[FB - Ambroisie et Aedan] Le gout de l'érable et l'odeur de la poudre.

Le crépuscule peint dans le ciel des trainées écarlates. Écarlate, comme le sang se faisant rigole, souillant la terre battue, abreuvant la flore de son funeste présent. Encore une guerre. Une nouvelle. Un instant, mon regard se perd sur cet horizon éphémère voilé de carmin. La nuit ne tardera pas à recouvrir ces champs de bataille de son sombre manteau piqueté d’éclat lointain. Une détonation trouble mon observation. Une de plus. Un instant, mes prunelles mordorées s’attardent dans la direction de ce son avant que je ne reprenne mon avancée. Inutile. Tout cela est si inutile…

Un éternel recommencement. Mais ce n’est pas pour cela que nous sommes ici à présent. Le merle babille.

Guide.


« Ma dame, je pense qu’il n’est pas sûr que nous demeurions ici. » Au côté d’Ambroisie se tient l’un des membres de son escorte. Son accoutrement est semblable à celui de ces autres soldats l’accompagnant, si ce n’est cette capuche dissimulant ses traits dans son ombre. Une détonation retentit de nouveau, comme pour donner raison à ce soldat inquiet. Son regard se tourne vers cet ailleurs, si lointain et si proche tout à la fois. Quelque chose le trouble. Une petite ombre immaculée vient un instant se faufiler entre les arbres. Un animal ? Le soldat se détourne sur la belle. « Nous devrions continuer, je connais un droit plus sûr pour passer la nuit. » Les autres soldats semblent troublés par les dires de leur camarade, quelque chose est un peu étrange avec cette personne, mais quoi exactement ? Néanmoins, ils semblent d’accord avec ses dires. « Il est vrai que les détonations semblent bien proches tout à coup...» A moins que ce ne soit qu'une illusion de l'esprit, l'impression d'être pris en tenaille, l'impression de n'être à l'abri de rien. La proximité avec le fort Oswego et les attaques persistantes ne devaient nullement aider à la sérénité.

Il y avait une autre impression. Une autre menace. Quelque chose de plus perfide... à moins que ce ne soit que ce voile de danger que la guerre peignait dans leur esprit inquiet ? Les soldats ne semblent en tout cas, plus aussi serein, et l’atmosphère se charge d’une lourde appréhension. La main du soldat encapuchonné vient finalement prendre celle de la dame pour l’aider à se relever et l'entraîner à sa suite. « Venez par ici. » La voix de ce soldat est un peu étrange, mais sans doute était ce là, un effet de l’inquiétude. « Suivez moi tous. » L’escorte composée de 3 personnes, l’encapuchonné inclut, s’élance en avant. Jusqu’alors en retrait, il prend la tête du petit groupe, ce qui ne semble pas troubler ses camarades outre-mesure. Ils s’enfoncent dans la forêt sans un mot de plus.

La forêt est sombre. Presque sinistre. Silencieuse, elle semble retenir son souffle alors qu’ils s’avancent à pas feutrés. L’encapuchonné semble ne faire aucun bruit, comme si ses pieds ne foulent le sol. Alors qu’ils se meuvent aussi discrètement que possible, un craquement retentit dans le lointain, bientôt suivi de détonations nouvelles. Le soldat s’arrête, se baisse vivement en entraînant la chirurgienne avec lui. Les autres font de même, attentifs aux bruits malgré l'écho des canons. Bientôt, ils ne devraient plus être aussi persistants. « On dirait qu’ils sont plus proches. » murmure l’encapuchonné pour lui même. Il se tait, semble réfléchir un moment, avant d’acquiescer dans le vide. « Je crois que nous sommes suivis Ma Dame. » La vraie menace était là alors que l'animal blanc disparait de nouveau entre les sombres racines.

Je me faufile entre les arbres, silencieux telle une ombre immaculée, traversant buissons, dépassant les racines et autres obstacles que la nature se plait à faire croitre. Attentif, j’entends le bruissement des feuilles, le craquement des branches que le petit groupe fait murmurer à ses pieds. Ils sont si bruyants pour mes oreilles affutées, nul doute que certain ennemi saurait y être attentif aussi. Serait-ce le cas de ceux ci ? Une détonation nouvelle fait frémir mes oreilles alors que je m’arrête, mes prunelles mordorées s’attardant en arrière. Je vois les formes s’arrêter, se figer puis se préparer à un combat qui semble à présent inévitable. Ma mâchoire se crispe en réponse. Moi qui espérait en cette nuit éviter les conflits et pouvoir les guider là où ils seraient tous à l’abri… Me voilà bien ennuyé.

Je laisse le vent chatouiller mes narines, la forêt m’offrir son soutien. Le bruissement des feuilles chuchote à mes oreilles, m’avertissant une nouvelle fois des dangers qu’elle dissimule malgré elle. L’âme de cette forêt est douce mais meurtrie. Les combats et les soldats l’affaiblissent pourtant, elle demeure toujours aussi puissante. La voix de la chirurgienne me fait revenir à moi. Néanmoins, personne ne lui répond, si ce n’est les échos des canons lointains et cette funeste impression. L’impression d’être observé.

Où sont ils ? La voix de celle dont je partage la vie vient s’inviter dans mon esprit. Mes prunelles s’éteignent un instant. On leur a laissé une chance Aedan. Ils ne l’ont pas saisi. Je retiens mon soupir. Elle a raison. Mais cela ne me plait que peu de devoir faire couler le sang. Car je ne suis pas sot, ma femme aura tôt fait de les décimer sans trouble aucun. Je lui transmets alors ce que la forêt m’a chuchoté et je sens sa satisfaction. Elle va pouvoir se défouler.


Une brume étrange vient tomber sur la clairière. La forêt s’est tût, comme attendant le résultat de cette chasse à laquelle elle participe malgré elle. La main du soldat encapuchonné vient se poser sur celle ornée du talisman de Ambroisie. « Ce ne sera pas nécessaire Ma Dame. » Chuchote le soldat alors que la brume les fait disparaître à la vue de leur ennemi. Comme si la nature souhaitait les protéger, les faire errer dans les ombres. Le soldat contrairement à ses autres camarades, n’avait pas sorti son arme. Il avait attendu, silencieux, que quelque chose se passe jusqu’à ce que ce brouillard ne vienne naitre finalement. Etait il vraiment naturel, ce brouillard ? N’Etait ce pas du cosmos qui l’avait fait apparaitre ?

« Je vais m’en occuper. » Sa voix est ferme, la silhouette s’avance de quelque pas dans cette brume, semblant n’en être que peu éprouvée. « Suivez le. Il saura vous frayer un chemin dans la brume.» Une créature semble apparaitre à leur côté, un renard à la fourrure immaculé et au regard mordoré. Ce dernier secoue sa queue duveteuse en réponse à ce qui pourrait être son invocateur alors que ses prunelles se plongent dans le regard de la chirurgienne. Un regard sans âge, plus intelligent que celui d’un simple animal. Du cosmos. Un éveillé reconnait cette lueur. Les autres soldats semblent quelque peu surpris, néanmoins, une détonation les empêche de questionner leur étrange camarade.

« Allez y !» Ordonne ce dernier d’une voix ferme alors que son cosmos se fait sentir en réponse. Une rapière d’argent vient apparaitre dans sa main alors que la silhouette se précipite en avant, droit vers la détonation.

De son côté, le renard blanc fait quelque pas autour de la chirurgienne, bondissant autour d’elle avant de prendre une autre direction. Son pas est rapide, mais attentif à ne pas semer ses suivants, il s’arrêt régulièrement alors qu’au loin, le cosmos du soldat se fait ressentir. Vif. Le vulpin s’arrête un instant vers cette direction avant de reprendre son chemin. La brume s’est levée à mesure qu’ils s’éloignaient de la clairière et à présent leurs pas bien que soutenus l’était moindre.

L’animal immaculé vient disparaitre entre les arbres qui débouchent dans une nouvelle clairière mais dans laquelle se trouve cette fois un campement. Un campement Algonquins. Des alliés. Ces derniers observent les nouveaux venus, la dame et ses deux gardes. L’un des amérindiens vient s’approcher, un homme mûr, probablement un des guerriers de la tribu, mais de ceux plus âgé qui dirige. Il observe le petit groupe, passant de l’un à l’autre sans sembler être particulièrement méfiant, ni même surpris. « C’est donc vous que Tokela est parti chercher. » Il invite la dame et ses suivants à s’approcher du camp. Un camp de fortune, de ceux fait pour passer la nuit et non demeurer ici. « Venez par ici, vous êtes à l’abri à présent. Avez vous faim ? »

Le guerrier amérindien demeure stoïque face à la dame qui s’incline, ne prenant nullement ombrage de l’absence de réponse à sa question de cette dernière. « Je me prénomme Muraco. Et rassurez vous, nous sommes en sécurité ici. Les esprits nous protègent de la vue de nos ennemis. » Un sourire énigmatique vient ponctuer sa phrase, néanmoins, il se dégage du camp une réelle impression de sécurité qui ne semble pas usurpée. Est ce les esprits ou autre chose cela dit ? « Concernant ces ennemis… Je ne pense pas qu’ils soient une réelle menace à présent. » Il laisse à la dame, la possibilité de s’asseoir sur un tronc effondré ou à même le sol, alors que sa garde demeure a quelques pas d’elle, un peu en arrière. La méfiance avait été première à couvrir leur traits avant que le soulagement n’y prenne place. A présent, ils reprenaient contenance, bien moins rapidement cela dit que la dame qu’ils escortaient. La vie dans ce camp y est quelque peu clairsemée, baignée par la lumière de la lune et des étoiles. Beaucoup d’homme, des guerriers, demeurent ici, certain patrouillent, d’autres se reposent d’une journée de longue marche. Une bonne quarantaine de personne semble s’y concentrer. Beaucoup trop pour une simple patrouille, surtout aussi proche de Oswego.

Le dénommé Muraco tend à la belle une gamelle remplie de quelques céréales ainsi qu’une gourde d’eau. « Tenez. » Commence t-il avant que cette dernière ne pose sa question. Il va pour répondre, néanmoins, quelqu’un l'interrompt avant. « Merci Muraco, je vais prendre la relève ! Tu devrais aller te reposer. »

Muraco se retourne vers moi alors que je me rapproche du petit groupe fraichement arrivé. Mon sourire demeure sur mes lippes alors que je m’incline face à la dame. Je ne ressemble pour ainsi dire nullement à mon comparse, j’en suis même le parfait opposé. De ma chevelure blanche retombant librement pratiquement jusqu’à mes pieds en passant par ma peau pâle et mon regard mordoré… Sans parler de mon manteau, tout aussi blanc que le reste de ma personne, à croire que je suis une personnification de l'astre nocturne ! Je suis en tout point l’inverse immaculé de Muraco, lui même plus sombre que je ne pourrais jamais l’être. Me redressant, je vois le guerrier sourire à mon adresse avant de murmurer tout bas. « En parlant de Tokela. » glisse t-il à mon égard, ce qui ne fait qu'accentuer mon sourire en retour. Il se détourne sur la belle, m’indiquant de sa main. « Il est celui qui, aujourd’hui, se rapproche le plus d’un homme médecine de mon peuple ici. Malgré les apparences. Je vous laisse entre de bonne main Dame Ambroisie. » Ce dernier m’adresse un signe de tête avant de retourner à son office après avoir offert quelques portions de nourriture aux deux autres soldats derrière la dame.

Un instant, mon regard se tourne vers la forêt, là où je sens ses éclats de cosmos. Bientôt, le silence se fait et le calme reprend ses droits dans cette dernière. Je la sens s’apaiser. Bien. Mes paupières s’éteignent  quelques secondes avant que mes prunelles dorées ne viennent se poser sur la chirurgienne. Un regard doré qu’elle reconnaitra peut être. Sans âge. Tout comme le cosmos qui demeure en moi et qu’elle pourra percevoir à certain instant.

Je me rapproche d'elle, prenant la place de Muraco face à elle, faisant en sorte de me mettre à sa hauteur. « Je m’appelle Aedan, même si ici, tout le monde m’appelle Tokela. » Ce surnom m’amusait. Ô, il était parfaitement adapté à ma personne, sa signification était on ne peut plus juste à mon propos. Tout du moins, sur certain aspect. « Je suis un guérisseur comme Muraco l’a laissé entendre et j’ai cru comprendre que vous aviez besoin d’aide concernant des soldats blessés non loin ? »

Mes lippes demeurent ourlées d’un sourire amusé à ses mots. L’ironie. « J’ai tendance à me trouver là où on m’attend le moins.» Avouais-je, m’amusant un rien de cette fameuse ironie dont parle mon interlocutrice. Une réalité. Mais elle n’avait nullement besoin de savoir exactement ce qu’il en était. Elle finit par s’installer alors que ses gardiens s’éloignent quelque peu, plus détendu mais néanmoins attentif à leurs alliés. L’un des deux est parti discuter avec Muraco, l’autre demeure non loin, non loin de ce qui semblerait être son supérieur. La dame profite de ce temps de repos pour me poser une multitude de questions qui finit par me faire rire. Un rire léger, amusé plus que moqueur. Etant moi même d’un naturel curieux et bavard, cela ne me dérange pas réellement. Mon rire s’éteint, se faisant simplement sourire amusé, un rien espiègle peut être bien.

« Ce n’est rien, je suis moi même d’un naturel bavard et curieux, vos questions ne me dérangent pas. » Je viens m’asseoir en tailleur face à elle avant de reprendre de ma voix de conteur. Une voix plaisante à écouter, bien agréable pour expliquer. « Et pour répondre à certaines de vos questions, je crains que ce ne soit vous qui étiez visé par ces hommes Madame la Marquise. Vous n’êtes pas sans savoir que les guérisseurs et les médecins sont des denrées rares et des cibles de choix dans un tel conflit. Il faut croire que votre réputation vous précède à présent. »

Je me permets un sourire de connivence, étant moi même l’une de ces cibles de choix. « Je suis un peu dans cette situation aussi à vrai dire, même si mes amis ont tendance à être plus secret je dirais. » Ajoutais-je en jetant un coup d'oeil à mes camarades. J’ai la chance aujourd’hui de me restreindre aux tribus autochtone, plus réceptives à mes pouvoirs et à mon fil de pensée, mais également plus secrètes et protectrices envers les leurs. Cela nous protège, moi et ma famille, bien que mon nom ne soit pas inconnu  non plus.

« Je pense que nos pouvoirs ont une origine commune, quand bien même ne l’employons nous pas forcément de la même façon. » Son énergie est un peu différente de la mienne, mais cela n’a rien d’étonnant. Elle est unique à chacun et la mienne est bien ancienne aujourd'hui. Leur nature est cependant semblable, et tout à chacun, tout du moins les êtres éveillés que nous sommes appelons ce dernier cosmos. Enfin, qu’importe le nom.

« A présent, c’est vous qui attisez ma curiosité. De quel genre de projet parlez vous exactement ? » Je m’arrête un instant avant de reprendre avec un sourire malicieux. « Et peut être pourriez vous également me dire pour quelle raison vous sembliez me chercher. A moins que cela ne soit lié ? » N’ai-je pas dit que j’étais moi même curieux ?

La dame devant moi se redresse, expose son bras avant de laisser son énergie se déployer autour d’elle telle un manteau bienveillant. Le cosmos ne ment pas. Son tatouage se fait sceptre dans ses mains et je devine le symbole d’une divinité que je reconnais. Hermès. Un dieu aux multiples facettes. Je demeure assis devant cette transformation, lui répondant d’un simple sourire lorsqu’elle me remercie. Le sourire d’un homme plus ancien qu’il n’y paraît, comprenant plus qu’il ne le semblerait. Et elle parle de son projet. Regrouper les soignants et humaniste de ce monde pour penser à la paix. Un bien ambitieux projet, qu’il ne sera pas aisé de réaliser, néanmoins, cela parait lui tenir à coeur. Penser à la paix. Cela sonne agréablement à mes oreilles néanmoins, c’est un goût plus amer qui vient glisser sur mon palai. Un souvenir ancien.

« Votre projet vous ressemble. » Doux et bienveillant. Déterminé aussi comme peut l’être l’éclat dans ses yeux. Un projet ambitieux. Ma seconde main vient enserrer la sienne. « Je suis un guérisseur. Un Draoi. » commençai-je en utilisant ma langue pour désigner ma caste pratiquement disparue. « A mon échelle, c’est ce que je fais déjà. Partager, soigner, apprendre et donner. C’est la raison de ma présence sur ces terres, de ma présence ici, avec eux. » Mon regard un instant se tourne sur les autochtones qui continuent leurs rondes, leurs gardes avant de croiser de nouveau les prunelles de mon interlocutrice. « Votre projet me ressemble aussi. » Un éclat de malice vient s’attarder dans l’ambre de mes iris.

« Penser à la paix ne changera rien à la guerre. » Mes paupières se ferment en réponse à cette intervention. La silhouette du dernier soldat s’approche de nous, mais sa capuche laisse à présent voir ses traits. Les traits d’une belle femme aux prunelles rubis et à la chevelure blonde ondulée qui cascade jusqu’à ses reins. Sa démarche est féline, et elle observe nos mains liées avec un froncement de sourcil qui ne passe pas inaperçu. Je souris malgré moi, relachant la main de la marquise sous le regard un rien inquisiteur de ma femme.

« Dame Ambroisie, je vous présente Morgane, mon épouse. Elle possède les mêmes talents que les miens, même si elle rechigne moins à les utiliser d’une façon plus… direct, dirai-je. Comme vous avez pu le constater dans la forêt. » Cette dernière répond à mes mots par une moue un rien hautaine en reprenant sur le même ton. « Nous leur avons laissé bien des occasions de rebrousser chemin. Si ils ne sont pas capables de les saisir, je n’y peux rien. »

Nous avons déjà eu cette discussion aussi, je ne rajoute rien de plus à ce sujet. Après tout, elle n’a pas tord sur ce point. Ma femme m’observe un instant, comprenant ma résignation avant de se tourner vers la soigneuse, s’inclinant légèrement face à elle. « Je m’excuse pour ce petit subterfuge dans la forêt, mais il était plus simple pour nous d’agir ainsi. » Un sourire en coin vient habiller ses lippes à la fin de cette phrase. Amusé. « Et plus amusant aussi. » Et nous sommes deux à le penser, je dois l'avouer.

Elle finit par croiser ses bras sur sa poitrine en reprenant le fil de la conversation. « Et concernant ce projet, comment comptez vous vous y prendre ? Que souhaitez vous faire exactement ? » Mon épouse est bien plus méfiante que moi concernant ce genre de groupe, assurément. Ce que je comprends au vu de sa situation. De la notre au final. Nous restons poursuivis après tout...

Nous écoutons, attentifs, la proposition de l’élu de Hermès. Son symbole est reconnaissable entre ses mains. Mon épouse demeure égale à elle même, bras croisées, elle écoute la belle, ses sourcils se fronçant ou se haussant à mesure de son discours. Mon visage est bien moins mobile à contrario, se faisant attentif à ses mots. Des mots bien naïfs. Les mots d’une femme idéaliste. Je me retrouve un peu en elle, ce moi que j’étais dans mon adolescence et qui n’est plus depuis bien longtemps à présent. Je rêve toujours d’un tel monde pourtant… Néanmoins, il y a quelque chose que je dois corriger avant de la laisser continuer. « Vous vous trompez sur un point, dame Ambroisie. Nous ne sommes aujourd’hui liés à aucune divinité tel que vous le croyez, comme vous semblez vous même y être attachée. » Je laisse ces mots lui faire comprendre notre position. Libre. Ce qui ne nous empêche pas de louer les Anciens.

« Etre éveillé ne signifie pas forcément être affilié à une déité.» Je lui souris, matois, alors que ma femme crispe légèrement ses doigts sur son bras. La crispation est presque invisible, mais je la perçois dans la raideur de son corps. Je ne suis pas sans savoir que la mélodie des embruns murmure férocement dans son âme depuis plusieurs lunes à présent. Une mélodie qu’elle souhaite faire taire, oublier, mais qui se plaît à résonner.

La raison de notre présence ici, si loin dans les terres.

Morgane secoue finalement la tête, accueillant les dernières paroles de la marquise par une moue sceptique. Presque contrariée. Je vois presque le fil des pensées de mon épouse si déçue par les Hommes. « Et vous pensez que cela suffira à faire cesser les guerres ? Une assemblée de pacifiste guérisseur ? C’est bien naïf de votre part, Ma Dame la Marquise. » Comme pour donner plus de force à ses mots, un coup de canon se fait entendre dans le lointain. Le fort. La blonde pointe d’une de ses mains la direction en question. « Ce conflit, lorsqu’il se terminera enfin, en entrainera un autre, puis de nouveau un autre à sa suite, tout comme de nombreux autres ont précédés celui-ci. Qu’il vienne des Hommes ou des Dieux, qu’importe. Ils auront toujours une raison pour prendre de force ce qu’on ne veut leur donner ! Cela a toujours été, cela sera toujours. » Elle aussi l’a vécu, la guerre. Une guerre à son échelle. Néanmoins, je ne peux lui donner tord. Moi aussi, je les ai vécus. Tant et plus, certaines ayant même marqué mon coeur plus profondément que toutes les autres.

« Les mots de mon épouse sont durs, mais néanmoins empreint de vérité... » Une pause, un instant. Morgane me détaille de ses prunelles écarlates. Elle me connait. « Cela dit, j’aimerai croire en votre projet, pour avoir longtemps partagé une vision similaire à la votre.» Je lui souris doucement, me relevant pour faire face à l’élu. Aujourd’hui cependant, les choses ont changés sur bien des points. Mon regard a changé. Non pas mon regard sur la guerre qui demeure en tout point similaire… mais sur moi même. Sur mes propres limites. Les limites d’un homme face au Monde.

« Peut être qu’avec mon expérience, je pourrai vous apporter une certaine aide, un soutien externe à votre cause. Neutre. Et je peux partager avec plaisir mes connaissances concernant la guérison, si cela vous intéresse toujours. »

Mon sourire demeure sur mes lèvres à ses premiers mots. Destruction. Résignation. Tous ces mots ne m’appartiennent nullement. Peut être ont-ils un jour appartenu à mon épouse. Peut être le pense t-elle encore malgré le temps passé à mes côtés. Je connais nos différences, mais je connais tout autant ce qui nous lie. « Panser les blessures des survivants ou des innocents subissant la guerre ne changera rien au fond du problème. » Morgane m’observe, finissant par me pointer de la main avant de reprendre. « Mon époux fait cela depuis bien des années, et les guerres n’ont pas cessées pour autant. Et il le fait depuis bien plus longtemps que vous ne le pensez surement. » Mes prunelles s’éteignent un instant avant de venir détailler notre interlocutrice, lui offrant un simple sourire. Elle s’en doute, au vu de ses mots, mais je précise malgré tout. « C’est aussi ce que nous faisons aujourd’hui. »

Mon bras vient, suite à cela, enlacer la taille de mon épouse, mes lippes s’ourlant d’un sourire plus amusé. « Et ma très chère Morgane, malgré toutes ses paroles amères, n’est pas la dernière lorsqu’il s’agit de soigner autrui. C’est une très bonne guérisseuse, même si cela lui arrive de râler sur ses pauvres patients. » Ma belle me jette un regard courroucé en réponse. « C’est qu’ils le méritent bien si je le fais ! » Me lache t-elle en se dégageant de mon étreinte, croisant les bras sur sa poitrine en levant le menton, fière. Un éclat de rire s’échappe de mes lèvres en réponse, ce qui n’est pas pour arranger la situation. Elle ne se vexe que plus encore. Je m’en amuse, détendant un peu cette atmosphère qui s’est faite plus lourde.

J’offre à la marquise une légère inclinaison de la tête. Oui. C’est ce que je ferai. Je jugerai en temps et en heure si il y a besoin que je ne juge quoi que ce soit. « Je vous y aiderai à ma façon. » Une dernière question. Je la laisse la poser. Mes prunelles s’éteignent. Une question intéressante que je me suis longtemps posée moi même. J’ai parcouru le monde des années à la recherche de cette réponse. Aujourd’hui, elle m’apparait plus clairement. néanmoins… « Nous avons chacun en nous la réponse à cette question. Ma réponse vous apparaîtra différente de celle qui pourrait étreindre votre âme, Ambroisie. » Je me rapproche d’elle, prenant sa main entre les miennes. Une chaleur vient l’étreindre et entre ses doigts vient se nicher une fleur perce-neige. Une fleur d’espérance. je lui offre un sourire en réponse à cette apparition. « C’est une question dont vous devez vous même trouver la réponse. Il n’est cependant pas question de résignation ici. » Un clin d’oeil ponctue ma phrase alors que j’éloigne mes mains, laissant la fleur au creux de la sienne. « J’ai trouvé ma réponse aujourd’hui. » Mes prunelles mordorées se posent sur mon épouse, un rien vexée, mais c’est un sourire doux qui couvre mes lippes. Elle en est l’une des facettes.

La voix de mon épouse reprend, répondant elle aussi à cette question qui lui a été posée. « Ce sont nos pouvoirs, alors c’est à nous de choisir ce qu’on en fait. Mais je pense surtout qu’il n’est pas question du monde, mais de nous et de ce que nous pouvons faire à notre échelle. » Nous échangeons un sourire avant que je ne reprenne à sa suite, ma voix se faisant un peu plus grave. « Néanmoins, prenez garde Ambroisie. Notre puissance n’est pas ce que nous sommes. Nous ne sommes pas invincible ou tout puissant, nous avons aussi nos limites malgré notre éveil. Alors faites attention à vous et n’en faite pas trop, au risque de finir tel Icare. » Je connais ce sentiment. Je ne le connais que trop bien.

Mon sourire reprend sa place sur mes lippes après un moment de silence. « Je pense qu’il est temps à présent de nous reposer. Vous devez être fatiguée après tous ces événements. » Après tout, cette course poursuite n’avait pas été de tout repos il fallait l’avouer. Je fais quelques allant récupérer une couverture pour la jeune femme auprès d’un des amérindiens présents et la confie à Ambroisie. « Vous êtes à l’abri ici, alors reposez vous en toute quiétude. »

Un repos que nous avons tous bien mérité.