des coups des autres hommes plus loin, armés de bâtons bizarres. De toute façon la maison modeste d'un pêcheur qui l'était plus encore n'était qu'à quelques pas. Elle s'y engouffra par l'arrière sans ralentir avant d'être arrivée à hauteur de la paillasse où dormait la petite fille.

Quand Hyujae se pencha par dessus son épaule en repoussant le linge qui la recouvrait jusqu'au nez, elle découvrit son regard vif et apeuré. D'un geste délicat, elle repoussa une mèche de cheveux et posa son index sur sa propre bouche, ses mains trop sales et puantes pour toucher la peau de l'enfant.

« shhh... »

Sans se soucier de la survie de leurs parents, et parce qu'elle savait pertinemment qu'elle n'avait sûrement grappillé que quelques secondes, elle attrapa la petite silhouette et l'emporta dans le coffre à riz. Grande caisse que la pauvreté de ses parents ne garnissait jamais plus de la moitié, elle fit signe à sa petite sœur de s'y cacher, de s'y enfouir même et de ne surtout pas bouger.

« Ne sors que lorsque le silence sera revenu d'accord ? S'il y a du bruit tu restes là dedans... arrasseo ? » (compris)
« unnie... » (grande sœur)
« shhh... ajima. » (ne fais rien)

Doucement elle appuya sur la tête de l'enfant, la faisant disparaître sous le couvercle du coffre avant de quitter la maison pour ne pas y attirer le danger sans doute sur ses pas.

Tout ce qu'elle ressentait lui rappeler les rares fois où, durant les fêtes du printemps et de la moisson, elle buvait un peu trop de boisson laiteuse alcoolisée... à ceci près que le côté gauche de son front ne saignait pas à son réveil.

La douleur lui faisait plisser les yeux comme si son crâne pouvait tenter de s'écouler par ses cavités oculaires tandis que les pulsations de son cœur empiraient son mal au même rythme que les vagues plus loin.

Ce type l'avait chassé comme un vulgaire gibier qu'on assomme avec une pierre mais quand elle réalisa que l'objet qu'un larbin tenait à sa main pour le rendre à son propriétaire était une geta, la colère l'emporta sur la peur durant un instant. Pourtant il fallut bien admettre que sonnée par la lourdeur du bois et maintenue par deux hommes de main, elle n'en menait pas large lorsque le nippon l'obligea à relever la tête d'une poigne trop ferme sur son menton.

Lorsqu'elle ouvrit les yeux pour faire face à celui qui allait sûrement la violer avant de l'écorcher et la jeter aux requins, elle eut un regain de frayeur. Il avait la peau la plus sombre qu'elle n'est jamais vu. Ses cheveux avaient beau être coiffés comme le voulait la mode japonaise, ils avaient l'apparence de fils de charbon. En une seconde elle se prit à penser qu'un démon de feu avait été envoyé par les pirates... un démon qui survivait aux flammes... y noircissait sans se consumer et ses jambes manquèrent de refuser de la porter. Ce fut le seul moment où elle apprécia d'être soutenue par les deux serviteurs de l'homme noir.

Il n'eut même pas peur de ses yeux.

Ses hommes si, alors qu'elle se jugeait bien moins effrayante que leur chef et ce par bien des façons.

"An..." elle toussa, sa gorge sèche nuisant à sa diction. "Ani... Salgoshippeo..." (non, je veux vivre.) La forme était impolie mais il n'avait pas fait usage de plus de retenue dans ses paroles et quitte à mourir...

" Neo... Nega … naleul dachigehamyeon neoneun jeojubad-eulgeoya." (Toi... toi là, si tu me blesses, tu sera maudis...)

Elle s’efforçait de regarder le sol, sans viser personne pour mieux cibler tout le monde, comptant sur la peur qu'elle pouvait inspirer à certains des plus superstitieux mais le démon avait déjà ordonner qu'on la ramène sur le point rocheux où elle avait tenté de lui échapper.

C'est à cet instant qu'elle prit la décision qui lui semblait la moins difficile pour elle. S'ils tentaient de la violer, elle se suiciderait.

A mesure qu'ils se rapprochait de l'océan, le vent frais balayait son visage en lui rendant peu à peu des bribes de vigueur. Un calme placide envahit son coeur et apaisa son esprit. Si son heure arrivait ce soir et si cela devait être de la main d'un monstre de l'enfer, qu'il en soit ainsi. Au moins elle serait délivrée d'une existence sans charme... d'une vie creuse ayant pour seule raison d'être, le hasard d'un rapport fécond.

Les dires toujours aussi incompréhensibles et froids du yakuza la tirèrent de sa réflexion juste à temps pour s'apercevoir de la crainte qu'elle avait réussi à inspirer dans les rangs, y compris dans le coeur d'un de ses gardes. Le bougre était tout agité, partagé entre la loyauté qu'il devait à son chef et entre l'angoisse d'être puni par la prétendue femme maudite. Il hésita peu de temps, lui lâchant l'avant bras en faisant volte face, cherchant à détaler à toutes jambes.

C'était sans compter sur la vélocité et la férocité du sombre nippon.

Elle allait profiter de sa fuite pour tenter une échappée belle en faussant compagnie à son dernier chaperon quand elle se rendit compte que le premier avait été intercepté d'une manière brutale et impressionnante. Si elle avait le moindre doute persistant sur la dangerosité et la barbarie de son agresseur, il s’évanouit immédiatement.

Il tenait le fuyard par le visage, ses doigts semblant fusionnés à la face du second couteau qui suppliait pour sa vie. Ça, elle l'avait déjà entendu parce qu'il fallait bien apprendre à supplier un potentiel pirate venu de l'autre côté de la mer.

Il s'agitait, cherchant à respirer malgré la grande paume recouvrant sa bouche mais il n'eut pas le temps de s'asphyxier que le chef yakuza serra sa poigne, éclatant sous la pression le crâne de l'homme soudainement silencieux. Le son de la mort s'abattant dans un flot de sang, de chair, de matière cérébrale et d'os lui rappela vaguement le bruit des melons d'eau éclatant au sol en tombant du haut de la pile du marchand en voyage. Un son humide et visqueux... répugnant... proche de vous donner la nausée.

Le sang reflua de son visage, lui donnant l'apparence fantomatique d'un spectre coutumier du folklore coréen.

"... Seolma...." (c'est pas possible...)

Elle ne sentit pas vraiment les doigts du nippon lâcher sa prise tant elle n'avait d'yeux que pour le monstre couvert de sang s'avançant vers eux. De sa main gauche des morceaux de chair et du liquide poisseux dégoulinaient par à coups, venant salir un peu plus Mapo.

Elle était terrifiée. Parfaitement et totalement terrifiée au point que fuir n'était même plus une option dans la balance.

Elle l'entendit marmonner quelque chose en approchant encore mais la teneur du message lui fit défaut et elle dû lutter pour ne pas s'effondrer, impuissante et vaincue, face à l'horreur personnifiée.

Elle sentait chacune de ses cellules frémir et s'agiter alors que son enveloppe elle-même demeurait parfaitement immobile si on exceptait les tremblements imperceptibles. Son regard n'arrivait pas à se décrocher des restes du crâne brisé.

Bien sûr que sa façon insultante de s'adresser à elle aurait été une raison de se rebeller en un autre temps ... mais ce soir, la moitié du village incendié, des habitants abattus, d'autres calcinés ... un humain soulevé de terre par un démon capable de lui broyer la face et d'abandonner son corps raccourci pour mieux s'approcher d'elle ... tout ça s'entremêlait à la surface de sa psyché, la clouant sur place, court-circuitant toute autre pensée autre que "alors voilà... c'est ma fin..."

Elle eu un soubresaut en sentant le toucher trop chaud pour sa peau battue par les embruns, retenant un haut le coeur en comprenant que les résidus d'un humain se collaient sur sa joue. Il lui parlait... encore et toujours cette façon absurde de lui parler dans une langue qu'elle ne comprenait pas. Son manque de réaction dû l'agacer car il passa d'un toucher presque doux à l'empoigne ferme et brutale sur le noeud de son habit, agrippant par la même sa jupe dont il se servit pour la soulever hors du sol.

Elle était dans la même posture que la précédente victime à ceci près qu'elle savait ce qui risquait de lui arriver ... broyée et jetée sur les rochers comme un vulgaire sac de viscères. Pourtant l'espace d'un battement de coeur, elle aurait juré avoir vu l'impossible dans son regard dur et froid. Un reflet de compassion. La folie la guettait peut être après tout. Cependant son visage ne fut pas recouvert d'une main... ses os n'eurent pas à céder sous la pression extraordinaire du démon... au contraire, il la déposa au bord de la falaise, la scrutant en silence avant de sembler baisser les armes.

Une simple syllabe... presque un mot dans un souffle...

"Kah"

Partir ... elle pouvait simplement partir ?

Ses muscles tétanisés ne reçurent pas d'information de fuite. Hyujae n'osait encore y croire. Pourquoi l'épargner après tout ça ? Allait il seulement lui donner quelques mètres d'avance et la poursuivre pour se venger de sa course effrénée ?

Qu'importe. Elle allait rejoindre sa soeur, la tirer du coffre à pain...

Mais son corps n'eut pas le temps d'amorcer son élan qu'une vive brûlure lui griffa la joue encore propre. Son vis à vis n'avait pourtant pas bouger et paraissait aussi surpris qu'elle. La suite s'enchaîna très vite... trop pour qu'elle ne puisse ne serait ce qu'admettre ou comprendre ce qui se déroulait devant ses yeux.

C'était impossible... elle savait très bien que c'était impossible... complètement fou... parfaitement et complètement fou mais ... le chef des yakuza avait ... il avait... du feu noir comme sa peau ... ce démon, ce véritable démon avait sorti du feu noir de sa main et l'avait lancé sur le tireur qui instantanément...fut consumé. Il ne restait rien... rien que des cendres éparpillées au vent.

Cette fois son esprit se disloqua tandis que son corps abdiquait pour de bon.

Elle ne vit même pas la main de l'assassin s'approcher d'elle, évanouie, pas plus qu'elle ne senti la chute l'entrainant des mètres plus bas directement dans l'océan.

"Rentres chez toi petite..."

La voix sûre et calme de son maitre avait des accents de fatigue qui lui étaient rares.

"mais unnie est ici... "

Cette petite voix aiguë qui était toujours si espiègle semblait éteinte et triste.

"Ce n'est pas un endroit pour les enfants... Maintenant retourne auprès de tes parents. J'ai du travail petite."

Elle aurait voulu être en état de lui répondre que rien ni personne ne faisait reculer sa soeur mais depuis que sa conscience s'était éveillée, son corps lui était ankylosé d'un sommeil anormal et pesant.

"Je ... VEUX VOIR ... UNNIIIIIE !"

Il y eu le son d'un claquement sec... vif mais sans force. Elle aurait tellement voulu être capable de canaliser sa soeur pour lui éviter ces extrémités mais ouvrir les lèvres était une entreprise qui lui demandait d'y injecter toutes ses forces et elles étaient si lointaines.

"Su'ah..."

L'homme s'accroupit, le visage soudainement tendre.

"Ta soeur ne dort pas... elle est entre les deux mondes et elle a besoin de beaucoup de repos pour avoir la force de nous revenir. Je sais que tu comprends ça et je sais aussi que tu as peur mais fais moi confiance. Je te promets qu'à la seconde où elle reviendra parmis nous, j'enverrai Peunie te chercher."

Surreong baissa légèrement la tête, cachant ses yeux humides et sa lèvre inférieure plissée. Derrière l'homme attentif, un chien de belle taille, parfaitement noir aux yeux or, releva la truffe de ses pattes avant croisées sur le plancher de bois. Il couina et se recoucha en soupirant.

"Promis ?"
"Promis"

Déçue quoiqu'un peu rassurée, la petite fille quitta le quartier du maitre de Hyujae sans réellement comprendre la gravité des toiles grossières recouvrant des masses informes. Les veillées funéraires devaient commencer ce soir, la charge de travail pour préparer les corps et les offrandes étant alourdie par les soins à prodiguer à sa protégée. Il avait séparé la paillasse de son élève des autres corps inanimés en la confinant au quart sud de sa demeure, la protégeant des miasmes par des paravents décorés de motifs courants tels que l'envol de grue ou une scène de pêche locale. Des herbes purificatrices comme la sauge, brûlaient lentement dans un bol posé au sol près de son visage.

Son visage.

Lorsque des pêcheurs lui avaient ramené le corps de la jeune femme, personne ne l'aurait reconnu sans ses iris atypiques. Après cette découverte certains avaient proposé de la laisser pourrir entre eau salée et soleil de plomb, saisissant l'aubaine au vol mais la majorité avança qu'en la laissant là, la colère du démon qui l'avait maudite se retournerait contre eux et c'est à contre-coeur qu'ils l'avaient porté jusqu'à l'orée du village, chez ce qui ressemblait le plus à un médecin.

La moitié de son visage avait du percuter les rochers. Ses os étaient intacts mais sa peau était inexistante et la chair au-dessous avait déserté sa pommette et une partie de sa joue. Ses membres présentaient une seule fracture grave, le reste n'étant qu'une somme ecchymoses et de plaies plus ou moins profondes.

Cela faisait deux jours complets qu'elle n'avait aucune réaction. Manger était hors de propos mais boire était tout aussi compliqué. Pour y pallier il pressait régulièrement un linge propre imbibé d'eau douce au dessus de ses lèvres entrouvertes et changeait ses pansements dès qu'il le pouvait.

Au moment où il retirait les cendres des herbes consumées pour déposer un nouveau bouquet frais, elle papillonna des paupières, ses iris s'encrant dans le regard de son maitre. Elle tenta d'articuler quelque chose mais l'homme sage lui intima le silence, lui portant un bol d'eau à la bouche, son autre main l'aidant à soulever son buste pour boire sans s'étouffer.

"Peunie..."

Le chien aboya, se releva et approcha de la jeune femme d'une foulée légère.

"va chercher Su'ah."

Et le chien disparut.

"On pense que tu as fais une mauvaise chute en tentant d'échapper à l'incendie du village. Je ne suis pas certain de te rendre un visage sans cicatrice mais surtout tu as une vilaine fracture du tibia droit. L'os a été remis dans le bon alignement mais il va falloir faire tout ce que je te dis si tu veux récupérer au plus vite."

Hyujae se contentait de boire, ses yeux s'écarquillant à l'annonce de l'incendie.

"Tu es vraiment tombée d'une falaise ?"

Elle haussa les épaules en grimaçant.

"Je... j'ai..." elle toussa, reprit une gorgée et s'appliqua "Je ... je ne sais pas..."
"Ils t'ont retrouvé sur la plage, inerte, le visage arraché, la jambe tordue... comment c'est arrivé ?"

Elle fouilla dans sa mémoire ... ne trouvant qu'une brume épaisse et sombre, sans le moindre bruit ou la moindre couleur. Elle remonta encore un peu la route vers le passé, se fiant à la première lueur qu'elle trouva. Son dernier souvenir.

Il faisait nuit... frais mais d'une agréable douceur. Elle était assise sur la falaise, les jambes dans le vide quand son père lui avait hurlé de venir chercher les poissons à vider. Elle avait obéi... et plus rien. Le vide. De cette nuit d'horreur elle ne garda aucun souvenir. Ni de l'incendie, ni des villageois abattus ni de yakuza noir capable de réduire un humain en cendres en claquant des doigts. Elle ne garda de cette nuit qu'une cicatrice à gauche de son front, à la naissance de ses cheveux.