Retour d'Olympe

Curieux événement que celui qui venait d'arrêter le spectre du Djinn alors qu'il déambulait dans les recoins les plus égarés des enfers à la recherche d'une occupation, explorant vaguement les étendues parcourues afin d'en mémoriser l'emplacement en vue des jours futurs. La cartographie locale était encore loin d'être intégrée à ses pensées et il n'y aurait rien eu d'étonnant à ce qu'il parvienne à se perdre dans les confins de ces ténébreuses limbes qu'il devait à présent considérer à juste titre comme sa nouvelle demeure. Mais aussi loin qu'il soit allé se perdre, cela n'avait pas empêché message de lui être porté de la main d'une servante qu'il remercia poliment pour ses services avant qu'elle ne prenne congé. Il eut été tenté de l'asticoter avant qu'elle ne repartie mais s'abstint : un instinct lui faisait comprendre que jouer au plus fin avec elle pourrait le conduire à sa perte ou du moins lui causer de lourds désagréments dont il se passerait bien. Ce serait pour le prochain à croiser sa route... Du moins, après qu'il en ait fini avec l'entretien que semblait vouloir avoir avec lui le maitre de ces lieux.

Une convocation qui paraissait n'être destinée qu'à lui venait de lui être renseignée de la douce voix de la demoiselle à l'apparence sauvage et belliqueuse, lui faisant savoir que sa réponse à l'appel était attendue dans les plus brefs délais s'il ne voulait pas avoir à être blâmé pour un manque de ponctualité. À l'évidence, l'urgence était de mise, ce qui l'empêcha de trainer en route après qu'il eut demandé son chemin à un spectre lambda vaquant à ses occupations non-loin du point où il avait été accosté par cette messagère. Que pouvait bien lui vouloir le sombre monarque en personne ? Aurait-il fauté ? Il était vrai que son altercation avec Rico n'était pas des plus aimable et qu'à ce titre il était à envisager qu'on puisse le réprimander, mais quelles étaient les chances pour qu'Hadès ait eu vent de ce qui s'était déroulé au sein d'un territoire sans rapport avec le leur ? C'était bien pour cela qu'il n'avait pas prolongé son geste quand le responsable de ses maux avait reparu devant lui, afin de ne pas éveiller de remontrances à son égard – le bambin ayant vraisemblablement occulté toute souvenance de cette douloureuse anicroche.

Le secret en serait gardé à moins que la titanide se trouvant sur les lieux n'en vienne à communiquer l'incident, mais il ne pouvait qu'en douter, d'autant plus à s'en rappeler le manque de réactivité de l'intéressée lors de son passage. Et puis elle n'avait aucune raison d'en faire part ; Alessio était bien celui des deux qui en avait le plus subi les conséquences... En somme, la raison de cette missive à son unique intention devait diverger de cette hostile relation, mais quant à savoir quelle en était la cause... Tout n'était que trop nébuleux, et c'est d'un pas pressé qu'il prit la route le séparant des éclaircissements qu'il eut aimé obtenir sur la question. Il ferait d'une pierre deux coups par le fait même puisque cela lui donnerait à loisir de jauger l'aura et le charisme de celui que la théorie voulait être leur meneur. Celui qu'il voulait tant rencontrer afin de se forger sa propre opinion, en l'espoir de ne point être déçu de lui avoir juré allégeance une fois que ce serait fait. Mais tout ignorer de ce qui l'attendait une fois sur place n'était pas pour l'aider à calmer la frénésie l'habitant depuis son colérique retour du domaine titanesque, quand bien même la fureur s'était passablement dissipée.

Il n'en avait pas moins les nerfs à fleur de peau et ne demandait qu'à prendre du repos, même si ce ne serait manifestement pas dans l'immédiat, quelle qu'en soit la raison – et pour son plus grand dam... La traversée fut longue et hasardeuse pour lui qui n'avait pas la moindre idée de l'exacte topographie des Enfers mais il ne put que se dire que c'était l'impression donnée par le dédale de l'endroit qui lui donnait l'impression de rallonger son trajet – et les aléas de son errance. Et alors que se faisait son entrée discrète, poussant les mêmes portes qui avaient tout l'air d'avoir été fraichement ouverte, une voix qu'il avait ostensiblement déjà entendue lui parvint. Celle d'Hypnos, maitre du sommeil, qu'il avait déjà rencontré à peine revenu à la vie. Son apparition en ces lieux était-elle liée à ce qui avait motivé la demande d'entretien de l'altesse ténébreuse ? Il n'allait désormais plus avoir à attendre longtemps pour s'en faire une idée plus pertinente que ses nombreuses suppositions maintes fois remises en cause.

J'ignore ce qu'ils sont mais il faut croire qu'ils m'impliquent, s'autorisa-t-il à répondre d'une voix étonnamment légère et rieuse au vu de l'ébullition le tourmentant depuis qu'il avait franchi le vortex le ramenant sur place.

Et il le vit. Ce ténébreux démiurge dont on lui avait tant vanté les mérites, celui à qui il devait loyauté et dévotion. Pluton, ou plutôt Hadès désormais s'il en croyait la traduction grecque qu'on lui avait inculquée à son entrée dans un univers qu'il n'aurait cru imaginable de son vivant. Un milieu ou guerre et esprits se mêlaient dans l'extravagante transcendance de cette fabuleuse énergie qu'était le cosmos, dont se nourrissaient les divinités qu'on lui avait tant fait admirer et prier de son vivant. Et si son apparence était humaine, il ne fallait pas plus d'un regard pour se rendre compte qu'il était différent de n'importe qui et les écrasait d'une époustouflante supériorité pouvant se lire dans la lividité de son regard pourfendeur. En être touché aurait pu signifier la mort pour les plus faibles, le Djinn en était certain et espérait ne pas avoir à en obtenir la confirmation sur sa propre personne. Ou en tout cas, pas avant d'avoir été mis au courant de ce qui légitimait son entrée dans un sanctuaire aussi auguste que celui-ci, où ne fut-ce que poser le pied était déjà un immense honneur.

Vous vouliez me voir ?

Un sourire intérieur manqua de se prolonger à ses lèvres. La terrifiante onde nimbant l'occulte incarnation qui trônait devant lui et le menaçait de sa lame sut lui faire entendre raison. Cet homme était d'un divin panache que nul en ces lieux pas même l'incarnation du Sommeil n'égalait pour sa ténébreuse domination et dont chaque mot était une pression supplémentaire ne faisant qu'en rajouter à son indiscutable supériorité. Qu'épée soit pointée sur sa gorge ou que ce ne soit point le cas, même Alessio n'aurait pu que reconnaitre ne pas être à la mesure de l'enténébrée divinité dont les paroles prenaient une toute autre dimension alors qu'il commençait à pouvoir estimer que toute maladresse risquait de lui coûter la dissémination de son âme aux quatre vents. Nul doute que ce serait déjà fait si telle était la cause de la sommation de déplacement reçue avec tant d'officialité.

Dès lors qu'il ne fut plus sous la menace du fer acéré, le Djinn se frappa le plastron du poing à l'emplacement du cœur, ne pouvant alors que se remémorer le tintement ferreux de la cuirasse portée alors qu'il vagabondait sur les champs de bataille terrestre tant sillonnés. Mais l'écho offert par son surplis était sans commune mesure et résonnait d'une profondeur caverneuse reflétant sa noire facture... La tête inclinée sans même que le fils de Nyx n'ait eu à lui en intimer l'ordre, il se laissa ployer sans résister afin de pallier à sa précédente irrévérence qui ne pourrait lui accorder que de néfastes représailles s'il persistait en cette instable voie. Soumis à l'accablement de cette courbette quémandée et attendue, il ne put que proférer quelques mots alors que sa moue contrite reflétait spontanément l'incommodité de l'émanation narcotique contraignant son corps à ce soudain écrasement.

Veuillez pardonner mon insolence, mon Roi. Ma visite chez les titans n'a pas été sans me mettre les nerfs à vif, j'en oublie mes bonnes manières... Mes humbles salutations. Mes excuses à vous aussi, sire Hypnos.

Il ne put s'empêcher de décocher un regard en biais au blond qui le pressait avec tant de violence. Le contact passait idéalement lors de leur première rencontre et il ne serait que trop dommageable d'avoir à y couper court pour cette simple bévue. N'y avait plus qu'à s'attendre à ce que ce rattrapage en toute politesse comble la faille ouverte par l'inadaptée familiarité de son entrée. Il s'agissait évidemment d'une répartie mensongère : c'était en toute liberté qu'il s'était attelé à agir de cette façon, précisément après lecture du billet porté par l'amazone, afin d'avoir les moyens d'estimer en personne à la fois le pouvoir et l'autorité de celui qui règne sur ces occultes territoires de sa toute-puissance aux frontières bien trop floues que pour être cernées par un banal mortel. Quand bien même il était revenu à la vie, ressuscité au nom d'une seconde guerre à laquelle il devait prendre guerre, il ne devait point oublier que seul le cosmos de ce calligineux personnage en soit à l'origine.

Sans son assistance, nulle renaissance n'aurait été rendue possible et que par extension, il lui devait la vie et pourrait aussitôt recevoir la mort de la même main s'il répétait l'erreur dont il faisait présentement les frais. En revanche... Roi de l'Olympe, avait-il dit ? Curieuse nouvelle que celle dont on ne pouvait avoir connaissance et s'en informer ne pourrait lui nuire, mais l'heure n'était point à révéler sa perplexité, ayant déjà assez fauté sans cela. Ce ne fut que lorsque cessa l'érubescence des prunelles de la soporifique déité qu'il put se redresser dans sa totale verticalité et contempler du haut de sa pleine taille ce qu'on lui mettait en exergue. Ses ambitions étaient enfin récompensées, ou du moins pourraient-elles l'être s'il n'écoutait qu'elles en plus de sa bravoure afin de céder à la tentation et de tout faire pour obtenir cette aguicheuse donation.

Quittant la rigidité de sa posture bien plus disciplinée que ne l'avaient été ses premiers propos lâchés en ces lieux, le légionnaire passa une main dans sa tignasse d'ébène afin de repousser les quelques mèches que son inclinaison avait fait danser devant ses pupilles ambrées, scrutant non sans un ravissement certain la beauté du surplis qu'on lui proposait d'endosser. Passer d'un système impérial à la monarchie infernale n'était pas changement aisé mais jamais César ne lui aurait fait pareil cadeau, certitude lui en était donnée. Pour toute réponse, le Djinn intensifia la ténébreuse essence auréolant son être à son summum afin d'exprimer le volume donné à sa détermination. Rajustant tour à tour chacun de ses gants, il laissa un sourire en coin venir fendre ses lèvres de son ombre. Un ton mielleux au point de ne pouvoir sembler naturel lui servirait à s'exprimer.

Ma foi... Je suis déjà mort une fois, m'y risquer une seconde ne me fait pas peur. J'accepte... Que dois-je faire pour gagner votre confiance et ainsi la détention de ce titre tant convoité, majesté ?