Prouf...

Le visage dans l’ombre de la roche à disparut, et les ténèbres autour de la titanide s’épaississent. Une sensation de froid arrive, un froid à peine perceptibles au début puis de plus en plus mordant. Une voix glisse à son oreille.
 
Te rappel-tu ?
 
Cette voix semble venir de tous les côtés à la fois. Elle résonne comme un écho qui rebondirait dans tous les sens, comme bousculer sur les parois d’une cathédrale de verre.  
 
Bientôt les ténèbres tombent définitivement, si profondes et si épaisses, il en devient même impossible de voir son propre corps. Pour la titanide, son existence ne peut se prouver que par sa propre conscience d’exister, rien d’autre ne la sépare du néant. Un rire guttural et rauque retentit.
 
HA HA HA HA HA !
 
Il semble que dans ce monde de noirceurs obscures se meuvent des créatures serpentiforme et que d’étranges mains semblent vouloir saisir la déesse, la tirer dans toutes les directions et toujours se froid qui lui mord la chair.
 
C’est à mourir de rire !
 
Il n’y a même plus de repère spatiaux, elle pourrait être la tête en bas, en hauteur ou au plus profond des abysses, rien ne saurait lui dire où elle se situe. Plus même d’autre son que cette voix qui résonne, blessante dans ce silence absolue.
 
Sais-tu où tu es, et  pourquoi tu es ici ? Que sais-tu Mnémosyne!

«  Bonjour ténèbres, mes vieilles amies… »

Ce fut la première pensée qui se présenta à Épiméthée lorsqu’il revint à lui. Enfin « revenir à lui » n’était pas tout à fait l’expression juste. On pourrait même dire que c’était un bien grand mot.  Il n’y avait plus de « lui ». Du moins plus de « lui » physique. Le titan semblait réduit à l’état de pensée. Une petite goutte de conscience perdue au milieu d’un océan de noirceur.

Drôle de sensation pour un être aussi peu cérébral.
Mais bon, le fils de Japet n’était plus à une aventure cognitive prêt.
Après le voyage que lui avait offert Alessio dans son propre inconscient, il pouvait bien se permettre des questionnements sur l’existence. D’ailleurs, Existait-il encore ? L’italien, friand de littérature, avait lu Descartes. Le « Cogito, ergo sum » s’appliquant à sa personne, il pouvait légitiment déduire que oui, il existait.  C’était déjà ça de gagner.

Simultanément, une autre devinette existentielle s’imposa à notre philosophe des restaurants de Moussaka : l’éternelle et indémodable « où, quand, comment et sur quelle étagère » ?

Comment ? Facile… Un des trois juges des enfers venait de réduire son corps à l’état de hachis désossé. Difficile dans ce cas de survivre.

Où ? En théorie, le Tartare, vu que c’est là que finissait les âmes des immortels ayant malencontreusement perdu  leur enveloppe physique. Cependant, dans ce noir absolu, impossible de discerner la porte ou la plaine maussade caractéristiques de ce haut lieu de villégiature familiale. Epiméthée aurait pu se trouver aux caraïbes par une nuit sans lune et sans lampe de poche ou dans un trou noir de l’espace intersidérale que le décor aurait eu peu ou prou la même disposition. Quoi que... ça caille un peu trop pour être sous les tropiques. S'il avait su ce que c'était , notre mou du bulbe aurait plutôt choisi l'option rayon bâtonnets surgelés sans lumière ou congélateur. Malheureusement, le faiseur de fauve ne vivait pas à la bonne époque pour cette métaphore.

Maintenant, la chose  se corsait pour répondre à la question du « quand ». Bien que la relativité du temps ne soit pas encore  transformée en équation mathématique à plusieurs inconnues, le fils de Thémis était déjà assez bien placé pour en avoir subi la réalité pratique. C’est dire… sur son échelle temporelle personnelle, il n’était sorti du Tartare (après moult souffrance) qu’il n’y a quelques pincées d’heure. Et encore… plutôt de quart d’heure. Mais allez savoir ce qu’il en était réellement. Le titan avait très bien pu errer dans les limbes durant des siècles.

Enfin, je ne parlerai pas de l’"étagère". On ne parle jamais de l’étagère…

Bref…

Notre petit grain de conscience riquiqui se trouvait là, à délibérer sur le présent, le passé et peut être l’avenir, lorsqu’il se rendit compte qu’il n’était pas (plus ?) l’unique élément pensant qui flottait dans le vide. (cela répondant à la question très populaire du « sommes-nous seul dans l’univers ? » )

Une sorte d’onde fugace. Une  autre présence. Une divinité archaïque.

Qui ?

Impossible de le déterminer pour le moment. Mais vu l’engouement récent de sa lignée pour les road trip dans les entrailles du Tartare, la liste des possibilités était aussi longue que celle des titans moins Prométhée.

Alors son frère décida d’aller voir.

Comment?

ça c'est une autre histoire car la vérité est ailleurs.

 
 
 
 
 
 
 

 

 
 
 
 

Donc voici notre titan en route pour l’aventure dans le néant intrinsèque au lieu étrange où il se situait.

Mais soudain…
Une explosion de lumière !

En comparaison avec les ténèbres où il avait navigué jusque-là, l’espace apparaissait si clair que les yeux d’Épiméthée mirent quelques secondes à s’habituer à la pénombre ambiante. Cela lui permit d’admirer le magnifique vide sans fond auquel il faisait maintenant face et de constater la situation plus que périlleuse dans lequel il était réapparu lorsque les lois de l’apesanteur se rappelèrent brusquement à lui.
 
D’ailleurs, dans ce court laps de temps, il constata aussi qu’il avait recouvré son corps. Ou du moins un semblant de forme physique. Cela aurait pu être une satisfaction pour le fils de Japet. Malheureusement, ce fut douleur fulgurante qui lui enseigna cet état de fait. Car sa "vie" ne tenait qu'à un fil .


Avec au choix pour le menu d'aujourd'hui : chuter dans les abysses ou continuer à s'empaler volontairement sur des lames aiguisées comme des rasoirs avec pour seul îlot de stabilité face au vide un minuscule promontoire.


En bref, la divinité archaïque avait à faire face à un de ces cruels dilemme dont le tartare avait le secret.
 
Certes, certains diront que la douleur n'est qu'une information. Ainsi selon ces stoïciens, avec un esprit fort on peut aller par de là  la douleur et ne plus rien ressentir. Mais il y a des limites à tout.

Et c'est là que l'instinct de survie a du bon. Plutôt que de mettre fin rapidement à ce petit jeu digne de saw en choisissant immédiatement la chute. (de toute façon le tartare avait les moyens de recommencer à l'infinie ce petit exercice d'équilibriste). Les muscles du titan se contractèrent à temps avant que leur propriétaire ne gagne un vol plané.

C'est ainsi qu’Épiméthée eut la désagréable surprise d'entendre la voix suffisante de l'hôte de ces lieux dire :
« Vous voici réuni, comme la belle famille de victimes que vous êtes. Je vous laisse à vos retrouvaille… disons… Une petite centaine d’années ? Aller bonne souffrance ! »

Avant de tourner la tête et de découvrir tant bien que mal que c'était sa tante Mnémosyne qui l'accompagnait dans son calvaire.

Tout mais pas ça...

Le brun en restait mué de dégoût.

Sur tout les membres de sa famille, il fallait qu'il tombe sur cette maudite traitresse. Cette... cette... il en était tellement écœuré que son cerveau avait du mal à qualifier l'objet de son aversion.

Le faiseur de fauve devait reconnaître que son tortionnaire avait un goût plus que développé pour la torture psychique.

Sa compagne quand à elle semblait surprise. Elle demanda :
« Mnémosyne. Toi? Sais-tu où nous sommes? Est-ce que si nous nous laissons tomber, sauvés? »

Son neveu l'observa en fronçant les sourcils. Se moquait elle de lui en parlant comme à un débile ? Mais le fin mot de l'histoire lui arriva :
« A-mné-sique. »

Loin d'en être un minimum réconforter, le fils de Japet se sentit prit d'une grande fatigue. Il grommela :
« C'est le bouquet. »

La mémoire ayant tout oublié, on aura tout vu. Mais impossible d'interroger le tartare (qui en était forcément la cause) à ce sujet. Ce dernier avait prit la poudre d'escampette pour aller voir ailleurs s'il n'avait pas d'autre entité divine à torturer.

Le titan laissa échapper un soupir. Il reporta son regard sur le vide. Faisant taire tout pseudo instinct de conservation, notre colosse choisit le mode crêpe en lâchant tout.

Bien sur qu'il savait qu'il ne serait pas sauvé pour autant.

Car le problème restait  l'atterrissage.(rivière de lave? bêtes féroces? Acide? la panoplie de ce qui potentiellement l'attendait à l'arrivée semblait illimité) Mais au minimum durant sa chute, il aurait moins mal. Et puis ça promettait d'être long, donc le titan comptait mettre ce laps de temps à profit pour réfléchir. A savoir si sa tante le suivrait ou non dans son saut en parachute... sans parachute.

Les deux titans avaient choisi la solution de facilité en se jetant dans le vide, ils pensaient ainsi se libérer de leurs souffrances plus vite ou mettre au moins fin à cette situation inconfortable mais, le maitre du Tartare avait tout pouvoir en ce monde. Puisque la chute ne leur faisait pas peur, alors elles en auraient pour leur argent, à ceci près qu’elles n’auraient aucuns plaisirs à ce qui allait se passer. On ne sort pas du pénitencier des dieux comme on sort d’une auberge et leur supplice ne faisait que commencer.

Alors qu’elles tombaient,  leur chute ne faisant qu’accélérer leur vitesse, elles ne voyaient que les ténèbres qui continuaient immanquablement dès les engloutir, ne laissant rien à leur portée pour se rattraper. Elles semblaient condamner à perdre leur existence dans cet insondable abysse de noirceur ou rien d’autre qu’une interminable chute les attendaient.

Après ce qui leur semblât des siècles de cet ignoble elles commencèrent à percevoir une lueur. Celle-ci eut pour effet de leur faire sentir une impression de brûlure tant le temps passé dans l’obscurité leur avait fait perdre l’habitude de la lumière. Cette lueur était d’une couleur carmin, rougeoyant, intense et flamboyante. Elle suivait les deux personnes, restant à portée même malgré leur chute. Bientôt elle se mit à vibrée alors qu’elle se plaçait entre leur deux Titans et une voix forte et rauque se mit à leur parler.
 
Êtes-vous satisfait de votre choix ? Il n’y a pas de fuite dans le Tartare, ici rien ne se fait sans que j’en ai donné l’ordre et votre destin reste entre mes mains. Que pensez-vous de ce destin, en avez-vous assez ? Vous pouvez stopper ça, pour ce faire il vous suffit de me supplier et d’implorer ma clémence. Si vous ne le faite pas j’alourdirais votre peine.
 
La voix s’éteignit aussitôt et la lueur en fit autant. Il ne restait plus que le silence des ténèbres et leur sifflement du vent résultat de leur atroce chute dans ce gouffre sans fond. Pour autant les deux titans ne pouvaient douter que la présence les suivait toujours car elles se sentaient observer, sentiment bien ridicule en comparaison de cette terrible sensation de chute sans fin. Le maître du tartare était toujours là, à attendre la réponse de ses deux victimes.

“Plus on s’élève et plus dure sera la chute.” dit le sage.

Eh bien ! Le tartare avait dû hisser Epiméthée et sa tante à une hauteur vertigineuse tant la dégringolade des titans semblait sans fin.

Malheureusement,  impossible de se rendre compte du temps écoulé depuis leur plongeon volontaire vers les abysses.

Impossible aussi d’avoir un point de repère par rapport à la distance parcourue.

Autour d’eux, il faisait aussi noir que dans le terrier d’un lapin. Seul le vent qui hurlait aux oreilles des deux divinités archaïques leur indiquait par sa furie croissante que leur vélocité à se rapprocher d’un potentiel planché des vaches atteignait un seuil critique.

Pris au piège de cette course effrénée dans le vide, l'esprit d'Epiméthée eut tout le temps de vagabonder. Ainsi , une métaphore s'imposa à lui sur sa condition présente et celle de sa tante. La triste destinée de deux astres filant à toute vitesse sans but dans le cosmos .

Le frère de Prométhée avait souvent contemplé le ciel nocturne des hommes. Il c'était lui même aux temps jadis  promené parmi ces amas de glace , de roc et de métal. Il aimait tout particulièrement ces parties de l'univers ressemblant à un flipper interstellaire où se percutaient les étoiles dans des explosions cataclysmiques souvent créatrices de vie.

Quelle étrange sensation , non?

Cette rêverie, finalement pas si désagréable, fut malheureusement interrompue lorsque apparut une lueur rougeoyante et intense entre lui et Mnémosyne.

Cette dernier hurla de terreur, comme une enfant perdue :
« Lebouquet! Ne me quitte pas! «

Épiméthée n'eut pas le temps de relever l’incongruité de ce surnom. Une brûlure formidable leur parcourait la peau tandis que son regard tentait douloureusement de faire la transition entre les ténèbres les plus opaques et ces piques de lumière aveuglante.

Une voix à vous glacer le sang résonna alors dans l’éther :

« Êtes-vous satisfait de votre choix ? Il n’y a pas de fuite dans le Tartare, ici rien ne se fait sans que j’en ai donné l’ordre et votre destin reste entre mes mains. Que pensez-vous de ce destin, en avez-vous assez ? Vous pouvez stopper ça, pour ce faire il vous suffit de me supplier et d’implorer ma clémence. Si vous ne le faite pas j’alourdirais votre peine. »

Le fils de Japet se contenta d’un silence boudeur. Lui qui commençait à espérer que le tartare les avait oublié... et bien encore raté!  L'omnipotente créature devait supposer que ses jouets étaient à point pour ses plans machiavéliques. Espérait elle que les descendants de Gaïa plieraient devant ses tortures sans noms?

Depuis le temps, le sombre seigneur des entrailles de la terre aurait pourtant dû comprendre. L’orgueilleux fils de Japet préférait subir mille tortures plutôt que de supplier qui que ce soit… surtout de l’acabit du tartare. Il était encore une fois bien décider à n’en faire qu’à sa tête rien que pour contrarier son auguste parenté.

L’amnésique quant à elle, demanda naïvement :
« C'est quoi supplier? »

Le ton de sa voix était sincère. La divinité de la mémoire semblait réellement ne pas savoir. Preuve encore une fois -s'il en fallait une - que les termes "supplier" et "implorer" n'étaient pas naturels aux divinités archaïques.

Amer ironie… La détresse de sa tante faisait pitié à Épiméthée.

Finalement, elle payait chèrement pour sa trahison car être privé de ses souvenirs se révélait sans doute l’une des plus cruelles punitions qu’il soit pour ceux qui jouissaient du privilège de l’immortalité. Sans cela et ses antiques pouvoirs, la déesse devenait aussi fragile qu'un nouveau né.

Comme déçue, l’entité primordiale ignora la question de sa captive. Elle semblait de toute façon avoir autre chose en tête qu’instruire la titanide. C'est d'une voix terrible que le change forme s'adressa directement au faiseur de fauve:

« Dommage pour toi Épiméthée, mais j’ai décidé de vérifié quelque chose. Mnémosyne, puisque ta mémoire est toujours éteinte, alors je peux te laisser partir, pour cela, rien de plus simple, et pas besoin de supplier. Tu n’as qu’une chose a faire, arracher le cœur d’Épiméthée. Si tu le fais, tu y trouveras le moyen de quitte cet endroit, en effet, une clé se trouve à l’intérieur, elle te permettra de sortir d’ici.  Je te laisse le temps de te faire à cette idée et je te retrouve des que tu auras accompli cette tâche.»

Épiméthée tenta de garder un visage impassible même s’il ne put étouffer un frisson glacé qui traversa son corps pourtant brulé de toute part par un liquide poisseux apparu de nulle part.

Le frère d'Atlas observa sa tante. Qu’allait-elle décider ? La douleur était intenable. Il comprendrait qu’elle veuille tout faire pour s’en échapper, amnésique ou pas. Mais de là à arracher le cœur d’un membre de sa famille.

Certes ce ne serait que la deuxième fois aujourd’hui ( ?) que le créateur des bêtes perdrait ce muscle. Un certains juge d'enfer pouvait déjà se targuer d'un tel sanguinolent trophée.

Pourtant, malgré tous ses griefs contre la sœur de son père et de sa mère, au fond de lui Épiméthée ne voulait pas vraiment croire à un tel scénario. Il souhaitait de tout cœur la rédemption de l'épouse de Crios.

Mal lui en pris car à sa grande surprise, c’est presque joyeusement que la titanide répondit à leur tourmenteur :

« D'accord! »

Avant d’attirer son neveu à elle et de déposer un baiser de judas sur sa joue. Du moins, du point de vue de celui-ci qui leva instinctivement les bras comme pour protéger son torse. Geste futile.

Car involontairement, Mnémosyne avait précipité le trépas de son neveu et l'heure de sa libération. Elle disparut presque aussitôt du tartare coupable d'un crime sans le savoir.

Dans une gerbe de sang , une explosion de douleur et de lumière, le thorax du malheureux explosa. Mais la mort n'est pas une libération dans ces lieux maudits. Épiméthée lui restait entre les griffes du terrible gardien du tartare.

Voyons voir ce qu'il adviendra de lui...

La scène aurait pu être belle ; source d'inspiration pour un peintre un peu dépressif et fou. Une étrange toile où des ténèbres sans fins s'éclaboussaient de rouge autour d'un corps qui chutait éperdument. Etranges fleurs écarlates fleurissant ça et là. Formes fantomatiques de femmes, transparentes, éthérées, à peine esquissées et pourtant palpables. Cris de désespoir Cris de colère, déchirant l'espace et le temps ; Les tordants comme se tordait l'âme du titan.

La souffrance, tout le monde cherchait à  l'éviter... Mais bien malin qui pourrait y échapper. Serait-il possible qu'elle soit souvent justifiée ou qu'à quelque chose souffrance soit bonne ?
Epiméthée ne savait plus. Il ne comprenait plus. Tout ce qu'il voyait c'était l'ichor. Son ichor. Ce précieux fluide qui coulait dans les veines de chaque titan. Le sien s'échappait du trou béant qui avait été sa poitrine quelques instants plus tôt.

Une profonde lassitude le pris. Être bon ne servait à rien. Ce sentiment n'apportait que tourment et déception.

Encore une fois il avait été naïf. Sot, idiot, stupide, berné par sa gentillesse. Tel était sa nature ; tel était sa croix, son fardeau. Il croyait avoir pu s'endurcir ? Fadaises ! Non. Il restait le même… celui qui réfléchissait après avoir agi. Celui qui n'apprenait jamais de ses erreurs.

Comme pour accompagner le fil de ses sombres pensées, les mânes de celles qui lui sont chers l’interrogent :

"Pourquoi... Pourquoi as tu amené le mal à nous? Pourquoi....?"

"Pourquoi ne nous rejoins tu pas? Pourquoi....?"

Oui, pourquoi ? Qu’avait-il pu réaliser de bien dans sa vie ? N’était-il pas une erreur ? Son existence serait-elle qu’une splendide blague cosmique ? Sans raisons, sans avenir ? Un être lourdaud et maladroit ? Ne serait-il pas temps qu’il s’éteigne, divinité du passé condamnée à l’oubli ?

Les sombres pensées du faiseur de fauve furent interrompu par une silhouette plus sombre encore qui dispersa les ombres de son passé d’un revers de bras, comme l’on dissipe négligemment de la fumée :

«  Et bien... Qu'allons-nous faire de toi? Je pourrais t'envoyer rejoindre ta femme et ta fille, mais le souhaites tu vraiment? Le mérites tu vraiment? à moins que tu n'ais encore à faire sur terre, à moins que tu n'ais une dette à rembourser, à moins que tu n'ais encore des comptes à régler... qu'il s'agisse des olympiens ou des tiens?! Allons.... Dis-moi tout! Livre donc ce que tu avais sur le cœur, et alors, peut-être...peut être que je te le rendrais! »


Brutalement, ses phrases s'insinuèrent dans l'esprit de l'agonisant où elles distillèrent leurs poisons mortels.

Rejoindre Anésidora et Pyrrha parmi les limbes ? Cela lui était impossible. Il le savait. Et même si par quelque miracle, providence divine, ces retrouvailles avaient pu avoir lieu, jamais Epiméthée n'oserait se présenter devant elles. Comment pourrait-il regarder en face les victimes de son impuissance ?

Quant à avoir à faire sur terre… il avait caressé un temps l'idée de punir les fautifs de la chute de l'âge d'or. Faire payer aux olympiens pour le mal qu'ils avaient fait à la terre et à ses habitants, à ses enfants les bêtes. Leur faire payer pour le chagrin qu'ils avaient causés à Gaïa, descendants indignes et cruels. Faire souffrir avec eux les traites. Que tous ceux qui les avaient aidés par leur action ou leur inaction connaissent le poids de leurs fautes.

Le monstre au fond de lui se délectait à cette idée, imaginant supplices et tourments.

Mais Epiméthée devait se rendre à l'évidence. Il n'avait jamais eu la force de ses ambitions, ni la cruauté pour mener à bien ce type d'actes. Des siècles de souffrances ne l'avaient pas endurci… Et puis, la vengeance n'était-elle pas une bassesse réservée aux mortels ?

Non, s'il avait pu revenir sur terre, le fils de Japet aurait plutôt souhaité continuer l'œuvre entamée à Ithaque. Construire et non détruire. Le devoir d'un bâtisseur. Prendre sa responsabilité de divinité et ressusciter un lieu de paix où le peuple fidèle aux titans aurait pu de nouveau s'épanouir. Voilà une mission qui lui irait comme un gant.

Cependant,  comment l’expliquer au Tartare sans donner l’impression de se justifier ? De supplier ? Car tout à son orgueil, le frère d'Atlas restait droit dans ses principes.  Ni reddition, ni pacte, ni diktat.

Ah s'il avait pu être comme Prométhée ou Crios et avoir l'art ainsi que la manière de convaincre...

Malheureusement, comme toujours , Epiméthée présentait  un problème avec l'usage des mots, de la rhétorique et des formulations.  

Mais son attitude, son silence risquait plus d'agacer le maître des lieux que de le mettre dans de bonnes dispositions pour ouïr son plaidoyer.

Le silence est d’or mais la patience du Tartare est plutôt limitée.

Comme il fallait s’en douter, l’antique entité n’apprécia pas le manque de loquacité d’Epiméthée. Alors que celui-ci s’enfermait dans un mutisme songeur, réfléchissant à sa réponse, l’être primordial laissa tomber sa sentence :

«Et bien... puisque tu le prends ainsi... Erre donc pour l'éternité... Puisque tu ne veux parler de l'avenir.... tu revivras ton passé pour l'éternité! »

D’un geste presque nonchalant, il envoya valser son prisonnier à travers les ténèbres glacées du cosmos où le malheureux fut de nouveau soumis au poids de ses antécédents. Du moins à sa noirceur. Ici , point de bons souvenirs car comme  durant son combat contre le juge des enfers, le titan dû encore et toujours affronter des visions qui le faisaient bien plus souffrir que sa poitrine explosée. Le tourment d’une vie d’immortel, le fardeau des désillusions et le goût amer de la défaite. Cette innocence envolée face au venin acerbe de la trahison. Tous ces êtres qu’il avait connu, toutes ses pertes, ses ennemis qu’il n’avait pu abattre…

Finalement… oui… finalement abandonner pouvait être une bonne option. Pourquoi se battre ? Assez. Il en avait vraiment plus qu’assez.

«  Bordel ! Ce n’est pas bientôt fini de t’apitoyer sur ton sort comme une bonne femme ? »

A travers la toile macabre et vaporeuse  du film de sa vie, un visage se dessina, d’abord éthéré, puis de plus en plus tangible. C’était le sien. Ou du moins celui de son incarnation actuelle. Un regard sombre aux étranges pupilles couleur du coucher de soleil le toisait avec colère :
«  C’est bon ? Tu m’entends ? Pas trop tôt. Ta tête c’est un vrai bordel mon gars. 10 ans que j’gueule là-dedans sans que tu daignes m’écouter. Alors j’peux te dire que maintenant que j’ai toute ton attention,  j’ai à te causer parce que ça commence à m’courrir sévère tes jérémiades»

Epiméthée regarda cette forme humaine colossale qui semblait se solidifier de minutes en minutes dispersant par de grands moulinés les miasmes qui les cernaient. Était-ce là encore une fantaisie cruelle du tartare? Dans le doute, il préféra ne pas répondre.
« D’abord qui t’as dit que tu pourrais me chourraver comme ça mon corps ? Moi, j’étais tranquille, j’étais peinard, j’avais ma p’tite vie de mercenaire et toi tu débarques comme ça. Pardon m’sieur d’me , je suis une soi disante divinité d’un autre temps et paf le chien ! Je me sers. Mais mon p’tit gars, ça se passe pas comme ça. le Venez comme vous êtes à des limites quand même! Surtout que t’as vu dans quel état tu l’as mis mon corps d’athlète? Bordel mais il y a pas idée ! On est mort combien de fois à cause de tes conneries ? Deux fois ! Deux p*tain de fois. Et j'crois qu'on a même perdu des p'tits bouts d'anatomie dans la bataille. Tout ça parce que monsieur veut jouer les héros ! »

L’individu s’arrêta dix secondes, le temps de reprendre son souffle. Epiméthée était encore indécis pour savoir si c'était ou non une invention de son tourmenteur. Mais l'autre ne le laissa pas s’appesantir sur la question :
«  Tu parles d’un héros ! Regarde-toi à pleurnicher. Ouin ! Les autres sont méchants avec moi. Ouin ! Je suis faible ! Ouin ! C’est injuste d’être si grand dans un monde si petit. Mais Hallow*, quoi ! T’es une divinité et t’es même pas capable de défendre ton propre royaume ? C’est grave docteur ! D’ailleurs, je vais te dire mon p’tit gars, tu sais ce que je ferai si j’avais tes supers grands pouvoirs ? eh bien moi, je commencerai par vivre. Parce que toi mon gars, tu ne vis pas ! Oui, oui, je sais de supers grands pouvoirs entrainent de supers grandes responsabilité! Mais faut se donner la politique de l'action , un plan de carrière! Toi , tu te contentes de … »

On ne saura jamais ce qu’Épiméthée se contente de faire car la diatribe de l’italien fut soudain stoppée par une voix d’une puissance phénoménale qui traversa le tartare, l’espace et le temps :
"Dieux, Titans, Mortels... je m'adresse à vous, moi, Zeus, Roi des Dieux et Maître du Ciel et de la Foudre! Je sais quelle menace vous a agressée. Je sais quelle épreuve vous avez traversé. Et je sais que cela ne fait que commencer! Je vous vois vous débattre pour la traquer, mais vous ne réalisez pas encore qui est votre ennemi! Sachez que votre ennemi s'est retiré dans une dimension qui vous est inaccessible, tous autant que vous êtes! Au lieu de perdre votre temps à rechercher un être qui est désormais hors de votre portée, vous devriez plutôt vous préparer à la guerre... Car il existe d'autres menaces, de part le monde, qui se préparent, et que vous semblez ignorer, trop occupé à traquer un ennemi que vous ne pouvez affronter! J'ai pris sur moi de vous parler. N'espérez pas plus de ma part, le sort du monde est entre vos mains désormais!"

Roulement de tonnerre, puis plus rien.
Sans surprise, Epiméthée resta silencieux. Stupéfié de cet événement. Le tartare avait il autant le sens du spectacle? Tout était possible? que faire, devait il croire ce qu'il venait d'entendre? Son comparse quand à lui ne put s’empêcher de laisser échapper un sifflement:
« Nom de Zeus et nom d’une pipe en bois ! V’là autre chose. »

Ce qui résumait assez bien la situation.
Puis Benigno (car tel est le nom de l'italien) s'adressa au frère de Prométhée:
"Bon alors , p'tit génie , on fait quoi? T'es motivé à ressortir ou pas? Parce que moi si tu veux pas causer à sa sainteté du tartare où je ne sais quoi, je vais le faire à ta place et j'me barre sans toi. Sans dec'! les grands principes, c'est bien mais là , il y a urgence à priori , si cousin la foudre s'énerve. D'ailleurs je l'appelle tout de suite le grand ténébreux. Hé ho!!! Monseigneur le tartare!!! Faut qu'on cause!!! Moi j'veux bien parler d'avenir avec vous si l'autre greluche veut pas! "

Le sombre geôlier de ces lieux daignera t il répondre au simple mortel qui l'interpelle? Epiméthée finira t il par ouvrir la bouche? Vous le saurez en lisant la suite!

* Hallow: salutation que les marins britanniques se lançaient d'un navire à l'autre ( véridique selon wikipédia)

Benigno eut un sourire en voyant la lumière carmin qui fonçait droit sur lui:
« Bordel ! Je crois que ça va être ma fête. Il a pas d'humour ton grand-tonton»

Il laissa échapper une dernière bravache avant que le châtiment du tartare ne se déverse sur eux :
« Bon ! Au moins j'aurai réussi mon objectif. Il est revenu. Mais entre nous, il se la pète un peu. »

Le sicilien eut un clin d’œil à l'adresse d’Épiméthée.

Soudain, le corps de l'humain et celui du titan implosèrent
Le Tartare était de retour et visiblement, il n'était pas content :
"Et voilà qu'un insolent mortel vient à m'interpeller! Si j'accepte d'écouter un tant soit peu les pleurnicheries des divinités déchues en ce bas monde, je ne permettrais pas à un misérable humain de s'adresser à moi de la sorte!" 


Douleur effroyable que celle d'être réduit en miette , en particules subatomiques qui s'ablutinérent violemment pour de nouveau ne formait qu'un tout. Atomes, molécules, fragmentent d'ADN, tissu, organes membres, corps. Démontés pièces par pièces puis remontés encore et encore. À peine reconstituait leur matrice implosait de nouveau, s'écroulant sur elle même comme un château de sable , un fragile édifice de carte balayait par le vent.

Des cris de souffrance et de désespoir s'échappaient de leurs gorges quand celles-ci se reformaient.  Aucune phrases concrètes , aucun mots précis pour Épiméthée. Le titan au supplice ne voulait pas donner ce plaisir au Tartare.

Benigno lui tentait de résister aussi... à sa manière. Il s'accrochait à des pensées fugaces. Délirait.  Dans un vague élan de lucidité, il laissa échapper entre deux râles d'agonie :
«  Il manquerait plus que le clébard débarque et on sera au complet. Le père des bêtes, le fils de l'homme et la bête esprit transformé en hachis. Putain de trinité de mes d... »

Il n'eut pas le temps de finir que le feu et la foudre le déchirèrent à nouveau. Cette scène insoutenable dura longtemps. Très longtemps. Trop longtemps.  

L'esprit de l'humain fut le premier à craquer. Cette souffrance continuelle le conduisit au bord de la fragile ligne rouge qu'on appelle la folie. Il était sur le point de sombrer quand finalement dans un halètement roque, la voix du fils de Japet se fit entendre :
«  Assez Tartare ! Cela suffit... Je te le demande...  Arrête... Tu as gagné. »

Si sa propre souffrance ne l'atteignait pas, celle des autres avait toujours fait réagir l'architecte. Cela était depuis toujours son point faible et le Tartare devait bien le savoir, sinon pourquoi se serait-il offusqué des bravaches d'un mortel?

Admettre sa défaite, la reconnaître à voix haute., être à la limite de supplier. Cela avait de quoi rendre fou Épiméthée qui avait ravalé son orgueil et sa fierté pour protéger le mortel qui lui servait d'hôte. Ces quelques mots avaient écorchés son âme et ses lèvres. Un effort quasi au dessus de ces forces et pourtant consentit alors que le titan luttait déjà pour ne pas sombrer dans l'océan de douleur dans lequel baignait son corps mis en pièce.

Et pourtant, cette humble demande ne paraissait pas être assez pour le terrible maître des lieux. Insensible,  Le tartare se murait dans son silence semblant rester sourd à cette demande, cette supplique. Ce fut si long ! Une éternité d'agonie. Et puis enfin , alors que le fils de Japet ne l'attendait plus : la délivrance .

" Bien... Je vais de nouveau t'offrir ma clémence. Car tu me fatigue plus qu'autre chose titan. "

lentement, avec une cruauté sans pareille, le terrible dieu primordial laissa le corps du titan se reconsolider. Comme un puzzle d'atome ou un meccano géant, chacune des pièces se remirent à leur place initiale. Elles se récolèrent, se réunifièrent pour ne former plus qu'un être de chair et d'ichor. Comme la promesse de sa libération, une faible lueur zénithale apparut. D'abord faible et fragile, elle finit par  illuminer les lieux. Au dessus de lui Épiméthée put de nouveau admirer la voûte céleste. Un ciel bleu , d'une pureté incroyable, qu'il pensait ne plus jamais pouvoir revoir. Si loin de la noirceur des entrailles de la terre, si loin du dôme sans horizons du Cronos labyrinthos.

Attiré comme par un aimant, son corps se dirigea droit vers la lumière. Mais avant qu'il quitte l'enfer des dieux , la voix désagréable et gutturale du tartare résonna une dernière fois dans son esprit.

" Une dernière fois, j'espère que c'est la dernière fois que nous nous croiserons. "

Épiméthée ferma les yeux. Il était libre.

[Fin du rp, direction la terre des exilés pour la résurrection]