Althéa du Vampire

Brume, brume de mon enfance, brume de ma jeunesse,
Emplissez l'esprit de ceux qui oserez se dresser contre moi,
Que leur âmes soient noyées dans la pourpre et la cendre,
Que leurs âmes franchissent les portes de l'Hadès alors que leurs souffles s'éteignent sur la soie de ma gorge...

De toutes les Etoiles, je suis celle portant le nom le plus secret, le plus singulier en sa banalité...

Ténèbres...

J'aime cela car tout en moi est empreint de mystère, sensuel et attirant comme les Ténèbres que l'on rêve de traverser et de conquérir à jamais...

Maria-Candice, ce prénom est le mien et le restera, enfoui au fond de moi. La seule trace qu'il demeure de mon ancienne vie, de cette humanité que j'ai laissée derrière moi...

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Ainsi dansait la plume sur le vélin, traçant d'une main expertes ces quelques instants de sa vie déjà tant marquée pas les affres d'une folie naissante. Quelques mots, fines arabesques s'étirant sur ce qui fut autrefois la peau d'un animal mort-né. Si douce sous sa main, si pâle sous les soies de sa robe chamarrée.

Blanche comme moi...

Sans poudre sans artifice, Maria-Candice brillait d'un éclat surnaturel à faire pâlir de jalousie les plus grandes et riches dames de la cours. Une seule de ses apparitions auraient pu éclipser l'ensemble des damoiselles en fleurs, fausses vierges ou non tant la débauche était courante en ces temps où les parents vendaient aux plus offrants ou plus titrés leurs jeunes filles et jeunes fils. La dépravation était si courante dans hauts cercles mais jamais, elle ne serait atteinte. Bien des êtres y veillaient...

Un instant de calme alors que l'éclat de ses yeux reprenaient cette couleur si intense. La braise était l'un des premiers signes annonçant une nouvelle crise. Se plonger en cette écriture qui semblait lui être dictée par une voix intérieure aussi douce que l'appel d'un ange l'apaisait quelque peu. Si peu mais suffisant pour l'instant. Son tuteur et son confesseur le lui avaient conseillé. Les deux seuls hommes à évoluer en sa sphère intime. Tous les autres avaient disparu sans qu'elle ne leur accorde un regard. Personne ne savait réellement ce qu'ils devenaient. Les temps étaient durs et les hommes de mauvaises intentions légions sur les routes. Personne ne songeait d'ailleurs à trop en savoir sur la famille Brumel. La plus jeune des filles était démente et soignée par un saint homme en plus de l'un de meilleurs médecins de ce monde. Les parent étaient généreux, offrant monnaie sonnante et trébuchante à ceux souhaitant prier pour l'enfant. Non, c'étaient des bonnes gens, bien décidés à sauver l'âme de leur enfant en cette époque où l'Eglise était encore si puissante. Ne pas les déranger outre mesure était dans l'ordre des choses. Et puis, fallait aussi le reconnaître, en dépit de la splendeur de la grande bâtisse, quelques détails faisaient peur. Quelque chose flottait dans l'air, plus lourd et plus entêtant que le parfum des roses et la grande croix, la grande croix au sommet de la petite chapelle n'était pas suffisante pour rassurer. Loin de là...

Les gens avaient si souvent conseillé aux parents d'emmener l'enfant voir d'autres spécialistes mais le cri d'indignation de dame Brumel avait résonné à chacune de ses idées.

- Ces rustres ne sauraient que la saigner et elle perd suffisamment de sang ainsi. Jamais, je ne paierai aucun de ses charlatans pour qu'il assassine ma fille !!!

Courantes étaient encore ses pratiques aussi insensées que meurtrières. Seul le tuteur qu'elle avait choisi pour Maria-Candice jouissait de la confiance de dame Isabella Brumel. Tous s'accordaient à dire que c'était un saint homme tout comme le père Matthias installé un peu à l'écart mais l'isolement de cette jeune fleur avait de quoi enflammer les passions...

Une douleur inattendue et elle rata une de ces lettres. De quoi l'alerter de l'imminence d'une nouvelle crise. La potion était juste à ses côtés, attendant paisiblement en sa carafe mais elle avait promis d'aller le plus loin possible. Sa volonté devait grandir si elle voulait franchir une nouvelle étape. Sa main trembla alors que sous son regard, ses ongles durcissaient et s'étiraient. Physiquement, elle devait paraître encore plus pâle.

- La maîtrise, il te faut la maîtrise, Maria-Candice.

Le ton était doux mais ferme. Jamais, hors entraînement, Jonathan, ne levait la main sur elle mais ceux-ci relevaient d'autres disciplines que l'écriture qu'elle s'efforçait de reprendre. Des écrits que son tuteur tenait à la voir marquer pour un autre temps selon des tracés qu'elle seule était capable de produire au moyen d'une encre à nulle autre pareille. Presque violette, elle contenait un ingrédient unique, sans prix et qui après un certain traitement se chargeait de la précieuse magie que possédait la jeune fille. Ainsi, à la faveur parfumée d'une série des bougies plus décoratives qu'autre chose, poursuivait-elle sa tache, penchée sur le bois vernis de son bureau. A cette ambiance intime et apaisante s'ajoutait une touche de confort et de simplicité agrémenté par les quelques bûches se consumant dans l'âtre tout proche. Les lourdes tentures quant à elle, étaient entrouvertes laissant entrer l'air du soir.

- Même en cette tâche, vous ne laissez rien au hasard. Cet art qui est le vôtre ne cessera jamais d'enchanter cette demeure même si cela se fait au prix d'une lutte contre vous-même, je le vois à votre teint.
- Même si d'ici quelques temps, je n'y mettrais sans doute jamais plus les pieds...
- Nul ne peut connaître son destin, ma jeune dame.
- Dame ?
- Vous l'êtes depuis...

Un geste plus brusque et elle faillit tacher le précieux papier.

- J'aimerais ne plus en parler. C'était si...
- Humiliant ?

Elle crut se sentir rougir sous le regard de Jonathan mais ne le pouvait pas, ne le pouvait plus. Elle n'avait encore que quatorze ans et déjà son corps marquait des signes de changements. Elle devait attendre, attendre que son corps soit plus fort, capable de contenir la magie qui l'entourait depuis sa naissance et cela prendrait encore des années. Des années à lutter contre quelque chose dont elle n'avait encore qu'entrevu l'immensité et la dernière épreuve ne lui avait pas laissé de bons souvenirs...

- Rien ne peut vous humilier, ma dame. Nul ne le peut, Maria-Candice. Ce ne sont jamais que quelques limaces que vous avez écrasé sous votre talon. Il le fallait même si cela vous répugne. Je regrette juste pour cette si piètre qualité.
- Jonathan...
- Je sais, vous n'aimez pas ce genre de saveur mais cela était indispensable et puis, je suis le seul à vous avoir vu incommodée..
- Ils auraient au moins pu se laver avant de passer à la table... Déjà que...

Le rire de l'homme résonna soudain dans toute la vaste chambre. La jeune fille dont il avait la garde et l'instruction depuis tant d'années se plaignait, entre autres, de l'état dans lequel ces brutes avaient tenté de s'introduire en son antre. C'était si naïf dans sa cruauté qu'il en avait presque les larmes aux yeux. Si jeune encore, elle était si jeune.

- Ma jeune dame, viendra le temps où rien ne pourra plus vous atteindre. Ce temps sera celui où plus personne ne sera capable de tenir face à celle que vous êtes déjà devenue. Notre sauveuse et notre lumière, n'oubliez pas le poids des épreuves que vous avez déjà passées. Celle-ci n'est jamais que celle qui vous fait explorer les changements s'opérant en vous. Cela vous incommode car votre transformation perturbe bien plus que vos sens. L'équilibre entre vous et celle qui vous avez été est encore trop instable mais viendra l'heure où cela n'arrivera plus. Et à cet instant, la brume et la terre seront autant votre lit que cette chambre de plus en plus inutile à vos yeux.
- Le sang... Je perds tant de sang...
- N'ayez crainte.
- Je n'ai plus de force si jamais on nous ..

Un geste qu'il n'aurait jamais fait en public. Porter la main sur les lèvres encore juvéniles de la future Vampire était un privilège qu'il était et serait toujours le seul à posséder. Vouée à rester vierge aussi longtemps qu'elle vivrait ses dernières années de mortelle, Maria-Candice ne devait pas connaître le contact des hommes. Chose qui n'inquiétait pas trop son tuteur. La répugnance qu'ils inspiraient à la splendeur qu'elle était en train de devenir n'était que trop visible. Ces êtres brutaux la répugnaient et si elle avait eu le même geste enveres les femmes, cela aurait été bien plus contrariant pour son professeur.

- En ce cas, si dame Isabella, votre gracieuse mère, ne me prends pas de vitesse, je les tuerais tous. Enfin, pour ceux dont nous avons besoin en vie, je les ferais porter aux blanchisseuses. Elle les laveront et les parfumeront selon vos épices préférées.

Le rire de Jonathan reprit soudain alors que la soif de la jeune fille se réveillait.

- Je ferais le nécessaire pour vous. La carafe devrait suffire dans l'attente...

La porte se referma ensuite alors que la future étoile se levait. D'une traite, elle engloutit la totalité du précieux liquide avant de se sentir mieux.

Ce ne sont que les premiers prémices. Dire qu'il me faudra encore des années avant d'être assez forte.

Il était inutile de chercher les traces de sang sur ses mains même si elle avait déjà usé de ses dons pour défendre les lieux. Jamais une goutte de sang ne se perdait entre les murs de la Maison Brumel.