Vengeance et Rédemption [FB Kurayami - Kassandra]

Petite contrée tranquille, rien à voir avec la métropole, et pourtant, Athènes n’est pas loin. Rivière paisible, maisons endormies, tout est calme dans ce pays, hormis pour le destin toujours en marche. Là où il doit frapper, nul répit, nulle explication. Il frappe. Et son instrument veille à ne pas déroger à la règle. Pauvres mortels profitant du repos éphémère que nocte leur donne, ils ne peuvent imaginer ce qui se trame. Car de long en long voilà une ombre qui file, se défile, se joue des lumières et des réalités, tisse des illusions de toute pièce, apparait si elle le souhaite et frappe là où on ne l’attend le moins.

Ce soir, le destin va frapper. Ce soir, la mort est en marche, ultime instrument pour ceux qui ont tout perdu et qui ont été entendus par d’autres forces à l’œuvre dans ce monde.

La porte s’ouvre, sans bruit, sans qu’une clé n’ait été nécessaire, sans qu’il ait été judicieux d’user d’un passe-partout. Et pourtant elle s’ouvre. L’ombre ne cherche pas à savoir si elle a été vue, elle entre, glisse entre les planches telle un serpent, sans bruit, sans odeur, sans rien qui ne pourrait la trahir. Là, l’odeur de la mort, ici, celle des ombres, un pouvoir coule dans ses veines sans qu’elle n’ait à y penser pour en user. Un pouvoir qu’on appelle Cosmos et que seuls d’autres initiés possèdent et peuvent ressentir.

Mais ici, personne ne le peut. L’odeur de la mort est si présente parfois… et la peur que peuvent inspirer les ombres… Comment de simples mortels pourraient-ils ressentir sa présence ?

Lentement, pas à pas, sans prendre la peine de refermer derrière elle, la silhouette féminine prend les escaliers. Aucun son, aucune vibration ne vient ternir cette approche digne des meilleurs assassins des légendes antiques. Nul entrainement ne permettrait autant de maitrise et de grâce. La magie est là, présente, au service de l’inéluctabilité, pour une cruelle résolution. Elle passe bien des portes, évite soigneusement de les ouvrir pour avancer tel un fin limier vers la source de ses préoccupations.

Une cible, unique. Il n’y a pas de bain de sang lorsque la vengeance est tournée vers une seule personne. Et elle mourra quel qu’en soit le prix.

La porte s’ouvre, peut-être qu’elle ne l’a jamais poussé de la main ouvertement mais elle entre dans ce qui est une grande chambre de maître avec un lit et des meubles parmi les plus somptueux. Rien ne peut préparer celui qui dort ici à ce qui l’attend. Dans son sommeil, paisible, insouciant, il ne sait pas que ses secondes sont comptées. Et elle, sans ménagement, avance vers lui pour le saisir par le cou pour ensuite, grâce à une force prodigieuse, le plaquer contre le mur d’une seule main.

Le regard pétrifié de peur, la victime ne sait que dire mais en même temps elle ne le peut. L’assassin resserre l’étreinte lentement et se moque de ce qu’il peut dire.

Elle le regarde paisiblement alors que d’une autre main elle pose sa lame sur sa gorge. Il ne suffirait que d’un geste pour que tout s’achève mais elle préfère sans doute ressentir la peur en lui, le frisson des derniers instants. Mais peut-être qu’elle s’en moque après tout. Elle est là pour tout autre chose. La mort viendra mais pas sans que les paroles adaptées aient été portées par sa voix telle une révélation funeste.

- Trois femmes portées par les flots, à jamais souillées, portées par un fardeau, un secret. Qui dont aurait pu vouloir ta fin si ce n’est celle qui a été élevée à dessein…

Elle respire, hume l’air telle une Pythie en quête d’un autre message des dieux… Et il ne tarde pas à venir.

- Pas la moindre Obole pour toi, nous y veillerons. A jamais retenu sur les berges du Styx, tu erreras peut-être dans l’une des prisons…. Est-ce là ton destin ? Oui, inexorable…

Elle aurait dit bien d’autres choses, bien d’autres mots mais quelqu’un était venu à sa suite, une présence, un être, qui pouvait-il bien être pour la suivre ? Son visage se tourne lentement vers lui, et l’arrêt qu’elle marque à le regarder semble bien durer l’éternité.

La nuit est tombé sur les abords d'Athènes et de ses alentours. Plus un mot, plus le moindre bruit ne se fait entendre au niveau des baraquements des aspirants Saints, si ce n'est celui du vent dans les arbres de temps à autre et celui des ronflements étouffés des jeunes novices qui se reposent.

Parfois, au dehors, lorsqu'il s'approche assez près des bâtisses de pierre, on peut entendre les pas d'un soldat armé faire sa ronde, vérifiant que tout est en ordre et qu'il n'y a rien à signaler. Mais au vu du calme ambiant, il ne s'attarde jamais vraiment et continue sa route sur le parcours défini par son tour de garde.

Ce n'est que lorsque s'éloigne le cliquetis sourd des bottes métalliques sur le gravier qu'un jeune homme décide de s'extirper de sa couche sans un bruit. Ayant déjà décidé de faire le mur ce soir là, il ne s'est pas débarrassé de sa tenue d'entraînement. Il ne s'embarrasse pas non plus du moindre objet futile qui pourrait compromettre sa fuite et s'éclipse discrètement du Sanctuaire.

Dissimulé par le couvert de la nuit, il sait se mouvoir sans se faire repérer. Après tout, ce n'est pas la première fois qu'il se lance de la sorte dans une expédition nocturne.

Une fois assez éloigné de ce lieu d'accueil - auquel il séjourne depuis quelques temps déjà, et où on l'a envoyé pour parfaire son entraînement pour devenir Chevalier à temps plein - il se permet de se relâcher un peu.

Tout ceci, est encore un peu nouveau pour lui, et il semblerait qu'il ait encore un peu de mal à s'y faire. C'est l'endroit adéquat pour tisser des liens avec ses futurs frères d'armes et parvenir ensemble à finalement maîtriser le Cosmos pourtant. Mais rien n'y fait. Il ne s'y sent pas à sa place. Il préfère se débrouiller et s'entraîner tout seul. Loin, bien loin, des remarques et moqueries incessantes des autres disciples qui donnent surtout l'impression d'être là pour s'amuser et non pas pour se préparer au rôle d'importance capitale qui reviendra surtout aux plus forts d'entre eux.

Un lieu de franche camaraderie pour les autres en somme. Mais pour le jeune Kurayami qui a déjà été témoin des atrocités dont sont capables leurs futurs ennemis de toujours, c'est une autre histoire. Pour lui, c'est bien loin d'être un jeu. Il a perdu ses parents, devant ses yeux. Impuissant face au désastre qui a sévi dans son village. Alors pour lui, seule une chose lui importe. La puissance. Pour un jour parvenir à se venger.

C'est dans cet objectif d'aller s'entraîner tout seul qu'il s'est donc éclipsé du Sanctuaire. Comme à son habitude, son chemin l'emmène aux abords de la rivière, un peu à l'écart des maisons calmes environnantes là où à l'accoutumé il se rend pour être persuadé de n'être dérangé par personne.

Seulement ce soir là, règne une atmosphère étrange, presque pesante bien que ça ne soit qu'à peine palpable. Poussé par une bien étrange curiosité, le brun finit par se rendre compte que la porte d'entrée d'une des maisonnées avoisinante est restée ouverte.

A cette vision, son coeur saute un battement. Le souvenir persistant de la scène de crime - dans laquelle ses propres parents étaient étendus presque sans vie sur le sol, baignant dans leur propre sang - lui revient à l'esprit.

Les mains tremblantes, il s'avance doucement, en tendant l'oreille. Au fond, il espère que ce n'est qu'un oubli de la part des occupants de la maison. Alors qu'il n'entend aucun son à l'intérieur, il se demande alors si les habitants ne sont pas partis en toute hâte à tel point d'avoir omis de fermer la porte. Fausse alerte donc ? Rien d'étrange à relever, aucun bruit suspect ?

Il se prépare à tourner les talons. Après tout, ce ne sont pas ses affaires. Le doute persiste toutefois. Et s'il a raison ? Et si le même meurtrier de ses parents est à l'oeuvre en ce moment même ? Non cela ne se peut.

Finalement, l'appel de la curiosité est trop fort. Qu'est-ce qu'il risque après tout si comme il le pense, ce n'est qu'une erreur. Personne ne se rendrait compte de son effraction si ceux qui habitent là sont profondément endormis ou vacants. En revanche, si la même tragédie est en train de se répéter, alors il a envie de voir si tous ses efforts ont servis à quelque chose. Si l'assassin se trouve ici, il ne le laisserait pas filer en ayant commis son oeuvre, et ce, même s'il doit en payer de sa vie.

A l'intérieur tout est silencieux. L'adolescent se prépare même à faire demi-tour. Mais très vite, un bruit sourd l'interpelle. Alerté, il ne perd pas son sang froid pour autant et s'avance à présent à pas de loups en direction des escaliers menant à l'étage. Des bribes de voix lui parviennent, bien qu'il n'en saisisse pas le sens.

C'est alors avec une très grande surprise qu'il se retrouve face à une mise en scène qui dépasse de loin ses attentes. Une chevelure rougeoyante. Une lame. Un homme est au prise avec une femme armée qui le maintien au niveau du cou contre le mur.

Le rythme cardiaque de l'aspirant s'accélère. Ce n'est pas exactement ce face à quoi il pensait se retrouver. Et il est là, à découvert, ne sachant plus vraiment comment il doit réagir. Ce ne sont pas ses affaires mais le voilà déjà impliqué en tant que témoin. Doit-il intervenir ou faire l'autruche et laisser les choses se faire sans s'interposer ? Il s'est donné pour objectif de se venger un jour, il ne peut se permettre de jouer les héros maintenant et de se risquer à perdre la vie.

Mais alors qu'il fait un pas en arrière, sa maladresse révèle sa position. Il ne peut plus fuir. Il est fichu. Tout ce qu'il trouve alors à dire d'une voix tremblotante c'est :

'' Qu... Qu'est-ce que vous faites !? Pourquoi vous faites ça ?!''

Pas un bruit, pas un mot, pas une chose plus haute que l’autre et pourtant, quelque chose m’a échappé. Des pas, des gestes, quelqu’un qui s’avance sans mot dire et qui finalement s’esclaffe titubant presque. Je n’ai pas bougé d’un pouce. Mes paroles ont certainement couvert les bruits de pas de son avancée et même si je ne le vois pas, je peux clairement ressentir sa présence.

La lame toujours posée sur la gorge de celui qui ne sera bientôt qu’un souvenir, je pose mon regard dans les yeux, profondément avant de me tourner vers le nouvel arrivant.

Je me déroule lentement, gardant la main et la lame là où elles doivent l’être pour finalement me retrouver face à lui. Etrange. Sa présence irradie de quelque chose dont sont faits les êtres illuminés. Une once, quelque chose d’existant, de résiduel, prêt à éclore tel un poussin qui sortirait de sa gangue. Mais c’est autre chose qu’un volatile que je vois pour le moment. Un enfant qui aurait mieux fait de rester chez lui.

Mes yeux cherchent les siens, je le vois peu assuré dans sa démarche. Doit-il agir ? Peut-être qu’il ne le sait même pas.

- Tu as peur du noir Petit ?

Simple réponse à sa question. Il n’était pas dans mes intentions de lui répondre. Pourtant, ce que je faisais ici semblait évident. Et je n’attends pas qu’il réponde à ma question. Sans bouger d’un instant, sans même frémir, je déploie alors les ombres tout autour de moi. Elles auront commencé à engloutir les escaliers, coupant tout espoir de retraite, puis, étouffé les fenêtres, les lumières, les reflets. Enfin, même les ombres auront été avalées pour qu’il ne reste plus que 3 personnes dans ce qui semblait être désormais une antichambre noire.

- Que fais-tu dans mon rêve ? A moins que ce ne soit ton cauchemar ?

Une voix lente et la tête penchée sur le côté, mon attitude était clairement destinée à l’impressionner. J’avais décidé de le malmener un peu, de manipuler ce qu’il pouvait percevoir autour de lui en faisant germer le doute. Il pouvait tout aussi bien être encore dans son lit à rêver. Qui sait… Il allait peut-être succomber à cette illusion. La faiblesse des mortels était si facile à enrober de secondes noirceurs que je ne me privais jamais lorsque c’était possible.

La pauvre victime, elle, restait silencieuse et immobile mais n’en était pas moins en train, elle aussi, de disparaitre lentement, avalée par les ombres que je déployais tout autour de nous. Le regard dans le vague comme si elle était hypnotisée par quelque sortilège, il n’avait pas crié lorsque j’avais enlevé ma main de sa bouche. Il était bien loin d’être consumé par la noirceur mais c’était inéluctable.

- Faire quoi… ça ?

J’avais regardé le pauvre citoyen sans compassion ni charité.

- Ce n’est que le retour des choses… pourquoi t’en soucier, tu voudrais le sauver ?

Regard fixe et ténébreux lancé vers jeune adolescent trop loin de chez lui. Comment pouvait-il comprendre le poids des choses qui se déroulaient ici ?

Le jeune homme se retrouve très vite à devoir improviser pour espérer s'en sortir. Mais ce qu'il ignore c'est que les choses ne vont faire qu'empirer encore. C'est donc d'une démarche peu assurée qu'il se retrouve à prendre la parole. Tout ça à cause de sa maudite maladresse.

Son interlocutrice, quant à elle, est bien consciente de ses capacités et à première vue, elle allait se faire un malin plaisir de les utiliser à bon - ou à mauvais - escient. Elle n'a pas l'air surprise par l'apparition inopinée de l'autre et ne daigne même pas le regarder tout de suite. Interrompre ce qu'elle est en train de faire, interrompre sa petite partie de chasse pour ça, encore moins. Même lorsqu'elle le fera tout de même bien assez tôt, c'est même d'un air totalement impassible qu'elle essayera de planter son regard dans celui de l'adolescent.

Ce dernier, comprenant finalement dans quoi il s'est fourré et dans quelle situation épineuse il s'est jeté de lui-même, tente de faire volte-face le plus calmement qu'il le lui est possible. Faisant mine que l'inconnue ne l'intimide pas tant que ça ou que ce ne sont pas ses affaires, il se dirige vers les escaliers qui lui ont permis de monter à cet étage.

'' Non. Et à vrai dire, vous pouvez bien faire ce que vous voulez, cela m'est bien égal. Ce ne sont pas mes affaires.''

Mais avant d'avoir eu le temps de les atteindre et de descendre la première marche, voilà qu'il est témoin d'un très curieux phénomène qui lui coupe l'herbe sous le pied. En effet, des ombres d'un noir d'ébène commencent à se propager et à s'étaler sur chaque surface, avalant chacun des objets et meubles disposés dans l'appartement jusqu'à ce que tout soit recouvert d'obscurité autour des trois protagonistes. Evidemment que cela aurait été tellement plus simple s'il avait pu s'en aller aussi facilement.

Jetant un coup d'oeil à la rousse, il comprend qu'elle est très certainement à l'origine de ce traquenard et qu'elle vient de couper l'accès à toute porte de sortie. Elle ponctue même son geste de petites phrases de sa composition laissant sous entendre qu'elle doit probablement tiré du plaisir à tout ce petit manège. Du moins c'est de la manière dont le conçoit Kurayami. Et pour cause il laisse s'écouler quelques instants en silence avant de finalement prendre la peine d'y répondre.

'' Le sauver ? Je ne le connais même pas. Qu'est-ce que cela m'apporterait de le sauver. Tuez le, qu'on en finisse. Tout ce que je voudrais, c'est que vous me laissiez partir. S'il vous plaît. ''

S'efforçant de serrer les dents, il sait premièrement qu'il n'aurait jamais du pénétrer dans cette demeure, mais aussi qu'il n'est pas de taille face à son assaillante. Il ne veut pas prendre le risque d'empirer plus la situation qu'elle ne l'est déjà. Il ne sait déjà même pas comment il pourrait s'en sortir vu l'état actuel des choses. Tout ce qu'il sait en revanche, c'est qu'il a une vengeance à accomplir mais que s'il mourrait maintenant il ne serait jamais en mesure de l'accomplir. Lui vient alors une idée pour le moins... osée...

'' Ce que vous utilisez là, c'est du Cosmos n'est-ce pas ? Si je le tue votre gars là-bas, vous pourrez m'apprendre comment vous faites ça ?''

C'est un pari risqué que le jeune aspirant vient de prendre. Il n'est pas assuré qu'elle réponde favorablement à sa demande et il le sait très bien. Mais encouragé par son obsession de vengeance et son envie de devenir toujours plus fort, il est prêt à tout si cela peut lui permettre de vivre ne serait-ce qu'un peu plus - voir même de gagner plus de puissance dans le procédé, il ne va pas cracher dessus. Ses traits sont graves et même la vue de la futur victime ne semble pas le faire sourciller non plus.

Le pauvre, s’il savait dans quoi il a pu se fourrer. La curiosité est un très vilain défaut et je ne suis pas certaine qu’il mesure l’étendue de la gravité de sa présence ici. Il essaye de se préserver autant que possible, il parle, évoque et se met en retrait, tente de ne pas prendre part à ce qui se joue ici mais il est déjà présent et c’est déjà trop tard pour reculer. Il l’a bien vu, il sait que quelque chose se joue mais il n’a pas encore saisi que sa présence remet en cause l’équation.

Un animal jeune et impétueux, un jeune chien, ou pire, un louveteau, piégé dans un croc de chasseur et qui sentant la mort s’approcher tente de la négocier, de l’apaiser pour qu’au lieu de l’achever elle le libère. Mais le destin est inaltérable. Rien ne peut entraver sa course. Pour le coupable comme pour lui. Et lorsqu’il évoque

- Faire ce que je veux ? Mais j’en ai bien l’intention. D’ailleurs, il est déjà mort même si…

je laissais poser cette phrase avec un silence grandissant car il évoquait quelque chose de sinistre sans le savoir. Le tuer, simplement pour pouvoir partir d’ici, une fois pour toutes. Il se sent prisonnier et cherche une sortie, une échappatoire. Presque il me donnerait un ordre, une sommation de tuer celui dont il ignore tout. Le courage est parfois à 2 visages, là, il se retrouve acculé sans pouvoir faire quelque chose de réellement utile alors, il ne lui semble plus possible de faire autre chose que ce qui est inévitable. Et le laisser partir semble une de ses requêtes.

- Il devait mourir, que tu sois là ou non n’y aurai rien changé ; Et toi tu serais prêt à mêler ton destin et ton âme pour quelqu’un que tu ne connais même pas ?

Parler, observer, je ne faisais pas que ça en vérité. Car l’onde brumeuse, cette mortelle noirceur qui s’était développée pour engloutir le coupable n’en avait pas fini ; elle continuait à le dévorer sans qu’il ne puisse dire un mot ni émettre la moindre souffrance. Et qu’entends-je finalement ? Un souhait ? Un désir ? Une requête de mon nouveau prisonnier me demandant de lui enseigner comment faire pareils prodiges ? Une supplique pour le tuer lui-même ? Mon sang ne fait qu’un tour et disparaissant à une vitesse prodigieuse de là où je me trouve, j’apparais dans son dos pour le saisir sans ménagement, ma dague posée sur sa gorge.

- Tu es jeune et bien ignorant si tu penses pouvoir m’amadouer de la sorte. Quel dessein pourrais-tu servir avec de pareils pouvoirs ? Tu n’imagines pas ce que tu oses demander…

Mon étreinte se fait plus puissante encore ; et peut-être qu’il est question de rage, peut-être de tristesse, qui sait ? Pour la femme qu’il semble avoir vu, fluette, mince, athlétique, je cache le jeu d’une force prodigieuse, d’une rigidité sans failles. Est-il inquiet ? Peut-il avoir peur ? Il devrait. Il avait le charme d’un de ces hommes que j’aurai pu dévorer pendant une nuit torride, dans une autre vie. Mais il ne pouvait pas être question de ça. Sa demande avait jeté quelque chose sur un feu déjà bien vif ; elle avait évoqué quelque chose auquel je ne pensais pas, pour lequel je n’imaginais plus la blessure, la mienne, celle qui m’avait condamnée. Et voilà qu’un mortel avançait pareille proposition…

- Tu serais prêt à endurer mille tourments, mille souffrances pour apprendre à manier l’instrument de la vengeance divine ? Que sais-tu de cela, jeune imbécile, pour souhaiter maudire ton existence et la réduite à une vie d’esclavage ? Réponds-moi si tu ne veux pas mourir !!

Je répondais avec la froideur des Parques ; ma dernière phrase pouvait être terrifiante alors que le visage du condamné disparaissait définitivement derrière le voile de la mort. Il était certain que jamais mes actes ne condamneraient un innocent à la connaissance de mes pouvoirs. Et que la mort était préférable à cette vie de servitude.

Evidemment que la rousse compte bien faire ce qu'elle entend. Elle a toutes les cartes entre les mains. L'autre, ou plutôt les deux autres, n'ont plus qu'à bien se tenir. Même si le sort du premier est déjà scellé, celui du second ne tarderait pas à suivre.

Avec un coup d'oeil en direction de l'homme qui, sans un bruit, est en train de lentement se faire engloutir par les ombres, l'aspirant Saint comprend qu'il est trop tard pour lui. Comme son bourreau l'a mentionné, '' il est déjà mort''. Du moins, cela n'est plus qu'une affaire de quelques minutes, quelques secondes tout au plus. Inutile donc de se salir les mains lui-même. S'envole donc ainsi l'âme de ce ''malheureux'', et avec lui, la porte de sortie de notre jeune prodige.

'' Si je suis prêt à mêler mon destin et mon âme à ceux de quelqu'un que je ne connais même pas ? Si c'est pour parvenir à m'en sortir, je suis prêt à tout. Je ne peux pas mourir ici.''

Le jeune homme tente et retente sa chance. Encore et encore. Il se doute que ce sont des paris extrêmement risqués. Mais il ose quand même. Après tout, coincé dans une situation qui le dépasse de très loin, quels réels autres choix a-t-il ? Mourir maintenant ou parvenir à mourir un peu plus tard ? Il saisit sa chance autant qu'il le peut. Advienne que pourra.

Il n'aura même pas à attendre bien longtemps pour assister aux répercussions de ses actions et de ses propos - qu'ils aient été bons ou mauvais. La réaction de l'assassin ne se fait pas attendre. Très vite, à une vitesse dépassant l'entendement, elle disparaît pour réapparaître dans son dos, entravant ses mouvements et lui brandissant une dague sur la gorge.

'' Je n'ai pas peur de la mort. Je sais que les personnes auxquelles je tiens le plus m'attendent de l'autre côté. Mais je ne peux pas mourir maintenant. Il y a quelqu'un que je n'aurais de cesse de traquer tant qu'il ne connaîtra pas le trépas. Le meurtrier qui m'a arraché leurs existences et qui m'a condamné à un sort pire que la mort elle-même. Celui d'avoir à fouler la terre chaque jour sans eux. Celui d'avoir à voir son visage à chaque fois que je fermerais les yeux... ''

Suite à ces paroles, l'agresseur semble resserrer son étreinte sur le futur Bronze Saint du Loup, comme pour lui montrer qui détient le pouvoir, ou comme si la réponse et la désinvolture de l'apprenti l'avaient énervé. Comme si que ça soit par sa franchise, ou sa façon d'être, le jeune Kurayami a su créer une percée et faire ressentir une émotion à travers l'armure de la furie - même si c'est de l'irritation, à moins que cela ne soit de la nostalgie. En tout cas, le fait étant que la dague posée à même la peau a commencé à faire apparaître une très légère saignée de sang à peine visible.

Mais non, l'adolescent n'a pas peur ou du moins il ne semble pas. Ce n'est pas juste un bluff de sa part. Mieux encore, ses traits sont durs et se durcissent. Il ne s'agit pas là d'une confiance en soi à toutes épreuves. Il est bien conscient qu'il est très loin d'être assez fort. Seulement... Peut être est-ce dû finalement à de la peur de mourir avant d'avoir pu accomplir ses objectifs, à une trop grande pression, à la rage qui l'habite ou bien au rappel des raisons pour laquelle il vit et se bats mais... Un changement est perceptible.

Ses iris changent de couleurs et - eux qui d'ordinaire sont plutôt sombres - virent soudainement au doré vif. Un cosmos d'une très grande noirceur se rassemble et bouillonne en lui. Loin d'être assez puissant pour pouvoir terrasser son interlocutrice, il peut paraître tout de même étonnant - pour quelqu'un qui essaye encore d'apprendre à maîtriser sa force cosmique - surtout qu'il ne cesse de grandir encore.

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'' Peu m'importe les tourments et les souffrances tant que celui qui m'a tout pris subisse le même sort ou connaisse un châtiment pire encore que le mien ! Mon existence est déjà maudite par mon désir de vengeance à cause de cet homme !''

Comme submergé par ses sentiments, et par sa haine vis à vis de cet homme, la force sombre cosmique de l'orphelin n'a cessé de croître tandis qu'il nuance ses propos. Mais une fois prononcés à voix haute, c'est comme s'il était libéré ne serait-ce que d'une partie d'un poids. A moins que ça ne soit à cause de l'épreuve physique que demande une telle concentration de cosmos. Mais très vite, comme vidé de son énergie, ses yeux retrouvent leur couleur d'origine, tous ses muscles se relâchent brusquement et avec eux, une infime partie de la puissance emmagasinée par l'énergie cosmique. Tant et si bien qu'une très légère onde de choc à peine perceptible viendra légèrement faire secouer l'antichambre d'un noir d'ébène dans laquelle se sont tous deux enfermés les deux détenteurs d'obscurs cosmos...

Sommes-nous des fous au service des dieux ?
Je sais ce qui a pu me placer dans cette situation depuis plusieurs millénaires, je n’ai jamais failli à la tâche. Et je sais ce qu’il en coute à quiconque se trouve sur le chemin de la messagère des Erynres. Je n’ai jamais eu le choix. Ca n’a jamais été une option. Il n’a jamais été question de reculer, de se poser des questions, ni d’avoir le moindre doute. La loi parle pour ce qu’il convient de faire et j’ai toujours fait parler cette loi, intransigeante, ni bonne, ni mauvaise. Aujourd’hui comme demain, beaucoup seront d’un côté ou de l’autre de cette frontière.

J’ai ressenti l’odeur du sang lorsque dans un léger sursaut, par ses paroles, il a été blessé par ma lame. Et il devrait déjà être mort. Alors quoi ? Pourquoi lui ? Pourquoi retenir mon geste ? Je l’écoute, voilà pourquoi.

Il se dit prêt à tout. Je reconnais là ses paroles, celles qui étaient les miennes il y a une éternité. Ne sommes-nous pas prêts à tout lorsque nous désirons ardemment les choses ? Un homme ? Une femme ? Une soif de vérité ou de vengeance ? Et tout cela au mépris de la mort ? J’ignore jusqu’à ce qu’il peut être, ce qu’il peut désirer. C’est un jeune soldat tout au plus en apprentissage qui n’a rien à espérer de ce que je connais ; et qui ne devrait pas attendre la moindre clémence de ma part.

Au-delà de ses envies, de ce qu’il souhaite de plus, je le ressens innocent, encore intact, loin d’être ce que je suis devenue, de ce que mes décisions ont fait de moi. Devrais-je le laisser ici, partir et encourir la vengeance de mes maîtresses ? Je n’ai jamais eu le choix et il pourra alors ressentir mon étreinte se resserrer comme pour chercher à l’empêcher de parler.

- ça suffit, arrête de parler de ce que tu ne connais pas !

Mais il ne se tait pas, bien au contraire. Et je ne sais pas très bien à ce moment-là s’il vit encore parce que je veux l’entendre parler ou parce que je me sens incapable de faire le geste que j’ai si souvent accompli. Il avoue ne pas avoir peur de la mort et dans la situation actuelle il serait très simple d’en finir. Il n’est tenu en haleine que par l’envie et le désir de vengeance, tel qu’il pouvait être pour moi.

Mon père, mes proches, ma mère. Nul ne devrait avoir à vivre de tels moments, nul ne devrait rester dans l’attente, dans l’incertitude de pouvoir rendre justice un jour ou non. Et j’avais choisi le chemin le plus court pour arriver à mes fins. Nourrie par l’odeur de la mort, accomplir ma vengeance avait été une libération qui avait appelé encore plus de sang et porté sur moi le regard des divins. Un coup de chance d’avoir été entendue, portée, formée, aidée et d’avoir pu survivre aussi longtemps. Le jeune soldat voulait la même chose que ce que j’avais pu vouloir en d’autres temps, cette damnation volontaire, par masochisme sans doute, ou pour d’autres raisons toutes aussi obscures.

C’est à se demander pourquoi il ne se contente pas de geindre comme tous les autres ; pourquoi l’histoire qu’il me raconte me fait penser à ce que j’étais ; pourquoi je me sens paralysée là où j’aurai pu le frapper mille fois. Pourquoi… Pourquoi… Pourquoi ???

La colère s’empare de moi. Froide comme la mort, j’enchaine les mots les uns derrière les autres sans calculer, tel que j’aurai pu le faire en d’autres circonstances mais je ne suis plus la même depuis quelques instants.

- Que peux-tu savoir de la damnation ?? Je… Je ne ferai pas de toi ce que je suis devenue. Et je préfère te tuer que de te condamner à mon sort.

Autant de paroles stériles que je lance en aveugle pour tenter de garder le contrôle de la situation car ce qu’il raconte est autant de coups portés en plein cœur. Je me vois à travers ce qu’il dit, je revis chaque scène, chaque instant, chaque choix qui a précipité mon destin. Je peux lui laisser le choix que je n’ai jamais voulu, je peux faire en sorte que tout s’arrête ici…

- Non… Tu es innocent…

Ma voix n’est plus qu’un murmure, un frémissement. Le tumulte et le conflit se sont emparés de moi et rien ne peut aller contre ça. Ses forces à lui se sont au contraire affirmées et même s’il a encore beaucoup de chemin à faire, je peux déjà ressentir les vagues d’un Cosmos qui ressemble étrangement au mien. Pourquoi est-ce qu’une de mes larmes vient de tomber sur son épaule ?

Vaincue, je relâche mon étreinte et recule de quelques pas. Un bruit métallique, sec et inattendu vient briser le silence de la pièce dans laquelle nous nous trouvons. Ma dague tombe au sol sans que je n’ai pu y faire quoi que ce soit. Le regard perdu, chancelante, je peine à trouver les forces pour rester debout, submergée par la fatalité et l’émotion. Je trébuche presque pour me retrouver à genoux, les mains posées sur le sol. Mes forces m’abandonnent, ma volonté semble s’échapper alors que me revient en mémoire le châtiment que me promettaient les Erynres à la moindre faiblesse. Est-ce là le paiement pour avoir renoncé à tuer un innocent ? Le seul à avoir été sur ma route et pour lequel… je n’ai refusé l'application de la loi.

Un seul mot vient s’échouer comme une dernière parole avant que je ne puisse plus rien dire.

- Pardonne-moi.

Car déjà, le temps semble reprendre ses droits sur mon corps. J'étais prisonnière de l'emprise de mes maîtresses depuis quelques millénaires, gardée vivante par un sortilège garantissant ma servitude éternelle. Et mon obéissance était le prix de cette immortalité. Pourvu que Hadès frappe avant que Chronos ne puisse terminer son œuvre...

« Briser le pacte »

Le goût amer de la vengeance

Un brusque éclair d'or illumina la pièce jusqu'alors envahit par l'obscurité. Sa clarté fut si soudaine, si brillante, qu'elle influença jusqu'à la température qui monta de quelques degrés.
L'environnement venait radicalement de changer. Théâtre d'une altercation qui n'aurait jamais du se produire, la petite pièce s'était muée en un endroit calme et paisible. Cette étrange impression naissante était du à la présence d'une femme. Une jeune femme à la longue chevelure lavande, qui dégageait une douceur et une compassion si grandes, qu'elles en étaient presque palpables.

C'est avec délicatesse que ses paupières s'ouvrent lentement, alors que deux prunelles d'émeraude se posent sur celle qui avait donné la mort à tant d'être humains. Pour autant... son regard restait-il doux, ne la jugeant pas, ne s'apprêtant à rendre aucune sentence.
Avec douceur, sa paume s'éleva vers le front de Kassandra. Mais juste avant que la pulpe de ses doigts ne parviennent à leur destination, des cris stridents retentirent tout autour d'eux. Des hurlements immondes, pointant dans des aigus relativement stridents et désagréables.

La mâchoire de la Divine se crispa un instant alors qu'un sceptre d'or apparaissait au creux de sa main et qu'elle frappait le sol sèchement.

« Assez ! »

Sa voix gronda à en faire trembler les murs de la petite pièce. Les cris... cessèrent immédiatement.
L'atmosphère redevint vite chaleureuse, comme si rien ne s'était passé. Comme si personne n'avait tenté de s'interposer. C'est alors que la Divine acheva le mouvement qu'elle avait initié quelques secondes auparavant, ses doigts se posant sur le front de la jeune femme.

« Je suis Athéna. Déesse de la Sagesse et de la Guerre, Protectrice des hommes et de leurs enfants. En ce jour et en cette heure, par ma voix et mes voeux, je te délie de ton serment.
Tu es libre, Kassandra. »

Une douce chaleur s'insinua dans le front de l'ancien assassin, se lovant dans chaque parcelle de sa peau pour venir enlacer son coeur. Le réconfort de la fille de Zeus enveloppait l'humaine avec une bienveillance toute surnaturelle, presque irréelle.
Saisissant son menton d'un geste délicat, elle leva légèrement le visage qu'elle tenait vers elle. Un sourire aimable accompagnera les quelques mots qu'elle lui adresse.

« C'est terminé, Kassandra. Je compte sur toi pour mettre à profit cette nouvelle vie qui t'est offerte. Ne refais pas les mêmes erreurs et saches une chose... une chose très importante... »

A ces mots, Athéna observa quelques secondes de silence, alors qu'elle relâchait le menton de la jeune femme et se redressait. Ses prunelles brillantes se posèrent avec tendresse sur le jeune garçon. A cet instant... elle ignorait tout du destin qui les lierait. Elle ne pouvait imaginer quelle place il occuperait dans quelques années, ni le rôle déterminant qu'il jouerait quand elle perdrait la mémoire. Mais... au fond de son coeur... elle savait d'ores et déjà, que ce jeune garçon là, ferait le bien autour de lui.

« ...la vengeance... attire la vengeance. Ne tombez pas dans ce cercle vicieux, ne la laissez pas corrompre votre coeur. Car... tôt ou tard, vous le regrettez amèrement. Peut être serez-vous soulagés sur l'instant... Mais le sang appelle le sang, la vengeance appelle la vengeance. Si vous ne réussissez pas à trouver la force de pardonner, ce sera un éternel recommencement. Une sinistre boucle sans fin... »

Elle ferma les paupières quelques brèves secondes, comme conclusion de ses paroles. Lorsqu'elle rouvrira les yeux, son image sera déjà complètement floue, laissant un ultime sourire comme dernier souvenir de son passage dans leur vie, à un instant précis où chacun en avait besoin.
Désormais ils devaient tous deux faire leurs propres choix. Son rôle, du moins pour l'instant, s'achevait là.

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L'étau se resserre sur le jeune homme au fur et à mesure qu'il déballe son argumentaire. Il le sait que ses mots impactent son agresseur, il le sent. Ne serait-ce que dans l'étreinte dans laquelle il est emprisonné toujours plus ou par la vive réaction de la rouquine qui lui ordonne de se taire et de ne pas parler de choses qu'il ne connaît pas. Mais ça, le garçon n'en a que faire.

Emporté par ce curieux mélange de sentiments qui bouillonne en lui, il continue, prêt à balancer tout ce qu'il a sur le coeur. Il ne le sent peut être pas que d'une certaine manière cela lui fait du bien de se décharger de toute cette peine, cette fureur, cette colère. Mais ce qu'il sait en revanche, c'est qu'il se sent de plus en plus fort et sent grandir en lui une énergie nouvelle, dévastatrice, prête à tout emporter.

Comme les deux faces indissociables d'une même pièce, deux traits de caractères s'affrontent au même moment et luttent au sein même du garçon pour asseoir son autorité. Mais malgré tout, malgré ce déchirement, étrange, c'est une réaction parfaitement humaine qui se joue chez l'orphelin.

D'une part, il ne cesse de vouloir surenchérir ses propos, toujours plus, afin que celle à la crinière de feu ne finisse par en avoir assez et accomplisse l'Inévitable. Que cette épée de Damoclès qu'il a au dessus de sa nuque s'abatte enfin et emporte avec elle tous ces tourments. Cette fin, qu'il n'a jamais cessé d'espérer sans jamais parvenir à la mettre en oeuvre de lui même. Ainsi, il n'aurait plus à subir le calvaire d'une vengeance qui n'arrivera peut être jamais. Une existence rythmée par la haine, le fardeau, la pression, la colère, le chagrin, la peine, la tristesse, l'étouffement. Il était fatigué de tout cela. Il se languit de mourir. Ainsi, il serait libre de rejoindre les siens qu'il n'aurait jamais du quitté...

Mais d'un autre côté. Il ne sait réellement s'il pourrait assumer d'avoir baissé les bras. D'avoir abandonné alors qu'il a été épargné, d'avoir pu vivre alors que d'autres n'ont pas eu cette chance. Alors il s'acharne, il s'obstine à vouloir faire tomber la tête du bourreau, pour tous ceux et celles qui ont été condamné au trépas. Il n'y a que cette simple pensée qui l'anime. Plus que tout il veut devenir plus fort, gagner toujours plus de puissance afin de finalement pouvoir l'emporter. Et ce, en dépit de tous les sacrifices qu'il devra faire dans cet unique but. Peu importe s'il doit vendre son âme au diable pour y parvenir. L'échec ne lui est pas permis. Il ne peut mourir tant qu'il n'aura pas au moins essayé - voir gagner tout au plus.

Pourtant, lorsque finalement tout redeviendra calme. Lorsque vidé de ses forces pour avoir lutté autant et accompli ce qui aurait dû lui nécessité encore plusieurs heures d'entraînements, c'est la jeune femme qui s'avoue finalement vaincu. Se refusant à ôter la vie à une version plus jeune d'elle-même, elle dépose les armes, et recule en titubant. Sa dague tombe au sol, et elle ne tarde pas à en faire de même, se retrouvant sur les genoux.

Alerté par le bruit métallique et par la réaction plus qu'étonnante de celle qui a tenu sa vie entre ses mains il y a encore peu de temps, Kurayami finit par faire volte-face pour assister incrédule à une vision qui le désarme. Il ne comprend pas où a bien pu passer cette demoiselle forte et fière, qui ne doutait aucunement de ses capacités. En plein désarroi, il la regarde en silence pendant quelques secondes alors que cette dernière lui demande pardon. Il est atterré. Il refuse que les choses prennent une telle tournure. Il devait apprendre d'elle à obtenir autant de pouvoirs, et autant de contrôle.

'' Non non non non ! Cela ne devait pas se passer comme ça ! Vous n'avez pas le droit c'est bien trop facile de renoncer ! ''

Mais avant qu'il n'ait eu le temps de rajouter quoique ce soit, voilà qu'arrive tout autre chose encore. Sans crier gare, une vive lumière dorée se met à illuminer la pièce jusqu'alors tapie dans la pénombre. En son centre, une jeune femme d'une très grande beauté, la chevelure lavande et les prunelles émeraudes. D'elle se dégage une extrême douceur. L'aspirant Saint est abasourdi et a du mal à croire ce qui est en train de se produire devant ses yeux. Il se demande comment une telle personne a pu arriver jusqu'ici et ce qu'elle peut bien faire là. Il se demande même s'il n'est pas en train de rêver et si finalement le coup fatal ne lui a pas été porté sans s'en être rendu compte. C'est donc avec une attention toute particulière qu'il va alors observer la suite des événements.

L'apparition se met alors alors à tendre les doigts en direction de la furie - qui n'est plus que l'ombre d'elle même. Mais avant d'avoir pu l'atteindre, tout autour de nous apparaissent des cris et des hurlements stridents. Mais ce n'est que lorsqu'un sceptre apparaît dans le creux de sa main et qu'elle reprend la parole que l'apprenti ne saisit réellement qui a fait irruption devant lui. Athéna. La déesse auprès de qui son maître s'est engagé et qu'il a par la suite lui-même convenu de suivre...

Il n'arrive pas à y croire. Il est alors témoin de la libération du serment de ladite Kassandra. Serment dont il ne connaît rien d'ailleurs mais ce n'est pas sa préoccupation première. Il écoute, en silence ce qui se dit, en attendant patiemment la suite des événements. Il se verra déstabilisé lorsque son regard rencontrera celui de la divine. Et alors qu'en d'autres circonstances peut être qu'il aurait sans doute aimer vouloir la suivre au bout du monde, c'est tout autre chose qui se produit. En effet, en dépit de toute l'admiration qu'il éprouve envers elle, une pensée ne le quittera pas durant tout le restant de l'entretien... Si elle est capable d'une telle prouesse, si elle est capable d'apparaître ainsi de la sorte, et si elle est bien la divinité protectrice des hommes, pour quelles raisons n'a-t-elle pas fait son apparition au moment où les parents de l'adolescent ont trouvé la mort...

Vexé, et blessé, il écoutera sans réel enthousiasme les propos que la divine prononce concernant l'accomplissement d'une quelconque vengeance. Il se demande en dépit de tous ses efforts s'il y gagnera vraiment sa place auprès des siens, mais refuse de laisser passer une opportunité de continuer à gagner plus de puissance.

Se redressant, il n'accordera du regard que quelques secondes à la guerrière à la crinière rougeoyante avant de se diriger, impassible vers la sortie - persuadé qu'elle ne pourra pas l'aider à devenir plus fort dans l'état dans lequel elle est désormais...

Le souffle court, le néant s’offre à moi. Impossible de savoir si l’agonie sera de courte ou de longue durée. J’ai peine à trouver l’énergie nécessaire pour bouger ou même penser. Tout ce qui traverse mon corps est souffrance et je sais que ce que je peux ressentir n’est qu’un début. Tout mon corps se raidit face aux assauts implacables de la malédiction, mon âme se vrille, tente d’y échapper, de trouver un espace lointain ou la douleur ne serait qu’une ombre diffuse mais rien n’y fait. Un grand espace noir, sans portes ni fenêtres, avec pour seul échappatoire la fin que l’on attend avec une impatience absolue. Et les secondes paraissent des heures.

Un serment, une promesse, un pacte. C’était là les furies romaines, c’était les Erynres grecques. Pour avoir souhaité devenir leur instrument l’espace d’un instant, j’étais restée portée et immaculée au travers des âges, résistant aux saisons et au temps, aux maladies et aux blessures parmi les plus mortelles. Toujours forte, vivante, implacable. Et là, un homme, un jeune homme aux paroles pour lesquelles je n’avais pas assez pris garde provoque le grand trouble, la remise en question sur ce que j’étais, et ce que je devins. Et lui, amené et destiné à mourir, porté par un destin qu’il voulait égal au mien et que je ne pouvais me résoudre à abattre.

La douleur de plus belle me tire et m’extirpe de mes pensées les plus ancrées ; je ne sais combien durera encore le supplice mais je ne regrette rien. Autant d’années, autant de destins croisés, frappés et assassinés, autant de tords redressés et de femmes sauvées ou vengées ; je n’avais plus rien à faire sur cette terre. Et alors quoi, le Tartare ? La plus grande prison des enfers pour seule récompense à ce fardeau accompli. La douleur est si forte, si présente. Je ne sais s’il est là mais j’aimerai lui dire encore une fois combien je regrette, combien certaines de nos pensées ne sont là que par…vanité. Mais il est trop tard. Le crépuscule semble avoir raison de moi lorsque vient se réfugier en moi une sensation étrange, diffuse, envoutante. Une présence, un réconfort vient naitre et grandir alors que sans que je ne puisse l’expliquer, mes yeux s’ouvrent brusquement, attirés par une vision qui restera gravée à jamais dans ma mémoire.

C’est la paix, la sagesse, elle est un tout. Et je n’ai aucune difficulté pour deviner qui elle est. Celle dont le nom inspire jusqu’aux plus grands généraux de la cité qui lui rend hommage ; celle pour qui j’aurai tant aimé devenir une gardienne de vérité en d’autres temps. Fatalité ou non, je suis devenue le contraire. Ses mots, ses phrases sont autant d’éclats d’une vérité qui était pour moi fragmentée, dispersée, et qui reviennent d’autant plus à la charge sans que je ne puisse rien y faire. Mon regard la cherche, avec difficulté. Car je vois la lueur, je ressens son énergie certes apaisante mais tout aussi impressionnante.

Tu es libérée de ton serment…

J’entends ses mots et je n’ose y croire. Des mots d’une banalité à toute épreuve mais qui pour moi sonnent comme la libération qu’ils sont vraiment. Intense. Athéna vient de pourfendre ma promesse, mes vœux, l’engagement qui me liait aux Furies, elles que d’un simple refus j’ai renié. Mes forces m’abandonnent une fois encore. Submergée par l’émotion, je laisse retomber ma tête sur le sol, les bras étalés en croix perdant tout contrôle jusqu’à ce que se mettent à perler sur mes joues larmes, pleurs et cris de tristesse et de joie. Ais-je perdu quelqu’un de cher ou retrouver un parent disparu ? Autant de choses qui se mélangent et rendent ma vision troublée et mes pensées tout autant.

Il serait bientôt temps d’honorer sa venue, de profiter de cette seconde naissance, d’écouter les paroles d’Athéna avec sagesse mais pour l’heure mes larmes n’en finissaient plus de creuser les sillons qu’elles n’avaient pas eu le loisir de parcourir depuis des siècles. Passent alors au travers de mes pensées autant de choses, de visions, de promesses tenues ou non de mon enfance, du père qui était le mien et qui me disait tant de choses à propos de ce que nous pouvions être d’un seul choix ou d’une seule décision ; et les paroles d’Athéna s’y mêlent en un tout cohérant. La silhouette du père laisse place à celle de la mère, qui dans un nuage se perd, disparait et s’étiole pour ne rester finalement qu’un souvenir.

La vengeance… ma vengeance. Tant de sang a coulé.

Mes yeux s’ouvrent, embués par cette décharge de sentiments étranges et contraires, portés par les paroles de la divine Athéna. Jusqu’à ce qu’elle ne soit même plus un murmure. Un silence, indescriptible, profond et étrangement apaisant vient creuser sa profonde marque, saisir l’instant pour qu’il reste probablement à jamais dans nos esprits. Est-il temps de choisir ? Je n’avais pas connu la paix depuis si longtemps, celle de l’esprit, forcément ; mais celle du corps également. Délivrée du serment, j’avais la conviction de ne plus appartenir à personne.

Basculant la tête sur le côté, je suis finalement interpelée par le jeune homme, prenant une inspiration, décidé à partir, c’est vers les escaliers et la sortie qu’il compte se rendre sans transition. Pourquoi est-ce qu’il s’en va ?

- Attends !

Hésitante, fragile, marquée par l’instant, ma voix est allée au-delà de ma pensée. Je ne peux me résoudre à le voir s’en aller comme ça, persuadée que mes actes l’ont marqué, blessé. Et pourtant je n’ai pas la force de me lever. Je n’ai pas les moyens de le retenir, lui qui a comme moi reçu cette bénédiction, ce cadeau, ce don aujourd’hui. Ne peut-il rester ici encore quelques instants pour que de sa venue Athéna n’ait rien à regretter ?

- Reste… je t’en prie…

Quoi dire de plus, la voix chargée d’émotion, je n’avais pas la moindre retenue dans mes propos. Et je n’avais pourtant rien de plus à lui dire. J’avais juste envie qu’il reste quelques instants de plus. Tout était allé si vite. Et je n’avais pas daigné bouger de l’endroit où je me trouvais. Tournant la tête pour fixer le plafond cette fois, j’espérais de tout cœur qu’il m’entende.

- Athéna a prononcé mon nom… Mais moi je ne connais pas le tien.

La jeune femme est toujours au sol, encore dans l'euphorie de ce qu'il vient de se passer. Des larmes coulent sur ses joues, elle qui en ce moment même passe par un curieux mélange de sentiments mêlant à la fois pleurs, cris de tristesse et de joie.

Préférant la laisser savourer l'instant, conscient qu'elle mettra sans doute un certain temps afin de digérer les événements qui viennent de se produire, le garçon se dira alors que c'est le bon moment pour s'éclipser. Lui qui - pour ainsi dire - s'est retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment, n'a pas exactement compris tous les tenants et les aboutissants de ce qui s'est déroulé sous ses yeux. Tout s'est passé si vite.

Il retiendra surtout qu'il l'a échappé belle, que pour une raison qu'il ignore l'assassin sanguinaire a rétracté son geste à son encontre, et qu'elle doit son salut à Athéna elle-même. Pour le reste, il n'en sait pas assez.

Il garde aussi à l'esprit qu'elle a parlé d'endurer milles tourments pour apprendre à manier l'instrument d'une vengeance divine, de maudire son existence et la réduire en esclavage, de damnation et de ce qu'elle est devenue avant d'être finalement libérée de son serment. Autrement dit, il en résume qu'elle a du se mettre dans le pétrin et qu'elle vient d'en être affranchie. Mais après tout, ce ne sont pas ses histoires et cela ne le regarde pas. Raison de plus pour mettre les voiles pendant qu'il en a l'occasion.

Mais avant d'avoir eu le temps de descendre les escaliers menant à la sortie, voilà que la rousse l'interpelle. Par politesse ou plutôt par curiosité, lorsqu'elle lui demande de rester l'adolescent s'immobilise - sur le seuil du palier conduisant à l'étage inférieur . Une question reste cependant en suspend dans son esprit : '' pourquoi ? ''

Pourquoi souhaite-t-elle qu'il reste alors qu'il n'a plus rien à lui dire ? Il en déduit que c'est sans doute pour se donner bonne conscience après ce qu'il s'est passé plus tôt alors qu'elle l'a menacé et a bien failli porter atteinte à sa vie. Mais tout ça lui est bien égal. Cela ne le regarde plus. Persuadé qu'il ne la reverra plus après cette soirée mouvementée. Après tout, elle est libre de faire ce qu'elle veut et d'aller où elle veut à présent. Du moins, c'est ce que le brun espère car en réalité... C'est plutôt lui qui préférerait que leur route ne se croise plus à l'avenir.

Ce n'est pas qu'il est rancunier - même si il a toutes les raisons de l'être après être passé à côté de la mort. Seulement, l'image de la jeune femme lui rappellera toujours qu'elle a eu un traitement de faveurs alors que d'autres n'ont pas eu cette chance. Alors que d'autres étaient tout aussi méritants qu'elle, si ce n'est même plus. Alors que d'autres n'étaient coupables que d'avoir mené une existence insignifiante du mieux qu'ils pouvaient et d'avoir seulement eu le malheur de rencontrer une mauvaise personne qui leur a tout pris, jusqu'à leur propre vie.

Peu importe ce par quoi la dénommée Kassandra a bien pu passer, il la sait responsable d'assassinat après l'avoir vu à l'oeuvre, le moindre remord absent dans le regard. Un rapide coup d'oeil en direction de la victime qui repose désormais adossé contre sa tête de lit lui permet de vérifier qu'il n'a pas tout imaginer et que c'était bien réel.

Alors lorsque la demoiselle à la chevelure de feu demande à connaître son nom, Kurayami serre dents et poings. Alors qu'il relève la tête pour ne plus regarder la volée de marches mais un point invisible droit devant lui, il sent tous ses muscles se raidir. Ne s'étant toujours pas retourné, il prend une profonde inspiration, qu'il bloque quelques secondes avant d'expirer. Une fois ceci fait, toujours résolu à ne pas vouloir se retourner, c'est d'une voix claire et audible même de dos qu'il reprend la parole pour répondre.

'' Pourquoi ? Pourquoi tenez vous à ce que je reste ? Je ne vous connais pas, et vous ne me connaissez pas. Vous ne me devez rien. Vous êtes libres d'aller où vous voulez, de faire ce que vous voulez pour mettre à profit cette nouvelle vie qui vous est offerte... ''

Marquant quelques secondes de pause, se demandant s'il doit s'arrêter là où non, l'orphelin a un frisson qui lui parcourt l'échine, très vite suivis par quelques brefs tremblements. Sa main s'agrippe fermement sur la rampe d'escaliers. Il le sait qu'il devrait s'arrêter là et partir, il en a bien conscience. Il le sait. Et pourtant. Pourtant. Il ne peut s'empêcher de vouloir continuer sur sa lancée...

'' Il est très rare que la déesse Athéna fasse une apparition pour arranger les choses elle-même... Alors que tellement d'innocents meurent en espérant qu'une telle chose arrive. Tellement de monde espère jusqu'à leur dernier souffle la voir apparaître pour leur sauver la mise. Je ne connais rien du serment qui vous liait, mais cela n'excuse rien. Je ne comprends pas pourquoi elle l'a fait pour vous... Pour vous, alors que vous avez du sang sur les mains et pas la moindre once de remords dans les yeux lorsque vous passez à l'acte... ''

Reconnaissant d'aller trop loin et de s'être laissé emporté, il s'interrompt pour reprendre son souffle. Cette fois-ci, il décide de se retourner pour affronter le regard d'une personne qu'il est en train de blesser par ses mots alors qu'il est lui-même blessé, vexé, jaloux, envieux et déçu qu'une telle faveur n'ait pas été accordé à ses parents quand ils en ont eu besoin.

'' La déesse Athéna vous a accordé une seconde chance qui n'est pas accordée à tout le monde. Profitez en bien, utilisez la à bon escient et ne la gâchez pas, Kassandra. ''

Il s’était arrêté. Sans doute meurtri au fond de lui, il avait déjà parlé à haute voix, invoquant une injustice qu’il avait vue et qui lui était insoutenable. La main crispée sur la rambarde, il attendait, écoutait les quelques mots que j’avais lancé à la volée, incapable de me redresse pour l’empêcher de partir. C’est ce que j’aurai fait si j’en avais eu les moyens, mais je ne le pouvais pas. Pour une fois dans ma vie, seule la voix et la persuasion allaient être nécessaires ici. Pourquoi est-il brisé à ce point ? Quoi qu’il ait pu vivre, pourquoi est-ce qu’il me rappelle ce que j’étais, en tout, attitude, démarche, mots. Il m’envie. Il voudrait savoir faire ce que j’ai été. Il ne comprend pas pourquoi je lui demande de rester…

- C’est toi qui m’a sauvé, en vrai.

J’avais basculé ma tête sur le côté pour le regarder, le chercher du regard. J’avais la voix de ses instants ou tout parait calme, sincère, évident et limpide. Je voulais qu’il puisse me voir telle que j’étais, ce masque que je portais habituellement n’était plus là, pas pour lui en tout cas.

- Athéna m’a délivré du serment que j’avais fait aux Furies, c’est vrai. C’est pourquoi… je respire encore. Mais en relâchant mon arme, ma sentence était fixée. C’était un choix. Que je meure pour que tu vives.

La vie, la mort comme dans une arène de gladiateurs, comme dans l’arène de la vie. C’est ce qu’on dit. Une mort pour une vie.

- Je me vois à travers toi. Ce que j’étais, ce que j’aspirais à devenir, avant d’aller jusqu’au bout de ma vengeance. Tu ne sais pas ce que c’est, errer, obéir, frapper tous ceux qui ont été l’objet d’une vengeance. Si ça se trouve, j’aurai pu frapper pour toi la cause de tes tourments si tes vœux étaient parvenus à mes maitresses.

Et il frappe, il cogne avec des mots, avec son cœur, si fort que chacun ébranle un peu plus ma volonté, me donne un peu plus de courage pour lui dire, lui parler. Non, je n’étais pas ce qu’il dit, je n’étais pas ce simulacre d’assassin qu’il se borne à croire. J’étais bien plus.

- J’étais un instrument, une arme au service de la vengeance divine. J’ai frappé les faiseurs de tords, les assassins, les violeurs de femmes et d’enfant lorsque la volonté des vivants l’emportait sur celle des morts. Je n’ai jamais eu le choix du jour où j’ai accepté le pacte. Et le sang que j’ai sur les mains n’est pas celui que tu crois. J'ai refusé d'avoir le tiens, prête à payer le prix de la désobéissance.

Mon regard aura cherché à l’interpeler pendant quelques secondes ou le silence n’en finit plus. J’aimerai lui dire bien plus mais il peut tout aussi bien fuir, partir de crainte ou de peur. J’ai tout de même failli le tuer. Et même si je peux comprendre son amertume envers moi, je ne la comprends pas lorsqu’il la tourne vers Athéna.

- Elle nous a accordé une seconde chance à tous les deux. Mais c’est toi qui m’a sauvé le premier. Elle l’a fait pour toi aussi, elle a posé son regard sur nous deux. Pourquoi cette amertume ? Pourquoi est-ce que tu…

Mes mots sont à bout de forces aussi. Cherchant à me redresser, je peine à trouver les moyens de me mettre à genoux puis m’aidant à l’aide d’un de mes mains, en vain, je redresse la tête vers lui pour le trouver du regard. Il n’a pas bougé d’un pouce. Et je refuse de faire un pas de plus.

- Je suis désolée. Laisse-moi une chance… laisse-moi… t'aider à trouver un chemin pour ce que tu souhaites... j'ai une dette envers toi.

La tête baissée, c’est un peu honteuse et résignée que je lui adressait ces mots ; et c’était là une ultime requête. Pour la première fois de ma vie, je redoutais cette solitude qui avait été si souvent ma compagne privilégiée .

Fermement agrippé à la rambarde, pris de légers spasmes involontaires au niveau des épaules, le garçon lutte inconsciemment pour se contrôler, se restreindre et s'empêcher de dire ce qu'il a sur le coeur. Il n'a qu'un pas à faire, une marche à franchir pour amorcer son départ de cette demeure et ne plus jamais avoir à revoir cette femme. Il lui a déjà dit qu'elle est libre d'aller et de faire ce qu'elle veut, sous entendant ainsi que le monde est vaste et qu'il espère ne plus croiser sa route.

Mais déjà, la première réponse adverse le désarme. Elle lui signale que c'est lui qui l'a sauvé. Il ne comprend pas comment c'est possible. Silencieusement, il attend des explications. Des explications qui ne tardent pas à venir.

Il apprend qu'elle a choisit de mourir pour le laisser vivre, lui. Il tombe des nues. Pourquoi ? Pourquoi aurait-elle fait une telle chose pour lui alors qu'ils sont de parfaits inconnus. Elle a vraisemblablement dû ôter la vie à des tas de personnes. Pourquoi arrêter son geste pour lui quitte à en mourir ? Il ne le montre pas, toujours dos à la meurtrière, mais il en reste pantois. Il aurait pu s'attendre à tout, sauf à ça.

Elle ne s'arrête pas là pour autant. Elle lui dévoile qu'elle se voit à travers lui, qu'il lui était semblable avant d'aller jusqu'au bout de sa vengeance. A ces mots, il retrouve un peu de contenance. Il refuse de se laisser ainsi ''amadouer''. Il ne lui a suffit que de cette dernière phrase pour retrouver toute sa vivacité d'esprit et que ce qu'il se retient de lui dire ne lui remonte à la gorge. Cynique, il ne fait pas attention à ce qu'elle peut bien rajouter tout de suite après même s'il se demande toutefois pourquoi ses voeux n'ont pas été entendus.

Selon lui, il est bien facile pour elle de dire qu'il ne sait pas ce que c'est d'errer, d'obéir, de frapper tous ceux qui sont l'objet d'une vengeance. Après tout, elle, elle l'avait eu au moins. Sa vengeance. Même si, si dur a été le prix à payer, elle avait eu ce qu'elle voulait. Pas étonnant pour lui donc, qu'elle puisse se permettre de mourir à présent.

C'est donc sans réelle surprise que le jeune Kurayami se met à déballer tout ce qu'il a sur le coeur et à tout balancer à la figure de la demoiselle. Il lui reproche son traitement de faveur, selon lui, non mérité. Mais il finit finalement par se retourner et se radoucir vu l'ampleur des choses qu'il a pu dire et lui souhaite de profiter entièrement de la nouvelle vie qui lui est offerte. Après tout, ce n'est pas comme si il pouvait faire grand chose d'autre. Ce qui est fait, est fait. Il ne peut que lui espérer d'en jouir pleinement.

S'il pense alors pouvoir s'en aller cette fois-ci, c'est bien mal connaître la rousse. Revenant sur ce que le garçon lui reproche, elle revient à la charge.

Tout en écoutant silencieusement ce qu'elle peut bien avoir à répondre, leur regard se croise et se rencontre. S'en détachant, il jette un dernier coup d'oeil vers les marches salutaires qui se trouvent à peine à un mètre de lui et se ravise. Il s'adosse au mur derrière lui avant de se laisser lentement glisser jusqu'à se retrouver les fesses sur le plancher des vaches, les pieds bien à plat, les avant bras sur les genoux, tête accolée contre la façade lui servant de repose tête, il élève doucement les yeux devant lui. Ce qu'elle lui révèle ne cesse de le surprendre et, fatigué d'essayer de s'enfuir, il capitule. La soirée a été mouvementée et riche en émotions.

Comme faisant écho à ce qu'il sera amené à dire bien des années plus tard dans une région enneigée du nord - comme si le présent et le futur sont mêlés à travers le temps par des forces qui dépassent l'entendement humain - l'aspirant Saint commencera d'abord par prononcer une simple phrase.

'' Tu ne peux pas m'aider.''

Puis plusieurs autres. D'un air froid, mais le plus sincère possible.

'' Tu as fais tes propres choix, et tu en as payé le prix fort mais au moins tu as obtenu tout ce que tu voulais. Ta vengeance et ta libération. Tu ne peux pas me reprocher de désirer la même chose et vouloir faire mes propres choix aussi alors que tu t'en es toi même donné les moyens quitte à t'en mordre les doigts. Tu ne me dois rien. A présent c'est un combat entre toi et toi-même pour te racheter et profiter de ta nouvelle vie pour ça si c'est ce que tu souhaites. ''

Puis, tout en fixant un point invisible devant lui, il continue à reprendre la parole, en jetant de petits coups d'oeil à la belle rousse qui se trouve un peu plus loin dans la pièce toujours plongée dans l'obscurité.

'' Tu n'as pas à t'excuser. C'est moi qui te présente des excuses. Je t'ai jugé sans même avoir pris le temps de te connaître au préalable. Je ne connaissais rien du pacte que tu as passé. Je pensais que tu n'étais qu'un vulgaire assassin qui n'avait que soif de sang alors que c'est un peu plus compliqué que cela. Tu n'avais pas le choix. Quelque part, tu te battais pour une cause plus ou moins juste. Certes, cela ne fait pas de toi une innocente pour autant. Tu as tout de même ôté des vies, même s'il s'agissait de criminels... En tout cas, c'est moi qui suis désolé. ''

Alors que sa propre voix résonne dans l'air, le brun se demande s'il peut la blâmer d'avoir tué des faiseurs de tords alors qu'il cherche lui même à mettre la main sur l'un d'eux. Il comprend un peu mieux à présent. Il voudrait également lui reprocher de s'être mise elle-même dans ce pétrin, de s'être condamnée elle-même, ce qui la rend responsable de ses actes. Il sait cependant que si un tel accord vient à lui être proposé, il ne cracherait pas dessus tant qu'il peut obtenir ce qu'il désire. Il n'a donc rien à dire et pas de jugement à donner. En revanche...

'' Tu m'as demandé pourquoi cette amertume. Pour te répondre, l'apparition de la déesse protectrice des hommes m'a fait dire qu'elle est capable d'interagir avec ces mêmes êtres humains qu'elle est sensée protéger. Elle a fait irruption au moment où tu as eu besoin d'elle. Mais où est-elle lorsque des Spectres s'en prennent à des innocents, pillent et détruisent des villages entiers. Où était-elle lorsque mes parents agonisant, appelaient au secours pour qu'on leur vienne en aide. Ils ont attendu jusqu'à leur dernier souffle mais jamais elle n'a montré le moindre signe de sa présence. Pourquoi ? Pourquoi n'est-elle pas venue si elle en est capable ? Tu peux comprendre qu'après ce qu'il s'est passé, je suis en droit de me poser des questions et pourquoi j'en garde un goût amer... ''

Peu importe les réponses que pourront donner Kassandra à ces questions là, seules les réponses de la déesse pourront réellement venir en aide à celui qui, de son jeune âge, voue une haine monstre contre le monde entier. Une rencontre qui n'arrivera que bien des années plus tard. Si le prochain aspirant à l'armure du loup se ravisera sur ses positions, seul le temps pourra le lui dire.

Les deux jeunes gens qui avant cette soirée ne se connaissaient ni d'Adam ni d'Eve, se livrent tour à tour. Chacun relatent des faits personnels forts et marquants qui ont bouleversé leur vie. Ne souhaitant s'attarder sur des souvenirs douloureux trop longtemps, le jeune éphèbe décide de changer de sujet.

'' Comment tu t'es retrouvée au service des furies ?''

J’ai bien senti qu’il voulait partir, quitter les lieux et me laisser là, seule avec mes incertitudes. Aussi limpide qu’ait pu être le message d’Athéna, il ne m’était pas totalement destiné. Nous étions deux. Mon regard avait cherché dans la déesse une réponse au-delà des mots et je savais presque ce qu’il me fallait faire. Presque. Le reste ne serait que choix et résolutions, faire en sorte que la chance donnée ne soit pas perdue. Et je ne voulais pas être la seule à profiter de cette intervention divine.

Lui, il ne savait pas comment réagir. Partagé entre le désire de fuir et de rester, il cherchait visiblement une porte de sortie. Quelque chose. Un espoir qui aurait pu être concret ou futile, qu’importe. Une réponse. Pouvais-je la lui apporter ? J’ignorais jusqu’à son nom.

Son regard vient croiser le mien et même si lui finit par tourner la tête, je peine à m’en détacher, profondément meurtrie par ce qui vient de se passer, je reste immobile un long moment, portée par quelque chose que je ne saurais exprimer. Je n’arrive toujours pas à imaginer que j’ai pu me confier à un inconnu. Le besoin qu’il m’écoute, sans doute ; la conviction qu’il le mérite après ce que j’ai pu lui faire subir. Mais alors que ses pupilles frôlent les miennes c’est autre chose qui vient m’étreindre.

Il est convaincu que je ne peux l’aider et je suis persuadée du contraire. N’ayant rien d’autre à faire que de contester ce qu’il vient de dire, je décide alors de me lever pour me rapprocher de lui, pas à pas, posant un genou à terre pour finalement lui prendre les mains sans lui demander une once de permission.

- Bien sûr que si.

Mais mains sont venues chercher les siennes sans qu’il n’y ait qu’un mot, sans que je n’ai osé briser le silence solennel qui s’était instauré. Et c’est une voix douce qu’il aura pu découvrir.

- Bien sûr que si. On peut perdre une bataille sans se résoudre à perdre une guerre. Et en ça, tu as la chance de pouvoir mener ta bataille. Le faire seul serait une folie.

Et la peur m’étreint brusquement, je relâche ses mains comme réalisant que ce que je faisais n’était peut-être pas ce qu’il souhaitait, comme si j’avais franchi quelque chose d’interdit. Après avoir voulu le tuer, quoi d’autre ? Le rassurer ? Chercher à le convaincre ? Rien de tout ça. Mes mains ont besoin des siennes et je ne peux me retenir de les reprendre à nouveau.

Il avait l’amertume de celui qui voit autrui accomplir ce que lui ne pourra jamais. Il avait cette envie de vaincre, de trouver un moyen de n’importe quelle manière. J’avais peur de ce qu’il pouvait devenir. Il s’était passé bien plus en quelques minutes que tout ce que j’avais pu connaitre en une vie.

- Je ne te reprocherai pas de le vouloir. J’ai choisi de te protéger de tout ça parce que tu ignores ce que ça implique. A présent, je suis prête à aller bien plus loin. Tu penses que je ne peux plus être utile, soit. Mais Laisses moi te prouver le contraire.

Son récit est déchirant car lui aussi a été marqué par la vengeance, le destin inexorable, les atrocités qui frappent sans prévenir. Quelqu’un avait détruit ce qu’il était, tout ce en quoi il croyait. Et j’étais bouleversée d’avoir ressenti chaque parcelle de son récit bien avant qu’il ne me le raconte. Ce qui avait retenu mon geste était bien plus fort que ce que je n’avais pu imaginer ; la venue d’Athéna était bien plus importante qu’il ne l’avait encore vu. Sa perception était tronquée, et c’était ma faute. Imperceptiblement, mon front était venu se poser sur le sien pendant qu’il racontait tout ça. Les yeux fermés, j’avais laissé le silence envahir la pièce. Il voulait savoir, pourquoi et plus important sans doute, il voulait savoir qui j’étais.

- Si Athéna n’a pu faire les choses, elle est sans doute désolée de ne pas avoir pu le faire avant. Sa présence ici… c’est pour nous marquer. Elle est venue pour toi et pour moi. Nous avons peut-être bien plus à jouer à présent. Ce qui nous arrive est un présent, un cadeau. Et j’ai compris une chose aujourd’hui. Ce n’est pas ce que l’on fait qui est important. C’est la manière de le faire ;

Toujours posé front à front, je cherche à être rassurante, à des lieux, des milliers de lieux de là où j’étais il y encore quelques instants. Mes yeux s’ouvrent pour le chercher une nouvelle fois, puis embarrassée, je me dégage de quelques centimètres, histoire de le laisser respirer un peu. A moins que ce ne soit pour moi ?

- Tu sais, dans l’antiquité, les Parques, tissaient les trames du destin. Je les ai vues de mes propres yeux. Nous avons tous un destin. Mais nous avons un pouvoir sur les uns et les autres. Si j’ai choisi de te laisser… vivre et que Athéna en a fait de même à mon égard, c’est que nous avons un destin lié.

Ma mine était redevenue triste à l’évocation de ce que j’avais failli faire. Et lui n’en finissait pas de s’excuser. Mon regard croise le sien, il ne fait que ça d’ailleurs. J’ai l’attitude de celle qui cherche à s’excuser lorsqu’il le fait à ma place, à trouver une revendication lorsqu’il la trouve avant moi. Il n’y a rien de plus étrange. Et pourtant, nous sommes vivants tous les deux. Je réalise la situation et la chance qui nous appartient de partager cet instant.

Lorsqu’il finit par me demander comment j’en étais arrivé à travailler pour les Furies, mon cœur s’emballe un instant. Mes souvenirs sont toujours là et même si l’histoire pourrait être longue à raconter, quelque chose me pousse à le faire, du moins à lui en dire plus à mon sujet.

- Mon père était un général, célèbre. Tu as entendu parler de Marathon ? Mais il y fut tué et notre famille passa en disgrâce rapidement. Ma mère avait des prétendants et les dettes s’accumulèrent. De probable conquête, elle devint nuisible pour certaines personnalités d’Athènes. Et nous avons été attaqués pendant une nuit par des hommes de main. J’ai pu m’enfuir avec une domestique. Et personne d’autre n’a eu cette chance ;

Ma main alla chercher presque instinctivement la sienne, je n’avais pas le courage de parler plus avant et il me fallait trouver une raison de le faire.

- J’ai retrouvé la trace du commanditaire… et pour l’approcher, j’ai…

Comment lui dire ? Comment être certaine que ce qui allait être dit ne serait pas interprété de la mauvaise manière ? J’avais forcément un apriori sur les hommes d’une manière générale. Leur façon de me regarder bien trop souvent, cette neutralité malveillante parfois. Lui il n’avait rien de tout cela. Et les barrières de ma confiance s’écroulèrent pour laisser place à une sorte de confession.

- j’ai travaillé plusieurs mois dans un lupanar pour pouvoir approcher le coupable plus facilement.

Délivrance ou non, j’avais fini par dire les choses. Mais mains s’étaient arrêtées de bouger en tous sens. De la nervosité ? Moi ? Pensez-vous… Les hommes avaient coutume de déprécier la valeur d’une femme dès lors qu’ils savaient qu’elle vendait ses charmes. Et je n’avais pas dérogé à cette règle, préférant le déshonneur du corps à celui de l’esprit. Ma vengeance devait être accomplie. J’avais laissé en suspens mes derniers mots, immobile, les yeux mi-clos, évitant son regard.

- Tu penses bien que j’ai pu accomplir mon œuvre. J’aurai dû y mourir d’ailleurs. Mais mon geste a attiré les Furies. Et au lieu d’accepter mon sort, j’ai suivi un autre destin. Jusqu’à aujourd’hui.

Rien ne pouvait me préparer à ce que j’allais faire. Autant dire que quelque chose s’était joué de plus que je ne pouvais contrôler. Allez savoir si ses excuses étaient autant de raisons que j’avais de lui prouver le contraire, il n’arrêtait pas de dire qu’il était fautif de tout ce qui venait de se passer.

Aussi, pour le faire taire, voilà que je venais de l’embrasser, aussi simplement qu’il suffit de le dire, aussi passionnément qu’il m’était possible de le faire. Et ma main glisse sur sa joue alors que quelques mots viennent ponctuer le tout.

- S'il te plait... arrête de t’excuser.

Il avait peut-être rougi, il m’avait peut-être repoussée. J’étais parée à tout…
A moins que tout cela ne soit dans ma tête mais ça ne peut pas être un rêve pas vrai ?
Que les parques me viennent en aide…

Lorsque la rousse lui propose de l'aider et lui quémande une chance, allant même jusqu'à dire qu'elle a une dette envers lui, tout ce qu'il trouve à répondre c'est qu'elle serait bien incapable de lui apporter son aide. Mais elle ne semble pas vouloir lâcher l'affaire pour autant.

Tout en lui affirmant le contraire, doucement, pas à pas elle efface la distance qui les sépare l'un de l'autre. Une fois qu'elle est assez près, elle vient poser un genou au sol avant de prendre les mains du garçon dans les siennes, lui assurant qu'il n'est pas obligé de mener sa bataille tout seul.

L'autre, ne verra pas forcément cela d'un très bon oeil et, perplexe, ira même jusqu'à hausser un sourcil en étant témoin de la scène. Préférant se concentrer sur ce qu'il a à dire sur les choix de la furie et le prix à payer, il ne fera pas de remarque cependant à l'initiative de la belle, sachant pertinemment qu'elle finira bien par se rétracter lorsqu'elle se rendra compte de son geste. Même s'il n'en fera rien paraître sur ses traits de marbre, il sera bien obligé d'admettre que de sentir ses mains dans celles de la jeune femme a quelque chose d'agréable.

Il ne comprend pourtant pas sa décision de rompre le contact si c'est pour le renouer tout de suite après et ce, tandis qu'elle qu'elle aborde la question de la protection de l'apprenti Saint face aux moyens qu'il pourrait choisir pour assurer sa vengeance personnelle.

Certes, il ignore peut être ce que cela implique mais cela lui est complètement égal tant qu'il parvient à ses fins. De chercher à le priver d'opportunités et chercher à raccourcir le champs de ses possibilités pour sa propre sécurité ne ferait que le mettre en rogne.

Il en vient même à douter que de garder ainsi leurs mains si intimement liés n'est pas en quelque sorte une manière de la prévenir, au travers du toucher, s'il n'est pas sur le point de s'emporter à force d'être trop protégé, trop couvé, lui qui souhaite justement tracer sa propre voie. En tout cas, ça lui parait tout à fait possible, même si la suite des propos prononcés par la demoiselle lui fait se poser encore davantage de questions encore.

Il se demande ce qu'elle veut dire lorsqu'elle parle d'être ''prête à aller bien plus loin'' et lorsqu'elle souhaite lui prouver qu'elle peut encore être utile. Pourquoi un tel acharnement et pourquoi vouloir aller aussi loin ? Pour se racheter d'avoir tenter de le tuer ? Ou tout simplement pour essayer de l'amadouer et de se le mettre dans la poche ?

'' Tu n'as pas besoin de me prouver quoique ce soit. Tu n'as pas à t'excuser. C'est moi qui te présente des excuses. Je t'ai mal jugé [...] En tout cas, c'est moi qui suis désolé. ''

Balayant ses questionnements là, il admet qu'il l'a peut être mal jugé et s'excuse. En effet, lui aussi serait parfaitement capable de troquer sa vie pour devenir assassin si ça lui permet de mettre fin à la vie de celui qu'il recherche activement.

S'étant excusé de la sorte, il est alors légitime pour lui de lui exposer les raisons de son amertume, qu'elle avait semblé décelé. Une amertume envers Athéna, mais aussi une amertume envers elle qui au premier abord était passée pour une '' privilégiée'' alors qu'elle avait fais couler le sang. Un jugement sur lequel il vient de se raviser et qu'il souhaite donc éclaircir.

Tout en racontant son récit, imperceptiblement, Kassandra est venue coller son front contre celui de l'adolescent. Ce dernier, ne souhaitant pas spécialement interrompre son histoire, ne s'efforce que de légèrement tourner le regard sur le côté là où, il est sûr de ne pas tomber sur le visage de la rouquine qui, les yeux fermées semble compatir à sa peine.

Une fois son monologue terminé, il attend alors de pouvoir récupérer son front. Ce qui ne tarde pas à arriver lorsque embarrassée, elle rouvrira finalement les yeux, sa tirade lancée.

De nouveau libre de respirer, Kurayami se met à réfléchir à deux fois aux nouvelles informations posées sur la table. Il se met à penser aux Parques et se demande les raisons pour lesquelles elles lui ont tissé une telle trame du destin. Il se dit qu'elles doivent bien se trouver quelque part si son interlocutrice les a vu de ses propres yeux. Puis, plus pour lui même que réellement à voix haute, il murmure :

'' Alors tout est de la faute des Parques hein... Ce sont elles les responsables de toute ça. Peut être bien que ce sont elles qu'il faudrait aller déloger en fin de compte...''

Ce qu'il ignore, et qu'il n'apprendra pas encore avant de très longues années, c'est que les Parques n'avaient pas vraiment été des enfants de choeur à son encontre. S'il pensait qu'elles s'étaient principalement attardées à seulement lui arracher ses parents, il n'allait pas être au bout de ses peines. Il n'avait qu'à peine gratter la surface de ce qu'elles lui réservaient. La destinée et la prophétie qu'elles lui avaient concocté allaient s'avérer très loin d'être une partie de plaisir.

Se demandant alors quelle a été le destin façonné pour le bourreau au service des dieux, le brun se met à chercher à savoir de quelle manière elle s'est retrouvée chez les furies et s'ils ont effectivement tous deux un destin lié comme elle a l'air de le penser.

Ecoutant à son tour son récit sans broncher, il note quelques points qui le font tiquer et se questionner. Il croit comprendre que celle qui se trouve en face de lui pourrait bien être en réalité bien plus vieille que ce que son physique semble montrer. Il hésite à poser la question pour en avoir la certitude mais se ravise lorsqu'elle lui prend la main encore une fois. Il veut la repousser, se disant que cela commence à faire beaucoup et qu'elle n'est peut être pas celle qu'elle prétend être, mais il comprend au fil de ce qui est raconté qu'elle approche de passages difficiles à exposer. Ce qu'il peut aisément comprendre.

Bingo. Il semble persuadé d'avoir vu juste. D'abord le fait d'avoir pu rencontrer les Parques lui a mis la puce à l'oreille, puis l'Antiquité est venue sur le tapis, très vite suivie par un père général à Marathon, Athènes et enfin le lupanar.

Bien entendu la définition exacte du terme lui échappe mais il en saisit toutefois le sens vu la tournure prise au cours de son récit.

Puis, tout s'enchaîne très vite. Le garçon n'a pas le temps de réagir que la belle rousse vient écraser ses lèvres sur les siennes pour l'embrasser aussi passionnément que possible. Comme pris par la fougue de la jeunesse son premier réflexe est de fermer les yeux et de lui rendre son baiser. Du moins. Jusqu'à ce qu'il ne s'en rende compte en à peine quelques secondes et qu'il ne s'en échappe en détournant la tête.

S'il avait des doutes, ils se sont volatilisés. Pour le coup, tout est désormais claire comme de l'eau de roche concernant les intentions de Kassandra à son encontre. Enfin. A moins qu'il ne s'agisse là encore d'une ruse comme elle s'y était sans doute prise face au commanditaire pour exécuter sa vengeance.

En tout cas, le coeur battant à tout rompre, le souffle court, il reprend sa respiration du mieux qu'il peut. Sa main attrape celle de la jeune femme à la chevelure de feu qui se trouve sur sa joue pour l'en dénicher. Lentement il dodeline la tête de droite à gauche, l'air grave sur le visage.

'' Je suis désolé mais... Je n'ai de place dans mon coeur que pour la vengeance qu'il me reste à accomplir. Je ne trouverais le repos tant que je n'y serais pas parvenu. Peut être... Peut être que si les circonstances avaient été différentes, les choses auraient pu être toutes autres. Mais ce n'est pas le cas. Désolé... . ''

Se relevant, il aide également la demoiselle à se remettre sur pieds en tirant sur sa main qu'il tenait toujours délicatement dans la sienne avant de finalement la relâcher. Il fait quelques pas en direction de l'une des fenêtres, qu'il ouvre en essayant de retrouver ses esprits et de trouver un peu d'air. La pièce spacieuse dans laquelle ils se trouvent est soudainement devenue comme, étroite, presque étouffante.

Dehors, la nuit règne toujours en maître et les événements au sein de cette demeure ne semble en rien avoir troublé la quiétude extérieure.

De son poste d'observation, il avise la hauteur qu'il y a entre là où il se trouve et le plancher des vaches qui se trouve plus bas. Par chance, il ne se trouve qu'au premier étage. Pour un détenteur de Cosmos, même s'il ne parvient pas encore totalement à le maîtriser, la chute ne risquerait pas vraiment d'être si brutal pour lui.

Les bras croisés sur son torse, il ancre une dernière fois ses prunelles dans celles de la belle. Curieux de sa réaction et curieux de ce qu'il pourrait y voir. Il se demande également les raisons qui l'ont empêché de tomber sous son charme. C'est une ravissante jeune femme pourtant. Il ne peut le nier. Même s'il sait dorénavant qu'elle doit être bien plus âgée en réalité que ce que sa plastique ne laisse sous entendre. Ses traits de jeune adulte n'en laissent rien paraître et semblent restés figés comme gravés dans le marbre.

Est-ce la raison pour laquelle le charme n'a pas opéré sur lui ? A moins que cela ne soit parce qu'il garde aussi à l'esprit qu'elle ait dû recourir à passer quelques temps dans un lupanar afin d'apprendre à séduire les hommes pour mener ses projets de revanche à bien. La juge-t-il vraiment là dessus ? Ou bien est-ce qu'il la voit vraiment comme quelqu'un ayant déjà eu le temps d'accomplir sa revanche sur la vie, s'en ait mordu les doigts et peut désormais couler de jours heureux ? Certes, il n'oublie pas qu'ils ont des similitudes et qu'ils ont eu à peu de choses près vécu la même enfance malheureuse. Mais sera-t-elle toujours apte à le comprendre alors qu'elle a déjà une si longue avance sur lui et que sera-t-elle en mesure de lui apporter sur sa longue route vers les ténèbres ?

Il se pose des tas de questions, se questionnant sur les goûts et les couleurs que nul ne peut vraiment être en mesure de commander. Sans doute est-il perturbé par la conviction de l'athénienne à penser qu'ils partagent un destin commun. Alors que son irruption à lui dans sa vie s'avère peut être plus bénéfique pour elle qu'inversement si elle n'ait pas en mesure de le rendre plus fort. Et tant est qu'il soit tenu de croire en des chemins déjà tous tracés pour chacun. Car il se refuse à y croire. Il ne peut s'y résoudre sinon cela serait admettre que ses parents étaient destinés depuis leurs venues au monde, à trouver la mort dans d'aussi atroces circonstances. Ça, il se refusait à l'envisager.

Dans son regard à lui, d'ordinaire impénétrable, vacille l'espace de quelques secondes un peu de reconnaissance très vite suivi par de la résignation.

En effet, durant quelques instants, il s'est mis à imaginer quelle aurait été sa vie si un tel drame n'avait pas frappé sa famille. Aurait-il été heureux en vivant une existence insignifiante avec quelqu'un à ses côtés ? Hélas, nul ne connaîtra jamais la réponse à cette question. Il est tout de même reconnaissant envers la belle Kassandra de lui avoir fais envisager une telle vision, même s'il ignore si c'est vraiment une bonne chose ou non. Le fait étant qu'il mettra encore plus de coeur à l'ouvrage pour s'entraîner pour atteindre ses objectifs puisque c'est la vie qu'il s'est désormais choisi du haut de ses quinze ans à peine. Un âge auquel beaucoup d'autres se seraient très certainement consacrés au souhait de vivre une vie épanouie. Mais qui sait de quoi sera réellement fait son avenir.

Se détournant vivement pour regarder à l'extérieur, avant de lui adresser un dernier regard, il rajoute quelques dernières paroles, peut être plus pour se convaincre lui-même que vraiment pour son interlocutrice, qui, après un tel revirement n'y prêtera peut être qu'une attention minime compte tenu de ce qu'il vient de se passer.

'' Au fait, je ne t'ai pas dis mon nom. Je m'appelle Kurayami. Je préfère préciser que ce n'est pas contre toi. Un jour je m'évertuerais à devenir l'un des plus grands Saints. J'en ai l'intime conviction. Comptes là dessus. ''

Sitôt ceci dit, il se hisse de l'autre côté de la balustrade de la fenêtre, le vide se trouvant derrière lui et avec un imperceptible sourire, il rajoute.

''Tu as reçu une chance inespérée de la part de la déesse Athéna en personne qui t'a accordé l'opportunité d'embrasser une toute nouvelle vie. Si tu tiens tant à te racheter pour toutes les vies que tu as pris, même si c'était pour le bien commun, tes talents seront très certainement bénéfiques pour la cause de la déesse. Libre à toi de t'enrôler au sein de l'Ordre ou de reprendre ta vie bien loin de tout ce que cela implique à nouveau. Ce choix t'appartient. Mais l'apparition de la divine guerrière est peut être un signe. Et si comme tu sembles le penser, notre destin est lié d'une manière ou d'une autre, alors nos routes seront très certainement amenés à se recroiser un jour. Vis ta vie comme tu l'entends et profites de cette nouvelle existence. Je te souhaite d'être heureuse, Kassandra. ''

Profitant de cet au revoir, le futur Saint du Loup à venir s'élance alors dans le vide avant de rapidement retrouver le sol ferme sous ses pieds. Puis, sans attendre son reste et cette fois avec un franc sourire sur le visage, encouragé par une confiance en lui renouvelée il file à l'orée des chemins, plus déterminé que jamais à devenir quelqu'un, lui aussi, et plus déterminé que jamais à mener son funeste destin à bien. Ainsi s'éclipse Kurayami, sous le couvert de la nuit. Prêt à reprendre son entraînement de Chevalier d'une main de maître.

Et Puis, tout s'enchaîne très vite...

Oui, c’était le cas, le baiser que je lui ai donné, il ne l’a pas refusé de prime abord mais comme un être blessé, il s’en est finalement détourné, prétextant que son cœur n’avait pas de place pour qui que ce soit. Peut-être que les choses auraient été différentes, oui, c’est vrai. Et il insiste sur cette phrase à deux reprises comme pour se donner raison. Se donner la force d’avoir raison.

- Peu m’importe qu’il n’y ait aucune place dans ton cœur. Là, je suis déjà tout autour. C’est moi qui suis désolée. De la haine à l’amour, il n’y a qu’un pas. Même s’il peut être éphémère, je vis, préférant les remords aux regrets. Et ça n’aurait pas été un jeu.

Le rassurer, certes, lui dire que je n’étais pas là pour profiter. Mais qu’entre la haine et le choc que j’avais reçu, ma dette se muait en désir, s’il l’avait compris ainsi, c’était bien là le principal. Je ne cherchais pas à le cacher. Les sentiments, les tréfonds de l’âme, ce qu’il se passe intimement au plus profond de nous, je voulais qu’il voit ce que j’étais, ce que j’avais été. Et moi qui avait tenté de le tuer, c’était me mettre à nu.

Il m’aide à me relever et se dégage de l’étreinte que j’ai pu lui donner. Et je ne résiste pas pour autant. Le peu d’affection que j’ai pu lui transmettre était sincère mais je ne voulais pas la lui imposer plus que de raison.

Il se poste, s’avance sur ce brin de fenêtre qui donne sur au-delà de notre vision. La fuite en avant éperdue d’un cœur meurtri avide de vengeance.

- Comme je me reconnais en toi… ce que j’aimerai être à tes côtés… Mais parfois, le chemin doit se faire seul.

Il me fixait, silencieux, étrangement calme, bouillonnant d’idées, de pensées, et de tout autre chose dont je n’avais pas idée vraisemblablement. Un regard franc et chargé de sens. Et moi, je ne me contentais que de l’observer. Jusqu’à ce qu’il me donne son nom, enfin, et qu’il s’exprime une nouvelle fois au sujet de la chance qui pouvait être la mienne.

Je porte alors mes mains dans mes cheveux, remet un peu d’ordre et tresse le tout, lentement, méticuleusement pour en extirper rapidement une natte fine et ondulée. Une dague à ma ceinture que j’empoigne puis extrait de son fourreau vient finalement trancher net la cordelette ainsi créée. Que je m’empresse de lui donner en lui prenant la main une dernière fois.

- C’est un cadeau. Et on ne refuse pas les cadeaux, Kurayami. Tu as un grand cœur, assez pour m’avoir sauvé aujourd’hui. Et je ne l’oublierai jamais. J’irai au Sanctuaire pour vivre et jouer cette chance. Oui, je suis convaincue qu’on pourra se revoir…. Pas vrai ? Promets-moi que tu ne m’oublieras pas…

Je lui lâchais la main, délicatement, silencieusement. Pourquoi ne pas le retenir ? Car on ne peut capturer le vent, quand bien même on le voudrait. La seule promesse qu’on peut avoir, c’est qu’il tourne, virevolte et qu’il finit toujours par revenir. Je le vois sauter, s’élancer, disparaitre de là où il se trouve. Un dernier frisson me fige alors qu’il s’échappe, un sentiment étrange qui me rappelle bien ce qu’il vient de se jouer ici. Et j’ai encore quelques mots pour lui alors qu’il se redresse dans la rue avant de s’élancer.

- moi, je ne t’oublierai jamais…

[FIN]

» Kassandra, Chevalier d'Argent du Serpentaire
» Traque à Edimbourg [FB Kassandra - Morrigan]
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» La rédemption du Bélier d'or