[FB Irène - Setesh] La nuit où tout à basculé

Irène et Eliane se dévisagèrent longuement. La cloche continuait à raisonner dans la nuit, la peur gagna les esprits, même les plus aguerris. Irène tenta de s’approcher de la porte mais fut interceptée par Eliane qui se révéla être plus rapide.

"Reste ici !!"

Cria-t-elle comme instructions à la jeune fille en ouvrant la porte par-dessus son épaule.

"Je reviens vite, toi, attends moi ici !!"

Et elle se déroba dans la nuit obscure et froide. Claquant derrière elle la porte. Irène resta pétrifiée, elle tourna la tête vers la fenêtre et s’y dirigea d’un pas fuguons. Elle plissa les yeux pour voir ce qu’il se passait dans les rues. Accoudée comme elle le pouvait, elle essaya de voir Eliane mais ne vit que des ombres floues. Soudain la cloche s’arrêta de sonner, un silence pesant s’installa dans tout le village et Irène se sentit très vite mal à l’aise.

La porte de l’entrée s’ouvrit à la volée. Irène ne put retenir un hoquet de surprise et tomba par terre les fesses en premiers.

"Irène !! Viens vite !!"

Eliane, en sueur et terrifiée, se précipita  vers la jeune fille encore à terre, lui saisissant le poignet et l’entrainant dehors avec elle, sans perdre une seconde. Elles sortirent en trombe de la demeure et Irène pu constater qu’un début de brasier commençait à prendre du côté Ouest de la ville. Elle n’eut le temps de ne rien dire, seulement de courir à perdre haleine derrière Eliane. La jeune fille eut d’ailleurs du mal à garder le rythme effréné de la servante. Elles passèrent entre les ruelles et à travers la foule qui commençait à se former dans les rues. La pression qu’exerçait Eliane sur son poignet commençait à la faire grandement souffrir. Mais dans la situation, elle n’osa pas se plaindre. L’air paniqué de la servante l’en dissuada.

Elles arrivèrent enfin sur une place, où des gardes se mêlaient aux habitants pour leur donner des instructions à suivre et des informations. Enfin la course ralenti et Irène pu reprendre son souffle pendant qu’Eliane allait quérir des données utiles. En regardant autour d’elle, Irène put voir des mines paniquées et des habitants hagards. Eliane revint bien vite vers elle, essayant de se montrer rassurante.

"Ils nous demandent de rester calme et de les aider à éteindre l’incendie qui s’est déclaré accidentellement à cause d’une bougie... Je ne sais pas ce qu’il se passe mais je suis certaine qu’il y a autre chose, la garde n’est pas assez nombreuses pour…"

Un cri aigu perça le brouhaha continu de la foule. Tout le monde se figea. Le silence tomba comme la mort. Puis soudain un corps tomba d’en haut d’un toit pour finir se briser contre les dalles de la place en contrebas. Il ne s’agissait pas du corps d’un garde mais celui d’un simple citoyen. Le sang se déversa et se répandit pour former une marre. Le feu prit dans le bâtiment qui s’embrasa. Ce fut la panique générale. Tout le monde se mit à courir en poussant des crie terrorisés.

Irène regarda horrifiée le corps inerte déjà souillé par le liquide rouge. Elle était paralysée, il s’agissait là du monsieur qui lui avait offert des dates dans la journée. Elle se faisait bousculer de tous côtés par les habitants cherchant à fuit, elle restait là, impuissante, sans pouvoir dévier les yeux du cadavre gisant sur le sol. Hypnotisée, elle ne vit pas le mur s’effriter par les flammes et tomber dans sa direction. Elle faillit se faire écraser de peu mais Eliane l’a pris dans ses bras en une fraction de seconde et l’emmena loin, aussi loin que possible. Irène regarda le corps inanimé s’éloigner peu à peu, à présent écrasé par les gravats du bâtiment effondré, sans pouvoir pour autant verser une larme. Il n’y avait pas moyen. Elle avait pourtant envie de crier mais sa gorge resta nouée sous le choc, sous l’émotion grandissante en elle. Mais que diable se passait-il ici ?! La vision du corps disparu lorsqu’Eliane prit un virage sur la gauche, mais le poids de la mort était toujours présent dans l’esprit de la jeune fille.

La ville était en proie aux flammes, partout, tout n’était que chaos et destruction. La violence et la folie des habitants ne faisaient que s’accroitre. Les spectres avaient mis le feu aux poudres, la fumée camouflait les cris et les pleurs des habitants qui tentaient de s’échapper… mais en vain. Un carnage s’orchestrait sous les yeux impuissants des deux femmes qui tentaient de fuir à travers la ville. Elles étaient dans l’incompréhension totale. Qui étaient ces êtres qui les attaquaient ? Elles avaient pu en apercevoir un à travers une fenêtre en feu, portant une armure aussi noir que la nuit, et étranglant sans vergogne une femme sans défense devant deux de ses enfants à terre, mort de peur.

Eliane tenait toujours aussi fermement la petite Irène sur son épaule qui regardait derrière elle les habitations prendre feu au fur et à mesure que les flammes se rependaient comme une trainé de poudre. Les cris raisonnaient dans sa tête, elle ne comprenait pas pourquoi ces horreurs se perpétraient. De la cendre et de la braise volaient à travers les rues. Ses yeux lui brûlaient, elle commençait à tousser et à se sentir mal.

La servante remontait rapidement la ruelle, Irène entendait son souffle saccadé sous l’effort de la course et l’effort de supporter son poids. La fillette n’était pas très lourde mais c’était assez conséquent lorsqu’il s’agissait de sauver sa peau. Elle n’était qu’un boulet pour la servante, pensa-t-elle, lorsqu’elle retrouva l’usage de la parole, Irène allait lui ordonner de la laisser là, à son sort, incertain, et qu’elle essaye par tous les moyens de s’en sortir. Mais avant qu’un son ne sorte de sa bouche, Eliane fut interrompue dans sa course folle, ce qui fit s’interroger Irène, qui ne voyait rien de ce qu’il se passait devant, sur la raison. Elle sentit la servante hésitante et tremblante. Puis un rire démoniaque se fit entendre et glaça le sang des deux fugitives. Un rire sordide qui semblait venir d’outre tombe.

Eliane reposa enfin Irène au sol, qui put apercevoir le visage de l’homme qui se tenait devant elles, et la plaça derrière elle, comme pour la protéger en faisant barrage de son corps.

"Reste derrière moi."

Entendit chuchoter Eliane à son encontre, ce qui la figea encore plus de peur. Elle sera la taille de la servante de ses mains d’enfant comme pour ne pas qu’elle s’éloigne d’elle.

"Laissez cette enfant tranquille…"

Elle commença à chercher rapidement de ses yeux un moyen de s’en sortir. Elle pressentait que cet homme n’avait rien de commun. Il fallait qu’elle se montre très prudente et surtout essayer de gagner du temps.

"Je ne sais pas qui vous êtes, ni pourquoi vous faites ça mais tuer un enfant ne vous apportera rien…"

Son air démoniaque n’aspira que crainte à la jeune servante. Elle lisait dans ses yeux rouges qu’il ne ferait preuve d’aucune pitié, ni pour elle, ni pour la fillette, et sa réponse la conforta dans son pressentiment. Elles jouaient leur vie et elle avait beau y réfléchir, elle ne voyait aucune issue de secours. Elles étaient pris au piège dans cette ruelle, telles des proies prisent dans une toile d’araignée se débattant désespérément. Irène retint son souffle lorsqu’elle croisa le regard du Spectre, il aspirait au massacre.

Athéna… Hadès… ?

La jeune fille en avait déjà entendu parler par ses parents. Les chevaliers de l’espoir luttant contre les forces du mal. Lorsqu’il se glorifia du fait d’en avoir tué deux, avec autant de plaisir, son sang ne fit qu’un tour.

L’étoile céleste de la putréfaction se rapprocha des deux femmes lentement, savourant ce moment où la peur planait dans l’atmosphère, où les cœurs s’emballaient face à l’adrénaline, face à l’anxiété et l’envie de survivre. Il se plaça devant Eliane et avec deux de ses doigts, lui agrippa le menton pour la forcer à le regarder, à regarder la peur en face d’elle, à se sentir impuissante et pitoyable, à en avoir les jambes et tous le corps qui tremble, lui se délectait de cette sensation. La pression qu’il exerçait sur ses doigts fit qu’il rentra ses ongles sous sa peau, la griffant, la balafrant. Du sang coula. La lueur de ses yeux révéla sa folie meurtrière grandissante.

La gamine de 8 ans agit en quelques secondes. Elle se tourna vers la maison d’à côté aux prises avec les flammes, plongea sa main dans la cendre et les braises encore chaude sur le rebord de la fenêtre à sa hauteur, se brûlant par la même occasion au deuxième degré, hurlant de douleur et de rage, et projeta la poignet de poussière noire dans les yeux du Spectre encore penché vers sa proie. Il recula, lâchant le visage de la servante pour poser ses deux mains sur ses yeux en feu.

Eliane profita de ce court moment pour passer à l’action. Attrapant le bras d’Irène et se remettant à courir comme une dératée pour échapper à leur prédateur.

La tension battait son plein. Les fumées de l'incendie de la ville, chassées par un vent nouveau, un vent salé, un vent puissant venant de la mer, s'abattaient sur les bâtisses et dans les rues, emballant d’avantage les flammes.

Au contacte de la cendre, la main de la jeune fille devint brûlante, se dessécha, s'effrita et convulsa de douleur. Un grand froid s’était emparé de son bras et il était agité de tremblements. Sa main lui brûlait. Rouge et pleine de cloques. Elle ne savait pas ce qui lui avait pris. Mais elle n’avait pour l’heure pas le temps d’y réfléchir. Elle courait, tirée par la main d’Eliane, forte et fiable, elle se sentait perdue. Elle ne réalisait pas encore que son geste allait entraîner un dénouement funeste et amer.
La femme haletait bruyamment, lancée dans une course folle, Eliane fouilla les environs du regard. Sa vue se brouillait à travers toute cette fumée et cette chaleur.

Soudain, son visage se figea en une expression de souffrance. La servante tomba brusquement à genoux, puis le reste du corps suivi. Elle se retrouva étendue par terre de tout son long à plat ventre sans s’en expliquer la raison. Elle vit à ses côtés la tête de la fillette se pencher vers elle pour lui demander ce qui lui arrivait, inquiète et prise de panique. Elle voyait ses lèvres bouger mais aucun son ne lui parvenait. Elle venait de basculer dans un autre monde, un univers de souffrance et de silence. Elle ne put articuler le moindre mot tant sa surprise était grande. Puis elle sentit une douleur vive dans le bas de son corps. Ses jambes commencèrent à pourrir. Celle-ci hurla et eut de violents spasmes.

Irène recula par réflexe, sous la peur du moment, ne comprenant pas ce qui se produisait sous ses yeux. Visiblement un maléfice attaquait la peau et déchiquetait la chair de sa tutrice.

Peu importe ce que c’était, cela devait probablement avoir un rapport avec cet homme. Irène sursauta en entendant un rire froid et aigu derrière elle, tel un coup de vent glacial. Il ne faisait aucun doute que voir sa proie se morfondre sous ses yeux lui plaisait.

Elle fusilla du regard l'immonde créature puante. Ce monstre se rapprochait dangereusement d’elles.

"Je vous tuerais si vous la touchez !" S'écria t-elle.

Le Spectre tourna lentement la tête vers elle. Une mortelle oserait-elle le défier ?

La jeune servante allongée au sol, agonisante et suffocante, le voyant revenir et se sentant impuissante, cacha son visage entre ses mains et se mit à sangloter silencieusement.

Elle était brisée.

Irène poussa un cri d’horreur ! Elle voyait à présent les bras de la jeune femme attaqués par ce mal. Le Spectre se délectait, Irène pouvait le deviner, le sentir très clairement.

Elle le foudroya du regard, pointant un petit couteau qu’elle gardait toujours cachée sur elle vers son ennemi. Le Spectre de la putréfaction eut un rire froid et mort qui sonnait aussi sec que le raclement de la pierre. Irène voyait cette grande et menaçante ombre, penchée sur elle, la regardant avec froideur, elle était tétanisée mais ne le laisserait pas approcher d'avantage.

La jeune servante, gémissante de souffrance, ses deux bras engourdis, se mit à ramper vers la fillette afin de la supplier de s’enfuir. Elle sursauta, déglutit, son visage se contorsionna et une grimace de douleur apparut. Elle régurgita une grande dose de sang alors que ses membres pourrissaient à vue d’oeil.

Le Spectre regardant avec agrément ce spectacle pitoyable leva sa main brusquement vers elle.

La main droite de la fillette, par un instinct naturel, se porta au dessus de son visage mouillé de larmes et de sang pour la protéger.

Alors qu’Irène le menaçait avec un couteau, bien déterminée à l’utiliser si ce monstre approchait encore ne serait-ce que d’un pas, elle vit passer dans son regard, non pas de la peur ou même une once d’étonnement, mais une étincelle d’excitation morbide. Une goutte de sueur perla le long de son visage. Ce n’était pas la réaction qu’elle attendait. Bien qu’elle ne soit qu’une enfant de 8 ans tout au plus, elle aurait espérer l’intimider un peu plus que cela. Loin de là, le Spectre allait retourner cet acte de courage contre elle-même. Mais elle ne se laissa pas faire.

"J’ai une bien meilleure idée… Tu vas annuler ce que tu lui as fais. Guéris là !! Redonne son état normal à Eliane !! Je ne sais pas par quel moyen tu vas y parvenir mais soigne là !! Je ne vais pas la laisser mourir sous mes yeux sans rien faire. Et il est impensable que je poignarde ma nourrice !!"

Ses mains tremblaient sur le petit couteau, son visage était crispé mais son regard était intense et on devinait qu’elle n’était pas prête à abandonner la partie.

"Je ne me répéterai pas !! Je suis sérieuse !! Rends-lui son état normal et laisse nous partir…"

Elle fit glisser ses pieds sur le sol, sans détourner le regard du Spectre ne fût-ce qu’une seconde, alerte sur le moindre mouvement brusque de sa part et se plaça entre lui et la servante agonisante en silence au sol.

Telle une Spectre… ? Encore ce terme qu’elle ne connaissait pas, qu’elle ne comprenait pas. Mais qu’importait ! Il lui demandait de tuer et elle se le refusait.

Elle ne savait pas non plus qui étaient ces soi-disant chevaliers d’Athéna dont il faisait pour la deuxième fois mention. Une chose était sûre, c’est qu’il s’en ventait, qu’il en était fière et que comparé à eux, elle n’était qu’une crevette. Mais qu’importait encore ! Il ne la toucherait pas.

Un médecin, il fallait qu’elle trouve un médecin. Il y avait peut être encore une chance d’inverser le mal qui la touchait. Mais pour cela il fallait encore qu’elle parvienne à fuir ce monstre. Ses méninges étaient en ébullition. Il fallait qu’elle trouve vite une solution.

Son attention se reporta sur lui lorsqu’il mentionna l’utilisation de ses fauves. Une sueur froide lui passa dans le dos. A cet instant des créatures remontèrent du sol, quittèrent les ombres pour se montrer. Pas moyen… Cet être venait vraiment des enfers.

Elle se précipita au dessus de son amie allongée au sol, à moitié consciente. Les deux jambes d’Irène placées de chaque côté du corps de la servante pour la défendre si une bête venait à attaquer. Elle suivit la trajectoire des animaux cosmiques des yeux, elle avait bien conscience qu’elle ne faisait pas le poids face à eux mais ne pouvait se résoudre à se faire dévorer sans se défendre bec et ongle.

"Je ne sais pas ce que tu cherches à nous menacer de la sorte ! Mais s’il y a un moyen de marchander contre nos vies, je suis prête à en discuter !!"

Voilà des paroles sensées dans une situation aussi désespérée. Mais pas sûr que le Spectre soit très intéressé venant de la part d’une fillette.

Les ombres rodaient autour de la fillette de huit ans. Elles lui tournaient autour attendant le moment opportun pour attaquer, grognant de plaisir face à sa silhouette maigrichonne et pourtant montrant tant de prestance. A travers les flammes et la fumée, les ombres semblaient danser d’excitation d’avoir trouver une proie aussi noble et chevaleresque. Elles pourraient ainsi lui arracher toute conviction et la plonger dans un désespoir profond  en lui ôtant la vie sans ménagement. La peur qu’elle exprimerait à travers ses petits yeux bleues serait délectable lorsqu’elles lui sauteraient à la gorge.  Elles n’attendaient qu’au mot, qu’un ordre de la part de Setesh pour avoir l’autorisation de plonger sur leur butin.

La fillette était dans un âge où la naïveté faisait peu à peu de place à la dure réalité de ce monde. Et le Spectre avait raison sur un point. Les gens n’avaient besoin d’aucune raison particulière pour faire du mal à autrui gratuitement autour d’eux. Et elle le subirait encore cette fois à ses dépends au prix peut être de sa propre vie. Pourtant elle voulait croire en la bonté humaine plus que n’importe qui d’autres. Sa mère, n’était autre que l'oracle du temple d'Apollon à Delphes, la pythie, lui avait appris les préceptes de l’altruisme, de l’empathie et de la miséricorde face à son prochain. Elle devait garder confiance en l’être humain car chacun possède une bonté d’âme au fond de lui qui ne demande qu’à sortir mais il faut lui en donner l’occasion.

C’est avec ce raisonnement qu’Irène était persuadée que l’individu qui se présentait face à elle ne pouvait être humain. C’était le mal personnifié. Un démon réincarné dans le corps d’un homme bestial qui déversait sa haine et sa puissance sur le monde des hommes juste par plaisir. La destruction semblait être sa seul motivation. Elle était bien impuissante face à tant d’affliction.

Une chose était certaine. Elle ne lui pardonnerait pas. Jamais !

"Si je survie ce soir, je promets de combattre ce mal dont tu parles et de te traquer jusqu’à te faire regretter tes actes !"

L’expression du Spectre changea soudainement. Son rictus malsain disparu pour laisser transparaître une lassitude et un signe de mécontentement face à l’attitude magnanime de la fillette. Il avait cessé de trouver ce petit jeu amusant. Il s’était lassé de la torturer d’avantage et voulait à présent en terminer.

Il rappela ses fauves de l’ombre.

A pas lent, il approcha d’Irène, puis d'un coup de pieds la fit valser sur plusieurs mètres, l'éloignant de sa nourrice. Allongée dans la poussière et tentant de se relever péniblement, elle cracha une gerbe de salive et de sang. Se tenant le ventre, ses abdominaux souffraient le martyr. Elle attendit un instant que sa vue se rétablisse. Son couteau s’était planté à quelques mètres d’elle. Elle releva la tête vers le corps étendu d’Eliane et s’immobilisa de terreur. Le Spectre leva sa main vers le ciel… Irène n‘eut que le temps de crier et de tendre un bras dans leur direction.

"NOOOOOOOOOOOOOOOOOONNNNNN !!!!!!"

Et il frappa. Le sang éclaboussa les pavés et l’armure du Spectre. Et il frappa encore et encore. Irène était spectatrice d’une scène épouvantable, son visage se crispa et une soudaine envie de vomir l’a pris au cœur. Setesh frappa mainte fois jusqu’à ne faire du cœur qu’une charpie. La fillette était tétanisée, tous ses membres tremblaient. Elle avait la mort face à elle.

*Maintenant... Meurs et regrette ton impuissance !*

A cette pensée, les larmes lui montèrent aux yeux et une poussée d’adrénaline et de haine monta en elle telle un cheval lancé au galop. Son esprit était ravagé et chaotique. Sans réfléchir, poussée par cette soudaine ardeur, elle attrapa la lame plantée dans le sol et fonça à toute allure vers le monstre. Tout son être réclamait vengeance. Elle sauta et tenta de lui planter la lame dans le cou.

Pleine de haine et de désespoir, elle se jeta comme une forcenée sur le Spectre, la pointe de son couteau rivée vers lui, prête à tuer. Une vraie teigne. Elle se prit une gifle monumentale. En une fraction de seconde, son petit corps frêle percuta à nouveau le sol mais avec une violence inouïe, elle fit un rebond avant de s’immobiliser complètement, le dos en miette. Elle gisait là, allongée sur le dos, les bras en croix, les yeux levés vers le ciel étoilé couvert de moitié par la fumée de l’incendie. Elle tenait encore fermement l’arme dans sa main droite. Pourtant elle ne sentait plus la force de ses doigts rabattus sur le manche du poignard ni même la sensation de ses autres membres. Sa tête avait cogné fort et du sang coulait de sous ses cheveux, se répandant entre les dalles. Elle se sentait légère telle une plume. Son corps n’était plus un fardeau. La fillette ne ressentait que du vide.

Elle sentit qu’on la frôla de près. Une ombre se pencha vers elle et lui tira l’arme de la main avec force mais elle n’en prit pas conscience. En même temps, elle était sonnée, ce qui expliquait un certain ralentissement de sa part et relâchement.

Elle vit ses lèvres bouger. Sans doute que du son en sortait mais elle n’entendit rien. Le sang continuait à se répandre. Un bruit étrange de tamtam lui bourdonnait aux oreilles, après un certain temps elle l’identifia. Elle n’entendait que le battement de son cœur.

Puis un mot perça dans ce voile.

Spectre d’Hadès…

Encore ce mot. Peut être devrait-elle lui demander ce que cela signifiait une bonne fois pour toute histoire d’être fixée pour de bon et de ne pas mourir ignorante. Son visage se tira en un sourire. Elle se trouva drôle. Elle n’était même pas parvenue à venger sa nourrice et maintenant elle allait mourir sans plus de gloire. Elle était pathétique.

Quelle honte…

"Qu’est-ce… ?"

Elle avait peiné à prononcer ces mots et due reprendre sa respiration pour poursuivre.

"Qu’est-ce qu’un Spectre ?"

Elle due puiser dans ses forces, ses poumons, son diaphragme, ses organes internes avaient souffert du choc. Elle ne s’étonnerait même pas de faire une hémorragie interne avant que ce dernier ne lui porte le coup de grâce.

Ça y est. Cette lueur dans ses yeux était revenue. Cette curiosité malsaine avait refait surface et il ne tarderait pas à la mettre en exergue. Mais la fillette n’en avait cure. Elle savait que vue son état, elle n’en avait plus pour bien longtemps et elle acceptait la mort, tel un guerrier attendant son heure sur le champ de bataille. Mais à son plus grand désespoir, sans honneur pour elle.

Aussi pitoyable que l’autre fille.

Son pouls s’accéléra et son sang ne fit qu’un tour. Même au bord de la mort, il ne faisait preuve d’aucune pitié et il se permettait d’insulter son amie. Elle ne pouvait l’accepter. Elle réuni toute l’énergie qui lui restait et tenta de se rouler sur le côté. Elle grogna, grimaça, se tordit de douleur mais parvint finalement à rouler sur le ventre. Elle du reprendre sa respiration tellement l’effort avait été intense. Sa seule idée sur l’instant dans son état : lui faire mal, lui faire payer, regretter ses paroles. Elle voulait ramper jusqu’à lui et lui mordre les pieds, quitte à s’arracher les dents, mais elle ne pouvait en rester là. Son idée avorta dans l’œuf car le Spectre fut bien plus rapide. Elle n’eut même pas le temps de faire un geste supplémentaire qu’il vint la saisir par la taille et la souleva. Elle entendit quelques os craquer ci et là au passage et un son, proche d’un gémissement, sortit de sa bouche sans le vouloir vraiment. Son corps était cassé et il continuait de la maltraiter. S’en fut trop pour son petit corps qui n’avait même plus la force pour se débattre.

Elle se retrouva à un mètre du sol, la tête vers le bas. Dans l’ascension, elle aperçue même une marre de sang en contre bas, sans doute le sien. Elle ne montra aucun signe de résistance. Elle ne comprenait pas. Qu’est ce qu’il faisait ?

Elle ne savait pas si c’était du à la bousculade mais elle retrouva le sens de l’ouï et l’entendit projeter ses sombres projets pour son cas. Il l’emmenait. Où ? Cela, elle ne le savait pas. Mais elle rechignait à suivre cet individu. Elle ne pouvait le laisser faire. Elle préférait encore mourir. Et à cette seule idée, elle reprit conscience. Oui. Elle ruinerait ses plans et l’énerverait au moins une fraction de seconde. Elle prit donc cette décision.

Elle tenta d’avaler sa langue.

La fillette regarda sans expression la colère du Spectre se déverser devant elle. Il ne pouvait plus l’atteindre, elle ne comprenait pas pourquoi mais les autres n’étaient pas à l’abri. Il faisait preuve d’une extrême violence à un faire pâlir les assassins ou les tyrans. Peu à peu, tout devint poussière, la ville s’effondrait sur elle-même. Il n’y avait plus âme qui vive.

Elle sombra dans les ténèbres, épuisée.

Puis, un bruit…

Une voix…

Elle ouvrit à peine les yeux. Un vieil homme se présenta devant elle, à genoux, auprès d’elle, l’air affolé face à la situation. Elle reposait dans la cendre, les gravas d’un village complètement détruit et entouré de nombreux cadavres. Le vieil homme fit preuve d’une étonnante douceur et de vigueur pour la prendre dans ses bras et la poser dans sa charrette. Il ne perdit pas une minute de plus pour s’éloigner de cette ville fantôme et d’épouvante. Allongée tout contre le vieil homme, Irène regardait le paysage défiler sous ses yeux sans la moindre émotion.

Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Elle ne savait pas où elle était. Elle ne savait même pas qui elle était.

Elle avait tout simplement perdu la mémoire…