Le dieu de la Peur marchant avec difficulté. L'affrontement qu'il avait mené face à son ami, l'illustre et terrible Thanatos l'avait considérablement blessé. Quand bien même il avait réussi à marquer au fer froid de la Peur le dieu de la Mort, il était tombé face au fils de Nyx. Phobos avait réussi à conserver un minimum de force afin de se rendre une dernière fois auprès du corps de sa protégée, la petite Théosia. Jamais remonter le chemin de son domaine ne lui avait paru aussi pénible. Jamais il n'avait éprouvé une telle douleur. Jamais. Ses terres obscures et froides déjà inquiétantes en temps ordinaire étaient en train de dépérir, à l'instar de l'esprit de leur maître, et devenaient ainsi poussières et mornes. Là où des ténèbres régnaient, recelant des créatures innommables et effrayantes, se tenait désormais un vide grisâtre, un vide insipide et fade. L'atmosphère devenait sèche au fur et à mesure que Phobos avançait, au fur et à mesure que la Peur perdait sa force.
Il en allait de même pour son château. De la splendeur médiévale qu'il possédait, son caractère était devenu faible et décrépi, n'étant guère plus qu'une ruine désolée. La lourde grille de fer était désormais rouillée et ne protégeait plus rien d'autres qu'une propriété délabrée et vide de toutes présences. Cela faisait souffrir le dieu, certes, mais ce n'était encore rien en comparaison de ce qui l'attendait à l'intérieur de son antre.
Devant l'entrée principale, une mare de sang à peine sèche teintait le sol, tandis que les restes du compagnon de Théosia gisait à terre, dans un état déplorable, comme si un berserker s'était acharné dessus. Le regard de Phobos semblait rester de marbre, mais cela tenait uniquement par le fait qu'il était à bout de force et cherchait à économiser le peu qu'il lui restait. Avec lenteur, il avança alors, le souffle haletant, à l'intérieur du château, sous le regard désormais vide de ses sinistres gargouilles, tirant la "dépouille" de Teddy. Son majordome dénué de peau et de chaires gisait au sol, aussi inerte que ses orbites vides. Tout ce qui se trouvait lié à lui s'affaissait tandis que ses forces le quittait, comme si tout ce qui importait à ses choses étaient d'accompagner le Seigneur des Peurs et des Ombres dans l'Au delà. Phobos releva péniblement la piste écarlate qui débutait à l'extérieur pour monter les escaliers avec une lenteur inquiétante. Le froid qui se dégageait des lieux lui étaient complètement indifférent et distant, bien loin de celui que le domaine dégageait en temps normal. Il arriva alors dans la chambre de Théosia.
Sa main laissa alors tomber l'ours au sol tandis qu'il s'approchait de sa petite protégée, tel une ombre pâle et livide, tel un ange de la Mort. Sa contrariété ne connue alors aucune comparaison possible avec ce qu'il avait vécu jusque là, une douleur étrange lui poignardant le coeur, faisant passer les puissants coups de Thanatos pour de simples gifles. Son âme était bel et bien partie. Phobos resta là, à regarder celle qui par la force des choses était devenue, bien malgré lui, son enfant. Cet être si unique, si curieux, n'était plus. Cet être auquel il s'était sans s'en rendre compte attaché au point d'y lier son âme. Jamais il ne pourrait oublier cette douleur, jamais il n'oublierait pour ne pas commettre de nouveau une telle erreur. Le dieu, en sang, blessé de toute part et le corps endolori, baissa les bras vers la jeune fille allongée sur son lit, puis la souleva malgré son état de faiblesse. Comme il aurait voulu lui épargner de se présenter à elle en un tel état, comme il aurait voulu lui éviter un tel sort! Lui qui souhaitait la voir grandir à ses côtés, voir la merveille qu'elle allait devenir, sa princesse de l'Horreur et de l'Effroi ... Cela lui avait été retiré à Jamais! Et pour quelle raison avait elle été tuée? Même le dieu de la Mort n'avait pu lui répondre.... Phobos sentait sa fin arriver, inéluctable, mais surtout il savait qu'il ne serait pas en paix. Comment le pourrait il?
Lentement, il prit le chemin de son Sanctuaire. Cela lui paru être une éternité. Du pied, il poussa la lourde porte d'ébène qui grinçait furieusement. Cette pièce, elle aussi, perdait de son éclat. Le marbre noir jadis si magnifique était désormais poussiéreux, faisant perdre à la pièce toute sa magie, ou presque. Son trône était encore en place, fidèle à lui, mais Phobos ressentait sa "respiration" calquée sur la sienne, haletante et faible. Leur temps était compté. Le fils d'Arès s'approcha du trône noir, puis s'agenouilla. Le corps de Théosia lui paraissait si lourd, si pénible à porter. Quelle étrange sensation était ce pour lui. Le trône semblait comme gémir, mais le regard du dieu était implacable. Alors il lui obéit. Au pied gauche du trône, une bulle de chitine liquide et noire comme la nuit se mit à gonfler. Lorsqu'elle atteignit une taille suffisante, Phobos y fit entrer avec délicatesse sa fille, et par des gestes soignés et appliqués, il la fit s'accrocher à son trône, la figeant dans la substance noire qui durcie alors en un instant. Théosia avait, de tout temps, aimée s'accrocher à sa jambe. Et ainsi, telle une statue au regard fermé, elle y serait pour l'éternité. Il fut pénible pour son Père de se relever, mais il le fit. Et bien plus encore, de détacher son regard de la jeune fille qui semblait presque lui sourire. Il posa sa main décharnée sur l'un des globes oculaires de son trône, le dernier encore vivace, le dernier encore connecté à toutes les créatures du domaine. Fermant les yeux, le choc fut rude au point de le faire vaciller. Il venait de recevoir la vision de la spectre qui avait littéralement transpercée sa petite. Une rage noire envahissait alors son coeur, comblant le vide que Théosia laissait.
Sans un mot, le regard étant plus qu'éloquent, Phobos disparu alors, consumé par la puissance de la Mort et par la rage d'une colère profonde comme il n'en avais jamais connu jusqu'alors, son corps se réduisant en cendres qui se dispersèrent dans l'air.
La Peur allait revenir. Et peu importe combien de temps cela allait prendre, ce sera toujours trop tôt pour la spectre de l'Alraune.
=> Fosse du Tartare
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